Frithjof Schuon

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Schuon vers 1990

Frithjof Schuon, né le à Bâle et mort le à Bloomington (Indiana), aux États-Unis, est un métaphysicien suisse inspiré initialement par René Guénon, Adi Shankara, Platon, Ahmad al-Alawi et Maître Eckhart. Figure importante de l'école de pensée « pérennialiste », il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages en français sur la métaphysique, la spiritualité, le phénomène religieux, l'anthropologie et l'art. Il est également poète et peintre.

« Tout a déjà été dit, et même bien dit ; mais il faut toujours à nouveau le rappeler, et en le rappelant, faire ce qui a toujours été fait : actualiser dans la pensée les certitudes contenues, non dans l'ego pensant, mais dans la substance transpersonnelle de l'intelligence humaine.
F. Schuon, Introduction, Forme et substance dans les religions, L'Harmattan, 2012, p. 8 »


Être humain[modifier]

Origine[modifier]

L'homme originel ne fut pas un être simiesque à peine capable de parler et de se tenir droit ; ce fut un être quasi immatériel, enfermé dans une aura encore céleste mais déposée sur la terre, semblable au « char de feu » d'Élie et au « nuage » qui enveloppa le Christ lors de l'ascension. C'est dire que notre conception de l'origine du genre humain se fonde sur la doctrine de la projection des archétypes ab intra ; notre position est donc celle de l'émanationnisme classique – dans le sens néoplatonicien ou gnostique du terme – lequel évite l'écueil de l'anthropomorphisme tout en s'accordant avec la conception théologique de la creatio ex nihilo. L'évolutionnisme, lui, est la négation même des archétypes et par conséquent de l'Intellect divin ; c'est donc la négation de toute une dimension du réel, celle de la forme, du statique, de l'immuable ; concrètement parlant, c'est comme si on voulait faire un tissu avec la seule trame, en omettant la chaîne.


Un exemple classique du dogme naïf est l'histoire biblique de la création, puis celle du premier couple humain : si nous sommes des sceptiques, nous nous heurtons à l'infantilisme du mot-à-mot, mais si nous sommes des intuitifs – et tout homme devrait l'être – nous sommes sensibles aux vérités irréfutables des images ; nous sentons que nous portons ces images en nous-mêmes, qu'elles ont une validité universelle et intemporelle. La même remarque s'applique aux mythes et même aux contes de fées : décrivant les principes – ou des situations – qui concernent l'univers, ils décrivent en même temps des réalités psychologiques et spirituelles de l'âme ; et en ce sens on peut dire que les symbolismes de la religion ou de la tradition populaire sont pour nous d'expérience courante, à la surface et en profondeur.
  • Approches du phénomène religieux, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1984, p. 66


Il ne faut pas se lasser de l'affirmer : l'origine de la créature n'est pas une substance du genre de la matière, c'est un archétype parfait et immatériel : parfait et par conséquent sans nul besoin d'évolution transformante ; immatériel et par conséquent ayant son origine dans l'Esprit et non dans la matière. Certes, il y a trajectoire ; celle-ci va, non à partir d'une substance inerte et inconsciente, mais à partir de l'Esprit – matrice de toutes les possibilités – au résultat terrestre, la créature ; résultat jailli de l'invisible à un moment cyclique où le monde physique était encore beaucoup moins séparé du monde psychique qu'aux périodes plus tardives et plus « durcissantes ». Quand on parle traditionnellement de creatio ex nihilo, on entend par là, d'une part que les créatures ne dérivent pas d'une matière préexistante, et d'autre part que l' « incarnation » des possibilités ne saurait affecter en rien l'immuable plénitude du Principe.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 22


Déiformité[modifier]

Dire que l'homme est « fait à l'image de Dieu » signifie qu'il représente une subjectivité centrale, non périphérique, et par conséquent un sujet qui, émanant directement de l'Intellect divin, participe en principe à la puissance de celui-ci ; l'homme peut connaître tout ce qui est réel, donc connaissable, sans quoi il ne serait pas cette divinité terrestre qu'il est en fait.
  • De l'unité transcendante des religions, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2014, p. 166


C’est dans la nature théomorphe de l'homme de ne pas pouvoir être, en tant qu'homme et dans l'intention créatrice, quelque chose de fragmentaire ou d'inachevé – ce qui coupe court aux absurdités de l'évolutionnisme transformant –, donc de devoir être quelque chose qui est tout, et qui ne serait rien s'il n'était pas tout ; et c'est en ce sens qu'on a pu dire que la vocation fondamentale de l'homme est de « devenir ce qu'il est ».
  • Approches du phénomène religieux, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1984, p. 21-22


L'homme est une manifestation divine, non dans son accidentalité et sa déchéance, mais dans son théomorphisme et sa perfection primordiale et principielle. Il est le « lieu de manifestation » de l'intellect, qui reflète l'Esprit universel et par là même l'Intellect divin ; l'homme comme tel reflète la totalité cosmique, la Création, et par là même l'Être de Dieu.
  • Les stations de la sagesse, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2011, p. 79


La liberté morale et l’objectivité intellectuelle constituent a priori la déiformité de l’homme.
  • Approches du phénomène religieux, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1984, p. 21


Spécificités[modifier]

L'être humain, de par sa nature, est condamné au surnaturel.
  • Sur les traces de la religion pérenne, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1982, p. 39


Intelligence objective, volonté libre, âme vertueuse : ce sont ces trois prérogatives qui constituent l'homme.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 103


La double mission de l'homme : connaître l'Absolu à partir du contingent, et manifester le premier dans le second.
  • Approches du phénomène religieux, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1984, p. 9


On a dit que l'homme est un animal raisonnable, ce qui, tout en étant insuffisant et malsonnant, n'est pas dépourvu de sens : en effet, la faculté rationnelle indique la transcendance de l'homme par rapport à l'animal. L'homme est raisonnable parce qu'il possède l'intellect, qui par définition est capable d'absolu et par conséquent de sens du relatif, et il possède l'intellect parce qu'il est déiforme ; il le montre d'ailleurs physiquement par sa forme corporelle et sa forme crânienne, de même que par sa position verticale, puis par le langage et par la capacité productrice. L'homme est une théophanie, par sa forme autant que par ses facultés.


Une des clefs pour la compréhension de notre vraie nature et de notre destinée ultime est le fait que les choses terrestres ne sont jamais proportionnées à l’étendue réelle de notre intelligence. Celle-ci est faite pour l’Absolu, ou elle n’est pas ; l’Absolu seul permet à notre intelligence de pouvoir entièrement ce qu’elle peut, et d’être entièrement ce qu’elle est. De même pour la volonté, qui d’ailleurs n’est qu’un prolongement, ou un complément, de l’intelligence : les objets qu’elle se propose le plus ordinairement, ou que la vie lui impose, restent en deçà de son envergure totale ; la « dimension divine » seule peut satisfaire la soif de plénitude de notre vouloir ou de notre amour.
  • Regards sur les mondes anciens, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2016, p. 139


Une des preuves de notre immortalité, c’est que l’âme – laquelle est essentiellement intelligence ou conscience – ne peut avoir une fin qui soit au-dessous d’elle-même, à savoir la matière, ou les reflets mentaux de la matière ; le supérieur ne peut être simplement fonction de l’inférieur, il ne peut n’être qu’un moyen par rapport à ce qu’il dépasse. C’est donc l’intelligence en soi – et avec elle notre liberté – qui prouve l’envergure divine de notre nature et de notre destinée. Qu’on le comprenne ou non, l’Absolu seul est « proportionné » à l’essence de notre intelligence.


