Je comprends mal l'importance accordée au mot « recherche » à propos de la peinture moderne. À mon avis, chercher ne signifie rien en peinture. Ce qui compte, c'est trouver. […] Parmi les différents péchés dont on m'accuse, aucun n'est plus faux que celui d'avoir, en tant qu'objectif premier de mon travail, l'esprit de recherche. Quand je peins, mon but est de montrer ce que j'ai trouvé, et non ce que je cherche. En art, les intentions ne suffisent pas et, comme nous disons en espagnol, l'amour doit être prouvé par des faits, et non par des paroles. Ce qui compte, c'est ce qu'on fait, et non ce qu'on avait l'intention de faire. Nous savons tous que l'art n'est pas la vérité. L'art est un mensonge qui nous fait comprendre la vérité, du moins la vérité qu'il nous est donné de pouvoir comprendre. L'artiste doit connaître le moyen de convaincre les autres de la véracité de ses mensonges. S'il ne montre dans son œuvre que ce qu'il a cherché, et recherché, pour faire passer ses mensonges, il ne parviendra jamais à rien.
« Picasso Parle », Pablo Picasso (1923), dans Propos sur l’art, édition de Marie-Laure Bernadac et Androula Michael, éd. Gallimard, 1998 (ISBN2-07-074698-4), p. 17
On me prend d'habitude pour un chercheur. Je ne cherche pas, je trouve.
« Lettre sur l’art », Pablo Picasso (1926), dans Propos sur l’art, édition de Marie-Laure Bernadac et Androula Michael, éd. Gallimard, 1998 (ISBN2-07-074698-4), p. 21
Écrits (1935-1959), Pablo Picasso (édition présentée et annotée par Marie-Laure Bernadac et Christine Piot), éd. Gallimard, 2021 (ISBN978-2-07287652-3), partie Annexes, chap. Notations manuscrites sur l’art et les peintres, p. 533
En matière de dessin, rien n'est meilleur que le premier jet.
Conversation avec Picasso, Brassaï, éd. Gallimard, 1964, p. 71 (lire en ligne)
Si je connais Cézanne ! Il était mon seul et unique maître ! Vous pensez bien que j’ai regardé ses tableaux… J’ai passé des années à les étudier… Cézanne! Il était comme notre père à nous tous. C’est lui qui nous protégeait.
Conversation avec Picasso, Brassaï, éd. Gallimard, 1964, p. 99 (lire en ligne)
Léger a toujours prétendu que la peinture est comme un verre de gros rouge, mais il y a tout de même autre chose. Il faut du sang.
Le siècle de Picasso.
Le monde selon Picasso : réflexions, fulgurances et traits d'esprit, Laurent Greilsamer, éd. Tallandier, 2020 (ISBN979-10-210-3944-5), chap. Picasso et les peintres, p. 169
Sur une photo du Jugement dernier de la Sixtine, Pablo suit du doigt le contour d’une figure : « Ah ! Quel plaisir j’ai de remonter ce trait…! Mais Raphaël c'est le plein ciel, quelle sérénité dans les lignes, quelle domination ! Ce n'est pas Vinci qui a inventé l'aviation c'est Raphaël[n 3] »
Le siècle de Picasso, Pierre Cabanne, éd. Gallimard, 1992 (ISBN2-07-032651-9), vol. II. L’époque des métamorphoses, 1912-1937, chap. 8. Le théâtre et l’amour (1915-1917), p. 477
Je déjeunais chez le Catalan depuis des mois et, depuis des mois, je regardais son buffet sans penser autre chose que c'est "un buffet". Un jour je décide d'en faire un tableau. Je le fais. Le lendemain, quand j'arrivai, le buffet était parti, la place était vide… j'avais dû le prendre sans m'en apercevoir en le peignant.
Première édition aux États-Unis, Life with Picasso, McGraw-Hill Book, 1964 [lire en ligne].
Pour moi, peindre un tableau c'est engager une action dramatique au cours de laquelle la réalité se trouve déchirée. Ce drame l'emporte sur toute autre considération. L'acte plastique n'est que secondaire, en ce qui me concerne. Ce qui compte, c'est le drame de l’acte lui-même, le moment où l’univers s’échappe pour rencontrer sa propre destruction.
En 1944.
