Aller au contenu

François-René de Chateaubriand

Une page de Wikiquote, le recueil des citations libres.
François-René de Chateaubriand

François-René, vicomte de Chateaubriand (Saint-Malo, 4 septembre 1768 - Paris, 4 juillet 1848) est un écrivain et homme politique français.

Citations

Essai sur les révolutions, 1797

Chaque âges
 est un fleuve qui nous entraîne selon le penchant des destinées quand nous nous y abandonnons. Mais il me semble que nous sommes tous hors de son cours. Les uns (les républicains) l'ont traversé avec impétuosité et se sont élancés sur le bord opposé. Les autres sont demeurés de ce côté-ci sans vouloir s'embarquer. Les deux partis crient et s'insultent, selon qu'ils sont sur l'une ou sur l'autre rive. Ainsi les premiers nous transportent loin de nous dans des perfections imaginaires, en nous faisant devancer notre âge, les seconds nous retiennent en arrière, refusent de s'éclairer, et veulent rester les hommes du XIVe siècle dans l'année 1797.

  • René ou la vie de Chateaubriand (1938), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 1956  (ISBN 2-246-18904-7), chap. III « L'Exil », III Le premier livre, p. 97


Voilà mon système, voilà ce que je crois. Oui, tout est chance, hasard, fatalité dans ce monde, la réputation, l'honneur, la richesse, la vertu même : et comment croire qu'un Dieu intelligent nous conduit ? Voyez les fripons en place, la fortune allant au scélérat, l'honnête homme volé, assassiné, méprisé. Il y a peut-être un Dieu, mais c'est le Dieu d'Epicure ; il est trop grand, trop heureux pour s'occuper de nos affaires.

  • René ou la vie de Chateaubriand (1938), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 1956  (ISBN 2-246-18904-7), chap. III « L'Exil », III Le premier livre, p. 100


Génie du christianisme, 1802

C'est une très méchante manière de raisonner que de rejeter ce qu'on ne peut comprendre.
  • Génie du christianisme (1802), François-René de Chateaubriand, éd. Flammarion, coll. « Garnier Flammarion », 1993  (ISBN 2-08-070104-5), t. 1, partie 1 « Dogmes et doctrines », chap. III « Des mystères chrétiens », Livre premier « Mystères et sacrements », p. 62 (texte intégral sur Wikisource)


Il a fallu que le christianisme vînt chasser ce peuple de faunes, de satyres et de nymphes, pour rendre aux grottes leur silence et aux bois leur rêverie.
  • Génie du christianisme (1802), François-René de Chateaubriand, éd. Flammarion, coll. « Garnier Flammarion », 1993  (ISBN 2-08-070104-5), t. 1, partie 2 « Dogmes et doctrines », chap. I « Que la Mythologie rapetissait la nature; que les Anciens n'avaient point de poésie proprement dite descriptive », Livre quatrième « Du merveilleux, ou de la poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels », p. 315 (texte intégral sur Wikisource)


Les sciences sont un labyrinthe où l'on s'enfonce plus avant au moment même où l'on croyait en sortir.
  • Génie du christianisme (1802), François-René de Chateaubriand, éd. Flammarion, coll. « Garnier Flammarion », 1993  (ISBN 2-08-070104-5), t. 1, partie 3 « Beaux-arts et littérature », chap. II « Chimie et histoire naturelle », Livre second « Philosophie », p. 416 (texte intégral sur Wikisource)


Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines.
  • Génie du christianisme (1802), François-René de Chateaubriand, éd. Flammarion, coll. « Garnier Flammarion », 1993  (ISBN 2-08-070104-5), t. 1, partie 3 « Dogmes et doctrines », chap. III, p. 881 (texte intégral sur Wikisource)


Mémoires d'Outre-Tombe, 1848

L'aristocratie a trois âges successifs : l'âge des supériorités, l'âge des privilèges, l'âge des vanités ; sortie du premier, elle dégénère dans le second et s'éteint dans le dernier.


Le vrai bonheur coûte peu ; s'il est cher, il n'est pas d'une bonne espèce.


Pourquoi faut-il que le plus grand crime et la plus grande gloire soient de verser le sang d'un homme ?


Frères d'une grande famille, les enfants ne perdent leurs traits de ressemblance qu'en perdant l'innocence, la même partout. Alors les passions modifiées par les climats, les gouvernements et les mœurs font les nations diverses ; le genre humain cesse de s'entendre et de parler le même langage : c'est la société qui est la véritable tour de Babel.


