Paul Valéry

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Paul Valéry.

Paul Valéry (1871-1945) est un poète et philosophe français.

Citations[modifier]

Monsieur Teste[modifier]

La bêtise n'est pas mon fort.
  • Œuvres II, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. La soirée avec Monsieur Teste, p. 15


Trouver n'est rien. Le difficile est de s'ajouter ce qu'on trouve.
  • Monsieur Teste, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « L'Imaginaire », 1946, chap. La soirée avec Monsieur Teste, p. 19


L'expression d'un sentiment est toujours absurde.
  • Monsieur Teste, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « L'Imaginaire », 1946, chap. La soirée avec Monsieur Teste, p. 20


— Et le démon lui dit : donne-moi une preuve. Montre que tu es encore celui que tu as cru être.
  • Monsieur Teste, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « L'Imaginaire », 1946, chap. Quelques pensées de Monsieur Teste, p. 135


Eupalinos ou l’Architecte[modifier]

Charmes[modifier]

Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !

  • Le Cimetière marin
  • Œuvres I, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 147


Le vent se lève ! … Il faut tenter de vivre !
L’air immense ouvre et referme mon livre

  • Œuvres I, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 151


Patience, patience,
Patience dans l’azur !
Chaque atome de silence
Est la chance d’un fruit mûr !

  • Palme
  • Œuvres I, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 155


Le problème des musées[modifier]

Je n’aime pas trop les musées. Il y en a beaucoup d’admirables, il n’en est point de délicieux. Les idées de classement, de conservation et d’utilité publique, qui sont justes et claires, ont peu de rapport avec les délices.
  • Œuvres II, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 1290


Le Bilan de l'intelligence[modifier]

J'ai insisté (peut-être trop longuement) sur cet état critique, et je vous disais en substance qu'un désordre dont on ne peut imaginer le terme s'observe à présent dans tous les domaines. Nous le trouvons autour de nous comme en nous-mêmes, dans nos journées, dans notre allure, et jusque dans notre savoir.


Nous ne supportons plus la durée. Nous ne savons plus féconder l'ennui. Notre nature a horreur du vide, — ce vide sur lequel les esprits de jadis savaient peindre les images de leurs idéaux, leurs Idées, au sens de Platon.


De là cette impression générale d'impuissance et d'incohérence qui domine dans nos esprits, qui les dresse, et les met dans cet état anxieux auquel nous ne pouvons ni nous accoutumer, ni prévoir un terme. D'un côté, un passé, qui n'est pas aboli ni oublié, mais un passé duquel nous ne pouvons à peu près rien tirer qui nous oriente dans le présent et nous donne à imaginer le futur. De l'autre, un avenir sans la moindre figure. Nous sommes, chaque jour, à la merci d'une intervention, d'un accident, matériel ou intellectuel.


Toute l'histoire humaine, en tant qu'elle manifeste la pensée, n'aura peut-être été que l'effet d'une sorte de crise, d'une poussée aberrante, comparable à quelque-une de ces brusques variations qui s'observent dans la nature et qui disparaissent aussi bizarrement qu'elles sont venues. Il y a eu des espèces instables, et des monstruosités de dimensions, de puissance, de complication, qui n'ont pas duré. Qui sait si toute notre culture n'est pas une hypertrophie, un écart, un développement insoutenable, qu'une ou deux centaines de siècles aura suffit à produire et à épuiser ?


Tout se passe dans notre état de civilisation industrielle comme si, ayant inventé quelque substance, on inventait d'après ses propriétés une maladie qu'elle guérisse, une soif qu'elle puisse apaiser, une douleur qu'elle abolisse. On nous inocule donc, pour des fins d'enrichissement, des goûts et des désirs qui n'ont pas de racines dans notre vie physiologique profonde, mais qui résultent d'excitations psychiques ou sensorielles délibérément infligées. L'homme moderne s'enivre de dissipation. Abus de vitesse, abus de lumière, abus de toniques, de stupéfiants, d'excitants... Abus de fréquence dans les impressions ; abus de la diversité ; abus de merveilles ; abus de ces prodigieux moyens de déclenchement, par l'artifice desquels d'immenses effets sont mis sous les doigts des enfants. Toute vie actuelle est inséparable de ces abus.


