André Chastel
Apparence
| Cette page est une ébauche. | |
| N'hésitez pas à la modifier en ajoutant des citations admissibles ! |
André Chastel, né le à Paris et mort dans la même ville le , est un historien de l'art français spécialiste de la renaissance italienne.
Citations
[modifier]L'Art italien
[modifier]Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique
[modifier]
3ème édition en 1982 (ISBN 2-13-036686-4)
Tout ce qui concerne Léonard est difficile ; mais l'étude de ses rapports avec l'humanisme florentin touche peut-être à la difficulté essentielle. Un immense travail intellectuel accompagne et traverse son activité; le stimulant de la culture humaniste devrait se manifester ici d'une manière éclatante. Aucune doctrine n'était plus propice à l'art, aucun artiste plus intéressé aux « idées ». Mais l'artiste le plus profondément florentin de Florence a quitté la ville à trente ans, son penseur le plus exigeant et le plus complet n'a jamais pu ou voulu systématiser sa pensée; chaque fois que le contact se précise, la réaction de Léonard est imprévue et le résultat ne s'accorde pas avec les prémices. On a démesurément exagéré l'originalité de Léonard; une analyse attentive aux dates et aux faits, suffit à montrer combien il appartient à son temps et vit de ses problèmes ; mais il semble avoir voulu recréer sa propre culture au-delà des positions confuses ou incomplètes de ses contemporains. Et la figure la plus typique de Florence s'est définie par une critique constante de la culture florentine.
- Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique : études sur la Renaissance et l'humanisme platonicien (1959), André Chastel, éd. Presses universitaires de France, 1961, partie III. Léonard de Vinci et le néo-platonisme, p. 401-402 (lire en ligne)
On estime qu'il subsiste à peu près la moitié des écrits de Léonard, carnets préparatoires, études, comptes, aphorismes, notes de lecture. Ils s'étendent sur près de quarante années. Une publication méthodique et critique serait une entreprise redoutable, mais tant qu'elle ne sera pas faite, l'étude de la pensée de Léonard risque bien de manquer des articulations historiques indispensables. On est constamment en danger de prendre des relevés de lecture destinés à l'examen ou à la discussion, pour des affirmations personnelles, et d'apercevoir abusivement des intuitions « modernes » dans ses observations, faute de les relier à la « science » contemporaine. L'extraordinaire diversité de ses préoccupations oblige à se demander quel but il poursuivait. Léonard semble se l'étre demandé lui-même.
- Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique : études sur la Renaissance et l'humanisme platonicien (1959), André Chastel, éd. Presses universitaires de France, 1961, partie III. Léonard de Vinci et le néo-platonisme, chap. II. La « science » de Léonard et la réaction anti-platonicienne, p. 409 (lire en ligne)
On ne comprendra Léonard, si divers soit-il, que par la diversité même de son époque, en considérant ce qu'il assimile et ce qu'il repousse, en imaginant un esprit au travail. Les écrits de Léonard abondent en fables, propos et fantaisies tirés de la culture populaire, il connaissait les « humoristes », Burchiello (it), Pulci (it); plus d'une de ses pages sont dignes d'eux. Il connaissait, bien entendu, les grands poètes toscans et il fut de ceux qui osaient « commenter » Dante. Il sut se composer, grâce aux recueils d'extraits ou d'exempla, tout un matériel « classique » où ne manquaient ni Ovide ni Lucrèce.
- Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique : études sur la Renaissance et l'humanisme platonicien (1959), André Chastel, éd. Presses universitaires de France, 1961, partie III. Léonard de Vinci et le néo-platonisme, chap. II. La « science » de Léonard et la réaction anti-platonicienne, p. 410-411 (lire en ligne)
Les principaux thèmes de la réflexion scientifique et, dans une certaine mesure, de l'art de Léonard, en tout cas l'un des objets principaux de sa curiosité - la « vie » de la nature dans le temps — se trouvent définis de bonne heure, autour de 1480, à la veille du départ, de Florence ou au début du séjour à Milan. Le plus remarquable est leur source : ces thèmes sont déjà tous groupés dans le texte d'Ovide, […] et qui n'est rien moins que le long discours (mai XV, 60, 478) prêté à Pythagore et le résumé de sa doctrine. Le sage de Samos avait, dit le poète, scruté quae natura negabat visibus humanis, c'est-à-dire le revers des choses; il en avait découvert la loi dans la métempsychose qui fait communiquer tous les êtres vivants, ce qui recommande le régime végétarien : (tellus) epulas sine caede et sanguine praebet. L'âme est partout mais tout est changement : Cunela fluunt omnisque vagans formatur imago.
- Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique : études sur la Renaissance et l'humanisme platonicien (1959), André Chastel, éd. Presses universitaires de France, 1961, partie III. Léonard de Vinci et le néo-platonisme, chap. II. La « science » de Léonard et la réaction anti-platonicienne, p. 415 (lire en ligne)

Le texte du manuscrit Arundel [ B.M. 155r.] insiste plus que d'ordinaire sur les jeux d'ombre et de lumière, sur le clair-obscur étrange de la caverne; et l'on est tenté de le rapprocher de l'effet crépusculaire et humide de la Vierge aux rochers. L'atmosphère couverte qui exalte et adoucit à la fois le relief des formes, ajoute à l'intensité de la beauté. Si le moment de la grâce la plus expressive exige l'enveloppe obscure, une grotte qui déploie un champ sombre autour des figures est comme une demeure idéale où elles prendront toute leur séduction : en plaçant les personnages divins dans ce cadre fantastique, Léonard, par une de ces transpositions décidées dont il est coutumier, donne à la scène traditionnelle la valeur d'un symbole plus général. Il superpose sa propre vision à l'image pieuse : le jour bleuâtre qui filtre à travers les prismes minéraux semble suggérer une clairière du monde souterrain plutôt qu'un libre horizon; des glaciers apparaissent dans les lointains et rappellent l'immensité de la nature.
- Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique : études sur la Renaissance et l'humanisme platonicien (1959), André Chastel, éd. Presses universitaires de France, 1961, partie III. Léonard de Vinci et le néo-platonisme, chap. III. La vérité de l’art. III, la caverne et les lointains, p. 436-437 (lire en ligne)
Fables, formes, figures
[modifier]C'est entre la vingtième et la vingt-cinquième année que, prenant au sérieux le « nous autres, philologues » de Nietzsche, je trouvai quelque chose d'impératif, d'incomparable et même d'exaltant dans l'application de l'esprit au détail. J'ai dû croire alors que la précision équivalait à la rigueur et que l'exactitude des références entraînait la pertinence, dans des domaines où, on peut m'en croire, elles n'étaient guère à la mode ni l'une ni l'autre.
- Fables, formes, figures (I), André Chastel, éd. Flammarion, 1978 (ISBN 2-08-210709-4), chap. Introduction, p. 8
Comme le trait inattendu du comportement, le motif onirique ou le lapsus répété, qui accrochent le psychanalyste, le même détail singulier alerte et déclenche l'historien.
- Fables, formes, figures (I), André Chastel, éd. Flammarion, 1978 (ISBN 2-08-210709-4), chap. Introduction, p. 15
Tout commencement abouti, toute idée réalisée, toute œuvre accomplie se développent en quelque sorte à l'extérieur d'eux-mêmes. On les voit soudain du dehors et bientôt on ne les voit plus autrement. Tout ce qui allait de soi peut alors paraître étrange. Les intentions deviennent problématiques pour qui a manqué le moment initial. Plus il fut pur, plus avec l'éloignement il risque d'intriguer et de laisser perplexe. La survivance ne va pas sans accumulation de déformations, de distractions, de glissements et de malentendus qui sont comme la patine de l'œuvre humaine. Ainsi l'histoire est toujours à refaire contre le déroulement historique : la plus sagace et la mieux conduite est elle-même condamnée à n'être finalement qu'un épisode de plus, lumineux peut-être un instant, puis obscurci à son tour, en attendant qu'on ranime sa flamme.
- Fables, formes, figures (I), André Chastel, éd. Flammarion, 1978 (ISBN 2-08-210709-4), chap. Introduction, p. 17
Si l'on ouvre assez brutalement les yeux, le prodigieux savoir, si soigneusement emmagasiné, de la mémoire humaine se détache sur un horizon décourageant, qu'un savant britannique a parfaitement formulé : « La plus grande partie de la vie réellement vécue consiste en détails minuscules, en expériences non communiquées et même incommunicables, que rien n'enregistre… » (C. S. Lewis). L'histoire rassemble ce qui s'est extériorisé et cela, seulement dans la mesure où on peut le recueillir. Le total donne le vertige mais il reste incommensurable avec la somme « impensable » des pensées et des expériences de l'humanité. Cette vue n'est pas creuse; elle invite à considérer avec moins d'indifférence des formes du vécu traditionnellement négligées et à ne pas s'en tenir à l'appareil politique, aux pratiques sociales, aux modes de production, à partir desquels se bâtissent en concurrence nos représentations historiques.
- Fables, formes, figures (I), André Chastel, éd. Flammarion, 1978 (ISBN 2-08-210709-4), chap. Introduction, p. 18-19
« Le tableau dans le tableau »
[modifier]On pourrait se demander s'il n'y a pas — pour toutes les créations de l'art humain – une tendance invincible à produire dans certaines conditions, au sein même de chaque art, une maquette réduite de sa structure ou un scénario de sa production. Toutes proportions gardées, ce serait là comme l'équivalent du cogito du philosophe dans la conscience de l'artiste, le fingo ergo sum de celui-ci, formulé dans les termes concrets qui conviennent.
- « Le tableau dans le tableau », dans Fables, formes, figures (II), André Chastel, éd. Flammarion, 1978 (ISBN 2-08-210712-4), vol. II, p. 75-76
Au XVIIe siècle on constate un peu partout une extraordinaire abondance de tableaux figurés dans des toiles; les spéculations dont ils pouvaient être l'occasion, semblent se multiplier. Nous sommes au cœur du sujet; mais ce cœur il faut l'ausculter très doucement, car nous devons interroger quelques-uns des ouvrages les plus célèbres et les plus impressionnants du monde. Par bonheur, leur puissance même nous impose l'évidence de certains grands effets, et nous les appellerons, pour plus de clarté, l'effet Rembrandt quand le peintre nous fait part de sa prise de conscience aiguë du pouvoir de son art; l'effet Vermeer quand le tableau inscrit accentue au maximum le caractère contemplatif de la peinture; enfin l'effet Vélasquez quand il en accentue le côté énigmatique.