Il y a des temps où l’on ne doit dépenser le mépris qu’avec économie, à cause du grand nombre de nécessiteux.
  • Mémoires d'Outre-Tombe (1848), François-René de Chateaubriand, éd. Eugène et Victor Penaud Frères, 1849, tome 6 (troisième partie, livre 22, chapitre 16), p. 262 (texte intégral sur Wikisource)


En général, on parvient aux affaires par ce que l'on a de médiocre, et l'on y reste par ce que l'on a de supérieur. Cette réunion d'éléments antagonistes est la chose la plus rare, et c'est pour cela qu'il y a si peu d'hommes d’État.
  • Mémoires d'outre-tombe (1848), François-René de Chateaubriand, éd. Librairie Générale Française, coll. « Le livre de poche », 1973  (ISBN 2-253-01674-8), tome 2, p. 471


Les rois croient qu'en faisant sentinelle autour de leurs trônes, ils arrêteront les mouvements de l'intelligence ; ils s'imaginent qu'en donnant le signalement des principes ils les feront saisir aux frontières ; ils se persuadent qu'en multipliant les douanes, les gendarmes, les espions de police, les commissions militaires, ils les empêcheront de circuler. Mais ces idées ne cheminent pas à pied, elles sont dans l'air, elles volent, on les respire. Les gouvernements absolus, qui établissent des télégraphes, des chemins de fer, des bateaux à vapeur, et qui veulent en même temps retenir les esprits au niveau des dogmes politiques du quatorzième siècle, sont inconséquents ; à la fois progressifs et rétrogrades, ils se perdent dans la confusion résultante d'une théorie et d'une pratique contradictoires. On ne peut séparer le principe industriel du principe de la liberté ; force est de les étouffer tous les deux ou de les admettre l'un et l'autre.
  • Mémoires d'outre-tombe (1848), François-René de Chateaubriand, éd. Librairie Générale Française, coll. « Le livre de poche », 1973  (ISBN 2-253-01675-6), tome 3, p. 543


Quelle serait une société universelle qui n'aurait point de pays particulier, qui ne serait ni française, ni portugaise, ni italienne, ni russe, ni tartare, ni turque, ni persanne, ni indienne, ni chinoise, ni américaine, ou plutôt qui serait à la fois toutes ces sociétés ? Qu'en résulterait-il pour ses mœurs, ses sciences, ses arts, sa poésie ? Comment s'exprimeraient des passions ressenties à la fois à la manière des différents peuples dans les différents climats ? Comment entrerait dans le langage cette confusion de besoins et d'images produits des divers soleils qui auraient éclairé une jeunesse, une virilité et une vieillesse communes ? Et quel serait ce langage ? De la fusion de sociétés résultera-t-il un idiome universel, ou bien y aura-t-il un dialecte de transaction servant à l'usage journalier, tandis que chaque nation parlerait sa propre langue, ou bien les langues diverses seraient-elles entendues de tous ? Sous quelle règle semblable, sous quelle loi unique existerait cette société ? Comment trouver place sur une terre agrandie par la puissance d'ubiquité, et rétrécie par les petites proportions d'un globe fouillé partout ? Il ne resterait qu'à demander à la science le moyen de changer de planète.

  • Mémoires d’outre-tombe (1848), François-René de Chateaubriand, éd. Gallimard, coll. « Pléiade », 1976, t. II, p. 924


Propos rapportés de Chateaubriand

Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris, 1821
Souvent une corneille centenaire, antique Sibylle du désert, se tient seule perchée sur un chêne avec lequel elle a vieilli : là, tandis que ses sœurs font silence, immobile et comme pleine de pensées, elle abandonne aux vents des monosyllabes prophétiques.
  • Ces propos sont de Chateaubriand lui-même.
  • « Textes oubliés », Robert André, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 24


En 1831, Chateaubriand fulmine contre la monarchie bourgeoise « débiffée » de juillet [...].
L'égalité, en passant par l'État, secrète en effet une égalité qui lui est consubstantielle. Certes, la Restauration décorera-t-elle la France napoléonienne — la vraie, celle qui survit à travers tout le XIXe siècle — de « fictions » aristocratiques (le mot est de Chateaubriand). Les journées de juillet 1830 en emporteront les lambeaux dérisoires.
En Angleterre, en revanche, estime Chateaubriand, « l'esprit aristocratique a tout pénétré : tout est privilèges, associations, corporations. Les anciens usages, comme les antiques lois et les vieux monuments, sont conservés avec une espèce de culte. Le principe démocratique n'est rien; quelques assemblées tumultueuses qui se réunissent de temps en temps, en vertu de certains droits de comtés, voilà tout ce qui est accordé à la démocratie. Le peuple, comme dans l'ancienne Rome, client de la haute aristocratie, est le soutien et non le rival de la noblesse ». Il ajoute : « On conçoit, messieurs, que dans un pareil état de choses, la couronne n'a rien à craindre du principe démocratique ; on conçoit aussi comment des pairs de trois royaumes, comment des hommes qui auraient tout à perdre à une révolution, professent publiquement des doctrines qui sembleraient devoir détruire leur existence sociale: c'est qu'au fond, ils ne courent aucun danger. Les membres de l'opposition anglaise prêchent en sûreté la démocratie dans l'aristocratie ; rien n'est si agréable que se donner les discours populaires en conservant des titres, des privilèges et quelques millions de revenus. » On peut, à bon compte, être démocrate sans risque. Chateaubriand ne se prétendait-il pas « bourbonien par honneur » et « républicain par goût », mais aristocrate par la naissance et les manières ?