La vocation humaine, c'est de réaliser ce qui fait la raison d'être de l'homme : une projection de Dieu et, par là, un pont entre la Terre et le Ciel ; ou un point de vue qui permet à Dieu de se voir à partir d'autre que Lui, bien que cet autre, en dernière analyse, ne puisse être que Lui-même, car on ne connaît Dieu que par Dieu.
  • Racines de la condition humaine, Frithjof Schuon, éd. La Table ronde, 1990, p. 72


L'intelligence humaine est essentiellement objective, donc totale : elle est capable de jugement désintéressé, de raisonnement, de méditation assimilante et déifiante, la grâce aidant. Ce caractère d'objectivité appartient également à la volonté,– c'est ce caractère qui la rend humaine,– et c'est pour cela que notre volonté est libre, c'est-à-dire capable de dépassement, de sacrifice, d'ascèse ; notre vouloir ne s'inspire pas de nos seuls désirs, il s'inspire fondamentalement de la vérité, et celle-ci est indépendante de nos intérêts immédiats. De même pour notre âme, notre sensibilité, notre capacité d’aimer : humaine, elle est par définition objective, donc désintéressée en son essence ou en sa perfection primordiale et innocente ; elle est capable de bonté, de générosité, de compassion. C’est dire qu’elle est capable de trouver son bonheur dans celui des autres, et au détriment de ses propres satisfactions ; de même, elle est capable de trouver son bonheur au-dessus d’elle-même, dans sa personnalité céleste, qui n’est pas encore tout à fait la sienne. C'est de cette nature spécifique, faite de totalité et d'objectivité, que dérivent la vocation de l'homme, ses droits et ses devoirs.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 91


L'homme est par définition pontifex, « bâtisseur de ponts », ou « d’un pont ». Car l'homme possède essentiellement deux dimensions, une extérieure et une intérieure ; il a donc droit à toutes les deux, sans quoi il ne serait pas homme, précisément ; parler d'un homme sans ambiance est aussi contradictoire que de parler d'un homme sans noyau. D'une part, nous vivons parmi les phénomènes qui nous entourent et dont nous faisons partie, et d'autre part, nos cœurs sont enracinés en Dieu ; nous devons par conséquent réaliser un équilibre aussi parfait que possible entre notre vie dans le monde et notre vie dirigée vers le Divin. Cette seconde vie, de toute évidence, détermine la première et lui donne tout son sens ; les droits de l'extériorité sont fonction des mesures qui relèvent de l'intérieur et que celui-ci nous impose.


Dieu a ouvert une porte au milieu de la création, et cette porte ouverte du monde vers Dieu est l'homme ; cette ouverture est l'invitation de Dieu à regarder vers Lui, à tendre vers Lui, à persévérer auprès de Lui et à retourner à Lui. Et ceci nous permet de comprendre pourquoi cette porte se ferme à la mort quand elle a été méprisée pendant la vie ; car être homme ne signifie pas autre chose que regarder dehors et passer par la porte. L'incroyance et le paganisme, c'est tout ce qui tourne le dos à la porte ouverte ; sur son seuil se séparent la lumière et les ténèbres. La notion de l'enfer devient parfaitement claire quand on songe combien c'est chose insensée – et à quel point c'est un gaspillage et un suicide – que de glisser à travers l'état humain sans être véritablement homme, c'est-à-dire de passer à côté de Dieu, et par conséquent à côté de notre propre âme, comme si on avait droit aux facultés humaines en dehors du retour à Dieu, et comme si le miracle de l'état humain avait une raison suffisante en dehors de la fin préfigurée dans l'homme même ; ou encore : comme si Dieu nous avait donné sans motif l'esprit qui discerne et la volonté qui choisit.


Corps[modifier]

Dire que l'homme, et par conséquent le corps humain, est « fait à l'image de Dieu », signifie a priori qu'il manifeste quelque chose d'absolu et par là même d'illimité et de parfait. Ce qui distingue avant tout la forme humaine des formes animales, c'est sa référence directe à l'absoluité, tout d'abord par sa position verticale ; il en résulte que, si les formes animales peuvent être dépassées, – elles le sont par l'homme précisément, – la forme humaine ne saurait l'être ; elle marque non seulement le sommet des créatures terrestres, mais aussi – et par là même – la sortie hors de leur condition, ou hors du samsâra comme diraient les bouddhistes. Voir l'homme, c'est voir, non seulement l'image de Dieu, mais aussi une porte ouverte vers la bodhi, l'illumination libératrice, ou disons vers une bienheureuse fixation dans la proximité divine.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 91


Étant absolu, le Principe suprême est ipso facto infini ; le corps masculin accentue le premier aspect, et le corps féminin, le second. Sur la base de ces deux aspects hypostatiques, le divin Principe est la source de toute perfection possible, c'est dire que, étant l'Absolu et l'Infini, Il est nécessairement aussi la Perfection ou le Bien. Or les deux corps, le masculin et le féminin, manifestent chacun les modes de Perfection que le sexe respectif évoque par définition ; toutes les qualités cosmiques se partagent en effet en deux groupes complémentaires : les rigoureuses et les douces, les actives et les passives, les contractives et les expansives. Le corps humain est une image de la délivrance : or la voie libératrice peut être soit « virile » soit « féminine », sans d'ailleurs qu'il puisse y avoir là une ligne de démarcation infranchissable entre les deux modes, car l'homme (homo, anthropos) est toujours l'homme ; l'être immatériel que fut l'androgyne primordial, survit en chacun de nous.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 91


A priori, la virilité se réfère au Principe, et la féminité, à la Manifestation ; mais sous un tout autre rapport, celui de la complémentarité in divinis, le corps masculin exprime la Transcendance, et le corps féminin, l'Immanence ; celle-ci étant voisine de l'Amour, et celle-là, de la Connaissance.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 99


Il y aurait beaucoup à dire sur le symbolisme abstrait et concret des différentes régions ou parties du corps. Est abstrait un symbolisme en tant qu'il signifie une réalité principielle ; il est concret en tant qu'il communique la nature de cette réalité, c'est-à-dire qu'il la rend présente à notre expérience. Un des caractères les plus saillants du corps humain est la poitrine, qui est un symbole solaire, avec une accentuation différente suivant le sexe : rayonnement noble et glorieux dans les deux cas, mais manifestant la puissance dans le premier cas et la générosité dans le second ; la puissance et la générosité de l'Être pur.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 99


Ego[modifier]

L'ego, c'est à la fois un système d'images et un cycle ; c'est quelque chose comme un musée ; et une promenade unique à travers ce musée. L'ego est un tissu fait d'images et de tendances ; celles-ci viennent de notre propre substance, et celles-là nous sont fournies par l'ambiance. Nous nous mettons nous-mêmes dans les choses, et nous plaçons les choses en nous-mêmes, alors que notre vrai être en est indépendant.
  • Regards sur les mondes anciens, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2016, p. 113


Nous vivons à la fois dans le corps, le cerveau et le cœur, si bien que nous pourrions parfois nous demander où se situe notre véritable « moi » ; en fait, l'ego proprement dit, le « moi » empirique, a son siège sensible dans le cerveau, mais il glisse volontiers vers le corps et tend à s'identifier avec lui, tandis que le cœur est le siège symbolique du Soi, dont nous avons conscience ou que nous ignorons, mais qui est notre vrai centre existentiel et intellectuel, et par là même universel.


Il y a dans l'homme deux sujets – ou deux subjectivités – sans commune mesure et à tendances opposées, bien qu’il y ait aussi coïncidence sous un certain rapport. D'une part, il y a l'anima ou l'ego empirique, qui est tissé de contingences tant objectives que subjectives, tels les souvenirs et les désirs ; d'autre part, il y a le spiritus ou l'Intelligence pure, dont la subjectivité est enracinée dans l'Absolu et qui de ce fait ne voit dans l'ego empirique qu'une écorce, donc quelque chose d'extérieur et d'étranger au véritable « moi-même », ou plutôt au « Soi-même » à la fois transcendant et immanent.
  • Forme et substance dans les religions, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2012, p. 257


Quand l'âme a reconnu que son être véritable est au-delà de ce nucléus phénoménal qu'est l'ego empirique et qu'elle se tient volontiers au Centre – et c'est la vertu majeure, la pauvreté ou l'effacement ou l'humilité –, l'ego ordinaire lui apparaît comme extérieur à elle-même, et le monde au contraire lui apparaît comme son propre prolongement ; d'autant qu'elle se sent partout dans la Main de Dieu.


Caractère[modifier]

En spiritualité plus qu'en tout autre domaine il importe de comprendre que le caractère d'une personne fait partie de son intelligence : sans un bon caractère – un caractère normal et par conséquent noble – l'intelligence même métaphysicienne est partiellement inopérante pour la simple raison que la pleine connaissance de ce qui est en dehors de nous exige une pleine connaissance de nous-mêmes. Le caractère d'une personne c'est, d'une part, ce qu'elle veut et, d'autre part, ce qu'elle aime ; la volonté et le sentiment prolongent l'intelligence, ils sont, comme celle-ci – qui de toute évidence les pénètre – des facultés d'adéquation. Connaître réellement le Souverain Bien c'est, ipso facto, d'une part, vouloir ce qui nous rapproche de lui et, d'autre part, aimer ce qui témoigne de lui ; toute vertu dérive en fin de compte de cette volonté et de cet amour. L'intelligence qui ne s'accompagne pas de vertus donne lieu à une connaissance pour ainsi dire planimétrique : c'est comme si l'on ne saisissait que le cercle ou le carré mais non la sphère ni le cube.


Intellect[modifier]

L’intellect constitue la raison d’être de la condition humaine.
  • Approches du phénomène religieux, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1984, p. 42


La raison perçoit le général et procède par opérations logiques, tandis que l'intellect perçoit le principiel – le métaphysique – et procède par intuition.