L'espace libre et le temps libre ne sont plus que des souvenirs. Le temps libre dont il s'agit n'est pas le loisir tel qu'on l'entend d'habitude. [...]

Mais je dis que le loisir intérieur, qui est tout autre chose que le loisir chronométrique, se perd. Nous perdons cette paix essentielle des profondeurs de l'être, cette absence sans prix, pendant laquelle les éléments les plus délicats de la vie se rafraîchissent et se réconfortent, pendant laquelle l'être, en quelque sorte, se lave du passé, du futur, de la conscience présente, des obligations suspendues et des attentes embusquées...


Tout se borne à distribuer un savoir sans profondeur vivante, puisque nous admettons que nos vies publiques, nos rues, nos places soient déshonorées par des monuments qui offensent la vue et l'esprit ; que nos villes se développent dans le désordre, que les constructions de l'État ou des particuliers s'élèvent sans le moindre souci des exigences les plus simples du sentiment de la forme.


Mais cette fois, c'est notre sensibilité verbale qui s'est brutalisée, émoussée, dégradée... Le langage s'use en nous.

L'épithète est dépréciée. L'inflation de la publicité a fait tomber à rien la puissance des adjectifs les plus forts. La louange et même l'injure sont dans la détresse ; on doit se fatiguer à chercher de quoi glorifier ou insulter les gens !


Toutes les notions sur lesquelles nous avons vécu sont ébranlées. Les sciences mènent la danse. Le temps, l'espace, la matière sont comme le feu, et les catégories sont en fusion.

Quant aux principes politiques et aux lois économiques, vous savez assez bien que Méphistophélès en personne semble aujourd'hui les avoir engagés dans la troupe de son sabbat.


L'individu, c'est aussi la liberté de l'esprit. Or nous avons vu que cette liberté (dans son sens le plus élevé) devient illusoire par le seul fait de la vie moderne. Nous sommes suggestionnés, harcelés, abêtis, en proie à toutes les contradictions, à toutes les dissonances qui déchirent le milieu de la civilisation actuelle. L'individu est déjà compromis, avant même que l'État l'ait entièrement assimilé.


Variété[modifier]

Ce n'est qu'un jeu pour l'amateur de symétries historiques, c'est-à-dire imaginaires, que de démontrer que ces deux figures littéraires sont des figures semblables.
  • Œuvres I, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, chap. Villon et Verlaine, p. 427


Dans les domaines de la création, qui sont aussi les domaines de l'orgueil, la nécessité de se distinguer est indivisible de l'existence même.
  • Œuvres I (1924), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, chap. Situation de Baudelaire, p. 600


Le poète se consacre et se consume donc à définir et à construire un langage dans le langage.
  • Œuvres I (1924), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, chap. Situation de Baudelaire, p. 611


Mais un homme excité ne se paie pas de logique. Mon ami regardait mon calme comme un beau vase qui donne envie de le mettre en morceaux.
  • Œuvres I (1924), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, chap. Le coup de dés - Lettre au directeur des Marges, p. 623


Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.
  • Œuvres I, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, chap. La crise de l'esprit, première lettre, p. 988


J’ai la manie étrange et dangereuse de vouloir, en toute matière, commencer par le commencement (c’est-à-dire par mon commencement individuel), ce qui revient à recommencer, à refaire toute une route, comme si tant d’autres ne l’avaient déjà tracée et parcourue… Cette route est celle que nous offre ou que nous impose le langage. En toute question, et avant tout examen sur le fond, je regarde au langage ; j’ai coutume de procéder à la mode des chirurgiens qui purifient d’abord leurs mains et préparent leur champ opératoire. C’est ce que j’appelle le nettoyage de la situation verbale.
  • « Poésie et pensée abstraite » (1939), dans Œuvres I, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 1316