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calmann-Lévy, 1965, partie II—Jeune fille, beau menuisier qui cloue des planches avec des épines de roses, ne pleure pas une larme de voir saigner le bois., p. 49
Pour moi, il n'y a que deux sortes de femmes : déesse ou tapis-brosse.
En 1945.
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calmann-Lévy, 1965, partie II—Jeune fille, beau menuisier qui cloue des planches avec des épines de roses, ne pleure pas une larme de voir saigner le bois., p. 77
La peinture n'est jamais de la prose, c'est de la poésie, elle est écrite en vers avec des rimes plastiques.
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calmann-Lévy, 1965, partie III—Peindre comme d'autres écrivent leur autobiographie, p. 112
Je peins comme d’autres écrivent leur autobiographie. Mes toiles, finies ou non, sont comme les pages de mon journal, et en tant que telles, elles sont valables. L’avenir choisira les pages qu’il préfère. Ce n’est pas à moi de faire le choix.
Vers 1946
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calman-Levy, 1965, partie III—Peindre comme d'autres écrivent leur autobiographie, p. 116
Ma pensée, quand je peins, est souvent une suite de coq-à-l'âne,
une série de sauts d'un sommet à l'autre.
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calmann-Lévy, 1965, partie VI—Le coup de cymbale inattendu d'une violence concertée, p. 253
Je veux que mes peintures puissent se défendre, résister à l'envahisseur, comme si chaque surface était hérissée de lames de rasoir, afin que personne ne puisse y toucher sans se couper les mains.
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calmann-Lévy, 1965, partie VI—Le coup de cymbale inattendu d'une violence concertée, p. 253
Léger a toujours prétendu que « la peinture est comme un verre de gros rouge », vous savez pourtant comme moi que tous les peintres n'en boivent pas. Ils peignent aussi avec autre chose que cela, naturellement ! Léonard de Vinci était à mi-chemin de la vérité quand il écrivait que la peinture est chose mentale. Cézanne, lui, osa affirmer « qu'on peint avec ses couilles ». Personnellement, je crois que la vérité, c'est Léonard de Vinci plus Cézanne. Mais en tous cas le gros rouge ne suffit pas.
En 1951.
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calmann-Lévy, 1965, partie VI «..Le coup de cymbale inattendu d'une violence concertée », p. 267
Il y a un moment, dans la vie, quand on a beaucoup travaillé, les formes viennent toutes seules, les tableaux viennent tout seuls, on n'a pas besoin de s'en occuper ! […] Tout vient tout seul. La mort aussi.
Le Miroir des limbes, André Malraux, éd. Gallimard, 1976, partie II. La Corde et les Souris, chap. V, p. 759 (lire en ligne)
Nommer, voilà ! En peinture, on ne peut jamais arriver à nommer les objets !
Le Miroir des limbes, André Malraux, éd. Gallimard, 1976, partie II. La Corde et les Souris, chap. V, p. 765 (lire en ligne)
Qu'est-ce qu'elle fera, la peinture, quand je ne serai plus là ? Il faudra bien qu'elle me passe sur le corps ? Elle ne pourra pas passer à côté, non ?
Le Miroir des limbes, André Malraux, éd. Gallimard, 1976, partie II. La Corde et les Souris, chap. V, p. 781 (lire en ligne)
Il faut réveiller les gens. Bouleverser leur façon d'identifier les choses. Il faudrait créer des images inacceptables. Que les gens écument. Les forcer à comprendre qu'ils vivent dans un drôle de monde. Un monde pas rassurant. Un monde pas comme ils croient…
Le Miroir des limbes, André Malraux, éd. Gallimard, 1976, partie II. La Corde et les Souris, chap. V, p. 784 (lire en ligne)
Tout de même, avant de mourir, je voudrais deviner cé qué c’est la couleur…
Le Miroir des limbes, André Malraux, éd. Gallimard, 1976, partie II. La Corde et les Souris, chap. V, p. 785 (lire en ligne)
En peinture, les choses sont des signes; nous disions des emblèmes, avant la guerre de Quatorze… Qu'est-ce que ce serait un tableau, si ce n'était pas un signe ? Un tableau vivant ? Ah, bien sûr, si on était artiste peintre ! Mais quand on est seulement Cézanne, ou le pauvre Van Gogh, ou Goya, alors on peint des signes.