  • « Chateaubriand et l'Angleterre », Jean-Paul Clément, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 59


Rien n'est comparable pour la beauté aux lignes de l'horizon romain, à la douce inclinaison des plans, aux contours suaves et fuyants des montagnes qui le terminent. Souvent les vallées dans la campagne prennent la forme d'une arène, d'un cirque [...]. Les ombres ne sont jamais lourdes et noires ; il n'y a pas de masses si obscures de rochers et de feuillages, dans lesquelles ne s'insinue toujours un peu de lumière.
  • Ces propos sont de Chateaubriand lui-même.
  • « Aux origines des Mémoires d'Outre-tombe — Les beaux arts et le Voyage en Italie », Hans Peter Lund, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 73


« Les cavernes d'alentour retentirent » : c'est l'éternel Orphée descendu parmi l'éternelle sauvagerie des Enfers. Jamais prisonnier — l'intéressé s'en flatte avec quelque coquetterie — demanda-t-il un traité de métrique à ses bourreaux ? Mais comprendront-ils la leçon ? Chateaubriand se divertit du contraste entre sa situation objective et son incroyable liberté intérieure : juché sur son « trépied » (ce qui l'apparente à la Pythie), il s'abandonne avec délices à l'enfantement du poème, jusqu'à ce que tout à trac des huissiers fassent irruption au milieu d'un vers et l'« appréhendent au corps sur les rives du Permesse ». Retour brutal au réel, fuite de la Muse à tire d'ailes. La métaphore ornithologique s'impose : encagé, l'écrivain envie les moineaux, qui fréquentent même les cours de prison et se posent avec autant d'insouciance sur la guillotine que sur le rosier ; avec une cruelle ironie, il salue les acquis de Juillet : « Comme nous sommes libres maintenant ! comme j'étais libre surtout à ma fenêtre, témoin ce bon gendarme en faction au bas de mon escalier et qui se préparait à me tirer au vol s'il m'eût poussé des ailes ! »
Le seul moyen de s'élargir, dans la coercition qui lui est imposée, est soit de nier ce qui l'entoure, soit — dans la deuxième phase, adoucie, de son incarcération — de le magnifier en le mythologisant : des réminiscences anacréontiques voltigent dans le boudoir de Mademoiselle Gisquet, d'« agréables commis de la police » sont entrevus « comme de belles nymphes parmi des lilas » ; bref ; c'est Ovide à Paris (et presque déjà Proust...), et il est clair que Chateaubriand commence à trouver du plaisir à ce qui lui arrive, et du plaisir spécifiquement littéraire.

  • « Les prisons du poète », Philippe Berthier, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 71


Nous touchons en 1803-1804 aux racines du grand message artistique du XIXe siècle : « Le buste survit à la cité », dira Gautier, à propos du marbre. Tel un monument funéraire, les mémoires commémoreront les morts et le passé par des moyens artistiques. Chateaubriand, loin d'éviter le réel, le cultive et le transpose au niveau de l'art. N'a-t-il pas comparé le paysage de la campagne romaine à un tableau de Claude Lorrain ? N'a-t-il pas fait un tableau de la Villa Hadriana ? N'a-t-il pas étudié, en véritable artiste, le jeu des lumières et des couleurs sur le golfe de Naples ? Pourquoi ne pas alors, devant l'imminence de la mort, tenter de tout reprendre, se tourner vers le passé, et écrire ses Mémoires ? Chateaubriand emprunte à La Fontaine quelques mots pour illustrer cette idée : « Dans un âge avancé, lorsque la perspective que nous avions devant nous passe derrière, que nous sommes trompés sur une foule d'illusions, alors la nature devient plus froide et moins parlante, les jardins parlent peu. » C'est alors qu'il faut parler soi-même de ce qu'on a vu, tel Orphée après la disparition définitive d'Eurydice qui levait vers lui « des bras défaillants » comme le faisait Pauline mourante : « Heu! Non tua! Ce vers de Virgile est admirable de tendresse et de douleur. Malheur à qui n'aime pas les poètes ».
  • « Aux origines des Mémoires d'Outre-tombe — Les beaux arts et le Voyage en Italie », Hans Peter Lund, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 82