En vérité, il n’est pas de théorie qui ne soit un fragment, soigneusement préparé, de quelque autobiographie.
  • « Poésie et pensée abstraite » (1939), dans Œuvres I, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 1320
  • Variété III, IV et V, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 1944, chap. Poésie et pensée abstraite, p. 666


  • « Poésie et pensée abstraite » (1939), dans Œuvres I, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 13


  • « Poésie et pensée abstraite » (1939), dans Œuvres I, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 13


  • « Poésie et pensée abstraite » (1939), dans Œuvres I, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 13


Maintenant, sur une immense terrasse d'Elsinore, qui va de Bâle à Cologne, qui touche aux sables de Nieuport, aux marais de la somme, aux craies de Champagne, aux granits d'Alsace, — l'Hamlet européen regarde des millions de spectres. Mais il est un Hamlet intellectuel. Il médite sur la vie et la mort des vérités.
  • Europes, de l'Antiquité au 20° siècle (1919), Paul Valéry, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2000, chap. La crise de l'Esprit, p. 405 à 410


Et de quoi était fait ce désordre de notre Europe mentale ? - De la libre coexistence dans tous les esprits cultivés des idées les plus dissemblables, des principes de vie et de connaissance les plus opposés. C'est là ce qui caractérise une époque moderne.
je ne déteste pas de généraliser la notion de moderne et de donner ce nom à certain mode d'existence au lieu d'en faire un pur synonyme de contemporain. Il y a dans l'histoire des moments et des lieux où nous pourrions nous introduire, nous modernes, sans troubler excessivement l'harmonie de ces temps-là, et sans y paraître des objets infiniment curieux, infiniment visibles, des être choquants, dissonants, inassimilables. Où notre entrée ferait le moins de sensation, là nous sommes presque chez nous. Il est clair que la Rome de Trajan, et que l'Alexandrie des Ptolémées nous absorberaient plus facilement que bien des localités moins reculées dans le temps, mais plus spécialisées dans un seul type de mœurs et entièrement consacrées à une seule race, à une seule culture et à une seul système de vie.


Adieu, fantômes ! Le monde n'a plus besoin de vous. Ni de moi. Le monde, qui baptise du nom de progrès sa tendance à une précision fatale, cherche à unir aux bienfaits de la vie les avantages de la mort. Une certaine confusion règne encore, mais encore un peu de temps et tout s'éclaircira ; nous verrons enfin apparaître le miracle d'une société animale, une parfaite et définitive fourmilière.


Une première pensée apparaît. L'idée de culture, d'intelligence, d’œuvres magistrales est pour nous dans une relation très ancienne - tellement ancienne que nous remontons rarement jusqu'à elle - avec l'idée d'Europe.
Les autres parties du monde ont eu des civilisations admirables, des poètes du premier ordre, des constructeurs, et même des savants. Mais aucune partie du monde n'a possédé cette singulière propriété physique : le plus intense pouvoir émissif uni au plus intense pouvoir absorbant.
Tout est venu à l'Europe et tout en est venu. Ou presque tout.


- Mais l'Esprit européen - ou du moins ce qu'il contient de plus précieux - est-il totalement diffusible ? Le phénomène de la mise en exploitation du globe, le phénomène de l'égalisation des techniques et le phénomène démocratique, qui font prévoir une deminutio capitis de l'Europe, doivent-ils être pris comme décisions absolues du destin ? Ou avons-nous quelque liberté contre cette menaçante conjuration des choses ?
C'est peut-être en cherchant cette liberté qu'on la crée. Mais pour une telle recherche, il faut abandonner pour un temps la considération des ensembles, et étudier dans l'individu pensant, la lutte de la vie personnelle avec la vie sociale.