L’Ordre divin est absolu par rapport à la relativité humaine mais non par rapport au pur Intellect, qui dépasse toute relativité – effectivement ou potentiellement –, sans quoi nous n’aurions même pas la notion de l’Absolu.
  • Sur les traces de la religion pérenne, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1982, p. 69


Ce qui est commun à l'animal et à l'homme, c'est d'abord l'intelligence sensorielle et instinctive ; ce sont ensuite les facultés sensibles, et enfin les sentiments élémentaires. Ce qui est propre à l'homme seul, c'est l'intellect ouvert sur l'Absolu ; c'est par là même aussi la raison, qui prolonge l'intellect vers la relativité ; et c'est par conséquent la capacité de connaissance intégrale, de sacralisation et d'ascension. L'homme partage avec l'animal le prodige de la subjectivité – prodige étrangement incompris des évolutionnistes –, mais celle de l'animal est partielle seulement tandis que celle de l'homme est totale ; le sens de l'Absolu coïncide avec la totalité de l'intelligence.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 19


S'il était nécessaire ou utile de prouver l'Absolu, le caractère objectif et transpersonnel de l'intellect humain suffirait comme témoignage, car cet intellect est la trace irrécusable d'une Cause première purement spirituelle, d'une Unité infiniment centrale mais contenant tout, d'une Essence à la fois immanente et transcendante. Il a été dit plus d'une fois que la Vérité totale se trouve inscrite, d'une écriture éternelle, dans la substance même de notre esprit ; les diverses Révélations ne font pas autre chose que de « cristalliser » et d'« actualiser », à différents degrés suivant les cas, un nucléus de certitudes qui non seulement est conservé dans l'Omniscience divine, mais aussi sommeille par réfraction dans le noyau « naturellement surnaturel » de l'individu, aussi bien que de la collectivité ethnique ou historique ou de l'espèce humaine.
  • Regards sur les mondes anciens, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2016, p. 139


L'intelligence humaine, ou l'intellect, ne peut nous livrer l'en-soi de l'Absolu, et personne de sensé ne le lui demande ; l'intellect peut nous livrer des points de repère, et c'est tout ce qu'il faut au point de vue de la connaissance discriminative et introductive, celle qui se laisse exprimer par des mots. Mais l'intellect n'est pas seulement discriminatif, il est aussi contemplatif, donc unitif, et sous ce rapport on ne saurait dire qu'il est limité, pas plus qu'un miroir ne limite la lumière qui s'y reflète ; la dimension contemplative de l'intellect coïncide avec l'ineffable.


Intelligence[modifier]

La pensée de l'homme, ou son intelligence, est faite pour la divine Vérité, et le cœur de l'homme, ou son être, est fait pour la divine Présence.


Il est logique que ceux qui se réclament exclusivement de la révélation et non de l'intellection, aient tendance à discréditer l'intelligence, d'où la notion de l' « orgueil intellectuel » ; ils ont raison s'il s'agit de « notre » intelligence « à elle seule », mais non s'il s'agit de l'intelligence en soi et inspirée de l'intellect en fin de compte divin. Car le péché des philosophes consiste, non à se fier à l'intelligence comme telle, mais à se fier à leur intelligence à eux ; et à ne se fier, par conséquent, qu'à l'intelligence coupée de ses racines surnaturelles.
  • De l'unité transcendante des religions, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2014, p. 163


Normalement et primordialement, l'intelligence humaine réalise un parfait équilibre entre l'intelligence du cerveau et celle du cœur : la première est la capacité rationnelle avec les divers dons qui s'y rattachent ; la seconde est l'intuition intellectuelle ou spirituelle, ou autrement dit, elle est ce réalisme eschatologique qui permet de choisir la vérité salvatrice même en dehors de toute spéculation mentale. L'intelligence cardiaque, même réduite à son minimum, a toujours raison ; c'est d'elle que relève la foi quand elle est profonde et inébranlable, et c'est là l'intelligence d'un grand nombre de saints.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 85


La conscience de l'Absolu est la prérogative de l'intelligence humaine, et c'est aussi son but.
  • Les stations de la sagesse, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2011, p. 129


Intellection (intuition intellectuelle)[modifier]

Le génie intellectuel ne doit pas être confondu avec l'acuité mentale des logiciens : l'intuition intellectuelle comporte essentiellement une contemplativité, qui n'entre point dans la capacité rationnelle, celle-ci étant faite de logique plutôt que de contemplation ; or c'est la puissance contemplative, la réceptivité à l'égard de la Lumière incréée, l'ouverture de l’Œil du cœur, qui distingue l'intelligence transcendante de la raison.


Alors que la métaphysique procède tout entière de l'intuition intellectuelle, la religion procède de la Révélation ; celle-ci est la Parole de Dieu en tant qu'Il s'adresse à Ses créatures, tandis que l'intuition intellectuelle est une participation directe et active à la Connaissance divine, et non une participation indirecte et passive comme l'est la foi. En d'autres termes, on dira que dans l'intuition intellectuelle ce n'est pas l'individu en tant que tel qui connaît, mais en tant que, dans son essence profonde, il n'est point distinct de son Principe divin ; aussi la certitude métaphysique est-elle absolue en raison de l'identité entre le connaissant et le connu dans l'Intellect.
  • De l'unité transcendante des religions, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2014, p. 10


L'intellection directe et supra-mentale est en réalité un « souvenir » et non une « acquisition » : l'intelligence, en ce domaine, ne prend pas connaissance de quelque chose se situant par principe en dehors d'elle, mais toute connaissance possible est au contraire contenue dans la substance lumineuse de l'Intellect,– qui s'identifie au Logos par « filiation essentielle »,– en sorte que le « souvenir » n'est autre qu'une actualisation, grâce à une cause occasionnelle externe, ou à une inspiration interne, de telle potentialité éternelle de la substance intellective.


Si tout homme possédait l'intellect, non seulement à l'état fragmentaire ou virtuel, mais comme faculté pleinement épanouie, il n'y aurait pas de Révélation, puisque l'intellection totale serait chose naturelle ; mais comme il n'en est plus ainsi depuis la fin de l'âge d'or, la Révélation est, non seulement nécessaire, mais même normative à l'égard de l'intellection particulière, ou plutôt à l'égard de l'expression formelle de celle-ci. Il n'y a pas d'intellectualité possible en dehors d'un langage révélé, d'une tradition scripturaire ou orale, bien que l'intellection puisse se produire, comme un miracle isolé, partout où la faculté intellective existe ; mais une intellection extra-traditionnelle n'aura ni autorité, ni efficacité. L'intellection a besoin de causes occasionnelles pour prendre pleinement con¬science d'elle-même et pour pouvoir s'exercer sans entraves, en sorte que dans un milieu pratiquement dépourvu de Révélation – ou oublieux des significations sapientielles de la Parole révélée – l'intellectualité n'existe en général qu'à l'état latent ; même là où elle s'affirme encore malgré tout, les vérités perçues sont rendues inopérantes par leur caractère trop fragmentaire et par le chaos mental qui les encadre. La Révélation est pour l'intellect comme un principe d'actualisation, d'expression et de contrôle ; la « lettre » révélée est pratiquement indispensable dans la vie intellectuelle.
  • Les stations de la sagesse, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2011, p. 55


Dieu[modifier]

Aperçus[modifier]

Le mot « Dieu » ne comporte – et ne peut comporter – aucune restriction, pour la simple raison que Dieu est « tout ce qui est purement principiel », qu'il est donc aussi – et a fortiori – « Sur-Être » ; on peut ignorer ou nier celui-ci, mais on ne peut nier que Dieu est « Ce qui est suprême », donc Ce qui ne peut être dépassé par rien.
  • Perspectives spirituelles et faits humains, Frithjof Schuon, éd. L'Âge d'homme, 2003, p. 139


Il y a trois grandes théophanies, ou trois hypostases, en sens descendant : premièrement le Sur-Être ou le Soi, la Réalité absolue, Âtmâ ; deuxièmement l'Être ou le Seigneur, qui crée, révèle et juge ; et troisièmement l'Esprit divin manifesté, qui possède trois modes : l'Intellect universel ou archangélique, l'Homme-Logos qui révèle en langage humain, et l'Intellect en nous, lequel n'est « ni créé ni incréé », et qui confère à l'espèce humaine son rang central, axial et « pontifical », et quasi divin à l'égard des autres créatures.
  • Forme et substance dans les religions, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2012, p. 107


D'aucuns nous feront observer sans doute que le bouddhisme prouve que la notion de Dieu n'a rien de fondamental et qu'on peut très bien s'en passer en métaphysique et en spiritualité ; ils auraient raison si les bouddhistes n'avaient pas l'idée de l'Absolu ni celle de la transcendance, ou celle de la Justice immanente avec son complément de Miséricorde ; c'est tout ce qu'il faut pour montrer que le bouddhisme s'il n'a pas le mot – ou s'il n'a pas notre mot –, a en tout cas la chose.
  • Logique et transcendance, Frithjof Schuon, éd. Editions traditionnelles, 1972, p. 71


L'anthropomorphisme divin répond au théomorphisme humain : si Dieu peut se manifester moyennant des modes humains, c'est parce que l'homme « est fait à l'image de Dieu » et que c'est là la raison d'être de son existence et de son miracle cosmique.