Le Miroir des limbes, André Malraux, éd. Gallimard, 1976, partie II. La Corde et les Souris, chap. V, p. 789 (lire en ligne)
Déplacer. Mettre les yeux dans les jambes. Contredire. Faire un œil de face et un de profil. On fait toujours les deux yeux pareils; vous avez déjà vu ça ? La nature fait beaucoup de choses comme moi, elle les cache ! Il faut qu'elle avoue. Je peins à coups de coq-à-l'âne ? Bon, mais qui se suivent! C'est pour ça que les gens sont obligés de compter avec moi. Comme je travaille avec Kazbek, je fais une peinture qui mord. La violence, les coups de cymbales… l'éclatement… En même temps, il faut que le tableau se défende. C'est très important. Mais les peintres veulent plaire ! Un bon tableau, quoi! il devrait être hérissé de lames de rasoir.
Le Miroir des limbes, André Malraux, éd. Gallimard, 1976, partie II. La Corde et les Souris, chap. V, p. 801 (lire en ligne)
Un peintre ne doit jamais faire ce que les gens attendent de lui. Le pire ennemi d'un peintre, c'est le style. […] La peinture, elle le trouve quand vous êtes mort. Elle est toujours la plus forte.
Le Miroir des limbes, André Malraux, éd. Gallimard, 1976, partie II. La Corde et les Souris, chap. V, p. 801-802 (lire en ligne)
Mais le pire de tout, dit Picasso, c’est qu’il n’a jamais terminé. Il n’y a jamais un moment où tu peux dire : j’ai bien travaillé et demain c’est dimanche. Dès que tu t’arrêtes, c’est que tu recommences. Tu peux laisser une toile de côté en disant que tu n’y touches plus. Mais tu ne peux jamais mettre le mot FIN.
Ce qu’il faut, c’est NOMMER les choses. Il faut les appeler par leur nom. Je NOMME l’œil. Je NOMME le pied. Je NOMME la tête de mon chien sur les genoux. Je NOMME les genoux… NOMMER. C'est tout. Ça suffit. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre quand je dis nommer. Donner un nom. Rappelez-vous le poème d'Eluard. Liberté. « Pour te nommer, Liberté. »
…Je suis né pour te connaître Pour te nommer Liberté…
Il l'a nommée. C'est ce qu'il faut faire.
Picasso dit…; suivi de Picasso sur la place, Hélène Parmelin, éd. Les Belles Lettres, 2013 (ISBN9782251909028), chap. Quelque chose de sacré, p. 24-25 (lire en ligne)
Le moi intérieur il est forcément dans ma toile, puisque c'est moi qui la fais. Je n'ai pas besoin de me tourmenter pour ça. Quoi que je fasse il y sera. Il n'y sera même que trop… Le problème, c'est le reste !
Picasso dit…; suivi de Picasso sur la place, Hélène Parmelin, éd. Les Belles Lettres, 2013 (ISBN9782251909028), chap. Le moi intérieur, p. 62 (lire en ligne)
Quelle vérité ? dit Picasso. La vérité ne peut pas exister. Si je cherche la vérité dans ma toile, je peux faire cent toiles avec cette vérité. Alors laquelle est la vraie ? Et qui est la vérité ? Celle qui me sert de modèle, ou celle que je peins ? Non, c'est comme dans tout le reste. La vérité n'existe pas.
Picasso dit…; suivi de Picasso sur la place, Hélène Parmelin, éd. Les Belles Lettres, 2013 (ISBN9782251909028), chap. La vérité ?, p. 63 (lire en ligne)
Une grande chose, dit Picasso, dans la peinture moderne, c'est celle-ci. Un peintre comme Tintoret, par exemple, il commence sa toile, et après il continue, et à la fin quand il l'a remplie et travaillée de partout, alors seulement la toile est terminée. Tandis que si tu prends une toile de Cézanne (et c'est visible encore plus dans les aquarelles) dès qu'il commence à mettre une touche la toile est déjà là.