Mélange[modifier]

Le moi est haïssable... mais il s'agit de celui des autres.
  • Œuvres I (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, chap. Moralités, p. 325


Celui qui n'a pas nos répugnances nous répugne.
  • Œuvres I (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, chap. Moralités, p. 325


Chacune des qualités d'un esprit apporte des chances particulières d'erreur à la représentation du réel. Si tu es vif, le lent t'échappe.
  • Œuvres I (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, chap. Moralités, p. 327


Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion.
  • Œuvres I (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, chap. Instants, p. 376


Les vilaines pensées viennent du cœur.
  • Œuvres I (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, chap. Instants, p. 376


Regards sur le monde actuel[modifier]

Nous ne pensons que par hasard aux circonstances permanentes de notre vie ; nous ne les percevons qu'au moment où elles s'altèrent tout à coup.
  • Regards sur le monde actuel et autres essais (1945), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « folio/essais », 2019  (ISBN 978-2-07-032494-1), chap. Avant-propos, p. 10


Il n'y aurait qu'à jouir de ces beaux fruits de l'art historique et nulle objection ne s'élèverait contre leur usage, si la politique n'en était toute influencée. Le passé, plus ou moins fantastique, ou plus ou moins organisé après coup, agit sur le futur avec une puissance comparable à celle du présent même. Les sentiments et les ambitions s'excitent de souvenirs de lecture, de souvenirs de souvenirs, bien plus qu'ils ne résultent de perceptions et de données actuelles. Le caractère réel de l'histoire est de prendre part à l'histoire même. L'idée du passé ne prend un sens et ne constitue une valeur que pour l'homme qui se trouve en soi-même une passion pour l'avenir.
  • Regards sur le monde actuel et autres essais (1945), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « folio/essais », 2019  (ISBN 978-2-07-032494-1), chap. Avant-propos, p. 13


Le mot peuple, par exemple, avait un sens précis quand on pouvait rassembler tous les citoyens d'une cité autour d'un tertre, dans un Champ de Mars. Mais l'accroissement du nombre, le passage de l'ordre des mille à celui des millions, a fait de ce mot un terme monstrueux dont le sens dépend de la phrase où il entre ; il désigne tantôt la totalité indistincte et jamais présente nulle part ; tantôt le plus grand nombre, opposé au nombre restreint des individus plus fortunés ou plus cultivés...
  • Regards sur le monde actuel et autres essais (1945), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « folio/essais », 2019  (ISBN 978-2-07-032494-1), chap. Avant-propos, p. 15-16


Les plus instruits, les mieux placés peuvent même se dire, en évoquant ce qu'ils savent, en le comparant à ce qu'ils voient, que ce savoir ne fait qu'obscurcir le problème politique immédiat qui consiste après tout dans la détermination des rapports d'un homme avec la masse des hommes qu'il ne connaît pas. Quelqu'un de sincère avec soi-même et qui répugne à spéculer sur des objets qui ne se raccordent pas rationnellement à sa propre expérience, à peine ouvre-t-il son journal, le voici qui pénètre dans un monde métaphysique désordonné. Ce qu'il lit, ce qu'il entend excède étrangement ce qu'il constate ou pourrait constater. S'il se résume son impression : Point de politique sans mythe, pense-t-il.
  • Regards sur le monde actuel et autres essais (1945), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « folio/essais », 2019  (ISBN 978-2-07-032494-1), chap. Avant-propos, p. 18


Il n'y aura rien eu de plus sot dans toute l'histoire que la concurrence européenne en matière politique et économique, comparée, combinée et confrontée avec l'unité et l'alliance européenne en matière scientifique. Pendant que les efforts des meilleures têtes de l'Europe constituaient un capital immense de savoir utilisable, la tradition naïve de la politique historique de convoitise et d’arrière-pensées se poursuivait, et cet esprit de Petits-Européens livrait, par une sorte de trahison, à ceux mêmes qu'on entendait dominer, les méthodes et les instruments de puissance. La lutte pour des concessions ou pour des emprunts, pour introduire des machines ou des praticiens, pour créer des écoles ou des arsenaux - lutte qui n’est autre chose que le transport à longue distance des dissensions occidentales -, entraîne fatalement le retour de l’Europe au rang secondaire que lui assignent ses dimensions, et duquel les travaux et les échanges internes de son esprit l'avaient tirée. L'Europe n'aura pas eu la politique de sa pensée.
  • Regards sur le monde actuel et autres essais (1945), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « folio/essais », 2019  (ISBN 978-2-07-032494-1), chap. Avant-propos, p. 24