Dire que Dieu est « inconnaissable » n'est qu'une tournure destinée à relever la limitation de principe de la raison d'une part, et la limitation de fait de l'intellect accidentellement obscurci d'autre part. Posséder la Connaissance totale, c'est être possédé par elle – c'est être « connaissant par Dieu » (ârif bi-Llâh), en ce sens que Dieu se révèle dans la mesure où Il est, en nous, le Sujet autant que l'Objet de la Connaissance.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 55


Certes, Dieu est ineffable, rien ne peut le décrire, ou ne peut l'enfermer dans des mots ; mais d'un autre côté, la vérité existe, c'est-à-dire qu'il est des points de repère conceptuels qui rendent suffisamment compte de la nature de Dieu ; sans quoi notre intelligence ne serait pas humaine, ce qui revient à dire qu'elle n'existerait pas, ou simplement qu'elle serait inopérante à l'égard de ce qui fait la raison d'être de l'homme. Dieu est inconnaissable et connaissable à la fois, paradoxe qui implique – sous peine d'absurdité – que les rapports sont différents, d'abord sur le plan de la simple pensée et ensuite en vertu de tout ce qui sépare la connaissance mentale de celle du cœur ; la première étant un « percevoir », et la seconde un « être ». « L'âme est tout ce qu'elle connaît », disait Aristote ; il faut ajouter que l'âme peut connaître tout ce qu'elle est ; et qu'elle n'est autre en son essence que Ce qui est, et Ce qui seul est.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 74


Il ne saurait s'agir, en pure théosophie, de vouloir enlever à Dieu ses mystères à force de dévoilements et de délimitations ; car, quelle que puisse être l'acuité de nos discernements, le mystère divin reste entier en raison même de l'infinitude du Réel.
  • Approches du phénomène religieux, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1984, p. 132


L'homme qui rejette la religion parce que le mot à mot de celle-ci paraît parfois absurde – en raison d'un découpage et d'un dosage qu'exigent la cristallisation formelle et l'adaptation à une mentalité collective intellectuellement minimale – cet homme ignore une chose essentielle, malgré le bien-fondé logique de sa réaction : à savoir que l'imagerie au premier abord contradictoire véhicule des données en dernière analyse parfaitement cohérentes et même éblouissantes d'évidence pour quiconque est capable de les pressentir ou de les saisir. Certes, il y a a priori contradiction entre un Dieu omniscient, omnipotent et infiniment bon qui crée l'homme sans prévoir la chute ; qui lui octroie une liberté trop grande par rapport à l'intelligence, ou une intelligence trop petite par rapport à la liberté ; qui ne trouve aucun moyen autre de sauver l'homme que de sacrifier son propre Fils, et cela sans que l'immense majorité des hommes en soit informée – et puisse en être informée à temps – alors que cette information est la conditio sine qua non du salut ; qui après avoir révélé avec force qu'Il est Un, attend des siècles pour révéler qu'Il est Trois ; qui condamne des hommes à un enfer éternel pour des fautes temporelles ; un Dieu qui d'une part "désire" que l'homme ne pèche pas, et d'autre part "veut" que tel péché se fasse, ou qui d'une part prédestine l'homme à un tel péché et d'autre part le punit pour l'avoir commis ; ou encore, un Dieu qui nous donne l'intelligence et ensuite nous interdit de nous en servir, comme le veut pratiquement tout fidéisme, et ainsi de suite. Mais quelle que puisse être la contradiction entre un Dieu omniscient et omnipotent et les actions que le symbolisme scripturaire et la théologie anthropomorphiste, volontariste et sentimentale lui attribuent, il y a, au-delà de toute cette imagerie – dont les contradictions sont parfaitement résolubles en métaphysique – une Intelligence, ou une Puissance, fondamentalement bonne qui, avec ou sans prédestination, est disposée à nous sauver d'une détresse de facto, à la seule condition que nous nous résignions à suivre son appel ; et cette réalité est un « impératif catégorique » qui est pour ainsi dire dans l'air que nous respirons et qui est indépendant de toute exigence de logique et de tout besoin de cohérence.
  • Approches du phénomène religieux, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1984, p. 15


Quand Dieu est absent, l’orgueil comble le vide.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 120


Preuves[modifier]

Dans l'ordre spirituel, une preuve n'aide que celui qui désire comprendre et qui, par ce désir, a déjà compris quelque chose ; elle est pratiquement sans utilité pour celui qui en son for intérieur désire ne pas modifier sa position et dont la philosophie ne fait que manifester ce désir.
  • Logique et transcendance, Frithjof Schuon, éd. Editions traditionnelles, 1972, p. 69


Il n'y a rien de plus contradictoire qu'une intelligence cérébrale s'opposant à l'intelligence cardiaque, soit pour nier la possibilité de la connaissance soit pour nier le Connaissant ultime : comment peut-on ne pas sentir instinctivement, « viscéralement », existentiellement, qu'on ne saurait être intelligent, même très relativement, sans une Intelligence « en soi » à la fois transcendante et immanente, et ne pas saisir que la subjectivité par elle-même est une preuve immédiate et quasi fulgurante de l'Omniscient, une preuve presque trop aveuglante d'évidence pour pouvoir être formulée par des mots ?
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 87


La solution fondamentale du problème de la crédibilité des axiomes religieux, et par conséquence la quintessence des preuves de Dieu, est dans la correspondance ontologique entre le macrocosme et le microcosme, c'est-à-dire dans le fait que le microcosme répète nécessaire¬ment le macrocosme ; c'est dire que la dimension subjective, prise dans sa totalité, coïncide avec la dimension objective, dont relèvent précisément les données religieuses et métaphysiques. Le tout est d'actualiser cette coïncidence, ce que fait précisément, en principe ou de facto, la Révélation, laquelle réveille, sinon toujours l'intellection directe, du moins cette intellection indirecte qu'est la foi ; credo ut intelligam.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 153


Crainte révérencielle et amour[modifier]

Si nous devons aimer Dieu, et l'aimer plus que nous-mêmes et le prochain, c'est parce que l'amour existe avant nous et que nous en sommes issus ; nous aimons de par notre existence.
  • Les stations de la sagesse, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2011, p. 98


Aimer Dieu n’est pas cultiver un sentiment – c’est-à-dire quelque chose dont nous jouissons sans savoir si Dieu en jouit –, mais c’est éliminer de l’âme ce qui empêche Dieu d’y entrer.
  • Les stations de la sagesse, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2011, p. 97


L’amour de Dieu, c’est d’abord l’attachement de l’intelligence à la Vérité, puis l’attachement de la volonté au Bien, et enfin l’attachement de l’âme à la Paix que donnent la Vérité et le Bien.


On ne peut aimer Dieu sans le craindre, pas plus qu’on ne peut aimer son prochain sans le respecter ; ne pas craindre Dieu, c’est l’empêcher d’être miséricordieux.
  • Les stations de la sagesse, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2011, p. 105


Craindre Dieu, c’est tout d’abord voir, sur le plan de l’action, les conséquences dans les causes, la sanction dans le péché, la souffrance dans l’erreur ; aimer Dieu, c’est d’abord choisir Dieu, c’est-à-dire préférer ce qui rapproche de Lui à ce qui éloigne de Lui.
  • Les stations de la sagesse, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2011, p. 106


Sans crainte de Dieu à la base, rien n’est possible spirituellement, car l’absence de crainte est un manque de connaissance de soi.


