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La civilisation islamique médiévale désigne la période dite classique de l'islam qui va de 622 jusque la chute du califat de Bagdad en 1258.
Cet article ne traite pas des aspects religieux de l'islam mais uniquement de l'islam médiéval.
Les nations de l'Europe divisées, occupées pendant des siecles à se déchirer, après avoir vieilli dans la barbarie, n'ont été éclairées que par l'invasion des Maures, et par l'arrivée des Grecs échappés à la prise de Constantinople.
- Lettre à Voltaire du 1er septembre 1776
Lettres sur l'origine des sciences et sur celle des peuples de l'Asie,
Jean Sylvain Bailly, éd. M. Elmesly,, 1777, p. 139
Ces hommes [les Maures des villes d'Algérie], que nous méprisons trop, sont les fils de ceux qui couvrirent l'Espagne de monuments qu'elle n'est plus en état d'entretenir, qui allumèrent le flambeau des sciences sur l'Europe barbare, qui nous révélèrent, avant Constantinople et Rome, les écrits des Grecs et des Latins, et nous donnèrent les premières notions de chimie, de médecine et d'astronomie.
Les Arabes ont été pendant cinq cents ans la nation la plus éclairée du monde. C'est à eux que nous devons notre système de numération, les orgues, les cadrans solaires, les pendules et les montres. Rien de plus élégant, de plus ingénieux, de plus morale que la littérature persanne, et en général, tout ce qui est sorti de la plume des littérateurs de Bagdad et Bassora.
Mémoires pour servir l'histoire de France sous Napoléon, écrits à Saint-Hélène sous sa dictée,
Napoléon Bonaparte, éd. Firmin-Didot, 1823, t. 2 (Général Gourgaud),
Égypte - Religion, p. 258
L'Afrique française sort de la barbarie, l'Espagne y retourne ; nous rendons aux Maures d'Afrique ce qu'ils
nous avaient donné : la civilisation.
Depuis le VIIIe siècle jusqu'au XIIe siècle, l'Europe demeura plongée dans une ignorance profonde. L'amour et la culture des sciences furent concentrées pendant ce long interval chez un seul peuple, les Arabes de Bagdad et de Cordoue. C'est à eux que nous avons dû la connaissance des ouvrages grecs qu'ils avaient traduits pour leur usage, et qu'ils nous ont transmis, longtemps avant qu'ils nous parvinssent dans leur langue originale. Jusqu'à ces derniers temps, on a pensé que c'était là la seule obligation que nous eussions aux Arabes ; et l'on a négligé de rechercher et d'étudier leurs propres ouvrages, pensant que l'on n'y devait trouver rien d'original, ni d'étranger aux doctrines et à l'érudition grecques. C'est une erreur sur laquelle on revient aujourd'hui, surtout depuis qu'on connaît les ouvrages hindous, et que l'on sait que les Arabes y ont puisé les principes du calcul algébrique qui les distingue essentiellement des ouvrages grecs.
Aperçu historique sur l'origine et le développement des méthodes en géométrie,
Michel Chasles, éd. Hayez, 1837, p. 487-488d
Nous devons payer un juste tribut de reconnaissance aux Arabes, qui, après le déclin de l'école d'Alexandrie,
et quand l'Occident était plongé pour longtemps encore dans la barbarie et l'ignorance, ont recueilli avec ardeur et intelligence les débris des sciences grecques et les connaissances orientales, qu'ils nous ont transmises vers le XIIe siècle. Leurs ouvrages ont été le modèle de tous les ouvrages européens, depuis cette époque, et longtemps encore après le XVe siècle, qui marque la renaissance des lettres et de la civilisation en Europe.
Traité de géométrie supérieure,
Michel Chasles, éd. Bachelier, 1852, p. 53
On s'occupa peu de mathématiques au moyen âge. Les Arabes, qui étaient alors supérieurs aux Européens par la culture intellectuelle, avaient enseigné à la France tout ce qu'elle savait des sciences ; […]
Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France,
Adolphe Chéruel, éd. Hachette et
Cie, 1855, p. 1137
Par une honorable transmission de la science grecque, la civilisation arabe figurera toujours parmi les éléments essentiels de notre grande préparation au moyen âge.
Discours sur l'ensemble du positivisme (1848),
Auguste Comte, éd. L. Mathias, 1848, p. 386
Au onzième siècle l'Europe ne recevait guère de lumières que des Arabes d'Espagne. La plupart des chrétiens qui cherchaient à s'instruire, surtout en médecine, se rendaient dans leurs écoles. Gerbert, archevêque de Reims, l'un des grands hommes du siècle, et qui devint pape sous le nom de Sylvestre II, avait fait ses études à Cordoue. C'est par lui que fut introduit chez les chrétiens l'usage des chiffres arabes, si commodes pour les calculs. Mais nous devons faire remarquer que les Arabes ne sont point les inventeurs de ces chiffres, comme l'indique le nom qu'on leur donne généralement. [...] Les écoles des Arabes avaient une supériorité trop remarquable, pour qu'elles ne devinssent pas le modèle de celles qui furent établies plus tard en France et ailleurs.
Histoire des sciences naturelles,
Georges Cuvier, éd. Fortin, Masson et cie, 1841, t. 1, p. 396
On ne saurait trop déplorer que la littérature européenne ait systématiquement cherché à nous faire oublier nos obligations scientifiques envers les mahométans. Il est certainement temps que nous les reconnaissions. Une injustice, fondée uniquement sur la haine religieuse et sur l'orgueil national, ne peut durer éternellement.
A History of the Intellectual Development of Europe,
John William Draper (trad. L. Aubert), éd. A. Lacroix, Verboeckhoven et cie, 1868, p. 308
Les Arabes ont laissé sur l’Europe une empreinte intellectuelle que la chrétienté ne pourra bientôt plus ignorer ; ils l’ont inscrite de façon indélébile dans les cieux comme peut le constater toute personne lisant le nom des étoiles sur un globe céleste.
- (en) The Arab has left his intellectual impress on Europe, as, before long, Christendom will have to confess; he has indelibly written it on the heavens, as any one may see who reads the names of the stars on a common celestial globe.
A History of the Intellectual Development of Europe,
John William Draper (trad. Wikiquote), éd. Harper, 1863, p. 356
Tandis que l'Europe était plongée dans des ténèbres de barbarie que perçaient à peine quelques faibles lueurs, une vive lumière de littérature, de philosophie, de science, d'arts, d'industrie inondait toutes les capitales de l'islamisme.
- (fr) [La civilisation des Arabes] transmit à l'Europe du moyen âge des découvertes, des industries, des sciences, empruntées sans doute pour la plupart à d'autres peuples, mais dont il est glorieux pour les Arabes d'avoir été du moins les propagateurs. En effet, tandis que l'Europe était plongée dans des ténèbres de barbarie que perçaient à peine quelques faibles lueurs, une vive lumière de littérature, de philosophie, de science, d'arts, d'industrie inondait toutes les capitales de l'islamisme. Bagdad, Bassorah, Samarcande, Damas, le Caire, Kaïoran, Fez, Grenade, Cordoue étaient autant de grands centres intellectuels.
Histoire du moyen âge,
Victor Duruy, éd. Hachette, 1861, p. 104
A considérer les choses d'une manière générale, il est évident, par l'histoire, que les Arabes andalousiens durent avoir une certaine influence sur la civilisation du midi de la France. Ils eurent, comme tout le monde sait, sous leur domination la Septimanie [...]; et c'est, selon toute apparence, à leur séjour de plus d'un demi-siècle dans cette contrée, qu'il faut attribuer l'introduction dans le Midi de diverses industries, de certains procédés d'agriculture, de certaines machines d'un usage universel, comme, par exemple, de celle qui sert à tirer l'eau des puits, pour l'irrigation des jardins et des champs, qui toutes sont d'invention arabe. C'est à la même époque et à la même cause qu'il faut rapporter l'habitude, longtemps et même encore aujourd'hui populaire dans le midi de la France, d'attribuer aux Sarrasins tout ouvrage qui offrait quelque chose de merveilleux, de grandiose, et supposait une puissance d'industrie supérieure à celle du pays, comme les châteaux fortifiés, les remparts et les tours des villes, et autres grands monuments d'architecture ; comme aussi les armes, les ouvrages de ciselure et d'orfèvrerie, les étoffes précieuses par le travail ou la matière. Toutes ces choses étaient qualifiées d'œuvre arabine, d'œuvre sarrasinesque, d'œuvre de gent sarrasine. Enfin, ce fut aussi par suite de la domination andalousienne dans la Septimanie que s'introduisit, dans le latin barbare du pays, devenu déjà ou prêt à devenir le roman, une certaine quantité de mots arabes qui devait s'accroître encore par la suite.
Histoire de la poésie Provençale,
Claude Fauriel, éd. W. Engelmann, 1847, p. 314
La civilisation arabe ne fut pas autre chose que la civilisation gréco-syrienne, rajeunie, ravivée par le souffle d'un génie assez court, mais plus neuf, et altérée par un mélange persan de plus.
La science et les connaissances, notamment philosophiques, sont venues en Occident de chez les Arabes.
- (fr) Dans la lutte contre les Sarrasins la bravoure européenne s'était idéalisée en la belle et noble chevalerie; la science et les connaissances, notamment philosophiques, sont venues en Occident de chez les Arabes; la flamme d'une noble poésie et d'une libre fantaisie s'alluma chez les Germains au contact de l'Orient et c'est ainsi que Goethe aussi s'est adressé à l'Asie et a donné dans son Divan un collier de perles qui pour la tendresse et le bonheur de la fantaisie dépasse tout.
Le nom de ces peuples est inscrit parmi les étoiles en caractères plus durables qu'il n'eût pu l'être jamais sur la surface de la terre.
Les mœurs élégantes de la chevalerie ont donc évidemment été apportées en Europe par les Arabes; ce qui chez les héros du Nord, avec leur pesant attirail, ne fut que métier ou fiction, fut dans cette nature du Midi un jeu facile, un élégant exercice. Ainsi l'esprit chevaleresque apparut d'abord parmi les chrétiens en Espagne, là où les Goths et les Arabes habitaient, près les uns des autres, depuis des siècles.
Idées sur la philosophie de l'histoire de l'humanité (1791),
Johann Gottfried von Herder (trad. Edgar Quinet), éd. F.G. Levrault, 1834, t. 3, De l'esprit de chevalerie en Europe, p. 441
Les mathématiques, la chimie, la médecine, s'introduisirent peu à peu dans les écoles les plus renommées de l'Europe, tant par des traités que par les découvertes et les expériences. Sans les Arabes, difficilement y aurait-il eu un Gerbert, un Albert le Grand, un Arnaud de Villeneuve, un Roger Bacon, un Raimond Lulle ; tous ils avaient fréquenté les sages de l'Espagne ou étudié leurs écrits.