Ce n'est qu'au retour de l'exil en Angleterre, c'est-à-dire, au moment où commence une implication réelle dans l'Histoire, non plus seulement comme spectateur, mais comme acteur, que « le germe de René », jeté dans « le carrefour bruyant et souillé du monde » commencera à mûrir : « Je ne ramenais de la terre d'exil que des regrets et des songes ; [...] maintenant, entrant dans un âge plus fécond, le germe de René va se développer et des amertumes d'une autre sorte se mêleront à mon récit [...]. Je sors de l'asile virginal et silencieux de la solitude pour entrer dans le carrefour souillé et bruyant du monde ; le grand jour va éclairer ma vie rêveuse, la lumière pénétrer dans le royaume des ombres. »
  • « Dernier chant, dernier témoin », Maria-Concepcion Perez, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 88


Désormais, l'avenir n'existe plus, et l'Histoire n'est qu'un théâtre vide, dans lequel il ne reste plus qu'un seul spectateur « devant le rideau baissé, avec le silence et la nuit », un dernier témoin. Il ne reste plus qu'une société décadente qui se décompose, formée, souligne Chateaubriand par des « générations mutilées, dédaigneuses, sans foi, vouées au néant qu'elles aiment », qui, ajoute-t-il, « ne sauraient donner l'immortalité », car « nul son ne sort du cœur des morts ». Et c'est alors que le vieux René souhaiterait, comme le vieil Arabe du désert, l'insouciance d'une mort amnésique, « bercée du murmure de la vague », de la mer maternelle et originelle, au lieu du son douloureux du temps.
  • « Dernier chant, dernier témoin », Maria-Concepcion Perez, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 91


Seule la légitimité peut regarder la liberté en face
  • Burlet - La politique, ses vrais principes, Lucien Burlet, éd. Auguste Cote, Libraire, 1875, t. 1, chap. Burlet - La politique, ses vrais principes, p. 1-17 (texte intégral sur Wikisource)


Citations et propos rapportés concernant le talent de Chateaubriand

Dès les premières pages de Chateaubriand qui lui furent soumises, [Joubert] reconnut un grand écrivain. « Ce sauvage me charme, dit-il. Il faut le débarbouiller de Rousseau, d'Ossian, des vapeurs de la Tamise, des révolutions anciennes et modernes, et lui laisser la croix, les missions, les couchers du soleil en plein océan et les savanes de l'Amérique ; et vous verrez quel poète nous allons voir pour nous purifier des restes du Directoire, comme Epiménide, avec ses rites et ses vers, purifia jadis Athènes de la peste ».
  • René ou la vie de Chateaubriand (1938), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 1956  (ISBN 2-246-18904-7), chap. IV « Le Génie du Christianisme », II La petite société — « Atala », p. 124


Mme de Staël elle-même, bien qu'effrayée par le danger que représentait pour ses idées de perfectibilité humaine ce jeune champion du passé qui l'avait assez perfidement attaquée dans le Mercure, devint son amie ; elle ne pouvait résister à tant de gloire, et poussait le goût de la chasse au lion jusqu'à la volupté de se laisser dévorer.
  • René ou la vie de Chateaubriand (1938), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 1956  (ISBN 2-246-18904-7), chap. IV « Le Génie du Christianisme », II La petite société — « Atala », p. 132


D'autres auteurs le concernant

Si l'on adopte la ligne de partage très sommaire qui distingue les écrivains selon qu'ils doivent être lus avec les yeux ou avec la voix, on rangera sans aucun doute Chateaubriand dans la deuxième catégorie.
  • « L'homme de la mort — La présence du prédécesseur », Giovanni Macchia, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 9


Le mythe de Chateaubriand est d'essence aristocratique. Il est irrigué par une volonté d'affirmation ou de réaction : soit en rejetant les distinctions entre le beau et le laid, l'authentique et le faux, comme le proposait Sainte-Beuve, soit en repoussant les attaques, les offenses, les liquidations hâtives auxquelles Chateaubriand fut souvent exposé. Mythe aristocratique : respect de la cohérence. Il n'existait aucune divergence, aucun écart, aucune contradiction entre ses idées politiques, son sentiment religieux, le rôle qu'il joua dans l'histoire de son pays et la forme d'art qu'il cultiva et réalisa : une telle harmonie est en revanche introuvable, pour citer un contemporain, chez le Balzac monarchiste et légitimiste. Romantique au plein sens du terme, Chateaubriand ne dissimulait pas son admiration pour l'une des périodes les plus aristocratiques de la littérature française, le classicisme du Grand Siècle, en opposition à la prose sèche, économique et fonctionnelle des philosophes et des idéologues des Lumières.
  • « L'homme de la mort — Mythification de l'écrivain », Giovanni Macchia, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 10