À cause des sangs très disparates qu'elle a reçus, et dont elle a composé, en quelques siècles, une personnalité européenne si nette et si complète, productrice d’une culture et d’un esprit caractéristiques, la nation française fait songer à un arbre greffé plusieurs fois, de qui la qualité et la saveur de ses fruits résultent d’une heureuse alliance de sucs et de sèves très divers concourants à une même et indivisible existence.
  • Regards sur le monde actuel, Paul Valéry, éd. Stock, 1931, chap. Introduction aux images de la France, p. 35


L'accomplissement de nos désirs ne nous éloigne pas toujours de notre perte.
  • Œuvres II, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Notes sur la grandeur et décadence de l´Europe, p. 931


Une guerre dont l´issue n'a été due qu'a l'inégalité des puissances totales des adversaires est une guerre suspendue.
  • Œuvres II, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Notes sur la grandeur et décadence de l´Europe, p. 931


L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines. L'Histoire justifie ce que l'on veut. Elle n'enseigne rigoureusement rien, car elle contient des exemples de tout et donne des exemples de tout.
  • Œuvres II, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. De l’histoire, p. 935


La politique fut d'abord l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. À une époque suivante, on y adjoignit l'art de contraindre les gens à décider sur ce qu'ils n'entendent pas.
  • Œuvres II, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Des partis, p. 947


L'historien fait pour le passé ce que la tireuse de cartes fait pour le futur. Mais la sorcière s'expose à une vérification et non l'historien.
  • Œuvres II, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Des partis, p. 948


L'existence des voisins est la seule défense des nations contre une perpétuelle guerre civile.
  • Œuvres II, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Des partis, p. 948


L'homme qui a un emploi, l'homme qui gagne sa vie et qui peut consacrer une heure par jour à la lecture, qu'il la fasse chez lui ou dans le tramway ou dans le métro, cette heure est dévorée par les affaires criminelles, les niaiseries incohérentes, les ragots et les faits les moins divers, dont le pèle-mêle et l'abondance semblent fait pour ahurir et simplifier grossièrement les esprits. Notre homme est perdu pour les livres... Ceci est fatal et nous n'y pouvons rien.

Tout ceci a pour conséquence une diminution réelle de culture, et en second lieu, une diminution réelle de la véritable liberté de l'esprit, car cette liberté exige au contraire un détachement, un refus de toutes ces sensations violentes ou incohérentes que nous recevons de la vie moderne, à chaque instant.

  • Paul Valéry, Regards sur le monde actuel
  • L'État culturel, essai sur une religion moderne, Marc Fumaroli, éd. Éditions de Fallois, 1992  (ISBN 2-253-06081-X), p. 283


Comme on voit communément des anarchistes dans les partis de l'ordre et des organisateurs dans l'anarchie, je suggère un reclassement. Chacun se classerait dans le parti de ses dons.
Il y a des créateurs, des conservateurs et des destructeurs par tempérament. Chaque individu serait mis dans son véritable parti, qui n'est point celui de ses paroles, ni de ses vœux, mais celui de son être et de ses modes d'agir et de réagir.

  • Regards sur le monde actuel (1931), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « idées », 1985  (ISBN 2-07-035009-6), chap. Des partis, p. 50


Le résultat des luttes politiques est de troubler, de falsifier dans les esprits la notion de l'ordre d'importance des questions et de l'ordre d'urgence.
Ce qui est vital est masqué par ce qui est de simple bien-être. Ce qui est d'avenir par l'immédiat. Ce qui est très nécessaire par ce qui est sensible. Ce qui est profond et lent par ce qui est excitant.
Tout ce qui est de la politique pratique est nécessairement superficiel.