Idées sur la philosophie de l'histoire de l'humanité (1791),
Johann Gottfried von Herder (trad. Edgar Quinet), éd. F.G. Levrault, 1834, t. 3, Culture de la raison en Europe, p. 475
C'est peut-être en Espagne que les sciences des Arabes eurent le plus d'éclat ; c'est là que se fixa, pour ainsi dire, le règne de leur littérature et de leurs arts. Cordoue, Grenade, Valence, Seville se distinguèrent à l'envi par des écoles, des collèges des académies, et par tous les genres d'établissements qui peuvent favoriser les progrès des lettres. L'Espagne possédait soixante-dix bibliothèques ouvertes au public, dans différentes villes, quand tout le reste de l'Europe, sans livres, sans lettres, sans culture, était enseveli dans l'ignorance la plus honteuse. Une foule d'écrivains célèbres enrichit dans tous les genres la littérature arabico-espagnole ; et l'ouvrage qui contient les titres et les notices de leurs innombrables productions en médecine, en philosophie, dans toutes les parties des mathématiques, en histoire, et principalement en poésie, forme en Espagne une volumineuse bibliothèque. L'influence des Arabes sur les sciences et les lettres, se répandit bientôt dans l'Europe entière.
Il faut [...] reconnaître dans la poésie arabe la mère et la maitresse commune de l'espagnole et de la provençale. On aperçoit dans la poésie des Troubadours les traces de cette filiation, et l'on y voit aucun vestige de la poésie grecque ou latine.
Les Sarrasins d'Espagne qui, au VIIIe siècle, se répandirent en France, pouvaient y faire naître le goût des sciences et des beaux-arts ; Charles-Martel les extermina prés de Poitiers, et tout le fruit de cette expédition fameuse fut l'affermissement de sa puissance, à moins que la postérité de quelques Maures échappés au carnage de Poitiers, et réfugiés au Midi de la France, ne fut à l'origine nébuleuse de ces troubadours qui illustrèrent ces mêmes contrées au XI, XIIe et XIIIe siècles : origine dont je ne sache pas qu'aucun critique ait eu l'idée.
Les khalifes Al-Mansour, Haroun-Al-Raschid, Al-Mamoun cultivèrent la philosophie, l'astronomie et les mathématiques. Al-Mamoun appela à sa cour beaucoup de savants étrangers, et il fit, à grands frais, traduire en arabe les classiques grecs. Partout la domination arabe répandait les bienfaits de la civilisation. Bagdad, Bassora, Rufa, Cordoue, eurent des écoles et des bibliothèques publiques, où affluaient les hommes avides de s'instruire. L'université de Cordoue jouit longtemps d'une grande célébrité. La bibliothèque de la capitale des émirs d'Espagne fut la plus vaste du monde [...]. Cependant les Arabes avaient moins de génie et moins d'originalité que les Grecs, qu'ils ont traduits ou copiés. On leur doit fort peu de découvertes proprement dites. [...]
Au douzième siècle, on ne compta pas moins de soixante-dix bibliothèques publiques dans les contrées de l'Espagne soumises aux Maures. [...] C'est, dit-on, par les croisades que la science des Arabes fut révélée aux Occidentaux. Mais on exagère ici, évidemment, l'influence des croisades. Car déjà dès le neuvième siècle, par conséquent deux cents ans au moins avant la première croisade, les savants de l'Occident s'étaient trouvés en contact avec les Maures d'Espagne et connaissaient les trésors de l'académie de Cordoue. Au dixième siècle, Gerbert, élu pape sous le nom de Sylvestre II, avait été élevé en Espagne, et avait même appris la langue arabe. [...] Hormis les Arabes et les Grecs, tout le reste de l'Europe était encore plongé dans les ténèbres.
Histoire de la chimie (1843),
Ferdinand Hoefer, éd. Firmin Didot frères, 1866, p. 323
Les Arabes, peuple de race sémitique, font reculer en partie la barbarie qui, déjà depuis deux siècles, a couvert l'Europe ébranlée par les invasions des peuples : ils remontent aux sources éternelles de la philosophie grecque ; ils ne se bornent pas à sauver le trésor des connaissances acquises, ils l'agrandissent et ouvrent des voies nouvelles à l'étude de la nature.
Cosmos, essai d'une description physique du monde,
Alexander von Humboldt, éd. Gide et J. Braudy, 1844, t. 2, p. 247
Les Arabes doivent être considérés, je le répète encore, comme les véritables fondateurs des sciences physiques, en prenant cette dénomination dans le sens auquel nous sommes habitués aujourd'hui. [...] Après avoir payé le tribut d'éloges que méritent les services rendus par les Arabes à la science de la nature, dans la double sphère du ciel et de la terre, il reste
encore à mentionner ce qu'ils ont ajouté au trésor des mathématiques pures. [...] Les Arabes rendirent ainsi un double service aux sciences mathématiques : leur algèbre, malgré l'insuffisance des signes et des notations, avait heureusement influé, tant par les emprunts qu'ils avaient faits aux Grecs et aux Hindous que par leurs propres découvertes, sur l'époque brillante des mathématiciens italiens au moyen âge. Ce furent eux aussi qui, par leurs écrits et par l'extension de leur commerce, répandirent le système de numération indienne depuis Bagdad jusqu'à Cordoue. Ces deux progrès, la propagation
simultanée de la science et des signes numériques, avec leur double valeur, absolue et relative, agirent d'une manière différente, mais également efficace, sur le développement mathématique de la science de la nature.
Cosmos, essai d'une description physique du monde,
Alexander von Humboldt, éd. Gide et J. Braudy, 1844, t. 2, p. 258-278
Si les Arabes espagnols se distinguèrent dans les sciences, s'ils en conserverent le dépôt, s'ils les transmirent aux autres nations, s'ils furent les promoteurs de leur renaissance en Europe, ils ne se distinguerent pas moins dans la littérature.
Itinéraire descriptif de l'Espagne (1809),
Alexandre de Laborde, éd. Chez H. Nicolle, 1809, t. 5, p. 132
Le génie propre de ces hommes les a portés à fournir les premiers rois pasteurs de l'Égypte, les premiers astronomes, des philosophes profonds et de grands médecins :on connait au reste leurs travaux et leurs conquêtes.
Mémoires et Campagnes 1786-1840 (1841),
Dominique-Jean Larrey, éd. Tallandier, 2004, t. 2, Remarques sur la constitution physique des Arabes, p. 1118-1119
En vérité, il faut un étrange aveuglement pour nier les bienfaits que l'humanité doit à ces prétendus Barbares de l'Orient. Comment [...] oublier que la renaissance de la philosophie, de la littérature et des sciences, est due aux travaux des Arabes? Ces Barbares, qu'on accuse d'avoir arrêté tout progrès, ont été l'instrument du progrès, même pour nous, hommes de l'Occident qui les méprisons aujourd'hui du haut de notre grandeur intellectuelle. Pendant que l'Europe était plongée dans les ténèbres de la barbarie, une brillante civilisation régnait à Bagdad et à Cordoue. On calomnie donc l'islam en disant qu'il a été un obstacle à toute culture. Si la civilisation arabe s'est arrêtée, c'est moins à la doctrine religieuse qu'il faut l'imputer qu'aux peuples qui ont remplacé la race arabe et qui étaient moins bien doués qu'elle par la nature.
Études sur l'histoire de l'humanité (1864),
François Laurent, éd. Meline, Cans et cie, 1864, t. 5, p. 436
Les Arabes n'étaient plus des barbares, lorsqu'ils s'élancèrent à la conquête du monde ; ils avaient en eux des germes de civilisation qui se développèrent avec une rapidité et un éclat tout aussi merveilleux que leurs victoires ; ils portèrent leur civilisation chez les vaincus. Ces barbares du midi, qu'on accuse de tout détruire, rallumèrent le feu sacré de la science et de la philosophie en Europe.
Histoire du droit des gens et des relations internationales (1857),
François Laurent, éd. Gand, 1857, t. 5, p. 525
[Les Juifs] eurent, avec les Arabes, la part la plus active à la floraison et à l'épanouissement de cette admirable civilisation sémitique, qui surgit en Espagne et dans le Midi de la France, civilisation qui annonça et prépara la Renaissance.
L'antisémitisme, son histoire et ses causes (1894),
Bernard Lazare, éd. L. Chailley, 1894, p. 113
À leur grande tolérance, les Arabes d'Espagne joignaient des mœurs très chevaleresques. Ces lois de la chevalerie : respecter les faibles, être généreux envers les vaincus, tenir religieusement sa parole, etc., que les nations chrétiennes adoptèrent plus tard, et qui finirent par exercer sur les âmes une action plus puissante que celles de la religion même, furent introduites par eux en Europe.
La Civilisation des Arabes (1884),
Gustave Le Bon, éd. La Fontaine au Roy, 1990, Livre troisième, chapitre sixième, Les Arabes en Espagne, p. 213
Grâce aux croisades, l'influence civilisatrice de l'Orient sur l'Occident fut très grande, mais cette influence fut beaucoup plus artistique, industrielle et commerciale que scientifique et littéraire. Quand on considère le développement considérable des relations commerciales et l'importance des progrès artistiques et industriels, engendrés par le contact des croisés avec les Orientaux, on peut affirmer que ce sont ces derniers qui ont fait sortir l'Occident de la barbarie, et préparé ce mouvement des esprits que l'influence scientifique et littéraire des Arabes, propagée par les universités de l'Europe, allait bientôt développer et d'où la renaissance devait sortir un jour.
La Civilisation des Arabes (1884), Gustave Le Bon, éd. La Fontaine au Roy, 1990, Livre troisième, chapitre huitième, Lutte du christianisme contre l'islamisme, p. 254
L'esclavage chez les mahométans est fort différent de ce qu'il était chez les chrétiens. La situation des esclaves en Orient est bien préférable en effet à celle des domestiques en Europe. Ils font partie de la famille, et peuvent parfois s'élever aux plus hauts emplois. Aucune idée humiliante ne s'attache en Orient à l'esclavage, et on a dit avec raison que l'esclave y est plus près de son maître qu'un domestique chez nous.
La Civilisation des Arabes (1884), Gustave Le Bon, éd. La Fontaine au Roy, 1990, Livre quatrième, chapitre deuxième, Mœurs et coutumes, p. 284
Bien peu de religions ont eu un pareil empire sur les âmes; aucune peut-être n'en a exercé de plus durable. Le Coran est le véritable pivot de la vie en Orient, et nous retrouvons son influence dans les moindres actes de l'existence. L'empire des Arabes ne vit plus que dans l'histoire, mais la religion qui fut mère de cet empire n'a pas cessé de s'étendre. Du fond de son tombeau, l'ombre du prophète règne en souveraine sur ces millions de croyants qui peuplent l'Afrique et l'Asie, du Maroc jusqu'à la Chine, de la Méditerranée à l'Equateur.