Le mythe moderne et antibourgeois de Chateaubriand me semble reposer sur trois points : l'impopularité, l'élégance, l'amour du rêve. Très significative est une phrase cinglante à l'adresse de l'académicien Villemain, liquidateur hâtif de la personnalité du vicomte : « Les Villemain — écrit Baudelaire — ne comprendront jamais que les Chateaubriand on droit à des immunités et à des indulgences auxquelles tous les Villemain de l'humanité ne pourront jamais aspirer. » [...] En son essence, la nature aristocrate du mythe de l'écrivain reste inaccessible à l'homme du commun. Ainsi la figure de Chateaubriand vague-t-elle dans l'irrationnel, au-delà de la critique et de l'analyse. Il n'y a pas moyen de le réduire à un détail, à un geste inadéquat, à une parole inopérante. Aucune attaque ne l'effleure. Le vieux dandy, le père du dandysme, le grand gentilhomme de la décadence, accède en littérature à une domination qui s'exerce sur le même plan que le pouvoir politique et militaire. Il fut placé à la même hauteur que son superbe adversaire, Napoléon.
  • « L'homme de la mort — Mythification de l'écrivain », Giovanni Macchia, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 11


Pour lui, l'Angleterre incarne le temps qui féconde, déplace sans détruire et sait même honorer la caducité qu'elle ne voit point comme une entrave, mais le dépôt précieux des âges et la victime honorable de la « conjuration des temps » — formule qui lui est chère —, une sorte d'humus où s'épanouit la double aristocratie des familles et des hommes d'exception, de la terre et du génie, toutes deux bénéfiques, qui font de la propriété de quelques-uns un gage de stabilité sans laquelle il n'y a point de liberté, et de l'orgueil né de l'exception la source d'un renouvellement de la pensée, du langage et des mœurs.
  • « Chateaubriand et l'Angleterre », Jean-Paul Clément, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 60


Pour un regard capable de prendre du recul et d'observer les autres comme des insectes, en faisant abstraction de la contrariété personnelle, il y a [...] quelque-chose de divertissant à voir les sbires, fouillant l'appartement suspect, se demander à voix basse si le grand sabre de mamelouck qu'il a rapporté de ses voyages constitue un péril pour la sûreté de l'État ; ou le geôlier s'imaginer qu'il révèle le nom d'un de ses complices lorsqu'il réclame un Gradus ! Cette police est moins méchante qu'obtuse, comme ceux qui l'emploient. Même à ses échelons supérieurs, elle s'empêtre dans de risibles contradictions : ce régime sait tellement qu'il est né sans légitimité constitutionnelle qu'il en rajoute dans le juridisme pour faire oublier sa douteuse origine ; Chateaubriand se moque du soin exagéré qu'il met à respecter les formes de la loi, après en avoir violé la substance.
  • Il est ici question de Chateaubriand et de son incarcération.
  • « Les prisons du poète », Philippe Berthier, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 67


Autour de Chateaubriand, inébranlable et semper idem, se déploie tout l'arsenal, congénital au système qui a triomphé en 1830, de la mauvaise foi et du mensonge, ici révélé non seulement dans l'absurde hypocrisie de l'appareil judiciaire, mais dans les déguisements carnavalesques des exécuteurs de ses basses œuvres : le vicomte assiste au retour des mouchards, venus rendre compte des faits et gestes de la nuit, dans leurs travestis dérisoires (faux marchands de salade, faux joueurs d'orgue, faux invalides), à grand renfort de perruques maladroites ; toute une cour des miracles sinistrement bouffe, surgie de l'ombre, dont l'accoutrement pue le théâtre sordide et les coups tordus. Ce que confirme ce sabbat de pauvres fantômes bientôt dissipés par le jour, c'est le truquage généralisé du monde qui les suscite. Philippe fait semblant d'être roi, ses recors font semblant d'être chiffoniers ; postiches partout.
  • « Les prisons du poète », Philippe Berthier, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 67