Picasso dit…; suivi de Picasso sur la place, Hélène Parmelin, éd. Les Belles Lettres, 2013 (ISBN9782251909028), chap. Cézanne et Tintoret, p. 64 (lire en ligne)
C'est aux erreurs qu'on reconnaît la personnalité, mon vieux… Si je me mets à corriger les fautes dont tu parles selon des règles sans rapport avec moi, ce qui est ma note propre se perdra dans la grammaire que je n'ai pas assimilée. Plutôt en faire une moi-même à ma fantaisie que plier mes mots à des règles qui ne m'appartiennent pas.
Picasso : portraits et souvenirs, p. 127
Propos sur l’art, édition de Marie-Laure Bernadac et Androula Michael, éd. Gallimard, 1998 (ISBN2-07-074698-4), partie Propos rapportés par…, p. 167
As-tu quelquefois vu un tableau terminé ? Pas plus un tableau qu'autre chose. Malheur à toi, quand tu diras que tu as terminé… Terminer une œuvre ? Achever un tableau ? Quelle bêtise ! Terminer veut dire en finir avec un objet, le tuer, lui enlever son âme, lui donner la puntilla « l'achever », comme on dit ici, c'est-à-dire lui donner ce qui est le plus fâcheux pour le peintre et pour le tableau : le coup de grâce.
Picasso : portraits et souvenirs, p. 155
Propos sur l’art, édition de Marie-Laure Bernadac et Androula Michael, éd. Gallimard, 1998 (ISBN2-07-074698-4), partie Propos rapportés par…, p. 163
Un jour, vers 1946, Picasso visitait une exposition de dessins d'enfants organisé par le British Council. Il les regarda avec son sourire ambigu : « Je n'aurais pas pu, dit-il, étant enfant, participer à une exposition de ce genre : à douze ans, je dessinais comme Raphaël. » Ses premiers essais sont en effet d'un académisme rassurant, d'une application rigoureuse et c'est cette minutie acquise de si bonne heure qui a préparé Picasso à la maîtrise de son métier, une maîtrise due au fait qu'il a commencé à travailler avec un grand sérieux plus tôt que tant d'autres, qu'il a fait son apprentissage d'homme à l'âge d'enfant[n 4].
Picasso, Antonina Vallentin, éd. Albin Michel, 1957, chap. I. Destinée précoce, p. 8
« Ce n'est pas moi qui lui ai donné ce titre, dit Picasso. La vie… » Il hausse les épaules. « Ce ne sont pas des symboles que je me suis proposé de peindre. J'ai peint simplement des images qui surgissaient devant mes yeux : à d'autres d'y trouver un sens caché. Pour moi, un tableau parle de lui-même; à quoi bon y ajouter après coup des explications ? Un peintre n'a qu'un seul langage ; le reste…» Sa phrase s'achève sur un haussement d'épaules.
au sujet de La Vie, 1903, Cleveland Museum of Art.
Picasso, Antonina Vallentin, éd. Albin Michel, 1957, chap. III. Rencontres prématurées avec Paris, p. 42
« L'art n'est jamais chaste, m’a dit un jour Picasso, on devrait l'interdire aux ignorants innocents, ne jamais mettre en contact avec lui ceux qui n'y sont pas suffisamment préparés. Oui, l'art est dangereux. Ou s'il est chaste, ce n'est pas de l'art. »
Picasso, Antonina Vallentin, éd. Albin Michel, 1957, chap. XI. L’art n’est jamais chaste, p. 268
« Nous nous croyons supérieurs aux animaux, grogne-t-il, c'est faux. » Il s'insurge contre les inventions de l'homme, comme celle de la montre dont il se plaît à dénoncer les méfaits. « Avec toutes nos sciences, nous sommes arrivés à perdre le sens de la direction, maintenant nous n'avons plus qu'un reste d'instinct pour porter la main à l'endroit du corps que nous voulons gratter quand ça nous démange. »
Picasso, Antonina Vallentin, éd. Albin Michel, 1957, chap. XIV. La dérive de l’humain, p. 342-343
Ce n'est pas ce que l'artiste fait qui compte, mais ce qu'il est. Cézanne ne m'aurait jamais intéressé s'il avait vécu et pensé comme Jacques-Émile Blanche, même si la pomme qu'il avait peinte eût été dix fois plus belle. Ce qui nous intéresse, c'est l'inquiétude de Cézanne, c'est l'enseignement de Cézanne, ce sont les tourments de Van Gogh, c'est-à-dire le drame de l'homme. Le reste est faux.