La crainte de Dieu, pas plus que l'amour, n'est en soi aucunement affaire de sentiment ; comme l'amour, qui est la tendance de tout notre être vers le Réel transcendant, la crainte est une attitude de l'intelligence et de la volonté : elle consiste à tenir compte, à tout moment, d'une Réalité qui nous dépasse infiniment, contre laquelle nous ne pouvons rien, à l'encontre de laquelle nous ne saurions vivre et aux morsures de laquelle nous ne pouvons échapper.
  • Perspectives spirituelles et faits humains, Frithjof Schuon, éd. L'Âge d’Homme, 2003, p. 279


L' « amour de Dieu » est chose universelle : le terme « amour » désigne, non seulement une voie relevant de la volonté et du sentiment, mais aussi – et c'est là son sens le plus vaste – toute voie en tant qu'elle nous attache au Divin ; est « amour » tout ce qui nous fait préférer Dieu au monde et la contemplation à l'activité terrestre, là où cette alternative a un sens. Le meilleur amour sera, non ce qui ressemblera le plus à ce que le mot « amour » peut évoquer en nous a priori, mais ce qui nous attachera le plus fermement ou le plus profondément à la Réalité ; aimer Dieu, c'est se tenir auprès de Lui, à travers le monde comme au-delà du monde ; Dieu veut nos âmes, quelles que soient nos attitudes ou nos méthodes.
  • Les stations de la sagesse, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2011, p. 156


Beauté[modifier]

Est beau, non ce que nous aimons et parce que nous l’aimons, mais ce qui, par sa valeur objective, nous oblige à l’aimer.
  • Le soufisme, voile et quintessence, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 2007, p. 104


La beauté, quel que puisse être l’usage qu’en fait l’homme, appartient fondamentalement à son Créateur, qui par elle projette dans l’apparence quelque chose de son être.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 191


La beauté est un reflet de la béatitude divine ; et comme Dieu est Vérité, le reflet de sa béatitude sera ce mélange de bonheur et de vérité que nous rencontrons dans toute beauté.
  • Perspectives spirituelles et faits humains, Frithjof Schuon, éd. L'Âge d’Homme, 2003, p. 32


La beauté du sacré est un symbole ou un avant-goût, et parfois un moyen, de la joie que Dieu seul procure.


L'intériorisation de la beauté présuppose la noblesse de l'âme et en même temps la produit.


La fonction cosmique, et plus particulièrement terrestre, de la beauté est d’actualiser dans la créature intelligente et sensible le ressouvenir des essences, et d’ouvrir ainsi la voie vers la nuit lumineuse de l’Essence une et infinie.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 191


La perception de la beauté, laquelle est une adéquation rigoureuse et non une illusion subjective, implique essentiellement, d’une part une satisfaction de l’intelligence et d’autre part un sentiment à la fois de sécurité, d’infinité et d’amour. De sécurité : parce que la beauté est unitive et qu’elle exclut, avec une sorte d’évidence musicale, les fissures du doute et de l’inquiétude ; d’infinité : parce que la beauté, par sa musicalité même, fait fondre les durcissements et les limites et libère ainsi l’âme de ses étroitesses, et ne serait-ce que d'une façon lointaine et infime ; d’amour : parce que la beauté appelle l’amour, c’est-à-dire qu’elle invite à l’union et partant à l’extinction unitive.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 171


La beauté est un message qui implique une réciprocité et un engagement : elle implique une réciprocité entre Dieu et l'homme, et un engagement de la part de l'homme envers Dieu. Dans et par la beauté, Dieu nous donne un message de sa nature ; il révèle à notre intention un archétype et une essence. La beauté est une manifestation de la Miséricorde. La gratitude de l'homme, c'est qu'ayant aperçu la divine Beauté, il se donne à Dieu en son cœur ; se donner soi-même à Dieu est la réponse proportionnée à la beauté terrestre, dans laquelle Dieu, en révélant la Miséricorde, s'est donné à l'homme.


Vie spirituelle[modifier]

Aperçus[modifier]

La principale difficulté dans la vie spirituelle est de maintenir une position simple, qualitative, céleste, dans une ambiance complexe, quantitative, terrestre.


Le mondain ou l'imparfait parcourt la vie comme un long chemin : s'il est croyant, il voit Dieu au-dessus de lui dans le lointain, et aussi au bout de ce chemin. L’homme spirituel par contre est debout en Dieu, et la vie passe devant lui comme un ruisseau.
  • Vers l’Essentiel : lettres d’un maître spirituel, Frithjof Schuon, éd. Les Sept Flèches, 2013, p. 94


Ce sont moins les mesquineries du monde qui nous empoisonnent, que le fait de trop y penser. Nous ne devrions jamais perdre conscience de la lumineuse et calme grandeur du Souverain Bien, laquelle dissout tous les nœuds de ce bas monde.


Nous sommes agités parce que nous croyons avoir un motif de l'être, c'est-à-dire que nous tenons compte des seuls accidents au lieu de regarder vers la Substance ; les phénomènes nous entraînent dans un cercle vicieux et nous font oublier que nous portons en nous-mêmes ce que nous cherchons au dehors.


Il y a deux moments dans la vie qui sont tout, et c’est le moment présent, où nous sommes libres de choisir ce que nous voulons être, et le moment de la mort, où nous n’avons plus aucun choix et où la décision est à Dieu. Or, si le moment présent est bon, la mort sera bonne ; si nous sommes maintenant avec Dieu – dans ce présent qui se renouvelle sans cesse mais qui reste toujours ce seul moment actuel –, Dieu sera avec nous au moment de notre mort. Le souvenir de Dieu est une mort dans la vie ; il sera une vie dans la mort.


Il faut distinguer entre la vie naturelle, qui est centrifuge, et la vie surnaturelle, qui est centripète ; la première éloigne l'âme de Dieu et l'enfonce dans le monde, tandis que la seconde éloigne l'âme du monde et la ramène à Dieu. La vie naturelle ou centrifuge comporte un effet de dispersion et un autre de compression : le profane ou le mondain, d'une part se perd dans la multitude des choses et d'autre part se durcit dans ses attachements passionnels. La vie surnaturelle au contraire comporte un effet de dilatation et un autre de concentration : l'homme spirituel, d'une part se dilate vers l'Intérieur et d'autre part s'unit à l'Unique, l'un étant fonction de l'autre.


Il y a, autour de nous, le monde du vacarme et de l'incertitude ; et il y a des rencontres subites avec le surprenant, l'incompréhensible, l'absurde, le décevant. Mais ces choses n'ont pas le droit d'être pour nous des problèmes, et ne serait-ce que parce que tout phénomène a des causes, que nous les connaissions ou non. Quels que soient les phénomènes et quelles que soient leurs causes, il y a toujours Ce qui est ; et Ce qui est se situe au-delà du monde du vacarme, des contradictions et des déceptions. Cela ne peut être troublé ni diminué par rien, et Cela est Vérité, Paix et Beauté. Rien ne peut le ternir, et nul ne peut nous l'enlever.


Vérité[modifier]

La vérité est la raison d’être de l’homme ; elle constitue notre grandeur, et elle nous montre notre petitesse.


Vérité et sainteté : toutes les valeurs sont dans ces deux termes ; tout ce que nous devons aimer et tout ce que nous devons être.
  • Sur les traces de la Religion pérenne, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1982, p. 114


Ce que sont les vertus à la perfection existentielle, les vérités le sont à la perfection intellectuelle ; la vertu est essentiellement la simplicité, la beauté intérieure, la générosité, tandis que la vérité, elle, est tout entière dans le discernement entre le Réel et l'illusoire ou entre l'Absolu et la contingence.
  • La transfiguration de l’homme, Frithjof Schuon, éd. L’Âge d’Homme, 1995, p. 72


La première des vertus est la véracité, car sans la vérité nous ne pouvons rien faire. La seconde vertu est la sincérité, laquelle consiste à tirer les conséquences de ce que nous savons être vrai, et laquelle implique toutes les autres vertus ; car il ne suffit pas de reconnaître la vérité objectivement, dans la pensée, il faut également l'assumer subjectivement, dans les actes, qu'ils soient extérieurs ou intérieurs. La vérité exclut l'insouciance et l'hypocrisie autant que l'erreur et le mensonge.
  • Racines de la condition humaine, Frithjof Schuon, éd. La Table ronde, 1990, p. 173


On ne saurait affirmer avec assez de netteté qu'une formulation doctrinale est parfaite, non point parce qu'elle épuise sur le plan de la logique la Vérité infinie, ce qui est impossible, mais parce qu'elle réalise une forme mentale susceptible de communiquer, à celui qui est intellectuellement apte à la recevoir, un rayon de cette Vérité, et par là une virtualité de la Vérité totale ; c'est ce qui explique pourquoi les doctrines traditionnelles seront toujours apparemment naïves, du moins au point de vue des philosophes – c'est-à-dire des hommes qui ne comprennent pas que le but et la raison suffisante de la sagesse ne se situent point sur le plan de son affirmation formelle ; qu'il n'y a, par définition, aucune commune mesure et aucune continuité entre la pensée, dont les évolutions n'ont somme toute qu'une valeur symbolique, et la Vérité pure, qui s'identifie à ce qui « est » et qui de ce fait englobe celui qui pense.