La Civilisation des Arabes (1884), Gustave Le Bon, éd. La Fontaine au Roy, 1990, Livre quatrième, chapitre cinquième, Religion et morale, p. 328
Il semblera toujours humiliant à certains esprits de songer que c'est à des infidèles que l'Europe chrétienne doit d'être sortie de la barbarie, et une chose si humiliante en apparence ne sera que bien difficilement admise. [...] Par leur influence morale, ils ont policé les peuples barbares qui avaient détruit l'empire romain ; par leur influence intellectuelle, ils ont ouvert à l'Europe le monde des connaissances scientifiques, littéraires et philosophiques qu'elle ignorait, et ont été nos civilisateurs et nos maîtres pendant six cents ans.
La Civilisation des Arabes (1884), Gustave Le Bon, éd. La Fontaine au Roy, 1990, Livre cinquième, chapitre dixième, Civilisation de l'Europe par les Arabes, p. 442
[Ernest Renan] assure que les savants arabes n'étaient pas du tout des Arabes, mais bien des gens de Samarkand, Cordoue, Séville, etc. Ces pays appartenant alors aux Arabes, et le sang, aussi bien que l'enseignement arabes, y ayant pénétré depuis longtemps, il me semble évident qu'on ne peut pas plus contester l'origine des travaux qui sont sortis de leurs écoles, qu'on ne pourrait contester celle des travaux des savants français, sous le prétexte qu'ils proviennent d'individus appartenant aux races diverses : Normands, Celtes, Aquitains, etc., dont la réunion a fini par former la France.
La Civilisation des Arabes (1884), Gustave Le Bon, éd. La Fontaine au Roy, 1990, Livre cinquième, chapitre dixième, Civilisation de l'Europe par les Arabes, p. 442, Note
Au point de vue de la civilisation, bien peu de peuples ont dépassé les Arabes et l'on n'en citerait pas qui ait réalisé des progrès si grands dans un temps si court. Au point de vue religieux, ils ont fondé une des plus puissantes religions qui aient régné sur le monde, une de celles dont l'influence est la plus vivante encore. Au point de vue politique, ils ont créé un des plus gigantesques empires qu'ait connus l'histoire. Au point de vue intellectuel et moral ils ont civilisé l'Europe.
La Civilisation des Arabes (1884), Gustave Le Bon, éd. La Fontaine au Roy, 1990, Livre sixième, chapitre deuxième, Causes de la grandeur et de la décadence des Arabes, p. 470
Effacez les Arabes de l'histoire, et la renaissance des lettres sera retardée de plusieurs siècles en Europe.
Histoire des sciences mathématiques en Italie,
Guillaume Libri, éd. J. Renouard, 1838, t. 1, p. 51
Les Arabes ont fait au monde le plus riche présent dont aucun génie de peuple ait doué le genre humain. Si les Grecs lui ont donné le mécanisme logique, les Arabes lui ont donné la logique du nombre, l'arithmétique et l'algèbre, l'indispensable instrument des sciences. Et combien d'autres choses utiles!
- (fr) Tandis que l'Occident voyait de Dieu le doux reflet lunaire, l'Orient et l'Espagne arabe et juive le contemplaient en son fécond soleil, dans sa puissance créatrice qui verse ses dons à torrents. L'Espagne est le champ du combat. Où paraissent les chrétiens, paraît le désert; où sont les Arabes, l'eau et la vie jaillissent de toutes parts, les ruisseaux courent, la terre verdit, devient un jardin de fleurs. Et le champ de l'intelligence aussi fleurit. Barbares, que serions-nous sans eux? Faut-il dire cette chose honteuse que notre Chambre des comptes attendit au dix-septième siècle pour adopter les chiffres arabes sans lesquels on ne peut faire le plus simple calcul? Les Arabes ont fait au monde le plus riche présent dont aucun génie de peuple ait doué le genre humain. Si les Grecs lui ont donné le mécanisme logique, les Arabes lui ont donné la logique du nombre, l'arithmétique et l'algèbre, l'indispensable instrument des sciences. Et combien d'autres choses utiles! la distillation, les sirops, les onguents, les premiers instruments de chirurgie, l'idée de la lithotritie, etc [...]. Certes, le peuple qui, aux huitième et neuvième siècles, donna les modèles admirables de l'architecture ogivale fut un peuple d'artistes. Le contraste apparaît frappant entre eux et leurs sauvages voisins du Nord, dans le poëme du Cid. La chevalerie alors est au Midi, la douceur, la délicatesse, la religion de la femme et la bonté pour les enfants. C'est ce qu'avouent les chrétiens mêmes.
Histoire de France au XVIe siècle,
Jules Michelet, éd. Chamerot, 1857, t. 7, Renaissance, p. 162
L'élément sémitique, juif et arabe, était fort en Languedoc [au XIIe siècle]. Narbonne avait été longtemps la capitale des Sarrasins en France. Les Juifs étaient innombrables. Maltraités, mais pourtant soufferts, ils florissaient à Carcassonne, à Montpellier, à Nîmes; leurs rabbins y tenaient des écoles publiques. Ils formaient le lien entre les chrétiens et les mahométans, entre la France et l'Espagne. Les sciences, applicables aux besoins matériels, médecine et mathématiques, étaient l'étude commune aux hommes des trois religions. Montpellier était plus lié avec Salerne et Cordoue qu'avec Rome. Un commerce actif associait tous ces peuples, rapprochés plus que séparés par la mer. [...] Ces nobles du Midi étaient des gens d'esprit qui savaient bien la plupart que penser de leur noblesse. Il n'y en avait guère qui, en remontant un peu, ne rencontrassent dans leur généalogie quelque grand-mère sarrasine ou juive. Nous avons déjà vu qu'Eudes, l'ancien duc d'Aquitaine, l'adversaire de Charles Martel, avait donné sa fille à un émir sarrasin. Dans les romans carolingiens, les chevaliers chrétiens épousent sans scrupule leur belle libératrice, la fille du sultan.
L'islamisme, avec cette race si éminemment belle, avec ces Arabes si intelligents, si nobles, si rapprochés encore des traditions de l'homme primitif, l'islamisme a fait de grandes choses. On ne peut pas se le dissimuler, les Arabes ont eu une magnifique littérature, pendant que nous étions dans nos ténèbres du moyen âge; ils ont eu des arts dont les monuments subsistent encore. Partez de Bagdad, de Damas, de Jérusalem, du Caire, arrivez jusqu'à Grenade, jusqu'à Cordoue, cette civilisation brillante a couvert le monde de monuments que L'art chrétien a imités à partir du XIIe siècle, au moment où nous sortions un peu de la barbarie. [...] Vous savez que depuis près de six siècles elle est tombée dans un affaissement progressif, et il semble qu'il y ait une loi fatale de décadence pour cette civilisation qui a jeté tant d'éclat dans le monde. Et remarquez que ce n'étaient pas des barbares, puisque les races sur lesquelles l'islamisme exerça son action sont restées jeunes, actives, intelligentes, que l'homme n'y a pas un instant dégénéré. C'est donc la faute de l'islamisme, qui n'a pas même eu la puissance de maintenir un peu de cette grandeur. Il donna l'élan, il fit prendre le glaive à ces hommes et excita leur enthousiasme en leur disant : Vous serez les conquérants du monde. L'instinct de la conquête une fois satisfait, l'enthousiasme s'est arrêté, et l'homme s'est trouvé seul avec lui-même, sans un principe d'activité qui est le germe, la vie de toute civilisation.
Sur la fin du
Xe siècle il y eut quelques hommes qui, épris des connaissances mathématiques, montrèrent un zèle digne d'éloges, pour s'en instruire. Les Arabes chez qui elles fleurissaient alors, furent pour les Chrétiens, ce qu'autrefois les Égyptiens avaient été pour les Grecs avides de savoir. […] Pendant cette période, tous ceux qui obtinrent le plus de réputation dans les mathématiques avaient été acquérir leur science parmi les Arabes.
Le christianisme nous a frustrés de la moisson de la culture antique, et, plus tard, il nous a encore frustrés de celle de la culture islamique. La merveilleuse civilisation maure d’Espagne, au fond plus proche de nous, parlant plus à nos sens et à notre goût que Rome et la Grèce, a été foulée aux pieds (et je préfère ne pas penser par quels pieds!) - Pourquoi? Parce qu’elle devait le jour à des instincts aristocratiques, à des instincts virils, parce qu’elle disait oui à la vie, avec en plus, les exquis raffinements de la vie maure!... Les croisés combattirent plus tard quelque chose devant quoi ils auraient mieux fait de se prosterner dans la poussière -une civilisation en comparaison de laquelle meme notre XIX siècle semblerait pauvre et retardataire! Voyons donc les choses comme elles sont! Les croisades? Une piraterie de grande envergure, et rien de plus! [...] La noblesse allemande est à peu près absente de l’histoire de la culture supérieure: on en devine la cause… Le christianisme, l’alcool - les deux grands moyens de corruption... En soi, on ne devrait même pas avoir à choisir entre l’islam et le christianisme, pas plus qu’entre un Arabe et un Juif. La réponse est donnée d’avance: ici, nul ne peut choisir librement. Soit on est un tchandala, soit on ne l’est pas. « Guerre à outrance avec Rome! Paix et amitié avec l’Islam. » C’est ce qu’a senti, c’est ce qu’a fait ce grand esprit fort, le seul génie parmi les empereurs allemands, Frédéric II Hohenstauffen.
L’Antéchrist (1888), Friedrich Nietzsche, éd. Gallimard, 2006
(ISBN 2070325571), aphorisme 60, p. 85
La merveilleuse civilisation maure d’Espagne, au fond plus proche de nous, parlant plus à nos sens et à notre goût que Rome et la Grèce... une civilisation en comparaison de laquelle même notre XIX siècle semblerait pauvre et retardataire!
L’Antéchrist (1888),
Friedrich Nietzsche, Giorgio Colli et Mazzino Montinari, éd. Gallimard, 1990, p. 338
C'est l'originalité de l'Espagne, qu'avec cette horreur sainte du génie arabe, elle ne peut s'en séparer. Elle l'a chassé il y a trois siècles : il est encore là, debout et vivant dans son cœur ; elle le hait, et il court dans ses veines. Elle abhorre Mahomet ; et son Dieu, tel qu'elle l'a fait, a toutes les passions, toutes les rancunes du dieu du Coran. Elle déteste l'Arabie, et l'Arabie s'attache à ses flancs comme une tunique. Telle est donc la condition de ce peuple, pendant huit siècles, de haïr toujours le génie qu'elle imite et épouse à son insu.