« Cahiers d'art », Christian Zervos, Conversation avec Picasso, 1935, p. 178 (lire en ligne)
C’est en pensant à Casegemas [son ami récemment disparu] que je me suis mis à peindre en bleu.
Picasso à Pierre Daix. Entre 1901 et 1904, c’est la « période bleue » de Picasso, « période [qui] est tout entière sous le signe de la mélancolie » (p. 30.)
Picasso : le sage et le fou (1986), Marie-Laure Bernadac et Paule du Bouchet, éd. Gallimard, 2007 (ISBN978-2-07-034649-3), chap. Folles années à Montmartre, p. 31
Pour Picasso, l’existence même d’une tradition était un anathème jeté sur son art, celle-ci ayant vocation à être enfreinte, au besoin violemment, et, quoiqu’il ait lui-même puisé dans l’imagerie des baigneuses, il s’est plu, pendant toute sa carrière, à renverser les traditions et « leur » représentation. Même ses baigneuses relativement « gracieuses », celles de la période rose ou les nus classiques, étaient à leur manière subversives, les seconds de ses propres transgressions antérieures. Dès lors que je peux renverser la tradition, semblait-il dire, je peux aussi vous battre sur son terrain.
« Picasso and the Bather Tradition », Richard R. Brettell (trad. Édouard Vergnon), dans Picasso, Baigneuses et baigneurs [exposition, Musée des beaux-arts de Lyon, 2020, organisée en collaboration avec le Musée national Picasso-Paris], Émilie Bouvard et Sylvie Ramond, éd. Musée des beaux-arts de Lyon, Musée national Picasso-Paris, 2020 (ISBN978-9-46161-612-8), p. 20
Les séries des Baigneuses de Picasso, qui s’étalent sur des décennies, sont importantes pour nous non parce qu’elles procèdent d’un art hétéro-normatif, mais parce qu’elles sont des œuvres salutairement inventives et novatrices au sein de traditions picturales qui les dépassent. C’est moins une justification que la reconnaissance que l’histoire de l’art demeure une histoire de forme ET de contenu, et pas seulement une affaire d’images.
« Picasso and the Bather Tradition », Richard R. Brettell (trad. Édouard Vergnon), dans Picasso, Baigneuses et baigneurs [exposition, Musée des beaux-arts de Lyon, 2020, organisée en collaboration avec le Musée national Picasso-Paris], Émilie Bouvard et Sylvie Ramond, éd. Musée des beaux-arts de Lyon, Musée national Picasso-Paris, 2020 (ISBN978-9-46161-612-8), p. 21
L’art de Picasso n’a jamais été tout à fait « français », ou, tout au moins, un art bourgeois français. Au contraire, il était ouvert aux Russes, aux Américains, à ses compatriotes espagnols, aux Allemands, aux Suisses et à bien d’autres encore qui, comme lui, ont cherché un monde cosmopolite en France, nous rappelant à tous que l’art moderne peut être beaucoup de choses, mais pas « nationaliste ».
« Picasso and the Bather Tradition », Richard R. Brettell (trad. Édouard Vergnon), dans Picasso, Baigneuses et baigneurs [exposition, Musée des beaux-arts de Lyon, 2020, organisée en collaboration avec le Musée national Picasso-Paris], Émilie Bouvard et Sylvie Ramond, éd. Musée des beaux-arts de Lyon, Musée national Picasso-Paris, 2020 (ISBN978-9-46161-612-8), p. 21
Ne bougez pas ! Restez comme ça !... Un Matisse ! Si vous étiez nue, vous seriez un Renoir. Mais si vous vous étiez cassée la figure, nous tenions un Picasso.
On a dit qu’il ne saurait y avoir de peinture surréaliste. Peinture, littérature, qu’est-ce là, ô Picasso, vous qui avez porté à son suprême degré l’esprit, non plus de contradiction mais d’évasion ! Vous avez laissé pendre de chacun de vos tableaux une échelle de corde, voire une échelle faite avec les draps de votre lit, et il est probable que, vous comme nous, nous ne cherchons qu’à descendre, à monter de notre sommeil. Et ils viennent nous parler de la peinture, ils viennent nous faire souvenir de cet expédient lamentable qu’est la peinture !