Avec une totale sincérité, qui coïncide aussi avec un art consommé de se forger un personnage imaginairement — littérairement — « rentable », devant le désordre établi de Juillet, Chateaubriand se dresse en homme du Non définitif. Il veut déjà être pour Philippe ce que voudra être Hugo pour Napoléon le petit : celui qui empêche de dormir, l'inassimilable, l'indigérable (dans un régime qui est essentiellement digestion), la fausse note têtue de la Conscience (et du Génie, par la même occasion) dans le concert de l'adulation intéressé. S'il n'en reste qu'un, ce sera lui et, de ce point de vue, en commettant la bourde magistrale de l'arrêter, le pseudo-souverain félon lui offre le plus merveilleux des cadeaux: la palme du martyre. C'est presque trop beau : la prison était justement ce qui lui manquait pour donner le coup de ciseau final à sa statue de Grand Résistant. Aussi ne peut-on douter de l'intense satisfaction qu'il éprouve en secret à se voir ainsi maltraité. Tout se déroule dès lors selon un plan parfaitement mis au point, où son rôle est tracé d'avance, à la Plutarque (quel épisode soigneusement programmé pour une postérité avide de senilia exemplaires : le plus illustre écrivain français, sexagénaire de surcroît, traîné comme un malfaiteur sur la paille humide des cachots... Digne de l'antique). Récusant, dans son essence même, le pouvoir qui veut le placer hors d'état de nuire, Chateaubriand, docile physiquement, manifeste une rebellion morale intraitable face aux manœuvres émanant d'une instance politique pour lui nulle et non avenue. Lorsqu'on le questionne, il refuse de répondre et de signer quoi que ce soit (attitude dont il note, non sans complaisance, qu'elle a fait école depuis auprès de plusieurs républicains poursuivis), arguant avec une parfaite dignité, à la fois naturelle et très étudiée, qu'il ne reconnaît pas un gouvernement qui n'a pour lui ni l'ancien droit héréditaire, ni l'élection du peuple, puisque la France n'a point été consultée et qu'aucun congrès national n'a été assemblé.
  • « Les prisons du poète », Philippe Berthier, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 68


Le dernier des purs dans un monde vendu, il restera la vox claman in deserto, le prophète maigre et nu prêchant en vain une parousie que personne n'attend plus.
Reste qu'au-delà de l'insoumission instantanée, la seul manière efficace de renverser à son profit le rapport de force, l'arme absolue du (provisoirement) faible est évidemment l'écriture. Sa fonction restauratrice (c'est le cas de le dire) de justice et de vérité, mais aussi libératrice, s'affirme avec une force particulière lorsque l'imposture régnante paralyse le corps de ses antagonistes. L'écrivain retenu dans les chaînes — fussent-elles, comme ici, toutes métaphoriques — témoigne pour l'inaliénable souveraineté d'un principe spirituel. La Préfecture de police se voit ainsi, par la grâce de son hôte forcé, transfigurée en laboratoire de littérature en soi, elle est déjà littérature, et pas la meilleure : son arsenal de clefs, de grilles, ses échos glaçants de pas sur les dalles suintantes d'immenses corridors, renvoient au bric à brac du roman « gothique », de même que la nudité, la saleté de la cellule, son « meuble infâme », ses graffiti [...] répondent aux canons d'un topos misérabiliste qui ne manque jamais d'être exploité par les feuilletons populaires, au cours d'un épisode d'embastillement rigoureusement incontournable et non moins convenu. Or tout se passe comme si, très vite, Chateaubriand se débarrassait de ce décor bon marché pour s'évader intérieurement, grâce à la poésie, vers des régions sublimes, inaccessibles aux cerbères qui l'ont sous bonne garde. Son premier soin, à peine bouclé, est de se nettoyer le corps (et l'âme) de toute cette souillure primaire en faisant le ménage avec une bonne humeur inattendue, et l'étrange sentiment d'un regain de jeunesse : après avoir procédé à ses ablutions et rangé ses petites affaires, Chateaubriand n'a plus l'impression d'être dans un bouge, mais « dans la cabine d'un vaisseau » ; le voilà en partance pour une traversée immobile, sur l'océan du souvenir et du songe ; le rite lustral lui a redonné ses vingt ans : il saute sur la table comme un jeune homme pour regarder par son hublot (hélas, aucune vue: on n'est pas à la tour Farnèse) ; il se retrouve magiquement revenu en arrière, démuni comme dans son galetas londonien, lorsque flottaient dans sa tête les premiers rêves de René. Et aussitôt, pour estampiller l'authenticité de cette expérience régénératrice, il reçoit la récompense réservée aux poètes pauvres : la visite rayonnante de la Muse, qui vient tout inspirée embrasser son favori. Lorsque la vie débarrasse de l'inessentiel par lequel elle se laisse trop souvent encombrer, elle redonne toutes ses chances à la création : si quelqu'un a jamais été persuadé qu'en art « qui perd gagne », c'est bien Chateaubriand.