Œuvres complètes,
Edgar Quinet, éd. Pagnerre, 1857, t. 3, Le christianisme et la Révolution française (1845), Le Coran et l'Évangile, p. 139
L'histoire de l'Orient moderne, avec toutes ses vicissitudes, n'est rien que la grande âme de Mahomet, déployée comme un drapeau de siècle en siècle.
- (fr) La destinée du génie arabe, ces victoires de la foi, ces miracles de l'épée, ces conquêtes instantanées, ces cinq ou six siècles de grandeur, ce monde splendide qui s'étend de la Perse à l'Arabie, à l'Espagne, tout cela a vécu un moment enfermé en germe dans le cœur du Prophète. L'histoire de l'Orient moderne, avec toutes ses vicissitudes, n'est rien que la grande âme de Mahomet, déployée comme un drapeau de siècle en siècle.[...] Mahomet est tout ensemble la tête et le bras, le Christ et le Napoléon de l'Orient moderne ; il établit le nouveau dogme religieux, et il le réalise incontinent dans le monde social.
Œuvres complètes, Edgar Quinet, éd. Pagnerre, 1857, t. 3, Le christianisme et la Révolution française (1845), Le Mahométisme, p. 119
Ces mêmes Arabes qui avaient détruit le dépôt sacré des connaissances humaines [bibilothèque d'Alexandrie] furent ensuite les premiers à en rétablir les fondements. Par mesure pour ainsi dire expiatoire, ils travaillèrent avec succès à
éclaircir les principes de l'arithmétique et de l'algèbre, et à donner a ces sciences un développement qu'elles n'avaient
pas encore reçu jusqu'alors. Ils s'attachèrent aussi à conserver les ouvrages que nous avaient transmis les Grecs : la trigonométrie et la géodésie reçurent des accroissements précieux, surtout l'astronomie. Alfraganus et Albaténius
furent les dignes successeurs d'Hipparque et de Ptolémée.
Histoire des sciences mathématiques et physiques (1864),
Adolphe Quetelet, éd. Hayez, 1864, p. 9
Les Arabes du Guadalquivir ont été les maîtres et les éducateurs de l'Europe en astronomie, en mathématique, en mécanique, en médecine, en philosophie : l'ingratitude et la mauvaise foi ont seuls pu leur contester ce mérite.[...] Le génie inventif des musulmans d'Espagne se réveillera peut-être un jour chez leurs descendants : c'est assez de plusieurs siècles de sommeil !
Nouvelle géographie universelle: la terre et les hommes,
Élisée Reclus, éd. Hachette, 1876, t. 1, p. 906-907
Cette civilisation musulmane, maintenant si abaissée, a été autrefois très brillante. Elle a eu des savants, des philosophes. Elle a été, pendant des siècles, la maîtresse de l’Occident chrétien. Pourquoi ce qui a été ne serait-il pas encore ? Voilà le point précis sur lequel je voudrais faire porter le débat. Y a-t-il eu réellement une science musulmane, ou du moins une science admise par l’islam, tolérée par l’islam ? Il y a dans les faits qu’on allègue une très réelle part de vérité. Oui ; de l’an 775 à peu près, jusque vers le milieu du XIIIe siècle, c’est-à-dire pendant cinq cents ans environ, il y a eu dans les pays musulmans des savants, des penseurs très distingués. On peut même dire que, pendant ce temps, le monde musulman a été supérieur, pour la culture intellectuelle, au monde chrétien.
Discours et conférences,
Ernest Renan, éd. C. Lévy, 1887, L'Islamisme et la Science (conférence prononcée à la Sorbonne, en 1883), préambule, p. 378
Ce fut par ces traductions arabes des ouvrages de science et de philosophie grecque que l'Europe reçut le ferment de tradition antique nécessaire à l'éclosion de son génie.
Discours et conférences, Ernest Renan, éd. C. Lévy, 1887, L'Islamisme et la Science (conférence prononcée à la Sorbonne, en 1883), p. 387
Faire honneur à l'islam d'Avicenne, d'Avenzoar, d'Averroès, c'est comme si l'on faisait honneur au catholicisme de Galilée.
- Conférence prononcée à la Sorbonne en 1883.
Discours et conférences, Ernest Renan, éd. C. Lévy, 1887, L'Islamisme et la Science, p. 396
L'islamisme a de belles parties comme religion ; je ne suis jamais entré dans une mosquée sans une vive émotion, et, le dirai je ? un certain regret de n'être pas musulman. Mais, pour la raison humaine, l'islamisme n'a été que nuisible.
- Conférence prononcée à la Sorbonne en 1883.
Discours et conférences, Ernest Renan, éd. C. Lévy, 1887, L'Islamisme et la Science, p. 396
La population maure avait apporté sur une terre inculte [l'Espagne] une civilisation modèle, avec l'élégance de ses mœurs, avec son commerce et son industrie. Mais au XVIe siècle la puissance des Maures, même soumis, fut regardée comme dangereuse pour le pouvoir établi et ils furent expulsés. On s'aperçut bientôt de la plaie profonde que cette expulsion avait faite à l'Espagne.
Cours de droit constitutionnel,
Pellegrino Rossi, éd. Guillaumin, 1866, t. 2, p. 384
Il est difficile de deviner ce que serait devenue la France, et peut-être aussi l'Europe, sans la victoire de Charles Martel (bataille de Tours 732), bien qu'il n'y ait point à croire que ni l'une ni l'autre eussent gagné à devenir musulmanes. Mais il est certain que les Arabes, quoique moins disciplinés que les Francs, vainqueurs et héritiers de la tactique romaine, leur étaient supérieurs sous bien des rapports ; et, quelques siècles plus lard, c'était aux sciences et aux écoles de l'islamisme que l'Europe chrétienne allait devoir la moitié de ses lumières. Au XIe et au XIIe siècle, l'Espagne, livrée aux Maures, instruisait le reste du monde après s'être instruite elle-même aux monuments de la Grèce. Si la scholastique n'avait point eu les sources arabes, il est sûr qu'elle n'eût pas fait de si rapides progrès ; et la Renaissance d'Albert le Grand et de saint Thomas aurait pu se faire attendre encore bien longtemps. C'est donc là un caractère qui distingue les conquêtes arabes de bien d'autres ; et il serait peu équitable de les confondre soit avec celles des barbares nos ancêtres, soit avec celles de Gengis-Khan ou de Timour. Celles-là n'ont été qu'une suite d'effroyables désordres, le carnage et le butin étaient les seuls objets des envahisseurs, et il n'est resté après eux que ruine et que deuil. Les Arabes, au contraire, ont semé partout des germes heureux, qui sont devenus féconds en d'autres mains que les leurs.
« La vie de Mahomet » (1864), dans
Séances et travaux de l'Académie des sciences morales et politiques,
Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, éd. Auguste Durand, 1864, t. 19, p. 425
La France elle-même, jusqu'à la Loire, n'a-t-elle pas cédé, sans s'en rendre compte, au contact du génie arabe, qui s'est, pour arriver jusqu'à elle, transvasé pour ainsi dire à travers mille canaux ; qui s'est fait d'abord espagnol, puis catalan, puis provençal, puis italien, puis francais, pour imbiber de ce je ne sais quoi de chevaleresque et de gracieux qui les caractérise, nos arts, nos mœurs et notre poésie. Oui, c'est aux Arabes, par l'Espagne et par les croisades, que nous devons cette civilisation dont nous sommes si fiers; notre chevalerie nous vient des Arabes; ce sont eux qui ont appris à l'Italie, et par elle à nous, qu'il avait existé une antiquité, et
c'est par eux que nous avons commencé à l'étudier. Le christianisme lui-même, en luttant avec bonheur contre l'influence de l'Islam, n'a su lui enlever de nous que la partie la plus sérieuse : l'homme moral a échappé aux Arabes ; mais l'homme social leur est resté, et c'est celui-là qui est presque tout entier leur ouvrage. Ainsi, messieurs, vous retrouvez dans cette civilisation arabe, morte presque aussitôt que née, mais dont l'influence est loin d'être morte avec elle, quelque chose de l'universalité du génie romain. Le peuple d'Auguste, comme celui de Mahomet, ont conquis le monde deux fois, la première par les armes, la seconde par les lumières, et bien des siècles après que les deux empires ont péri, leur domination dure encore : le règne des mœurs et des idées a survécu à celui des lois. Le monde moderne, comme une médaille frappée à deux coins différens, porte une double empreinte, arabe d'un côté, romaine de l'autre.
« L'Espagne romaine et l'Espagne arabe (Discours prononcé à l'ouverture du cours d'histoire ancienne, Faculté des Lettres de Paris.) » (1838), dans
Revue de Paris,
Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire, éd. Bureau de la Revue de Paris, 1838, t. 52, p. 231
Les Arabes sont au moyen âge les seuls représentants de la civilisation ; ils font reculer la barbarie qui s'était étendue sur l'Europe, ébranlée par les invasions des peuples du Nord ; ils remontent « aux sources éternelles de la philosophie grecque » et, loin de se borner à préserver de toute attente le trésor des connaissances acquises, ils l'agrandissent et ouvrent des voies nouvelles à l'étude de la nature.
Les notions du point d'honneur, qui ont eu une si grande influence, non pas seulement sur la chevalerie, mais sur toute notre civilisation moderne, sont plus propres aux Arabes qu'aux peuples germains; c'est d'eux que nous est venue cette religion de la vengeance, cette appréciation si délicate des offenses et des affronts qui leur fait sacrifier leur vie et celle de toute leur famille pour laver une tache à leur honneur. [...] L'époque de la naissance de la chevalerie est celle précisément où la morale des Arabes était arrivée au plus haut terme de délicatesse et de raffinement, où la vertu était
l'objet de leur enthousiasme, et où la pureté du langage et des pensées chez leurs écrivains, fait honte à la corruption des nôtres. Enfin de tous les peuples de l'Europe, les plus chevaleresques sont les Espagnols, et ce sont les seuls qui aient été immédiatement à l'école des Arabes. [...] La chevalerie est une invention arabe.
De la littérature du midi de l'Europe,
Jean de Sismondi, éd. Treuttel et Würtz, 1813, p. 267-269
On voit que c'est nous qui fûmes les barbares à l'égard de l'Orient, quand nous allâmes le troubler par nos croisades. Aussi devons-nous ce qu'il y a de noble dans nos mœurs à ces croisades et aux Maures d'Espagne.
De l'Amour (1822),
Stendhal, éd. Michel Lévy frères, 1857, p. 174
Dans nos siècles de barbarie et d’ignorance, qui suivirent la décadence et le déchirement de l’empire romain, nous reçûmes presque tout des Arabes: astronomie, chimie, médecine, et surtout des remèdes plus doux et plus salutaires que ceux qui avaient été connus des Grecs et des Romains. L’algèbre est de l’invention de ces Arabes; notre arithmétique même nous fut apportée par eux.