« Le surréalisme et la peinture », dans Œuvres complètes IV – Écrits sur l’art, André Breton, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2008 (ISBN978-2-07-011692-8), p. 356
Le surréalisme, s’il tient à s’assigner une ligne de conduite, n’a qu’à en passer par où Picasso en a passé et en passera encore; j’espère en disant cela me montrer très exigeant.
« Le surréalisme et la peinture », dans Œuvres complètes IV – Écrits sur l’art, André Breton, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2008 (ISBN978-2-07-011692-8), p. 357
Les rebondissements extraordinaires de l'œuvre de Picasso ont montré au XXe siècle les mouvements furieux (au sens de : pleins de furor) d'un artiste qui n'entend pas être pris à son propre piège et ne tolère dans son identité même que ce qu'elle a d'involontaire et de non-voulu. Il l'a dit au P. Couturier : « Il faut toujours chercher la perfection. Par exemple, vouloir faire un cercle parfait; et comme vous ne pouvez pas faire un cercle parfait, l'imperfection involontaire montrera votre personnalité; en faisant un cercle imparfait, votre cercle, vous manquerez tout. » La décision délibérée est la faute à éviter, l'erreur qui condamne. L'artiste s'accomplit non en s'acceptant mais en aspirant à un impossible, qui change peut-être de visage à chaque étape.
« Braque et Picasso en 1912 : la solitude et l’échange », dans Fables, formes, figures (II), André Chastel, éd. Flammarion, 1978 (ISBN2-08-210712-4), p. 432
Guernica : pas un élément réaliste dans ce tableau - ni sang, ni cadavres - et cependant il n'y a rien qui exprime autant l'horreur. Picasso a fixé seulement et ordonné des cauchemars sur sa toile; ça n'a sûrement pas été chez lui une simple méthode de composition valant une autre. Avant tout, il y a eu ce qu'il savait et pressentait ; c'étaient des cauchemars qui le hantaient autant que les autres hommes, mais il a été le seul à savoir leur donner un visage que chacun
reconnaît désormais. Et s'il a inventé cette périphrase pour nommer ce qui n'a strictement pas de nom, Guernica, qui appartient aujourd'hui à la sensibilité éveillée collective, appartenait déjà, avant de sortir de ses pinceaux, à l'inconscient collectif. C'est là l'aspect le plus important de cette démarche : celui d'accoucheur des rêves; tout le reste se situe au second plan.
Qui se souvient de la mer (1962), Mohammed Dib, éd. La différence, 2007 (ISBN978-2-7291-1677-4), partie Postface, p. 218-219
Il me regardait avec attention, plus tendrement, glissant sa main doucement le long de mon corps, comme un sculpteur le long d'une forme qu'il a créée. Il était très doux. Aujourd'hui encore, je garde le souvenir de cette douceur extraordinaire.
Le jour où elle s'est rendue compte qu'ils s'aimaient.
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calmann-Lévy, 1965, partie I—Je ne cherche pas, je trouve., p. 42
Il avait su éviter les formules stéréotypées, dans ses rapports humains comme dans son art.
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calmann-Lévy, 1965, partie I—Je ne cherche pas, je trouve., p. 43
la technique de Picasso, qui consistait à se servir des gens comme au jeu de quilles, visant une personne avec la boule pour en faire tomber une autre.
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calmann-Lévy, 1965, partie II—Jeune fille, beau menuisier qui cloue des planches avec des épines de roses, ne pleure pas une larme de voir saigner le bois., p. 59
A chaque époque, les poètes créaient autour de lui le langage de la peinture. Ensuite, Pablo, qui a une énorme capacité d'adaptation, pouvait parler de sa peinture, puisque ses intimes en avaient découvert les mots pour lui.
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calmann-Lévy, 1965, partie III—Peindre comme d'autres écrivent leur autobiographie, p. 128
La première fois que je les ai vus ensemble, j'ai compris que Braque était très attaché à Pablo, mais qu'il n'avait pas confiance en lui, parce qu'il savait que Pablo avait toujours une idée derrière la tête et ne reculerait devant rien pour jouer gagnant. Ses coups les plus bas étaient réservés à ses amis les plus chers, et il n'aurait jamais laissé passer l'occasion d'en donner un, si on lui facilitait les choses. J'appris très vite qu'en dépit de toute l'affection qu'on pouvait lui porter, la seule manière de ne pas s'attirer son mépris était de s'attendre au pire, et d'attaquer en conséquence.