- « Le tableau dans le tableau », dans Fables, formes, figures (II), André Chastel, éd. Flammarion, 1978 (ISBN 2-08-210712-4), vol. II, p. 83-84
« Léonard et la culture »
[modifier]La culture de Léonard a le vrai caractère de la culture humaniste, latine ou vulgaire, de son temps, qui est d'utiliser inlassablement tous les ouvrages de la littérature aux fins qui lui sont propres : il lui arrive constamment de conserver les idées ou les formes sans afficher la citation.
- « Léonard et la culture », dans Léonard de Vinci et l'expérience scientifique au XVIe siècle (colloque international, Paris, 4-7 juillet 1952), Centre national de la recherche scientifique/Presses universitaires de France, (SUDOC 005317851, lire en ligne), p. 254
- « Léonard et la culture » (1952), dans Fables, formes, figures (II), André Chastel, éd. Flammarion, 1978 (ISBN 2-08-210712-4), vol. II, p. 254
« Le système de Seurat »
[modifier]
Il y a du « secret » dans le « système » de Seurat, mais un aspect peut en être explicité; c’est le rêve de l’art-science.
- « Le système de Seurat », Tout l’œuvre peint de Seurat, 1973.
- Fables, formes, figures (II), André Chastel, éd. Flammarion, 1978 (ISBN 2-08-210712-4), p. 409
Citation choisie pour le 23 mars 2022.
Comme toutes les grandes créations modernes, l’œuvre de Seurat vaut par l’inextricable conjonction d’une problématique intellectuelle et d’une insolente séduction. On dirait qu’il est impossible d’en rendre compte en termes autres que ceux que l’artiste a adoptés. Le génie de Seurat fait un peu penser au diamant qui ne peut être rayé que par lui-même.
- « Le système de Seurat », Tout l’œuvre peint de Seurat, 1973.
- Fables, formes, figures (II), André Chastel, éd. Flammarion, 1978 (ISBN 2-08-210712-4), p. 411
L'Image dans le miroir
[modifier]Le journalisme, littérature « instantanée », est précisément le domaine où le temps fait tout à l’affaire. On est là pour traiter tout de suite d’une manifestation ou d’un événement, auquel il faut faire franchir le seuil de l’actualité.
- L'image dans le miroir, André Chastel, éd. Gallimard, 1980 (ISBN 2-07-035418-0), chap. Chroniques artistiques, p. 10
Mais aussitôt retentit la règle d’or : « Soyez accessible, on écrit pour être lu. » Le spécialiste, l’homme sérieux, éprouve un petit frisson d’horreur à l’idée de devoir tout ramener à du « lisible ». A peine l’injonction est-elle là, on se sait guetté par tous les monstres, le stéréotype et la sottise, la formule toute faite et le propos bizarre, la platitude et l’imprudence, avec le cortège des affirmations ridicules et des prises de position dont on rougira demain. Le lapsus, le propos hasardeux, l’erreur de jugement, ne se rattrapent pas : ils ont même toutes chances d’être grossis et retenus, de préférence au reste. Et pourtant, quelque chose de rare, de vif, d'impérieux même, se mêle à l’inquiétude. Justement peut-être parce que le temps d'ajustement, de contrôle et de rectification est mesuré et parfois quasi nul, avec en contrepartie la résonance forte, souvent excessive et parfois même absurde, propre à la presse. Hubert Beuve-Méry accueillant il y a vingt-cinq ans un universitaire dans son journal, lui dit donc, de son ton un peu sarcastique : « Quand on a deux métiers, on ne fait généralement bien ni l’un ni l’autre... Enfin, rappelez-vous que vous parlez pour cent mille élèves. »
- L'image dans le miroir, André Chastel, éd. Gallimard, 1980 (ISBN 2-07-035418-0), chap. Chroniques artistiques, p. 11-12
Le journalisme semble condamné à ne présenter que l’abrégé, l’apparence, la caricature du savoir. Il sera toujours trop près du vécu. Rien de plus vrai, et il y a un « tant pis » à prononcer. En chacun de nous existe en effet un personnage sévère, un « habitant de mes pensées », comme dit Valéry, qui regarde avec suspicion l’espèce de désordre au milieu de quoi nous vivons ; le journalisme ne réussit que trop bien à refléter ce chaos, à l’enrichir d’images supplémentaires.
- L'image dans le miroir, André Chastel, éd. Gallimard, 1980, chap. Chroniques artistiques, p. 13
Paul Klee
[modifier]- Voir le recueil de citations : Paul Klee

Tous ceux qui, comme son collègue Lothar Schreyer dans son recueil de souvenirs (1956), ont su rapporter leur impression décrivent une sorte de magicien captif, dessinant inlassablement, enfermé dans l'atelier où règne un gros chat, et toujours accueillant avec « une ironie affable qui adoucit le sérieux de son regard ». Ironique et affable, mais prodigieusement sûr.
- « Le dossier Klee », Le Monde, 23 août 1963 [texte intégral].