  • Regards sur le monde actuel (1931), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « idées », 1985  (ISBN 2-07-035009-6), chap. Des partis, p. 51


Tel quel[modifier]

Il est des hommes dont l'oreille, toute saine qu'elle est, ne distingue pas les sons d'avec les bruits.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Choses tues, p. 481


Les petits faits inexpliqués contiennent toujours de quoi renverser toutes les explications des grands faits.
  • Œuvres II, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1984  (ISBN 2-07-010577-6), chap. Choses tues, p. 498


Le réveil fait aux rêves une réputation qu'ils ne méritent pas.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Moralités, p. 523


La richesse est une huile qui adoucit les machines de la vie.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Moralités, p. 526


Dieu créa l'homme, et ne le trouvant pas assez seul, il lui donne une compagne pour lui faire mieux sentir sa solitude.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Moralités, p. 541


Vieillir consiste à éprouver le changement du stable.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Moralités, p. 541


La vie est à peine un peu plus vieux que la mort.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Moralités, p. 542


Les livres ont les mêmes ennemis que l'homme : le feu, l'humide, les bêtes, le temps; et leur propre contenu.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Moralités, p. 546


Crois, ou je te tue éternellement.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Cahier B, p. 577


Le pouvoir sans abus perd le charme.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Cahier B, p. 587


Il est impossible de dire au Monde, au Corps : je ne veux rien de toi, mais ne veuille rien de moi.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Cahier B, p. 589


Le poème — cette hésitation prolongée entre le son et le sens.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Rhumbs, p. 637


On n'est jamais assez content de soi pour se livrer à fond.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Autres rhumbs, p. 689


Le sujet d'un ouvrage est à quoi se réduit un mauvais ouvrage.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Autres rhumbs, p. 679


Pamphlétaires, orateurs, violents, forcenés, qui vociférez, dites, ne sentez-vous jamais que tout homme qui crie est sur le point de faire semblant de crier ?
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Autres rhumbs, p. 689


Le plaisir qu'il y a à comprendre certains raisonnements délicats dispose l'esprit en faveur de leurs conclusions.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Autres rhumbs, p. 693


Par le moyen de l'homme, l'impossible presse sur le réel.
  • Œuvres II (1941), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Suite, p. 775


Entendez la parole la plus étrange : Il y aura des hommes après nous.
  • Œuvres II (1960), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Notes, p. 1428


Mauvaises pensées et autres[modifier]

Être soi-même!... Mais soi-même en vaut-il la peine?
  • Œuvres II (1942), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 811


Offense-moi, - pour me donner la force de te tuer.
  • Œuvres II (1942), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 826


Tous nos ennemis sont mortels.
  • Œuvres II (1942), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 834


Quand nous parvenons au but, nous croyons que le chemin a été le bon.
  • Œuvres II (1942), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 847


Un homme absorbé dans la plus profonde méditation. Son visage est vide, rien n'est écrit par ses traits. Comment peut-on être si loin de ce que l'on a de plus près?
  • Œuvres II (1942), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 863


Le simple est toujours faux. Ce qui ne l'est pas est inutilisable.
  • Œuvres II (1942), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 864


L´espoir fait vivre, mais comme sur une corde raide.
  • Œuvres II (1942), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 864


Nous avons de quoi saisir ce qui n'existe pas et de quoi ne pas voir ce qui nous crève les yeux.
  • Œuvres II (1942), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 866


L'homme de génie est qui m'en donne.
  • Œuvres II (1942), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 881


Le pauvre est le produit d'une transformation facile effectuée sur le riche; le riche, celui d´une transformation difficile effectuée sur le pauvre.
  • Œuvres II (1942), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 884


Un homme compétent est un homme qui se trompe selon les règles.
  • Œuvres II (1942), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 887


Proverbe pour les puissants: Si quelqu'un te léche les bottes, mets-lui le pied dessus avant qu'il ne commence à te mordre.
  • Œuvres II (1942), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 900


L'individu est la plus étrange création de l´homme.
  • Œuvres II (1942), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 905