Si ces Ismaélites ressemblaient aux Juifs par l'enthousiasme et la soif du pillage, ils étaient prodigieusement supérieurs par le courage, par la grandeur d'âme, par la magnanimité.
« Essais sur les Mœurs » (1756), dans
Œuvres complètes de Voltaire, Voltaire, éd. Moland, 1875, t. 11, chap.
VI-De l’Arabie et de Mahomet, p. 231
Il est évident que le génie du peuple arabe, mis en mouvement par Mahomet, fit tout de lui-même pendant près de trois siècles, et ressembla en cela au génie des anciens Romains.
« Essais sur les Mœurs » (1756), dans
Œuvres complètes de Voltaire, Voltaire, éd. Moland, 1875, t. 11, chap.
VI-De l’Arabie et de Mahomet, p. 237
Les Arabes polirent l’Asie, l’Afrique, et une partie de l’Espagne, jusqu’au temps où ils furent subjugués par les Turcs, et enfin chassés par les Espagnols; alors l’ignorance couvrit toutes ces belles parties de la terre; des mœurs dures et sombres rendirent le genre humain farouche de Bagdad jusqu’à Rome.
Dès le second siècle de Mahomet, il fallut que les chrétiens d’Occident s’instruisissent chez les musulmans
« Essais sur les Mœurs » (1756), dans
Œuvres complètes de Voltaire, Voltaire, éd. Moland, 1875, t. 11, chap.
VI-De l’Arabie et de Mahomet, p. 238
Il y a je ne sais quoi dans ce Mahomet qui impose. Les religions sont comme les jeux du trictrac et des échecs : elles nous viennent de l'Asie. Il faut que ce soit un pays bien supérieur au nôtre, car nous n'avons jamais inventé que des
pompons et des falbalas ; tout nous vient d'ailleurs jusqu'à l'inoculation.
Le plus grand changement que l’opinion ait produit sur notre globe fut l’établissement de la religion de Mahomet. Ses musulmans, en moins d’un siècle, conquirent un empire plus vaste que l’empire romain. Cette révolution, si grande pour nous, n’est, à la vérité, que comme un atome qui a changé de place dans l’immensité des choses, et dans le nombre innombrable de mondes qui remplissent l’espace; mais c’est au moins un événement qu’on doit regarder comme une des roues de la machine de l’univers, et comme un effet nécessaire des lois éternelles et immuables: car peut-il arriver quelque chose qui n’ait été déterminé par le Maître de toutes choses? Rien n’est que ce qui doit être.
Le mahométisme était sans doute plus sensé que le christianisme. On n’y adorait point un Juif en abhorrant les Juifs; on n’y appelait point une Juive mère de Dieu; on n’y tombait point dans le blasphème extravagant de dire que trois dieux font un dieu; enfin on n’y mangeait pas ce dieu qu’on adorait, et on n’allait pas rendre à la selle son créateur. Croire un seul Dieu tout-puissant était le seul dogme, et si on n’y avait pas ajouté que Mahomet est son prophète, c’eût été une religion aussi pure, aussi belle que celle des lettrés chinois. C’était le simple théisme, la religion naturelle, et par conséquent la seule véritable.
Ces mêmes Maures cultivèrent les sciences avec succès, et enseignèrent l’Espagne et l’Italie pendant plus de cinq siècles. Les choses sont bien changées. Le pays de saint Augustin n’est plus qu’un repaire de pirates.
Dictionnaire philosophique,
Voltaire, éd. Lequien fils, 1829, t. 2, Augustin, p. 212
L’empire arabe fut l’empire de la civilisation et de la beauté.
- (fr) Le christianisme les avait couchés, pareil à un vent millénaire. Ils sont les blés qui se redressent, dans leur été chaud vieux comme les invasions. [...] Cet instinct soudain réveillé dans les reins des cavaliers du désert, quels mots, quelles images en sont chez nous l’équivalent ? Ils se lèvent en eux les soldats du Khalife, les Maures bottés contre les chevaliers chrétiens. Et ils rêvent du temps où, sur la plaine d’Arles, la visière baissée, ils étaient les égaux des Saint-Cyriens de Saint Louis. Leur palais leur montent à la tête, leurs jets d’eau rafraîchissent leurs fièvres, ils pensent aux princes aux jarrets souples qui marchaient sur leurs mosaïques. Les noms de Cordoue et de Grenade, c’est pour eux ce qu’étaient pour les jeunes allemands les noms de Charlemagne et de Conradin. Et ils se souviennent que l’empire arabe fut l’empire de la civilisation et de la beauté, et que les princes de leurs royaumes ne le cédaient en rien aux barons du Nord pour la justice et la courtoisie. Tel était le royaume des forts, tel était le royaume des guerriers. En ce temps-là, les usuriers n’étaient pas les maîtres et les légistes baisaient la babouche des émirs. Chaque chose était à sa place. Et la loi du Coran régnait qui veut qu’on écoute les sages, qu’on respecte la justice et qu’on honore ceux qui se conduisent comme des hommes pour la défense du Croissant.
Qu'est-ce que le fascisme ?,
Maurice Bardèche, éd. Les Sept Couleur, 1962, p. 131-132
Quatre ou cinq siècles durant, l'Islam fut la civilisation la plus brillante de tout l'Ancien Monde. Cet âge d'or va, en gros, du règne du fils d'Harûn al-Rashid, Ma'mûm (813-833) [...] à la mort d'Averroès, le dernier des grands philosophes musulmans [...] en 1198 [...]. A ces étages supérieurs, la civilisation musulmane, en ces siècles d'or, est à la fois une immense réussite scientifique et une relance exceptionnelle de la philosophie antique. Ces réussites ne sont pas les seules (que l'on songe à la littérature), mais elles éclipsent les autres. Science d'abord : c'est la que les "Sarrasins" [...] ont le plus apporté de nouveautés. Rien moins, pour parler bref, que la trigonométrie et l'algèbre (au nom caractéristique). [...] De même pourrait on faire l'éloge des géographes mathématiciens, des observatoires astronomiques et de leurs instruments [...]. Donnons-leur, bien qu'ils soient des maîtres, non des élèves, de très bonnes notes en optique, en chimie [...], en pharmacie [...]; leur médecine est indéniablement excellente [...]. Sur le terrain philosophique, c'est de reconquête qu'il faudrait parler, d'une reprise pour l'essentiel des thèmes de la philosophie péripatéticienne. L'élan de cette reconquête cependant ne se limite pas à reprendre et retransmettre - ce qui à soi seul ne serait pas un mince mérite ; cette reprise est aussi prolongation, élucidation, création.
M. Dubois demanda une fois à Madame Nozière quel était le jour le plus funeste de l' histoire.
Madame Nozière ne le savait pas.
-c'est, lui dit M. Dubois, le jour de la bataille de Poitiers, quand, en 732, la science, l'art et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie franque.
Œuvres IV, La vie en Fleur (1922),
Anatole France, éd. Gallimard, 1994, p. 1118
Beaucoup des traits dont s'enorgueillit l'Europe moderne lui sont venus de l'Espagne musulmane. La diplomatie, le libre-échange, l'ouverture des frontières, les techniques de la recherche universitaire, de l'anthropologie, l'étiquette, la mode, les divers types de médecine, les hôpitaux, tous sont venus de cette grande ville parmi toutes. L'Islam médiéval fut une religion d'une tolérance remarquable pour son temps, permettant au Juifs et aux Chrétiens de pratiquer librement leur culte, un example qui ne fut, malheureusement, pas suivi en Occident durant des siècles. Ce qui est remarquable c'est la mesure dans laquelle l'Islam fait partie de l'Europe depuis si longtemps, tout d'abord en Espagne, puis dans les Balkans, et la mesure dans laquelle il a contribué si largement à la civilisation que nous tous considérons trop souvent, à tort, comme uniquement occidentale. L'Islam fait partie de notre passé et de notre présent, dans tous les domaines de l'activité humaine. Il a aidé à créer l'Europe moderne. Il fait partie de notre propre héritage et ne s'en distingue pas.
- (en) Many of the traits on which modern Europe prides itself came to it from Muslim Spain. Diplomacy, free trade, open borders, the techniques of academic research, of anthropology, etiquette, fashion, various types of medicine, hospitals, all came from this great city of cities. Medieval Islam was a religion of remarkable tolerance for its time, allowing Jews and Christians the right to practise their inherited beliefs, and setting an example which was not, unfortunately, copied for many centuries in the West. The surprise, ladies and gentlemen, is the extent to which Islam has been a part of Europe for so long, first in Spain, then in the Balkans, and the extent to which it has contributed so much towards the civilisation which we all too often think of, wrongly, as entirely Western. Islam is part of our past and our present, in all fields of human endeavour. It has helped to create modern Europe. It is part of our own inheritance, not a thing apart.
Charles de Galles (trad. Wikiquote), 27 octobre 1993, Oxford Centre for Islamic Studies , The Sheldonian Theatre, Oxford, dans
Islam and the West, paru Site officiel du Prince de Galles (www.princeofwales.gov.uk),
Charles de Galles.
Mon père avait au contraire un grand respect pour les Arabes. Il avait aussi beaucoup d'estime pour leur courage au cours de l'histoire. Avec quelle flamme il m'apprenait, enfant, comment ils avaient été des conquérants inégalés, comment ils avaient soumis le Maghreb, la péninsule Ibérique et même une partie de la Gaule méridionale. Je l'entends encore me conter l'histoire des Schéhérazade, d'Aladin et la lampe merveilleuse, me décrire avec force détails l'épopée de l'empire fameux des Omeyades, du khalife de Bagdad entouré de ses esclaves turcs et berbères...
- À propos des auteurs disant que De Gaulle n'aimaient pas les Arabes.
Par un extraordinaire renversement de l'histoire, le monde de l'Islam, dont les savants avaient favorisés de façon décisive la naissance et l'essor de la philosophie scolastique, se ferma lui-même à la philosophie au moment ou le monde chrétien lui faisait largement accueil. Les résultats sont là. Ernest Renan les a constaté avec lucidité dans la conférence qu'il fit en Sorbonne, le 29 mars 1883, sur "l'Islamisme et la science". Une éducation exclusivement consacrée à inculquer aux enfants la foi coranique a produit des générations dont, jusqu'à la fin du XIXe siècle, l'esprit est resté imperméable à toute influence venue d'ailleurs. On ne connait pas d'exemple comparable d'une stérilisation intellectuelle de peuples entiers par la foi religieuse. Si l'on doute de l'effet produit sur les intelligences, il suffit de comparer ce que fut le peuple berbère et, généralement parlant, les peuples habitant l'Afrique du Nord, avant leur conquête par l'Islam et ce qu'ils sont devenus depuis. Presque tous les Pères latins sont des Africains. Tertullien de Carthage, le Numide Arnobe de Sicca et son élève Lactance, saint Cyprien de Carthage, Victorinus l'Africain, le Berbère saint Augustin, bref toute cette glorieuse tête de colonne de la patristique latine [...], que de dons splendides de l'Afrique à l'Église de Rome pendant que celle-ci n'avait encore à mettre en balance que saint Ambroise et saint Jérôme !