- L'image dans le miroir, André Chastel, éd. Gallimard, 1980 (ISBN 2-07-035418-0), chap. Le dossier Klee, p. 396

L’œuvre entier, qui à sa mort comptait neuf mille numéros, bien catalogués, peintures, aquarelle et dessins, est la réponse faite au jour le jour à une inspiration qui ne cessait apparemment de le visiter. L’art de Klee est la plus extraordinaire manifestation d’une continuité sans faille, que toute exposition doit d’abord mettre en évidence.
- « Paul Klee, doctor angelicus », Le Monde, 27 novembre 1969 [texte intégral].
- L'image dans le miroir, André Chastel, éd. Gallimard, 1980 (ISBN 2-07-035418-0), chap. Paul Klee, doctor angelicus, p. 401-402
L’élément formel qui semble se déployer pour lui-même, Klee se sent presque toujours contraint de l’infléchir vers une allusion signifiante : une perspective contient des yeux, une spirale devient germination et ainsi de suite. Tout son art agit dans ces menues inflexions, dont il connaissait assez le prix pour conseiller de travailler des deux mains : « la main droite court avec plus de naturel, la main gauche écrit plutôt des hiéroglyphes. »
- « Paul Klee, doctor angelicus », Le Monde, 27 novembre 1969 [texte intégral].
- L'image dans le miroir, André Chastel, éd. Gallimard, 1980 (ISBN 2-07-035418-0), chap. Paul Klee, doctor angelicus, p. 405
Nicolas de Staël
[modifier]Léonard de Vinci, Traité de la peinture
[modifier]
Traité de la peinture, 1ère ed. 1960 (SUDOC 054270499), ed. 1964 sous le titre La Peinture (SUDOC 01037440X) (rééd. 2004 (ISBN 978-2-7056-8914-8)). L’introduction de l’édition 1964 (« Léonard et la pensée artistique du XXe siècle ») est compilée dans Fables, formes, figures, II, p. 265-277. Nouvelle ed. 1987 (ISBN 2-7013-0675-2).
Devant Léonard de Vinci, la perplexité s'est toujours mêlée à l'admiration. C'est peu de dire que son génie attire et déconcerte : on a en fait l'impression d'être en présence d'un personnage différent selon que l'on s'attache à ce qu'on sait de lui, à ce qu'il reste de ses écrits, à ce qu'on voit de son œuvre… Rien n'invite plus à préciser l'unité cachée de son activité que l'espèce de légende qui en couvre l'intensité et… la dispersion. Le « mythe léonardien », avec ses prolongements ésotériques et ses implications freudiennes, n'est peut-être – ou, enfin, n'a peut-être été jusqu'ici – qu'un moyen d'assurer, en désespoir de cause, à un personnage et à un artiste trop subtils et élusifs au moins la consistance et la cohérence des héros de roman.
- « Introduction », André Chastel, dans Traité de la Peinture (1987), Léonard de Vinci, éd. Calmann-Levy, 2003 (ISBN 2-7021-3378-9), p. 5
Le personnage, le théoricien, le peintre se trouvent près de se confondre, si l'on considère l'espèce d'excédent littéraire de l'héritage léonardien, comme la trace du cercle immense que cet esprit aussi agile qu'exigeant se sentait contraint de tracer autour de son art. Bref, le « héros » et son activité commencent à devenir intelligibles à partir de la notion de peinture-philosophie, si l'on fait bien de celle-ci le dépassement – et non l'équivalent ou le substitut, moins encore la conclusion – de l'effort philosophique, au sens traditionnel du mot. Et si nous parvenions dans une certaine mesure à relier cette notion de peinture-philosophie à la peinture-poésie des modernes, le prestige de Léonard perdrait probablement cet aspect de grandeur factice et sa gloire, ce pouvoir de mystification qui les ont souvent marqués jusqu'ici.
- « Introduction », André Chastel, dans Traité de la Peinture (1987), Léonard de Vinci, éd. Calmann-Levy, 2003 (ISBN 2-7021-3378-9), p. 6
Ce qui lui est propre, c'est la manière dont il assure et étend l'« espace vital » de l'artiste, comme si la pratique de l'art exigeait un mode de vie approprié. Delacroix se défendait par la distance et le mépris ; Cézanne par le repli et la solitude. Léonard est moins direct et plus subtil : son arme est le filet du rétiaire, il embarrasse, il séduit; il attaque l'adversaire sur son propre terrain. Pour plaire au snob et au mondain, il y a son élégance, ses manières, les jeux qu'il invente, les beaux garçons dont il s'entoure ; aux intellectuels, les doctrines qu'il élabore et le défi permanent de son esprit; aux hommes d'armes, ses « secrets » d'art militaire; aux gens d'Église, son sens du « mystère » ; aux savants, sa « philosophie » du monde et son analyse des mœurs; à la foule, aux curieux, les merveilles de la peinture. Bref, il développe – autour de l'opération picturale – toute une activité périphérique de défense et d'exaltation qui fait la singularité, l'étrangeté même de son pouvoir.