Foi[modifier]

La foi, c’est dire oui à Dieu. Quand l’homme dit oui à Dieu, Dieu dit oui à l’homme.


Si la foi est un mystère, c’est que sa nature est inexprimable dans la mesure où elle est profonde, car il n’est pas possible de rendre totalement compte par des mots de cette vision qui est encore aveugle, et de cet aveuglement qui déjà voit.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 118


On pourrait dire que la foi est ce quelque chose qui fait que la certitude intellectuelle devient sainteté, ou qu’elle est la puissance réalisatrice de la certitude.


Le fait que le réalisme spirituel, ou la foi, relève de l’intelligence du cœur et non de celle du mental, permet de comprendre qu’en spiritualité la qualification morale l’emporte sur la qualification intellectuelle, et de beaucoup.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 86


Humainement, nul n’échappe à l’obligation de croire pour pouvoir comprendre.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 43


Dans le sens élémentaire du mot, la foi est notre assentiment à une vérité qui nous dépasse ; mais spirituellement parlant, elle est notre assentiment, non à des concepts transcendants, mais à des réalités immanentes, ou à la Réalité tout court ; or cette Réalité est notre substance même.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 134


L'homme peut avoir la certitude métaphysique sans avoir la « foi », c'est-à-dire sans que cette certitude soit dans l'âme comme une présence toujours agissante. La certitude métaphysique, si elle suffit sur le terrain doctrinal, est loin de suffire sur le plan spirituel, où elle doit être complétée et vivifiée par la foi. La foi n'est pas autre chose que l'adhésion de tout notre être à la Vérité, que nous ayons de celle-ci une intuition directe ou une notion indirecte.
  • Perspectives spirituelles et faits humains, Frithjof Schuon, éd. L'Âge d’Homme, 2003, p. 170


La foi, c'est la paix du cœur en fonction d'une certitude quasi infinie, donc échappant par sa nature même aux droits du doute ; l'intelligence humaine est faite pour la transcendance, sous peine de n'être qu'une multiplication de l'intelligence animale. La foi, c'est donc, à part son achèvement par ses contenus, notre disposition à connaître avant même de connaître ; bien plus, cette disposition est déjà une connaissance, d'autant qu'elle dérive de la sagesse innée que, précisément, le contenu révélé de la foi est appelé à faire revivre.
  • Logique et transcendance, Frithjof Schuon, éd. Editions traditionnelles, 1972, p. 146


Sens du sacré[modifier]

Le sacré est une apparition du Centre, il immobilise l’âme et la tourne vers l’intérieur.


L'amour du sacré implique l'amour de Dieu, et inversement le sacré est le parfum du Ciel.


Le sens du sacré est la capacité de percevoir, ou de sentir, la présence du Céleste dans les symboles sacramentels ou naturels, et ceci implique le sens de la dignité autant que celui de la dévotion.


Avoir le sens du sacré, c'est sentir que toutes les qualités ou valeurs non seulement proviennent de l'Infini, mais aussi attirent à lui.


Le sacré introduit dans les relativités une qualité d’absolu, il confère à des choses périssables une texture d’éternité.


Le sens du sacré, ou l'amour des choses saintes – qu'il s'agisse de symboles ou de modes de Présence divine – est une conditio sine qua non de la Connaissance, laquelle engage non seulement l'intelligence, mais toutes les puissances de l'âme ; car le Tout divin exige le tout humain. Le sens du sacré, qui n'est autre que la prédisposition quasi naturelle à l'amour de Dieu et la sensibilité pour les manifestations théophaniques ou pour les parfums célestes,– ce sens du sacré implique essentiellement et le sens de la beauté et la tendance à la vertu ; la beauté étant pour ainsi dire la vertu extérieure, et la vertu, la beauté intérieure. Il implique également le sens de la transparence métaphysique des phénomènes, c'est-à-dire la capacité de saisir le principiel dans le manifesté, l'incréé dans le créé.
  • La transfiguration de l’homme, Frithjof Schuon, éd. L’Âge d’Homme, 1995, p. 110


Le « pneumatique » est l'homme chez qui le sens du sacré prime les autres tendances, alors que chez le « psychique » c'est l'attraction du monde et l'accentuation du « moi » qui priment, sans parler du « hylique » ou du « somatique » qui voit dans les plaisirs sensoriels une fin en soi. Ce n'est pas un degré particulièrement élevé de l'intelligence qui constitue la qualification initiatique, c'est le sens du sacré – ou le degré de ce sens – avec toutes les conséquences morales et intellectuelles qu'il implique. Le sens du sacré éloigne du monde et en même temps le transfigure.
  • Le soufisme, voile et quintessence, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 2007, p. 76


Épreuves[modifier]

Toute injustice que nous subissons de la part des hommes est en même temps une épreuve qui nous arrive de la part de Dieu.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 141


L'homme a le droit de ne pas accepter une injustice, importante ou mineure, de la part des hommes, mais il n'a pas le droit de ne pas l'accepter comme une épreuve de la part de Dieu. Il a le droit – car c'est humain – de souffrir d'une injustice dans la mesure où il ne parvient pas à se situer au-dessus d'elle, mais il doit faire l'effort d'y parvenir ; en aucun cas il n'a le droit de s'enfoncer dans un abîme d'amertume, car une telle attitude mène en enfer. L'homme n'a pas intérêt en premier lieu à vaincre une injustice ; il a intérêt en premier lieu à sauver son âme et à gagner le Ciel. Aussi serait-ce un mauvais marché que d'obtenir justice au prix de nos intérêts ultimes, de gagner du côté du temporel et de perdre du côté de l'éternel, ce que l'homme risque gravement quand le souci de son bon droit détériore son caractère ou en renforce les défauts.


Accepter une épreuve, c’est remercier Dieu pour elle en comprenant qu’elle nous permet une victoire, un détachement par rapport au monde et par rapport à l’ego.


L'homme a le devoir de se résigner à la volonté de Dieu, mais il a au même titre le droit de dépasser spirituellement la souffrance de l'âme, dans la mesure où cela lui est possible ; et cela n'est pas possible, précisément, sans l'attitude préalable d'acceptation et de résignation, qui seule dégage pleinement la sérénité de l'intelligence et qui seule ouvre l'âme au secours du Ciel.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 141


Il faut tout d'abord répondre à la question de savoir pourquoi on appelle « épreuves » les expériences pénibles que l'homme doit traverser. Nous répondrons que ces expériences sont des épreuves en fonction de notre foi, ce qui indique que nous avons, à l'égard des expériences troublantes ou douloureuses, des devoirs qui résultent de notre vocation humaine ; c'est-à-dire que nous devons prouver notre foi à l'égard de Dieu et à l'égard de nous-mêmes. A l'égard de Dieu par notre intelligence, notre sens de l'absolu et par conséquent notre sens des relativités et des proportions ; à l'égard de nous-mêmes par notre caractère, notre résignation au destin, notre gratitude. Il y a en effet deux façons de vaincre les traces que le mal ou plus précisément la souffrance laisse dans l'âme, et c'est, premièrement, notre conscience du Souverain Bien, laquelle coïncide avec notre espérance, dans la mesure où cette conscience nous pénètre ; deuxièmement, c'est notre acceptation de ce qu'on appelle, en langage religieux, la « volonté de Dieu » ; et c'est assurément une grande victoire sur soi-même que d'accepter un destin parce que c'est la volonté de Dieu et pour aucune autre raison.
  • Résumé de métaphysique intégrale, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1985, p. 117


Bonheur[modifier]

Pour être heureux, l’homme doit avoir un centre ; or ce centre est avant tout la certitude de l’Un. La plus grande calamité est la perte du centre et l’abandon de l’âme aux caprices de la périphérie. Être homme, c’est être au centre ; c’est être centre.


La stabilité du bonheur dépend – toute question de destin mis à part – non seulement de la beauté et de la sagesse de notre attitude, mais aussi, et avant tout, d'une ouverture vers le Haut, laquelle octroie à l'expérience du bonheur une vie toujours renouvelée. Il faut réaliser en mode terrestre ce qui se réalisera en mode céleste ; c'est la définition même de la noblesse de caractère.
  • Résumé de métaphysique intégrale, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1985, p. 48


La beauté et l’amour de la beauté donnent à l’âme le bonheur auquel elle aspire de par sa nature. Si l’âme veut être heureuse d’une façon inconditionnelle et permanente, elle doit porter le beau en elle-même ; or elle ne le peut qu’en réalisant la vertu, que nous pourrions appeler la bonté ou la piété.