Dieu a tout fait de rien. Mais le rien perce.
  • Œuvres II (1942), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 907


Il y a de la pauvreté d'esprit à être toujours d'accord avec soi-même.
  • Œuvres II (1960), Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, chap. Notes, p. 1503


Introduction à la méthode de Léonard de Vinci[modifier]

Je sentais que ce maître de ses moyens, ce possesseur du dessin, des images, du calcul, avait trouvé l’attitude centrale à partir de laquelle les entreprises de la connaissance et les opérations de l’art sont également possibles ; les échanges heureux entre l’analyse et les actes, singulièrement probables : pensée merveilleusement excitante. Mais pensée trop immédiate, — pensée sans valeur, — pensée infiniment répandue, — et pensée bonne pour parler, non pour écrire.
  • Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, Paul Valéry, éd. La Nouvelle Revue, 1919, chap. Notes et digressions, p. 11 (texte intégral sur Wikisource)


Si légèrement que je l’eusse étudié, ses dessins, ses manuscrits m’avaient comme ébloui. De ces milliers de notes et de croquis, je gardais l’impression extraordinaire d’un ensemble hallucinant d’étincelles arrachées par les coups les plus divers à quelque fantastique fabrication. Maximes, recettes, conseils à soi, essais d’un raisonnement qui se reprend ; parfois une description achevée ; parfois il se parle et se tutoie…

Mais je n’avais nulle envie de redire qu’il fut ceci et cela : et peintre, et géomètre, et…

Et, d’un mot, l’artiste du monde même. Nul ne l’ignore.
  • Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, Paul Valéry, éd. La Nouvelle Revue, 1919, chap. Notes et digressions, p. 12 (texte intégral sur Wikisource)


RCIN 912701, Trois emblèmes.
Il reste d’un homme ce que donnent à songer son nom et les œuvres qui font de ce nom un signe d’admiration, de haine ou d’indifférence.


C’est à l’univers qu’il songe toujours, et à la rigueur.
  • La rigueur est une allusion à la devise de Léonard de Vinci, Hostinato rigore ("Rigueur obstinée").


Citations rapportées[modifier]

Les recherches insensées sont parentes des découvertes imprévues.
  • Au sujet d’Eurêka (1921)


Citations sur Paul Valéry[modifier]

Dès son premier texte sur un peintre, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1894), le point de vue de Valéry est singulier. […] Il se penche sur Léonard, écrivain. […] Dans les Carnets de Léonard, Valéry cherche sa « méthode. »
  • « Peinture, poésie, pensée », Thomas Golsenne, dans Paul Valéry et les peintres : Courbet, Manet, Degas, Monet, Renoir, Matisse, Picasso ... [Exposition, Musée Paul Valéry, Sète, 2020-2021], Maïthé Vallès-Bled, éd. Loubatières, 2020  (ISBN 9782862667881), p. 40


Paul Valéry est un écrivain de fragments. S'il ne restait de lui, comme certains écrivains antiques, que des morceaux et que ce fussent les bons, on le prendrait pour un des génies du monde. Et c'est peut-être cela sa perfection.
  • Dictionnaire égoïste de la littérature française, Charles Dantzig, éd. Grasset, 2005, p. 646


Valéry est avant tout un voluptueux et tout son art est une attention voluptueuse. C'est l'esprit attentif à la chair et l'enveloppant d'une espèce de conscience épidermique, le plaisir atteint par la définition, tout un beau corps gagné, ainsi que par un frisson, par un réseau de propositions exquises.
  • Le poète et le shamisen (6.1926), in recueil L'oiseau noir dans le soleil levant, Paul Claudel, éd. Gallimard, 1929, p. 6


Si Valéry revenait parmi nous, que reconnaîtrait-il ? Le langage ? Les livres ? Les valeurs ? Verrait-il la formidable inversion de ces dernières et la doublure numérique du monde où le réel a été remplacé par son image ? Constaterait-il enfin la mort de notre civilisation ?

  • Solitude du témoin, Richard Millet, éd. Éditions Léo Scheer, 2015, p. 137


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