- « Introduction », André Chastel, dans Traité de la Peinture (1987), Léonard de Vinci, éd. Calmann-Levy, 2003 (ISBN 2-7021-3378-9), p. 8
Il a affronté, avec ses seules ressources, la pression d'une sorte de « cercle » dialectique, avec lequel il a été aux prises pendant la majeure partie de sa vie. C'est le nœud sur lequel il ne cesse de revenir : la réflexion la plus soutenue est nécessaire, comme si la peinture était entièrement contenue dans l'esprit; mais cette réflexion doit être conclue par un acte dont il faut penser qu'il a plus de valeur que tout le savoir préalable; et, inversement, l'acte de peindre, cette opération longue et méditée, ne prend de sens que par rapport à la réflexion qui l'oriente et l'informe. Cette situation typique, ce paradoxe constitutif est énoncé par Léonard dans des termes qui semblent aussi « modernes » qu'on voudra : « La science de la peinture réside dans l'esprit qui la conçoit ; d'où naît ensuite l'exécution bien plus noble que ladite théorie ou science. » Jamais on n'avait entendu une chose pareille.
- « Introduction », André Chastel, dans Traité de la Peinture (1987), Léonard de Vinci, éd. Calmann-Levy, 2003 (ISBN 2-7021-3378-9), p. 9
Les commentaires explicites de Max Ernst reportent aux observations fameuses de Léonard sur la valeur excitatrice des « taches » et la pratique du « rêve éveillé » pour déclencher l'inspiration, la mise au point des « frottages » et des superpositions rapides d'images d'une forte charge émotive. […] Une prolifération de motifs nouveaux et féeriques s'ajoute ainsi aux « inventions » désignées par Léonard dans ses notes, conformément à ses propres fantasmes : batailles, paysages, figures monstrueuses… Il est bon de préciser dans quel contexte exact, à quel moment de la démarche personnelle du peintre, ces « visions devant les taches naturelles » interviennent utilement pour Léonard, et les conséquences qu'il en tire – assez proches, en un sens, des superpositions surréalistes – dans la pratique du componimento inculto, l'« ébauche informe » à laquelle elles sont directement liées. […] Ce n'est pas seulement par luxe et coquetterie culturelle que Max Ernst reconnaît le rôle d'intercesseur joué par Léonard. Il y a une rencontre intéressante entre le peintre de Sainte Anne et celui de la Fiancée du vent, non seulement dans l'exposé des motifs et l'analyse du processus central, où l'on a vu ce que le second doit au premier, mais encore dans les effets : les « fonds » hallucinants de Sainte Anne et de Mona Lisa, glaciers lunaires glissant jusqu'à des plaines inhabitées, ont toujours eu aux yeux des poètes des propriétés irrésistibles de suggestion. […] pour mettre encore en cause un contemporain, Jacques Villon, stimulé par la vision mathématique du cosmos, et Max Ernst par les suggestions imaginatives, ne se rencontrent pas sans suggérer, comme une résultante amusante à prévoir, la figure de Marcel Duchamp : ses attentats fameux contre le « sourire » et la convention esthétique apparaissent comme la contrepartie d'une attitude – plus ambivalente qu'on ne le dit – envers l'étonnante partie d'échecs qu'est l'entreprise géante de Léonard et un certain art de capter l'insolite, que les modernes peuvent lui envier.
- « Introduction », André Chastel, dans Traité de la Peinture (1987), Léonard de Vinci, éd. Calmann-Levy, 2003 (ISBN 2-7021-3378-9), p. 13
Le rapport intime qui s'établit entre le savoir (scientifiquement organisé) et la peinture est au centre même de la pensée de Léonard. Il ne peut peindre un objet sans regarder l'ensemble.
Il ne regarde pas sans interroger. La nature ne peut être connue dans ses formes sans être comprise dans ses causes. Léonard échappe au naturalisme étroit – dans lequel il semble souvent prêt à s'enfermer – en le poussant à ses dernières conséquences. Dans ses déclarations de principe alternent la conviction qu'il faut adhérer à l'apparence et l'invitation pressante à remonter des phénomènes aux lois qui les gouvernent, comme si l'extrême abstraction (de type mathématique) devait se composer avec l'extrême concret de la figuration. D'où une autre oscillation caractéristique : il faut être un miroir, mais un miroir conscient.
- « Les principes », André Chastel, dans Traité de la Peinture (1987), Léonard de Vinci, éd. Calmann-Levy, 2003 (ISBN 2-7021-3378-9), p. 73
Sa sévérité est extrême, son mépris de l'art facile et creux constamment affirmé. Il sait fort bien à qui il en a et l'on n'a pas grand-peine, d'ordinaire, à identifier les victimes de sa rigueur et de sa lucidité. Mais, comme sur le plan philosophique, c'est la manière dont l'exigence scientifique et impersonnelle se compose avec le point de vue irrationnel et subjectif qui est l'aspect le plus attachant de sa démarche. On observe en effet dans certains cas, sous l'aisance à formuler les positions théoriques, une sorte d'hésitation à conclure, et dans d'autres il est clair que la réflexion objective ne fait que retarder – par une sorte de balancement voulu – l'affirmation qui se prépare et que Léonard jette parfois avec impatience à un auditeur imaginaire, à un contradicteur qui n'est autre que son moi critique. Le Traité ne comporte donc pas que des préceptes enchaînés par des raisonnements sans fissures.