Le philosophe et la théologie (1960),
Étienne Gilson, éd. Vrin, 2005, p. 175-176
La plupart des Européens n’ont pas exactement évalué l’importance de l’apport qu’ils ont reçu de la civilisation islamique, ni compris la nature de leurs emprunts à cette civilisation dans le passé et certains vont jusqu’à totalement méconnaître tout ce qui s’y rapporte. [...] s'il est généralement connu que l'Espagne est restée sous la loi islamique pendant plusieurs siècles, on ne dit jamais qu'il en fut de même d'autres pays, tels que la Sicile et la partie la plus méridionale de la France actuelle. [...] Le plus étrange [...], c'est de voir les Européens se considérer comme les héritiers directs de la civilisation hellénique, alors que la vérité des faits infirme cette prétention. La réalité tirée de l'histoire même établit que la science et la philosophie grecques ont été transmises aux Européens par des intermédiaires musulmans. En d'autre termes, le patrimoine intellectuel des Héllènes n'est parvenu à l'Occident qu'après avoir été sérieusement étudié par le Proche-Orient, et n'étaient les savants de l'Islam et ses philosophes, les Européens seraient restés dans l'ignorance totale de ces connaissances pendant fort longtemps, si tant est qu'ils soient jamais parvenus à les connaitre. Il convient de faire remarquer que nous parlons ici de l'influence de la civilisation islamique et non spécialement arabe comme on le dit quelquefois à tort. Car la plupart de ceux qui ont exercé cette influence en Occident n'étaient pas de race arabe.
Aperçus sur l’ésotérisme islamique et le taoïsme,
René Guénon, éd. Gallimard, 1973, Influence de la civilisation islamique en Occident (1950), p. 76-77
[L]'islam, du VIIIe au XIIe siècle, et Byzance, du VIIIe au XIe siècle, surpassaient de loin l'Europe en richesse, en extension géographique, en puissance militaire, en production artistique, littéraire et scientifique. Entre le XIe et le XIIIe siècle, la culture européenne a commencé a se développer, sous l'effet de l'emprunt systématique à la culture musulmane et byzantine, et de l'adaptation de cet héritage au contexte particulier et aux besoins de l'Occident.
Le Choc des civilisations (1996),
Samuel Huntington (trad. Jean-Luc Fidel et Geneviève Joublain, Patrice Jorland, Jean-Jacques Pédussaud), éd. Odile Jacob, 2007, p. 49
Le mode d'expansion de l'islam n'est pas du tout limité à la conquête militaire. En Asie du sud-Est et, dans une très large mesure, en Asie centrale et en Afrique, la propagation de l'islam s'est faite par influence et persuasion.
« Bernard Lewis : Quand l'islam s'est refermé », propos recueillis par Marie-Françoise Leclère et Pierre Beylau,
Le Point, nº 1564, 6 septembre 2002, p. 104 (
lire en ligne)
Durant la période de grandeur du royaume arabe et de l'empire islamique, on vit s'épanouir au Proche et au Moyen-Orient une civilisation florissante couramment baptisée "arabe". Elle n'arriva pas toute constituée avec les envahisseurs venus du désert, mais fut au contraire élaborée, après les conquêtes, par la collaboration de plusieurs peuples - Arabes, Persans, Égyptiens et bien d'autres encores. Elle ne fut pas non plus entièrement musulmane, car beaucoup de chrétiens, de juifs et de zoroastriens comptèrent au nombre de ses créateurs. Mais son principal moyen d'expression a été la langue arabe et elle a été dominée par l'islam et le mode de vie islamique. La religion et la langue ont été, en effet, les deux grandes contributions des envahisseurs arabes à cette civilisation originale qui se développa rapidement sous leur égide.
Islam,
Bernard Lewis, éd. Gallimard, 2005, chap. VIII-La civilisation islamique, p. 180
Chez nous autres, Européens, on considère comme vérité acquise que l'Islam n'est qu'une religion d'obscurantisme, amenant la stagnation des peuples et les entravant dans cette course à l'inconnu que nous nommons « le progrès ». Cela dénote d'abord l'ignorance absolue de l'enseignement du Prophète, et de plus un stupéfiant oubli des témoignages de l'histoire. L'Islam des premiers siècles évoluait et progressait avec les races, et on sait quel rapide essor il a donné aux hommes sous le règne des anciens khalifes ; lui imputer la décadence actuelle du monde musulman est par trop puéril. Non, les peuples tour à tour s'endorment, par lassitude peut-être, après avoir jeté leur grand éclat : c'est une loi. Et puis un jour quelque danger vient secouer leur torpeur, et ils se réveillent.
La Mort de Philae (1909),
Pierre Loti, éd. Calmann-Lévy, 1930, p. 65
L'histoire montre cependant clairement, que la légende des Musulmans fanatiques balayant le monde et imposant l'islam par la pointe de l'épée aux races conquises, est un des mythes les plus fantastiquement absurdes qui aient jamais été rapportés par les historiens.
- (en) History makes it clear, however, that the legend of fanatical Muslims sweeping through the world and forcing Islam at the point of the sword upon conquered races is one of the most fantastically absurd myths that historians have ever repeated.
Islam at the Crossroads: A Brief Survey of the Present Position and Problems of the World of Islam. (1923),
De Lacy O'Leary (trad. Wikiquote), éd. E.P. Dutton & Co, 1923, p. 8
Les influences du monde arabe ont représenté un irremplaçable chaînon de la connaissance et de la culture dans la longue élaboration de la civilisation qui est la nôtre aujourd'hui : pour être ancien, le chaînon n'en demeure pas moins irremplaçable dans la trame qui nous constitue.
« La nostalgie andalouse »,
André Miquel,
Nouvel Observateur, coolection Portrait, nº 3, 1990, p. 16-17
C'est à la civilisation musulmane d'Espagne que la sensibilité occitane doit de s'être éveillée si tôt.
L'érotique des troubadours (1963),
René Nelli, éd. Union générale d'éditions, 1974, p. 103
La grande question qui se pose ici est de savoir pourquoi les Arabes, qui n'étaient certainement pas plus nombreux que les Germains, n'ont pas été absorbés comme eux par les populations de ces régions de civilisation supérieure dont ils se sont emparés ? Tout est là. Il n'est qu'une réponse et elle est d'ordre moral. Tandis que les Germains n'ont rien à opposer au christianisme de l'Empire, les Arabes sont exaltés par une foi nouvelle. C'est cela et cela seul qui les rend inassimilables. Car pour le reste, ils n'ont pas plus de préventions que les Germains contre la civilisation de ceux qu'ils ont conquis. Au contraire, ils se l'assimilent avec une étonnante rapidité ; en science, ils se mettent à l'école des Grecs ; en art, à celle des Grecs et des Perses. Ils ne sont même pas fanatiques, du moins au début, et n'entendent pas convertir leurs sujets. Mais ils veulent les faire obéir au seul dieu, Allah, à son prophète Mahomet et, puisqu'il était Arabe, à l'Arabie. Leur religion universelle est en même temps nationale. Ils sont les serviteurs de Dieu.
Mahomet et Charlemagne (1937),
Henri Pirenne, éd. Presses Universitaires de France, 1992, p. 109-110
La rapidité des progrès de l'Islam dans les sciences, les arts, l'industrie, le commerce et tous les raffinements de la société policée, est presque aussi étonnante que la rapidité de ses conquêtes.
Histoire de l'Europe des invasions au XVIe siècle (1936),
Henri Pirenne, éd. Nouvelle societe d'editions, 1936, p. 49
La dette de l'Europe envers l'Espagne musulmane est d'une importance presque sans égale. Ce foyer de haute culture qu'était Al-andalus fut un trésor inestimable pour l'Europe médiévale. Il lui rendit accessible des outils culturels et scientifiques comme le système positionnel des chiffres (les chiffres arabes), les fonctions matématiques trigonométriques, une science médicale déjà bien avançée (qui n'était que la version arabe des sciences médicales grecques classiques, mais une version développée), et tant d'autres choses encore, parmi lesquelles de nombreuses traductions. Puis vint la Renaissance et les grandes découvertes maritimes, véritable amorce des Temps modernes, engendrant le siècle des Lumières et tout ce qui suivit : tout cela n'aurait pas été possible sans les apports de l'Espagne musulmane.
La science en Arabie a trop souvent été réduite à une opération de conservation temporaire. La région a été considérée comme un immense entrepôt ayant servi à conserver des résultats scientifiques déjà connus en attendant qu’ils puissent être transmis à l’Occident pour être utilisés. Or il s’agit évidemment là d’un travestissement de la vérité.
- (en) Too often science in Arabia has been seen nothing more than a holding operation. The area has been viewed as a giant storehouse for previously discovered scientific results, keeping them until they could be passed on for use in the West. But this is, of course, a travesty of the truth.
Science: its history and development among the world’s cultures,
Colin Ronan (trad. Wikiquote), éd. Facts on File, 1983, p. 203
Notre utilisation du terme "Age sombre" pour désigner la période qui va de l'an 600 à l'an Mil révèle notre focalisation excessive sur l'Europe de l'Ouest. [...] De l'Inde à l'Espagne, la brillante civilisation de l'Islam prospérait. Ce qui était perdu pour la Chrétienté à cette époque ne l'était pas pour la civilisation, bien au contraire.[...] Il nous semble que la civilisation Occidentale est la civilisation mais il s'agit d'une vision étroite des choses.
- (en) Our use of the phrase 'The Dark Ages' to cover the period from 600 to 1000 marks our undue concentration on Western Europe. [...] From India to Spain, the brilliant civilisation of Islam flourished. What was lost to Christendom at this time was not lost to civilisation, but quite the contrary. [...] To us it seems that West-European civilisation is civilisation, but this is a narrow view.
History of Western Philosophy (1945),
Bertrand Russell (trad. Wikiquote), éd. Touchstone, 1967, p. 399
La haine religieuse et l’intolérance ont toujours été les pires conseillères des peuples, leur fomentation l’ennemi de toute vie et de tout progrès. Que les peuples ne puissent, au contraire, atteindre leur plus grand épanouissement sans des échanges et une considération réciproque, sans l’ouverture de toutes leurs frontières et une amicale concurrence, voilà ce que ne manque pas de confirmer l’histoire étrange (marquée à la fois par la répulsion et l’attirance, l’hostilité et l’envoûtement) des relations entre le monde musulman et l’Occident, relations, qui en dépit de la méfiance et de la haine ont été pour l’univers un immense bienfait.