Le bonheur, c’est la religion et le caractère ; la foi et la vertu. C’est un fait que l’homme ne peut pas trouver le bonheur dans ses propres limites ; sa nature même le condamne à se dépasser et, en se dépassant, à se libérer.
  • Résumé de métaphysique intégrale, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1985, p. 122


Une des premières conditions du bonheur est le renoncement au besoin superficiel et habituel de se sentir heureux. Mais ce renoncement ne saurait surgir du vide ; il doit avoir un sens, et ce sens ne peut venir que d’en-haut, de ce qui constitue notre raison d’être. En fait, pour trop d’hommes le critère de valeur de la vie est un sentiment passif de bonheur, lequel est déterminé a priori par le monde extérieur ; quand ce sentiment ne se produit pas ou quand il s’estompe,– ce qui peut avoir des causes tant subjectives qu’objectives,– ils s’alarment, et ils sont comme possédés par la question : « Pourquoi ne suis-je pas heureux comme auparavant ? » et par l’attente de quelque chose qui puisse leur rendre le sentiment de l’être ; ce qui, inutile d’y insister, est une attitude parfaitement mondaine, donc incompatible avec la moindre des perspectives spirituelles. S’enfermer dans un bonheur terrestre, c’est créer une barrière entre l’homme et le Ciel.
  • Résumé de métaphysique intégrale, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1985, p. 120


Art sacré[modifier]

L'art sacré aide l'homme à trouver son propre centre, ce noyau qui aime Dieu par nature.
  • Perspectives spirituelles et faits humains, Frithjof Schuon, éd. L'Âge d’Homme, 2003, p. 37


L'art sacré a essentiellement pour fonction, à part son rôle simplement didactique, de transférer la Substance à la fois une et inexhaustible dans le monde de l'accident et de ramener la conscience accidentelle vers la Substance. Nous pourrions dire également que l'art sacré transpose l'Être dans le monde de l'existence, de l'agir ou du devenir, ou qu'il transpose en quelque manière l'Infini dans le monde du fini, ou l'Essence dans le monde de la forme ; par là même, il suggère une continuité allant de l'un à l'autre, une voie partant de l'apparence ou de l'accident et débouchant dans la Substance ou dans ses réverbérations célestes.
  • Logique et transcendance, Frithjof Schuon, éd. Editions traditionnelles, 1972, p. 96


Aucun art en soi n'est une création humaine ; mais l'art sacré a ceci de particulier que son contenu essentiel est une révélation, qu'il manifeste une forme proprement sacramentelle de la réalité céleste, telle l'icône de la Vierge avec l'Enfant, peinte par un ange, ou par saint Luc inspiré par un ange, et telle l'icône de la Sainte Face qui remonte au saint suaire et à sainte Véronique ; ou telle la statue de Shiva dansant ou les images peintes ou sculptées des Bouddhas, des Bodhisattvas, des Târâs.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 180


[Dans l'art sacré], le génie véritable peut développer sans innover : il atteint la perfection, la profondeur et la puissance d'expression, d'une manière presque imperceptible, moyennant les impondérables de vérité et de beauté qui mûrissent dans l'humilité, sans laquelle il n'y a pas de vraie grandeur.
  • Castes et races, suivi de Principes et critères de l'art universel, Frithjof Schuon, éd. Arché, 1979, p. 68


Voie spirituelle[modifier]

Aperçus[modifier]

En réalité, ce qui sépare l’homme de la Réalité divine est une cloison infime : Dieu est infiniment proche de l’homme, mais celui-ci est infiniment loin de Dieu. Cette cloison, pour l’homme, est une montagne ; l’homme se tient devant une montagne qu’il doit enlever de ses propres mains. Il creuse la terre, mais en vain, la montagne reste ; l’homme cependant continue à creuser, au nom de Dieu. Et la montagne s’évanouit. Elle n’a jamais été.
  • Les stations de la sagesse, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2011, p. 157


L’intelligence a beau affirmer les vérités métaphysiques et eschatologiques, l’imagination – ou le subconscient – continue à croire fermement au monde, non à Dieu ni à l’au-delà ; tout homme est a priori hypocrite. La voie, c’est précisément le passage de l’hypocrisie naturelle à la sincérité spirituelle.


Se dépasser : c’est là le grand impératif de la condition humaine ; et il en est un autre qui l’anticipe et en même temps le prolonge : se dominer. L’homme noble est celui qui se domine ; l’homme saint est celui qui se dépasse. La noblesse et la sainteté sont les impératifs de l’état humain.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 143


En fait, la connaissance métaphysique, si elle demeure purement mentale, n'est pratiquement rien ; la connaissance n'est une valeur qu'à condition de se prolonger et dans l'aimer et dans le vouloir. Aussi le but de la voie est-il tout d'abord de réparer cette cassure héréditaire et ensuite – sur cette base – d'opérer l'ascension vers le Souverain Bien, lequel selon le mystère d'immanence est notre propre Être.


La fonction essentielle de l'intelligence humaine est le discernement entre le Réel et l'illusoire, ou entre le Permanent et l'impermanent ; et la fonction essentielle de la volonté est l'attachement au Permanent ou au Réel. Ce discernement et cet attachement sont la quintessence de toute spiritualité ; et portés à leur degré le plus élevé, ou réduits à leur substance la plus pure, ils constituent, dans tout grand patrimoine spirituel de l'humanité, l'universalité sous-jacente, ou ce que nous pourrions appeler la religio perennis ; c'est à celle-ci qu'adhèrent les sages, tout en se fondant nécessairement sur des éléments d'institution divine.
  • Regards sur les mondes anciens, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2016, p. 174


Parmi les qualités qui sont indispensables pour la spiritualité en général, nous nommerons d'abord une attitude mentale que nous pourrions désigner, faute d'un meilleur terme, par le mot « objectivité » : c'est une attitude parfaitement désintéressée de l'intelligence, donc libre d'ambition et de parti pris et, de ce fait, empreinte de sérénité. En second lieu, nous nommerons une qualité concernant la vie psychique de l'individu : c'est la noblesse, c’est-à-dire l'élévation de l'âme par rapport aux choses mesquines ; c'est au fond un discernement, en mode psychique, entre l'essentiel et l'accidentel, ou entre le réel et l'irréel. Enfin, il y a la vertu de simplicité : l'homme est libéré de toute crispation inconsciente à base d'amour-propre ; il a, vis-à-vis des êtres et des choses, une attitude parfaitement originale et spontanée, c’est-à-dire dépourvue de tout artifice ; il est libre de toute prétention, ostentation ou dissimulation ; en un mot, il est sans orgueil. Toute méthode spirituelle exige avant tout une attitude de pauvreté, d'humilité, de simplicité ou d'effacement, attitude qui est comme une anticipation de l'extinction en Dieu.


Ésotérisme[modifier]

L'ésotérisme en soi est la métaphysique tout court, à laquelle se joint nécessairement une méthode de réalisation appropriée ; l'ésotérisme de telle religion – de tel exotérisme précisément – s'adapte au contraire à cette religion et entre par là dans des méandres théologiques, psychologiques et légalistes étrangers à sa nature, tout en conservant en son centre secret son caractère authentique et plénier, sans quoi il ne serait pas ce qu'il est.
  • Résumé de métaphysique intégrale, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1985, p. 73


La vérité ésotérique est une épée à double tranchant : il est des hommes qui perdent Dieu parce qu'ils ignorent cette vérité qui seule les sauverait ; il en est d'autres qui, croyant la comprendre, se forgent une foi illusoire et arrogante qu'ils mettent pratiquement à la place de Dieu.
  • Perspectives spirituelles et faits humains, Frithjof Schuon, éd. L'Âge d’Homme, 2003, p. 104


La connaissance des divers mondes traditionnels, donc de la relativité des formulations doctrinales ou des perspectives formelles, renforce le besoin d'essentialité d'une part et d'universalité d'autre part ; et l'essentiel et l'universel s'imposent d'autant plus que nous vivons dans un monde de sursaturation philosophique et d'effondrement spirituel.