- « Léonard critique », André Chastel, dans Traité de la Peinture (1987), Léonard de Vinci, éd. Calmann-Levy, 2003 (ISBN 2-7021-3378-9), partie Les problèmes du peintre, p. 97
Les études d'anatomie, de physiognomonie… de Léonard ont régulièrement alterné avec l'exploration des forces de la nature. Il n'ignore pas que la figure est l'objet essentiel de la peinture et il sait qu'on peut aller beaucoup plus loin qu'on ne l'a jamais fait dans la « magie de l'expression ». La forme humaine agit directement sur la sensibilité, et, convenablement exploitée, elle ouvre à l'art des registres d'effets prodigieux. Le peintre doit être le maître des « émotions » qu'il suscite à son gré.
- « L’homme et les passions », André Chastel, dans Traité de la Peinture (1987), Léonard de Vinci, éd. Calmann-Levy, 2003 (ISBN 2-7021-3378-9), partie Les problèmes du peintre, p. 147
« Toutes les parties d'un être vivant existent en relation avec le tout ». Cette totalité étant ainsi reconstituée et les conditions d'exercice de chaque membre étant connues, Léonard s'intéresse enfin aux diverses positions significatives de l'ensemble en mouvement : il a acquis, en somme, le moyen d'introduire de multiples variables dans la figure. Il sait faire jouer le facteur âge, le facteur tempérament; le peintre, sachant déployer les divers types de mouvement, dispose enfin d'un répertoire complet et cesse d'être limité par la monotonie d'une seule figure ou d'une position favorite. Le mouvement imperceptible des organes et des émotions viscérales est prolongé par le mouvement apparent des passions et toutes les formes d'activité qui se traduisent par des gestes. D'où le conseil impératif: « Ce que l'on peut découvrir de plus important dans les réflexions sur la peinture, ce sont les mouvements appropriés aux états d'âme de chaque créature vivante : désir, mépris, colère, pitié, etc. » Là encore les parallélismes de l'homme et de l'animal sont féconds. Les innombrables dessins de « types physiognomoniques » – appelés par les modernes : caricatures – sont des jeux spontanés, que l'on voit tourner à l'exercice utile.
- « L’homme et les passions », André Chastel, dans Traité de la Peinture (1987), Léonard de Vinci, éd. Calmann-Levy, 2003 (ISBN 2-7021-3378-9), partie Les problèmes du peintre, p. 148
Entretiens
[modifier] Ma réflexion a commencé par un porte-à-faux, le fonds français étant à reprendre à partir d’une expérience italienne complétée par une expérience britannique. Je suis allé très tôt en Angleterre, mes lectures favorites étaient plutôt les romans anglais, Virginia Woolf (qui n’était à ce moment-là pas traduite en français, que je sache), Joseph Conrad ; et les poètes anglais naturellement : je savais Keats par cœur. C’est sans doute l’esthétisme anglais d’un côté et l’expérience de l’art dans les cités italiennes qui ont dû me permettre petit à petit de dégager ce qui m’intéressait.
- « Entretien avec André Chastel », Françoise Levaillant et Hubert Tison, Histoire de l'art, vol. 12 nº 1, 1990, p. 8 (lire en ligne)
La culture classique m’est restée fondamentale, mais je l’ai complétée par la lecture des Italiens — Dante évidemment — et par un intérêt constant pour la littérature anglaise. Quand je suis malheureux, je prends Shakespeare, j’y trouve toujours quelque chose de précieux pour moi. La culture est, pour moi, faite de complémentaires.
- « Entretien avec André Chastel », Françoise Levaillant et Hubert Tison, Histoire de l'art, vol. 12 nº 1, 1990, p. 8 (lire en ligne)
L'historien de l'art doit être à la fois sensible et froid. Cela se décide dès l'enfance : une réponse à l'image et une réponse aux formes. « Amoureux de cartes et d'estampes...», comme dit le vers du poète. Il faut un « appareil psychique » particulier; de même en économie, certains voient d'emblée les ramifications cachées; et on n'est musicien que si on entre d'instinct dans le jeu complet de la musique. Mais il y a aussi une armature de concepts, des méthodes d'analyse, une technique du contrôle, qu'il faut posséder, dominer et faire jouer.
- « Entretien avec André Chastel », Françoise Levaillant et Hubert Tison, Histoire de l'art, vol. 12 nº 1, 1990, p. 16 (lire en ligne)
L'histoire de l'art me parait, en ce sens, une discipline plus utile que jamais. Nous sommes intoxiqués par la production visuelle et les médias. Si l'on ne crée pas des points de résistance et de contrôle critique, la soumission à la culture approximative fournie par les médias devient vite synonyme d'abêtissement. Voici mon sentiment personnel, après une longue expérience où il est entré beaucoup d'autocritique et de réflexion sur les méthodes acquises : les objets et ces « super objets » que sont les œuvres d'art nous sont indispensables pour authentifier notre connaissance du passé. Le conscient et le subconscient se mêlent comme nulle part ailleurs dans ce domaine.
- « Entretien avec André Chastel », Françoise Levaillant et Hubert Tison, Histoire de l'art, vol. 12 nº 1, 1990, p. 17 (lire en ligne)
L'histoire de l'art est à la fois archéologique et herméneutique. Grace à ces deux pôles, elle peut acquérir une certaine efficacité et, en particulier, corriger les illusions que nous devons souvent à la tradition littéraire et à la tradition écrite. L'investissement dans des images, dans des emblèmes, dans des symboles, dans des objets, n'est pas seulement indispensable aux sociétés humaines, il les rend « visibles » et par là, dans une certaine mesure intelligibles; et, de toute façon, soudain présents à travers des formes concrètes. Cette espèce de prodige qui enjambe générations, siècles et millénaires est ce qui fonde la discipline dont je parle.