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calmann-Lévy, 1965, partie III—Peindre comme d'autres écrivent leur autobiographie, p. 135
Aragon venait souvent voir Pablo. Leur amitié était mordante et agressive, traversée d'orages, de bouderies et de réconciliations.
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calmann-Lévy, 1964, partie VI «..Le coup de cymbale inattendu d'une violence concertée », p. 257
Pablo s'entendait assez mal avec sa femme, Elsa Triolet. Il disait qu'elle ne comprenait rien à la peinture et qu'elle avait influencé les théories d'Aragon sur le réalisme socialiste. En outre, elle était assez sarcastique, et Pablo, qui ironisait volontiers, appréciait peu l'humour des autres.
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calmann-Lévy, 1964, partie VI «..Le coup de cymbale inattendu d'une violence concertée », p. 257
Au cours de ce premier après-midi que nous avions passé ensemble, en février 1944, Pablo m'avait dit que notre rencontre éclairerait nos deux vies; ma venue vers lui était une fenêtre qui s'ouvrait et qui devait rester ouverte. Je le voulais aussi, tant que la fenêtre laissait pénétrer la lumière. Quand il n'en a plus été ainsi, je l'ai fermé, bien à contrecœur. A partir de ce moment, Pablo a brûlé tous les ponts qui me reliaient au passé que j'avais partagé avec lui. Mais il m'a ainsi forcé à me découvrir et, par là même, à survivre. Je ne cesserai jamais de lui en être reconnaissante.
Conclusion
Vivre avec Picasso, Françoise Gilot et Carlton Lake, éd. Calmann-Lévy, 1964, partie VII De mes solitudes je viens, à ma solitude, je retourne, p. 342
La vie le surprenait. Lorsque, en promenade, il interrompait la conversation pour arracher une branche ou ramasser un caillou, il ne cherchait pas un modèle, il cherchait « cé qué yo pourrais bien en faire ». Ce qui voulait peut-être dire, car il développait rarement ses percutantes boutades : je cherche comment cet objet pourrait m'aider à faire éclater le monde de la peinture, ou de la sculpture. La branche reparaissait dans la Femme au feuillage, en connivence avec des volumes géométriques. Il n'avait pas emporté le caillou pour l'admirer, mais pour le graver. Son fameux « Je ne cherche pas, je trouve » exprime peut-être moins d'orgueil que d'étonnement.
Le Miroir des limbes, André Malraux, éd. Gallimard, 1976, partie II. La Corde et les Souris, chap. V, p. 750 (lire en ligne)
Picasso parle mille fois peinture, mais il n’écrit jamais à ce sujet. L’écriture fige l’idée, la parole lui laisse la liberté d’être ou de n’être pas à la fois. Jamais Picasso ne trahit une idée-peinture en la jetant dans l’éternité des mots. Il n’existe aucun code de la route des peintures. […] Et c’est ainsi que jamais il n’a donné à aucune des pensées dont il déborde à tout instant un caractère de formule. Elles se transforment sans cesse, comme sa peinture. La vérité peut toujours devenir son contraire. Sur la dernière page d’un carnet, il a simplement noté un jour : « La peinture est plus forte que moi. Elle me fait faire ce qu’elle veut. »
Picasso dit…; suivi de Picasso sur la place, Hélène Parmelin, éd. Les Belles Lettres, 2013 (ISBN9782251909028), chap. Quelque chose de sacré, p. 25 (lire en ligne)
La phrase de Picasso le plus souvent citée est celle-ci : « Je ne cherche pas. Je trouve. » Merveilleuse d’audace et de certitude, elle ne s’explique, si vraiment il l’a prononcée, que par la démonstration constante de son contraire. « On n’a jamais fini de chercher parce qu’on ne trouve jamais. » En réalité il trouve à tous les coups, il cherche à tous les coups. Il a à peine fini une toile qu’il la regarde en y cherchant les secrets qu’il vient lui-même d’y mettre. Et il en recommence une autre, qui le mène où il ne veut pas quand il la mène où elle ne veut pas. Ainsi de suite…
Picasso dit…; suivi de Picasso sur la place, Hélène Parmelin, éd. Les Belles Lettres, 2013 (ISBN9782251909028), chap. Jamais sans son contraire, p. 32 (lire en ligne)
↑Initialement publiée dans Ogoniok, Moscou, 20, 16 mai 1926. Selon Pierre Daix, cette interview publiée par Gueorgui Iakoulov« est une reprise piratée et émaillée d’inventions d’une interview authentique donnée par Picasso à Marius de Zayas en 1923 » (voir Dictionnaire Picasso, 1995 (ISBN2-221-07443-2) [lire en ligne], p. 330, 488, 914).