Le Soleil d'Allah brille sur l'Occident (1960),
Sigrid Hunke, éd. Albin Michel, 1997, p. 389-390
Il suffit ici d'évoquer quelques glorieux nom sans équivalent contemporains en Occident : jabir ibn Haiyan, al-Kindi, al-Khwarizmi, al-Fargani, al-Razi, Thabit ibn Qurra, al-Battani, Hunain ibn Ishaq, al-Farabi, Ibrahim ibn Sinan, al-Masudi, al-Tabari, Abul Wafa, 'Ali ibn Abbas, Abul Qasim, Ibn al-Jazzar, al-Biruni, Ibn Sina, Ibn Yunus, al-Kashi, Ibn al-Haitham, 'Ali Ibn 'Isa al-Ghazali, al-zarqab,
Omar Khayyam. Une magnifique liste de noms qu'il ne serait pas difficile d'étendre. Si quelqu'un vous dit que le Moyen Age a été scientifiquement stérile, citez lui seulement ces hommes, qui ont tous brillé dans une courte période, de 750 à 1100 après JC.
- (en) It will suffice here to evoke a few glorious names without contemporary equivalents in theWest: Jabir ibn Haiyan, al-Kindi, al-Khwarizmi, al-Fargani, al-Razi, Thabit ibn Qurra, al-Battani, Hunain ibn Ishaq, al-Farabi, Ibrahim ibn Sinan, al-Masudi, al-Tabari, Abul Wafa, 'Ali ibn Abbas, Abul Qasim, Ibn al-Jazzar, al-Biruni, Ibn Sina, Ibn Yunus, al-Kashi, Ibn
al-Haitham, 'Ali Ibn 'Isa al-Ghazali, al-zarqab, Omar Khayyam. A magnificent array of names which it would not be difficult to extend. If anyone tells you that the Middle Ages were scientifically sterile, just quote these men to him, all of whom flourished within a short period, 750 to 1100 A.D .
Introduction to the History of Science,
George Sarton (trad. Wikiquote), éd. Williams & Wilkins, 1927, p. 27
Les Musulmans ont accompli une tâche essentielle pour l'humanité. Le plus grand philosophe, al-Farabi, était Musulman. Les plus grands mathématiciens, Abu Kamil et Ibrahim ibn Sinan, étaient Musulmans. Le plus grand géographe et encyclopédiste, al-Mas`udi, était Musulman. Le plus grand historien, al-Tabari, était également Musulman.
- (en) The main task of mankind was accomplished by Muslims. The greatest philosopher, Al Farabi, was a Muslim. The greatest mathematicians, Abu Kamil and Ibrahim ibn Sinan, were Muslims. The greatest geographer and encyclopedist, Al Masudi, was a Muslim. The greatest historian, Al Tabari, was still a Muslim.
Introduction to the History of Science,
George Sarton (trad. Wikiquote), éd. Williams & Wilkins, 1927, p. 624
[Certains historiens] disent avec désinvolture « les Arabes se sont bornés à traduire les écrits grecs, ils étaient des imitateurs assidus, et d'ailleurs, les traductions ne furent pas faites par eux-mêmes mais par des Chrétiens et des Juifs »… Cela n’est pas totalement faux, mais c’est une partie si infime de la vérité, que, quand on ne dit que cela, c’est pire qu’un mensonge.
- (en) [some historians] glibly say "the Arabs simply translated Greek writings, they were industrious imitators, and by the way, the translations were not made by themselves but by Christians and Jews"... This is not absolutely untrue, but is such a small part of the truth, that when it is allowed to stand alone, it is worse than a lie.
A Guide to the History of Science,
George Sarton (trad. Wikiquote), éd. Chronica Botanica, 1952, p. 27-28
Parce qu’elle s’opposait à l’islam, l’Europe a déprécié l’influence des Sarrasins et
mis exagérément l’accent sur sa dépendance à l’égard de l’héritage grec et romain. Il importe donc aujourd’hui pour nous de corriger cette orientation erronée et de reconnaître pleinement notre dette envers le monde arabe et musulman.
- (en) Because Europe was reacting against Islam it belittled the influence of Saracens and exaggerated its dependence on its Greek and Roman heritage. So today an important task for us is to correct this false emphasis and to acknowledge fully our debt to the Arab and Islamic world.
Islamic surveys: the influence of Islam on medieval Europe,
William Montgomery Watt (trad. Wikiquote), éd. Edinburgh University Press, 1973, p. 84
Peut-on dire que nous avons apporté la culture aux Arabes, eux qui ont conservé pour nous les traditions grecques pendant le moyen âge ?
« Lettre à Jean Giraudoux » (1940), dans
Écrits historiques et politiques,
Simone Weil, éd. Gallimard, 1960, p. 362
Les moments brillants du moyen âge ont été ceux ou la culture orientale est venue de nouveau féconder l'Europe, par l'intermédiaire des Arabes.
- (fr) Quant au moyen âge, les moments brillants du moyen âge ont été ceux ou la culture orientale est venue de nouveau féconder l'Europe, par l'intermédiaire des Arabes et aussi par d'autres voies mystérieuses, puisqu'il y a eu des infiltrations de traditions persanes. La Renaissance aussi a été en partie causée par le stimulant des contacts avec Byzance.
« À propos de la question coloniale dans ses rapports avec le destin du peuple français » (1943), dans
Écrits historiques et politiques,
Simone Weil, éd. Gallimard, 1960, p. 373
L'épisode glorieux de la science arabe se situe entre le IXe et le XIIe siècle [...]. Depuis lors, la science arabe est inexistante ou presque. Dès l'instant que la religion a pris les dessus [...] la science arabe, aussi bien en Espagne qu'à Bagdad, s'est peu à peu étouffée, puis éteinte. Une précision s'impose : on évoque couramment les « savants arabes », mais certains étaient perses ou ouzbeks [...], d'autres berbères, et donc ni arabes ni même musulmans. Il serait plus exact de parler de « science dans les territoires islamisés ». Cela mérite tout particulièrement d'être signalé dans le contexte actuel ou l'intégrisme musulman s'affirme [...]. On entend en effet ici ou là certaines voix évoquer la science arabe pour justifier les fanatismes, et surtout l'idée que l'islam est le salut de la civilisation occidentale. Il s'agit là d'une appropriation indue qu'il faut dénoncer, car tous ces « savants arabes » étaient a-religieux, ou religieux « tièdes ». Qu'a donc apporté la « science arabe » ? [...] dans le développement des sciences [...] pas de discussion ou d'hésitation possible [le rôle des scientifiques arabes] fut considérable, et même essentiel. Ce sont eux qui ont permis la pérennisation de la science grecque. [...] Sans les arabes, ce corpus de connaissances auraient peut-être disparu. [...] Auraient-ils seulement fait la synthèse entre les savoirs grecs et indiens que leur rôle aurait été décisif.
La volonté têtue des penseurs de la Renaissance de se fabriquer une filiation directe avec leurs ancêtres athéniens leur permet d'oublier comment ils en ont retrouvé la trace. À l'expulsion physique de l'islam du territoire politique de l'Europe occidentale correspond l' expulsion de la pensée judéo-musulmane du territoire intellectuel européen.
L'Occident et les autres : Histoire d'une suprématie,
Sophie Bessis, éd. La Découverte, 2003, p. 17
J'ai dit que les Arabes avaient traduit, et beaucoup traduit. Cela veut dire d'une part qu'ils ont transmis l'héritage grec à l'Occident, dans tous les domaines : médecine, mathématiques, philosophie, à tel point que celui-ci a contracté envers le monde arabe une dette culturelle énorme […] Cette dette était encore reconnue (à tous les sens du mot « reconnaissance ») par le Moyen Âge de Gerbert d'Aurillac, de
Roger Bacon, de Frédéric II de Sicile […] L'admiration pour le trésor de réflexion et de savoir venu des Arabes n'empêchait d'ailleurs pas une polémique ferme sur la doctrine […] Quoi qu'il en soit, rappeler l'importance des traductions arabes ne veut en aucun cas dire que les Arabes se seraient contentés de transmettre passivement des livres dont le contenu leur serait demeuré scellé. Tout au contraire, ils ont également été des créateurs. Ils ont prolongé, parfois très loin, le savoir qu'ils recevaient […] La reprise d'un contact direct avec l'héllénisme byzantin entraina un court-circuit culturel : on pouvait sauter par dessus les intermédiaires arabes […] Tout est en place pour que se développe une dénégation systématique et globale de l'héritage arabe […] La conscience d'une dette resta cependant encore claire pour les grands orientalistes de la Renaissance et du
XVIIe, Postel, Pococke, ou Fontialis. Mais elle a été refoulée des mémoires à l'époque des Lumières, puis au
XIXe siècle […] Pour le dire en passant, l'Occident n'a de la sorte que la monnaie de sa pièce quand on veut lui faire accroire, par une exagération inverse, que les Arabes ont tout inventé.
Europe, la voie romaine (1992),
Rémi Brague, éd. Folio, 1999, p. 106-107
Il est bon aussi de rappeler d'où l'Europe a tiré les sucs nourriciers dont elle s'est engraissée. La réponse est simple : elle les a pris en dehors d'elle. Elle les a empruntés au monde gréco-romain qui l'a précédée, puis au monde de culture arabe qui s'est développé en parallèle avec elle, enfin au monde byzantin. C'est du monde arabe, en particulier, que sont venus les textes arabes d'Aristote, de Galien, et de bien d'autres, qui, traduits en latin, ont nourri la Renaissance du
XIIe siècle. C'est du monde byzantin que vinrent les originaux de ces mêmes textes, qui en permirent une étude plus précise et alimentèrent la floraison scholastique du
XIIIe siècle. Que serait
Thomas d'Aquin s'il n'avait trouvé en Averroès un adversaire à sa mesure ? Que serait Duns Scott s'il n'avait trouvé en Avicenne, pour reprendre la formule de
Gilson, un « point de départ » ? Et bien des textes dont l'Europe s'est nourrie lui sont venues par l'intermédiaire des traducteurs juifs. L'Europe doit ainsi prendre conscience de l'immensité de la dette culturelle qu'elle a envers ces truchements (c'est d'ailleurs un mot arabe…) : envers les Juifs, en dehors d'elle comme en son intérieur, ainsi qu'envers le monde de culture arabe, chrétiens comme musulmans.