- « Entretien avec André Chastel », Françoise Levaillant et Hubert Tison, Histoire de l'art, vol. 12 nº 1, 1990, p. 17 (lire en ligne)

[ Melencolia I ] cette image qui reste pour moi et pour tout le monde une des plus fortes, des plus mystérieuses, des plus riches de suggestions, parfois jusqu’au malaise, il y avait moyen de l’interpréter autrement que par des effusions littéraires. Ça c’est capital. J’ai dû me dire à ce moment là : mon petit ami, pas d’effusions littéraires, tu les réserveras à un autre secteur de ton activité. Par la recherche érudite, l’étude du contexte qui accompagne l’œuvre qui te fascine, tu vas non pas résoudre toute l'énigme mais entrer à l’intérieur. Autrement dit, il y a une recherche savante de dates, de chronologies, de milieux, de densité intellectuelle, si je puis dire, autour des œuvres qui t’intéressent, qui ne les démolit pas mais les enrichit et te permet de mieux circuler à l’intérieur de l’image, de justifier et de clarifier l'émotion qu’elle te donne.
- « Entretien avec André Chastel », Philippe Morel et Guy Cogeval, Revue de l'Art, vol. 93 nº 1, 1991, p. 79 (lire en ligne)
Citation choisie pour le 16 février 2022.
Citations rapportées
[modifier]Citations sur
[modifier]Sabine Frommel
[modifier]Adrien Goetz
[modifier]- Voir le recueil de citations : Adrien Goetz
C'est de manière indirecte, sans avoir l'air de parler de lui-même, au détour d'une phrase de la préface qu'il a donnée en 1980 au recueil de ses articles du Monde intitulé L'image dans le miroir, qu'André Chastel avoue qu'il a été « journaliste » : « toutes [ces chroniques], ou presque [ont été rédigées] sous le signe de l'urgence. […] En fait, tout dépend d'un mouvement réflexe dont la prévision, et dans une certaine mesure le contrôle, me semblent faire le journaliste ».
Chastel s'est fait journaliste, mais Chastel a aussi « fait le journaliste », comme on dit en Italie, en adhérant totalement aux règles de l'exercice. « C'est une gymnastique spéciale[n 1] » avait-il déclaré, dès 1947, à son ami Olivier Merlin, qui l'introduisait au Monde. Si la lecture des journaux est, comme on sait, la prière de l'homme moderne, l'écriture dans le journal fut-il l'exercice physique de l'historien de l'art, ses mouvements réflexes, sa gymnastique, sa barre fixe ?
- « André Chastel au miroir des journaux », Adrien Goetz, dans André Chastel : méthodes et combats d'un historien de l'art [actes de colloque, Institut national d'histoire de l'art et Collège de France, 29 novembre-1er décembre 2012], Sabine Frommel, Michel Hochmann et Philippe Sénéchal, éd. Picard, 2015 (ISBN 978-2-7084-0992-7), partie L’action publique, p. 63
Chastel a aimé profondément cette écriture de l'urgence […]. Mieux encore, la relecture continue de ses articles montre à quel point, par goût du jeu bien sûr, mais aussi pour défendre ce qui lui tient à cœur, Chastel a pleinement adhéré, en riant du frisson d'horreur des « spécialistes » sérieux, à toutes les formes du « journalisme ». […] Peut-être même dans la construction de ses livres « sérieux », dans son style universitaire, dans sa manière de faire une transition d'un chapitre à un autre, ou de ne pas en faire, on devine le reflet du Chastel des journaux. Ceux qui ont été ses élèves en Sorbonne se souviennent encore aujourd'hui d'un Chastel qui décrivait un artiste, un tableau, un chapiteau même, comme « attachant » : ils écoutaient alors, pendant une seconde, non plus le professeur, l'érudit, mais l'homme du journal du soir […]. Peut-être son écriture savante, qui a beaucoup évolué elle aussi […], s'est-elle modifiée au contact de cette pratique grisante et constante de l'écriture « journalistique ». Une pratique « sérieuse », elle aussi, du moins telle que Chastel l'a mise en œuvre – même si elle se passe de notes de bas de page et de bibliographie.
- « André Chastel au miroir des journaux », Adrien Goetz, dans André Chastel : méthodes et combats d'un historien de l'art [actes de colloque, Institut national d'histoire de l'art et Collège de France, 29 novembre-1er décembre 2012], Sabine Frommel, Michel Hochmann et Philippe Sénéchal, éd. Picard, 2015 (ISBN 978-2-7084-0992-7), partie L’action publique, p. 64
L'activité de Chastel journaliste n'est donc pas une activité annexe – il suffit de regarder le nombre de pages produites, ces 1500 articles ou plus, entre 1945 et 1988 […]. La lecture continue des quatre volumes qui recueillent le choix de ses articles du Monde prouve à quel point il ne s'agit en rien d'un prolongement de ses activités universitaires, d'une dérivation de ses activités prétendument « sérieuses » : c'est un métier, qu'il a exercé pleinement, en répondant à ses exigences et en respectant ses codes, c'est aussi une écriture. Dire que ce style a un impact sur ses livres n'est pas une exagération. […] De même que le cinéma, il le dit dans le film Un sentiment de bonheur, a attiré son regard sur les personnages secondaires dans la peinture ancienne, on peut formuler l'hypothèse que l'écriture pour le journal lui a permis d'envisager autrement l'écriture des livres et peut-être même celle des articles universitaires. […] Chastel n'a pas condescendu à se faire journaliste pour prolonger ses activités de professeur et de savant, il l'a été pleinement, par goût, et pour le plaisir d'écrire, de faire bref et de toucher.