  • « Les prisons du poète », Philippe Berthier, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 70


La prison chateaubrianesque est hantée de hautes figures tutélaires de poètes au cachot : non seulement Cervantes, mais le pauvre Lovelace et surtout le plus emblématique de tous pour l'imaginaire collectif, le Tasse (liste à laquelle il faut ajouter, implicitement, Silvio Pellico et peut-être Chénier). [...] il existe, mutatis mutandis, une solidarité de fond, touchant aux enjeux les plus importants, entre tous les artistes qui ont peu ou prou à pâtir de la criminelle ou imbécile oppression des puissants ; vieille histoire toujours recommencée, haine immémoriale de la matière pour l'Esprit. Chateaubriand sait que, de toute légitimité (et, pour une fois, dans tous les sens du terme...), il appartient à cette famille des « immortelles victimes » — de l'immortalité mortelle des civilisations et des bibliothèques... —, et entre de plain pied dans le martyrologe. Ce qu'il a dû affronter a été à la taille de la modernité : c'est-à-dire incurablement médiocre. Mais, pour lui comme pour ses frères plus héroïques, il s'agissait bien de défendre, pour démarquer André Breton, le même « infracassable noyau » de sens.

  • « Les prisons du poète », Philippe Berthier, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 72


Dans le récit de ses prisons, Chateaubriand peut [...] se donner les gants de ne pas lâcher à fond les grandes orgues outragées, voire de se divertir sous cape : ses adversaires ne sont pas seulement ignobles, ils sont bêtes. Le combat est trop inégal : il méritait mieux. Dans la fadeur de la monarchie de Juillet, on en viendrait presque à regretter l'Empire...
Avec l'Autre, au moins, l'empoignade signifiait, et puissamment. Mais avec le Prudhomme couronné, ce mode gélatineux du non-être ?

  • « Les prisons du poète », Philippe Berthier, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 73


Tout relève des beaux-arts pour le regard de Chateaubriand. Même si le Voyage en Italie n'est pas Atala — le genre littéraire est complètement différent — le récit de voyage témoigne dans quelques rares passages du désir de l'écrivain de s'aventurer personnellement dans le domaine des arts plastiques : « Si j'étais Raphaël, je ferais un tableau », dit-il en admirant une jeune femme qui « ressemble à une Madone » ; quant aux femmes de Rome, ce sont presque « des statues antiques de Junon ou de Pallas, descendues de leur piédestal ». Toujours l'œil d'artiste qui associe au monde de l'art les choses vues et cherche à dessiner leurs équivalents épurés dans l'écriture littéraires.
  • « Aux origines des Mémoires d'Outre-tombe — Les beaux arts et le Voyage en Italie », Hans Peter Lund, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 79


[...] ce n'est pas la femme, jamais atteinte, mais le père, le grand générateur de silence à Combourg. Son mouvement vital automatisé est réglé par le son répété et identique de l'horloge, et, figure de mort, il projette le vide et l'incommunication autour de lui. Déjà le château lui-même est un immense tombeau, dont la construction intérieure rappelle celle de la grande pyramide. Espace retentissant, il subsume la sonorité potentielle en silence absolu, de la même façon qu'il absorbe en obscurité toute possibilité de lumière. La métonymie de l'Histoire, à partir de la figure castratrice du père est assez évidente, car le château est le symbole spatial d'un âge révolu.
  • Il est ici question de la jeunesse de Chateaubriand à Combourg.
  • « Dernier chant, dernier témoin », Maria-Concepcion Perez, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 87


Le manque du toi, dans lequel se réalise l'expérience existentielle, configure déjà ce que Chateaubriand lui-même désigne comme « le germe de René », principe de déchirure qui donnera un fruit douloureux.
Mais dans le silence, il y a toute une ambiguïté, car en même temps qu'il témoigne d'un manque, il est signifiant de pureté et il mène à la découverte d'un certain bonheur dans le repliement sur soi (voilà sans doute le sens de la « joie effrayée » ressentie par Chateaubriand dans la remémoration de son arrivée à Combourg). Le bruit de l'Histoire est alors un bruit menaçant, en tant qu'il est produit par un monde qui s'écroule à partir de l'expérience révolutionnaire.