Au moyen du Moyen Âge : Philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme et islam,
Rémi Brague, éd. Transparence, 2006, Les leçons du Moyen Âge, p. 52
Par âge d'or de la civilisation musulmane nous entendons l'existence d'une culture qui est à vocation universaliste. Et en effet, du VIIIe au XIIe siècle, on constate l'émergence d'un brillant humanisme. La splendeur de l'Islam est due principalement aux cités et à la vie urbaine. [...] Les grandes métropoles comme Damas, Bagdad, Ispahan, Le Caire, Alep, Kairouan, Fès, Cordoue sont des foyers rayonnants de culture. En effet, dans cette société urbaine cosmopolite, ou l'on voit des Arabes à côté de Byzantins, de Persans, de Turcs, de Syriaques, tout un monde de lettrés, de scribes, de juristes, de savants vit à l'ombre des grandes cours princières. Le mécénat des califes, émirs et gouverneurs est un des facteurs qui expliquent une civilisation aussi brillante. Il en résulte une valorisation des travaux de l'esprit et l'un des plus riches épanouissements culturels qu'ait connus l'histoire des civilisations. Un véritable enthousiasme intellectuel fait que l'on poursuit toutes les formes du savoir : l'histoire, la géographie, la philosophie, la médecine, les mathématiques.
Je suis un Européen du Sud, pour moitié andalou, autant dire à demi-musulman. Je sais trop ce que notre vieux continent doit à l'islam espagnol, et d'abord le retour à la raison grecque. [...] Non seulement les musulmans d'Espagne ouvrirent à la raison un espace où Averroès, Avicenne et Maïmonide s'aventurèrent hardiment, ils furent également médecins, géographes, astronomes, historiens, mathématiciens, alchimistes et physiciens, architectes miraculeux, musiciens raffinés, jardiniers délicats, horiculteurs et artisans subtils. Durant près de cinq siècles, les califes et les émirs ont tenu école de tolérance, défendant les juifs, accueillant les chrétiens, cohabitation sans exemple en ces temps de fanatisme. Cet héritage, je fais plus que l'accepter, j'en tire fierté.
Michel Del Castillo, 18 Janvier 2002, dans
Je suis un musulman, paru Le Monde, 18 Janvier 2002, Michel Del Castillo.
La philosophie islamique est la transplantation réussie d'un produit du sol grec dans le sol islamique, où il s'est développé du IXe au XIIe siècle. Les philosophes musulmans se sont approprié la pensée hellène (Aristote, Platon, Plotin), en ont écrit des commentaires et ont répandu l'enseignement de la philosophie grecque dans un contexte islamique. Le résultat a été la philosophie islamique, redevable à l'hellénisme, mais avec son propre caractère islamique. Sa contribution à l'Occident fut tout aussi importante. La philosophie islamique est devenue le véhicule principal de la transmission de la philosophie grecque à l'Europe médiévale. L'Occident s'est réapproprié son héritage perdu par les voyages des universitaires d'Europe dans les grands centres d'études de l'islam, où ils ont retraduit les philosophes grecs et étudié les écrits de leurs grands disciples musulmans : des hommes comme al-Farabi, qui en était arrivé à être connu comme "le deuxième professeur ou maître" (le premier étant Aristote), et ibn Sina (Avicenne) dont on se souvient comme du "grand commentateur" d'Aristote. Ainsi, nous trouvons beaucoup de grands philosophes et de théologiens chrétiens du Moyen Age (Albert le Grand, Thomas d'Aquin, Abélard, Roger Bacon, Duns Scot) qui reconnaissent ce qu'ils doivent à leurs prédécesseurs musulmans.
- (en) Islamic philosophy was the product of a successfull transplant from Greek to Islamic soil where it flourished from the ninth to the twelfth centuries. Muslim philosophers appropriated Hellenistic thought (Aristotle, Plato, Plotinus), wrote commentaries on and extended the teachings and insights of Greek philosophy within an islamic context and wordlview. The result was Islamic philosophy, indebted to Hellenism but with its own islamic character. Its contribution was of equal importance to the West. Islamic philosophy became the primary vehicle for the transmission of Greek philosophy to medieval Europe. The West reappropriated its lost heritage as European scholars traveled to major centers of Islamic learning, retranslatingthe Greek philosophers and learning from the writings of their great Muslim disciples : men like al-Farabi, who had come to be known as "the second teacher or master" (the first being Aristotle), and ibn Sina (Avicenna), remembered as "the great commentator" on Aristotle. Thus we find many of the great medieval Christian philosophers and theologians (Albert the Great, Thomas Aquinas, Abelard, Roger Bacon, Duns Scotus) acknoledging their intellectual debt to their Muslim predecessors.
Islam: The Straight Path Updated with New Epilogue,
John Louis Esposito (trad. Wikiquote), éd. Oxford University Press, 2004, p. 53
Si l'on ignore la civilisation musulmane, on ne peut comprendre l'histoire de l'Occident. Car l'histoire de la France et de l'Europe tient pour une part significative, parfois même décisive, aux influences, aux rivalités, aux conflit suscités par leur rencontre avec l'islam.
Des grandes invasions à l'an mille,
Marc Ferro, éd. Plon, 2007, p. 80
Comment l'islam a-t-il donné naissance à l'une des plus brillantes civilisations de l'histoire ? A mesure qu'ils avançaient dans leurs conquêtes, les musulmans profitaient de l'occasion pour s'approprier la haute culture et les techniques présentes sur certains des territoires qu'ils occupaient. Ils donnèrent ainsi naissance à une brillante civilisation, dont l'originalité était fondé sur la synthèse d'emprunts divers aux Romains, aux Bysantins, à l'Inde...Cela renforçait d'autant leur puissance et le pouvoir d'attraction qu'ils exerçaient sur d'autres nations.
Des grandes invasions à l'an mille,
Marc Ferro, éd. Plon, 2007, p. 98
La civilisation musulmane tient depuis longtemps une place prépondérante en Europe, ou elle s'est d'abord imposée en Espagne et dans le monde méditerranéen dès le VIIe siècle, pour ensuite pénétrer les pays de l'Est au XIVe siècle, et poursuivre sa percée jusque dans les steppes du Nord [...]. L'assimilation systématique de l'Europe au christianisme et à la modernité a fait oublier - ou même réfuter - tout ce que l'Islam a pu apporter à la civilisation européenne [...]. Toutes ces religions [monothéistes] peuvent objectivement se prévaloir d'une présence légitime et, en ce sens, aucune ne saurait être considérée comme un "Autre"; toutes font partie intégrante de l'Europe, de notre patrimoine [...]. C'est à partir de leur foyer proche-oriental que les trois grands monothéismes que sont le judaïsme, le christianisme et l'islam se sont propagés vers l'ouest, en suivant les deux rives de la Méditerranée. En ce sens l'islam n'est pas plus exogène à l'Europe que le judaïsme et le christianisme : il y est implanté depuis longtemps et y a exercé une influence non seulement politique mais aussi culturelle. C'est d'ailleurs en partie pour se défendre de ses composantes juives et musulmanes, que l'Europe s'est définie comme un continent chrétien.
L'Islam en Europe,
Jack Goody, éd. La Découverte, 2004, p. 16-24
Les « Arabes » ont certainement moins recherché et étudié les auteurs grecs et romains que les chrétiens. Ceux d’Occident n’avaient nul besoin de leur aide, ayant, bien sûr, à leur disposition, dans leurs pays, des fonds des textes anciens, latins et grecs, recueillis du temps de l’empire romain et laissés sur place. De toute façon, c’est à Byzance, non chez les « Arabes », que les clercs de l’Europe sont allés parfaire leur connaissance de l’Antiquité. [...] Byzance fut la source majeure de la transmission. [...] Rendre les Occidentaux tributaires des leçons servies par les Arabes est trop de parti pris et d’ignorance : rien d’autre qu’une fable, reflet d’un curieux penchant à se dénigrer soi-même.
Malgré une hostilité le plus souvent très vive des Français à l'égard des musulmans, la France a fait du Moyen Age à nos jours des emprunts culturels et humains à l'islam qui ont enrichi et continuent d'enrichir sa vie sociale et intellectuelle.
Jacques Le Goff, 2006, Préface, dans
Histoire de l'islam et des musulmans en France, paru Albin Michel, 2007, p.13, Ouvrage collectif.
Pendant longtemps, les musulmans ont été les plus forts, les plus riches, les plus civilisés.
Maxime Rodinson, 5 octobre 2001, dans
Interview de Jérôme Cordelier, paru Le Point, 5 octobre 2001, N°1516, p.74, Maxime Rodinson.
[Les Musulmans] furent des transmetteurs, et la chrétienté, qui avait si largement laissé se perdre les acquisitions de l'Antiquité, leur doit beaucoup. Mais ils ne furent pas que cela, comme d'aucuns les disent avec une grande injustice, car ils travaillèrent sur tout ce qu'ils avaient acquis et les fruits de leurs efforts, ils les donnèrent aussi. Plus tard, quand ils s'endormirent, quand ils ne furent plus créateurs, par un juste retour des choses, ils reçurent à leur tour de ceux qu'ils avaient auparavant nourris. La colonisation européenne les réveilla, leur apporta la science et la pensée modernes. De cette invasion ils eurent sans doute beaucoup à souffrir, mais cette souffrance fut rédemptrice.
Un choc de religions : La longue guerre de l'islam et de la chrétienté 622-2007,
Jean-Paul Roux, éd. Fayard, 2007, p. 14
Quelle œuvre! Avec une poignée d'hommes, ils ont fondé un empire immense, certes sans durée, comme il en est de tout empire, mais ils ont islamisé et arabisé des peuples sans nombre et de hautes cultures. Ils ont écrasé les chrétiens. Ils ont fait atteindre à leur civilisation son sommet. Comment une telle chose a-t-elle été possible? Elle ne s'explique pas. Elle se constate.
Un choc de religions : La longue guerre de l'islam et de la chrétienté 622-2007,
Jean-Paul Roux, éd. Fayard, 2007, p. 145
Dans l'Espagne occupée par les Maures s'épanouit une civilisation musulmane tolérante, par l'intermédiaire de laquelle passe aux autres Européens une bonne partie de l'héritage grec classique.
Notre nostalgie en Espagne est d'un ordre plus moral et plus éthique. Les plus nostalgiques parmi nous, sont les gens qui se rendent compte que nous avons été tronqués de deux parties essentielles de notre culture. Et pour paraphraser Villon, je dirais : "Mais ou sont nos juifs et nos musulmans d'antan?" Et là, il y a une terrible nostalgie.
Rodrigo de Zayas, 2002, dans
L'épopée andalouse, paru L'age dôr de l'Islam (DVD), Warner Home Vidéo, Mahoud Hussein réalisé par Philippe Calderon.
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