- « André Chastel au miroir des journaux », Adrien Goetz, dans André Chastel : méthodes et combats d'un historien de l'art [actes de colloque, Institut national d'histoire de l'art et Collège de France, 29 novembre-1er décembre 2012], Sabine Frommel, Michel Hochmann et Philippe Sénéchal, éd. Picard, 2015 (ISBN 978-2-7084-0992-7), partie L’action publique, p. 70-71
Françoise Levaillant
[modifier]Claude Mignot
[modifier]- Voir le recueil de citations : Claude Mignot
Si l'on ne peut le définir comme historien de l'architecture (figure que notre époque vit émerger entre les archéologues et les historiens de l'art, dont il était alors le plus éminent), André Chastel a été beaucoup plus : il a été l’architecte du renouveau de notre discipline. Alors qu'en France la peinture domine le champ des arts dans l'enseignement, les musées, et l'édition, André Chastel a cherché à inverser cet habitus. Il a placé l'architecture au cœur de son magistère, comme professeur et comme directeur de recherches, et de manière plus exceptionnelle il fut le grand artisan du renouveau de ses structures institutionnelles majeures. Il a su créer et animer les lieux de son renouveau, en promouvoir les acteurs, en infléchir les méthodes.
- « André Chastel, un regard sur l’architecture », Claude Mignot, dans André Chastel : méthodes et combats d'un historien de l'art [actes de colloque, Institut national d'histoire de l'art et Collège de France, 29 novembre-1er décembre 2012], Sabine Frommel, Michel Hochmann et Philippe Sénéchal, éd. Picard, 2015 (ISBN 978-2-7084-0992-7), partie Chastel historien, p. 176
La relation d'André Chastel à l'architecture était toute affective, source de bonheur ou de souffrance. L'historien porte sur les édifices, sur les rues et les paysages un regard émerveillé par l'intelligence des compositions urbaines, qui semblent pourtant de hasard, ou désolé par la sottise de générations de béotiens ou de vandales. André Chastel aimait l'architecture, et il n'aimait rien tant que l'architecture in situ. Seul ou accompagné d'étudiants, de collègues, ou d'un enfant, il aimait lire les monuments et ces bibliothèques d'édifices que sont les villes.
- « André Chastel, un regard sur l’architecture », Claude Mignot, dans André Chastel : méthodes et combats d'un historien de l'art [actes de colloque, Institut national d'histoire de l'art et Collège de France, 29 novembre-1er décembre 2012], Sabine Frommel, Michel Hochmann et Philippe Sénéchal, éd. Picard, 2015 (ISBN 978-2-7084-0992-7), partie Chastel historien, p. 181
Carlo Pedretti
[modifier]Enquêteur passionné, capable de porter une attention scrupuleuse aux moindres détails d’une citation bibliographique – d’où l’idée gratifiante d’une recherche « millimétrique » -, André Chastel s’était approché de très près de Léonard. Et il en avait fait bien vite un objet d’enseignement, sachant qu’avec Léonard on n’a jamais fini d’apprendre.
- « André Chastel, « millimétrique » », Carlo Pedretti, dans André Chastel (1912 - 1990) : histoire de l'art & action publique, Sabine Frommel, Michel Hochmann et Sébastien Chauffour, éd. INHA, 2013 (ISBN 2-917902-21-3), p. 80 (lire en ligne)
L’entrée de Chastel dans le monde léonardien fut tout de suite saluée par les anciennes et nouvelles forces de la recherche. À mes débuts, en 1953, j’insistais moi aussi sur la nécessité d’une méthode dont Chastel venait de démontrer la validité : « Beaucoup reste encore à étudier », écrivais-je.
- « André Chastel, « millimétrique » », Carlo Pedretti, dans André Chastel (1912 - 1990) : histoire de l'art & action publique, Sabine Frommel, Michel Hochmann et Sébastien Chauffour, éd. INHA, 2013 (ISBN 2-917902-21-3), p. 81 (lire en ligne)
Roland Recht
[modifier] André Chastel a manifesté tôt son intérêt pour la Renaissance italienne. Il dira plus tard qu’« il y avait un conflit entre une curiosité qui attirait vers Botticelli, Léonard, Piero di Cosimo ou Brunelleschi, Bramante, et les impératifs radicaux du présent ». Cependant, pour un contemporain du Surréalisme, l’attrait pour Léonard et surtout pour Piero di Cosimo n’avait rien de surprenant. Tout comme le goût pour la magie et les sciences occultes.
- « L’image et le mot. André Chastel, historien de l’art. », Roland Recht, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 156e année, nº 4, 2012, p. 1736 (lire en ligne)