  • Il est ici question de la jeunesse de Chateaubriand à Combourg.
  • « Dernier chant, dernier témoin », Maria-Concepcion Perez, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 87


Aux époques de plénitude ontologique, le moi « se suffit à soi-même, comme Dieu ». Aux époques de défaillance, vide de substance, le moi part à la recherche d'une matière qui puisse le combler ou le soutenir.
Aucun mouvement littéraire n'a vécu comme le premier romantisme cette expérience de la défaillance ontologique. Personne mieux que Chateaubriand n'a su exprimer cette situation. Dès le début de son Essai sur les révolutions, l'écrivain construit un point de vue qui soutiendra, tout au long de son œuvre, le tissu métaphorique du vide en fluence qui signifie cette insuffisance d'être.

  • « Moi, métonymie, histoire », Javier del Prado, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 108


La morphologie du vide apparaît toujours, dans le texte de Chateaubriand liée au spectre mythique de la faute ; et je ne peux résister ici à la tentation de l'étymologie, où l'expérience de la faute est reliée à l'expérience du manque.
  • « Moi, métonymie, histoire », Javier del Prado, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 108


[Chateaubriand] naît à la noblesse — sa raison d'être — juste après la mort de celle-ci.
  • « Moi, métonymie, histoire », Javier del Prado, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 108


Le moi est en défaut parce que le présent, qui devrait fonder l'être dans son immanence, n'est qu'un point de repère pour regarder vers le passé ou le futur, à la seule fin de se rassasier dans l'expérience du manque [...].
L'ontologie de Chateaubriand se construit toujours à la croisée de ces deux constantes: le futur qui n'existe pas, utopique, même quand on a du devenir ; le passé qui n'existe pas davantage, funèbre.

  • « Moi, métonymie, histoire », Javier del Prado, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 109


L'un et l'autre sont sans doute semblables à ces deux poissons décrits par John Ruskin dans son Journal : le premier « se tient en équilibre dans l'eau par un battement régulier des nageoires pectorales. Il ne reste jamais tranquille, mais il n'est jamais agité » ; le second, en revanche, « gît lové au fond de la cuvette » mais, poursuit Ruskin, « si je touche à la cuvette, si, d'une manière ou d'une autre, je dérange son sens de la propriété, le voilà soudain dans les quatres coins de la cuvette à la fois, volant comme un fou, fouettant, filant comme une flèche, sautant, se renversant, et m'aspergeant le visage à chaque mouvement: une véritable explosion de furie ». Mario Praz, de son côté, voyait dans cette comparaison l'illustration possible de deux tempéraments esthétiques, classique et romantique. Or, la tentation est vive de confondre ici les caractères humains suggérés par Ruskin avec les tempéraments littéraires déduits par Praz, et de situer Joubert et Chateaubriand de part et d'autre du nouveau siècle : le premier goûterait ainsi les feux mourants du classicisme, et figurerait alors cet « honnête homme » cher au Grand Siècle, tandis que le second consommerait avec ardeur les énergies propres de ce début du XIXe siècle.
  • « Chateaubriand et Joubert — En regard d'une amitié », Jean-Paul Corsetti, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 133


Certaines pages de Joubert respirent les aubes du romantisme et Chateaubriand, le fervent d'« orages désirés » se livre bien, dans son Génie du christianisme, aux accords inquiets de « cet instrument harmonieux dont les auteurs du siècle de Louis XIV se servaient pour trouver le ton de leur éloquence ». Les classifications d'école sont trompeuses et le vrai génie leur échappe.
  • « Chateaubriand et Joubert — En regard d'une amitié », Jean-Paul Corsetti, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 134


Vallon ombreux de ce paysage auquel Chateaubriand allait donner son trop-plein de clarté apollinienne, les Carnets privilégient l'écriture du fragment, la fugue ou l'ellipse. Ils obéissent à une économie de la rétention ainsi qu'au souci d'une expression minimaliste que Joubert formule ainsi : « Tourmenté par la maudite ambition de mettre toujours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot. C'est moi. »
  • « Chateaubriand et Joubert — En regard d'une amitié », Jean-Paul Corsetti, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 135


Là où Joubert souhaita donner de l'âme aux choses — « Nul n'est bon, ne peut être utile et ne mérite d'être aimé, s'il n'a quelque chose de céleste, soit dans l'intelligence par des pensées, soit dans la volonté par des affections qui sont dirigées vers le ciel. » —, Chateaubriand y vit de définitifs avènements, des signes du ciel, des édens à portée d'encre, mais aussi, vraisemblablement, d'austères miroirs qui le renvoyaient à la perte la moins avouable de lui-même.
  • « Chateaubriand et Joubert — En regard d'une amitié », Jean-Paul Corsetti, Chateaubriand — Revue Littéraire Europe (ISSN 0014-2751), nº 775-776, Novembre-décembre 1993, p. 137


Vous pouvez également consulter les articles suivants sur les autres projets Wikimédia :