↑Écrite en français sur la troisième page de couverture d’un carnet de dessins. Publiée par Michel Leiris en 1964 dans le catalogue Peintures 1962-1963, Galerie Louise Leiris, p. 3. Puis reproduite en 1988 dans le catalogue Le Dernier Picasso : 1953-1973, Centre Georges Pompidou, 1988, p. 19, dans Carnets : catalogue des dessins, vol. II, Réunion des musées nationaux, 1996 (ISBN2-7118-3310-0) [lire en ligne], p. 300 (cat. 56), et dans Picasso 2014, p. 19. Voir aussi Daix 1995, notamment les entrées « Michel Leiris », p. 523 (« c’est lui qui préface pour la galerie Louise Leiris l’exposition des peintures de 1962-1963 de Picasso sur le thème du Peintre et son modèle : « "La peinture est plus forte que moi, elle me fait faire ce qu’elle veut." Telle est la phrase que Picasso, à la fin d’un cahier somptueusement bourré de dessins, inscrivait à gros traits de crayon et datait du 27 mars 1963, comme s’il avait tenu à dater exactement dans le temps une découverte importante pour lui […] »), « La mort de l’art », p. 604 (« Il cherchait non pas, comme les autres le croyaient, à se persuader qu’il était le plus fort, mais bien que la peinture était la plus forte, plus forte que lui, comme il l’avait écrit en 1963. ») et « Le peintre et son modèle », p. 681.
« Someone passed him a photo of one of the figures in the Sistine Chapel. "Ah!" he said, placing his finger on the toe of the youth and following the graceful outline. "What a feeling of pleasure I get when I go over this line…. But Raphael is the sky itself: what serenity in his line; what mastery! It wasn't Leonardo who invented aviation; it was Raphael!" […] Referring to Leonardo's Saint John, Picasso observed, "Yes, Leonardo promises you Heaven with that raised finger; but Raphael gives it to you." »
↑Voir Daix 2012, Dessins d’enfant, p. 264 : « Visitant avec Antonina Vallentin et avec Marie Cuttoli, dans l'été de 1945, l'exposition de dessins d'enfants organisée par le British Council au musée du château Grimaldi à Antibes, dont Dor de la Souchère était le conservateur, Picasso remarqua: « Je n'ai jamais pu dessiner comme ça. À douze ans, je dessinais déjà comme Raphaël. » Cette réflexion fut rapportée par Antonina Vallentin dans son Pablo Picasso (Albin Michel, 1957), sans qu'elle ait perçu le regret de Picasso qui, loin de prétendre qu'à douze ans il valait Raphaël, voulait surtout déplorer que son père l'ait tout de suite dressé à dessiner comme Raphaël. »
[Picasso 2014] Je ne cherche pas, je trouve (édition établie par Androula Michael), Cherche midi, (ISBN978-2-7491-1100-1, lire en ligne)
Picasso.mania (Paris, Grand Palais, Galeries nationales, 7 octobre 2015-29 février 2016), Réunion des musées nationaux/Centre Pompidou/Musée national Picasso, (ISBN978-2-7118-6266-5, lire en ligne)
¡ Picasso ! (exposition, Musée national Picasso-Paris, 20 octobre 2015-31 janvier 2016), Musée national Picasso-Paris/Réunion des musées nationaux - Grand Palais, (ISBN978-2-7118-6302-0)
[Greilsamer 2020] Laurent Greilsamer, Le monde selon Picasso : réflexions, fulgurances et traits d'esprit, Tallandier, (ISBN979-10-210-3944-5)
[Picasso 2021] Écrits (1935-1959 (édition présentée et annotée [et préfacée] par Marie-Laure Bernadac et Christine Piot), Gallimard, (ISBN978-2-07287652-3)