L'ésotérisme comporte quatre principales dimensions : une intellectuelle, dont témoigne la doctrine ; une volitive ou technique, qui englobe les moyens directs ou indirects de la voie ; une morale, qui concerne les vertus intrinsèques et extrinsèques ; une esthétique, dont relèvent le symbolisme et l'art au double point de vue objectif et subjectif.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 171


Il n'y a pas de théophanie qui ne soit préfigurée dans la constitution même de l'être humain, car celui-ci est « fait à l'image de Dieu » ; l'ésotérisme entend actualiser ce que Dieu a mis de divin dans ce miroir de lui-même qu'est l'homme.
  • Résumé de métaphysique intégrale, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1985, p. 75


L'anthropologie spirituelle de l'ésotérisme authentique part de l'idée que l'homme se définit par une intelligence totale et « déiforme », alors que la religion commune définit l'homme volontiers comme « pécheur », « esclave », voire « néant » ; donc selon la « chute » ou selon la seule limitation créaturielle, non selon la substance inaliénable ni par conséquent selon le « contenu divin ».
  • Racines de la condition humaine, Frithjof Schuon, éd. La Table ronde, 1990, p. 143


Toute la question est de savoir si l'homme possède l'intuition « prélogique » de la Substance où s'il est fondamentalement solidaire de l'accidence ; dans le premier cas, son intelligence est faite pour la gnose, et des raisonnements – ou des imageries – enfermés dans l'accidentel n'auront en fin de compte aucune prise sur lui. Pour l'homme moyen, l'existence commence avec l'homme posé sur terre : il y a l'espace et il y a les choses, il y a « moi » et « l'autre », nous voulons ceci et tel autre veut cela, et ainsi de suite ; il y a le bien et le mal, la récompense et la punition et, au-dessus de tout cela, Dieu avec ses volontés insondables. Mais pour le contemplatif-né, tout commence avec la Vérité, qui est sentie comme un Être sous-jacent et omniprésent ; tout le reste ne se comprend, en définitive, que par elle et en elle ; en dehors d'elle, le monde n'est qu'un rêve inintelligible. Il y a la Vérité, la nature des choses, puis les consciences qui en sont les réceptacles : l'homme est avant tout une conscience dans laquelle le Vrai se reflète, et autour de laquelle le Vrai ou le Réel se manifeste dans un jeu innombrable de cristallisations ; pour le contemplatif, les phénomènes et les histoires ne constituent pas un postulat compact et naïf, ils ne sont intelligibles ou supportables qu'en fonction de la Vérité première.
  • Logique et transcendance, Frithjof Schuon, éd. Editions traditionnelles, 1972, p. 94


Métaphysique[modifier]

La métaphysique est la science de l'absolu ou de la vraie nature des choses.
  • Logique et transcendance, Frithjof Schuon, éd. Editions traditionnelles, 1972, p. 44


Le contenu de la Doctrine universelle et primordiale est le suivant, exprimé en termes védantins : "Brahma est la Réalité ; le monde est l'apparence ; l'âme n'est pas différente de Brahma." Ce sont là les trois grandes thèses de la métaphysique intégrale : une positive, une négative, une unitive.


La gnose est essentiellement la voie de l'intellect et, partant, de l'intellection ; le moteur de la voie est avant tout l'intelligence, non la volonté et le sentiment, comme c'est le cas dans les mystiques monothéistes sémitiques – y compris le soufisme moyen. La gnose se caractérise par son recours à la métaphysique pure : distinction entre Âtmâ et Mâyâ et conscience de l'identité potentielle entre le sujet humain, jîvâtmâ, et le Sujet divin, Paramâtmâ.


La métaphysique n'entend fournir dialectiquement que des points de repère ; elle offre – et c'est toute sa raison d'être – un système de clefs parfaitement suffisant, moyennant un langage qui ne peut être autre qu'indicatif et elliptique.
  • Racines de la condition humaine, Frithjof Schuon, éd. La Table ronde, 1990, p. 40


La principale cause d'une incompréhension métaphysique est moins une incapacité intellectuelle foncière qu'un attachement passionnel à des concepts conformes à l'individualisme naturel de l'homme. D'une part, le dépassement de cet individualisme prédispose à ladite compréhension ; d'autre part, la métaphysique totale contribue à ce dépassement ; toute réalisation spirituelle a deux pôles ou deux points de départ, l'un se situant dans notre pensée, et l'autre dans notre être.
  • Forme et substance dans les religions, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2012, p. 267


Symbolisme[modifier]

Le langage de la Sophia perennis est avant tout le symbolisme sous toutes ses formes, aussi l'ouverture au message des symboles est-elle un don propre à l'homme primordial, et à ses héritiers de toute époque.
  • La transfiguration de l’homme, Frithjof Schuon, éd. L’Âge d’Homme, 1995, p. 18


Est abstrait un symbolisme en tant qu'il signifie une réalité principielle ; il est concret en tant qu'il communique la nature de cette réalité, c'est-à-dire qu'il la rend présente à notre expérience.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 99


Le langage de la religion est le symbolisme, et celui-ci est ce qui à la fois sépare et unit. C'est le symbolisme qui constitue la particularité à la fois illuminante et séparative qui caractérise les religions, et c'est encore le symbolisme qui, du fait de sa validité universelle et de son illimitation en profondeur, permet au contraire d'atteindre la religio perennis ; de dégager le contenu un, et la raison d'être, du phénomène religieux.
  • Approches du phénomène religieux, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1984, p. 8


Ce qui manque dans le monde actuel, c'est une connaissance pénétrante et globale de la nature des choses ; les vérités fondamentales sont toujours accessibles, mais elles ne sauraient s'imposer à ceux qui refusent de les prendre en considération. Il va de soi qu'il s'agit ici, non des données tout extérieures que la science expérimentale peut nous fournir, mais de réalités que cette science ne manie pas, et ne peut pas manier, et qui nous sont transmises par de tout autres canaux, ceux du symbolisme mythologique et métaphysique notamment, sans parler de l'intuition intellectuelle, dont la possibilité de principe réside en tout homme. Le langage symbolique des grandes traditions de l'humanité peut paraître ardu et déconcertant pour certains esprits, mais il est néanmoins intelligible à la lumière des commentaires orthodoxes ; le symbolisme, il faut y insister, est une science réelle et rigoureuse, et rien n'est plus aberrant que de croire que son apparente naïveté provient d'une mentalité fruste et « prélogique ». Cette science, que nous pouvons qualifier de « sacrée », ne saurait s'adapter à la méthode expérimentale des modernes ; le domaine de la révélation, du symbolisme, de l'intellection pure, transcende de toute évidence les plans physique et psychique et il se situe par conséquent au-delà du domaine des méthodes dites scientifiques. Si nous pensons ne pas pouvoir accepter le langage du symbolisme traditionnel parce qu'il nous apparaît comme fantastique et arbitraire, cela montre que nous n'avons pas encore compris ce langage, et certes non que nous l'avons dépassé.
  • Le jeu des masques, Frithjof Schuon, éd. L’Âge d’Homme, 1992, p. 104


Sagesse[modifier]

La sagesse consiste non seulement à connaître des vérités et à être capable de les communiquer, elle consiste également dans la capacité du sage de reconnaître les limites ou les risques les plus subtils de la nature humaine.


La sagesse c'est, non seulement se détacher des reflets, mais également savoir et sentir que les archétypes se trouvent en nous-mêmes et sont accessibles au fond de nos cœurs ; nous possédons ce que nous aimons, dans la mesure où ce que nous aimons est digne d'être aimé.
  • La transfiguration de l’homme, Frithjof Schuon, éd. L’Âge d’Homme, 1995, p. 107


La divine Mâyâ – la Féminité in divinis – n'est pas seulement ce qui projette et crée, elle est aussi ce qui attire et délivre. La Sainte Vierge en tant que Sedes Sapientiae personnifie cette Sagesse miséricordieuse qui descend vers nous, et que nous aussi, que nous le sachions ou non, portons en notre propre essence ; et c'est précisément en vertu de cette potentialité ou de cette virtualité que la Sagesse descend sur nous. Le siège immanent de la Sagesse est le cœur de l'homme.
  • Approches du phénomène religieux, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1984, p. 97


Connaissance[modifier]

En partant de l'axiome que toute connaissance, par définition, comporte un sujet et un objet, nous préciserons ce qui suit : le sujet de la connaissance des phénomènes sensibles est évidemment telle faculté sensorielle ou l'ensemble de ces facultés ; le sujet de la connaissance des principes physiques, ou des catégories cosmiques, est la faculté rationnelle ; et le sujet de la connaissance des principes métaphysiques est le pur intellect et, par conséquent, l'intuition intellectuelle ; intuition ou intellection et non opération discursive. Une connaissance dont le sujet n'est pas l'intellect ne saurait être métaphysique ; on ne peut, en partant de l'observation des phénomènes, arriver à une réalité que seul « Dieu en nous » peut nous faire percevoir. Trois subjectivités, trois modes de certitude : du relatif à l'absolu.
  • Racines de la condition humaine, Frithjof Schuon, éd. La Table ronde, 1990, p. 32


Le principe de connaissance n'implique par lui-même aucune limitation ; connaître, c'est connaître tout le connaissable, et celui-ci coïncide avec le réel, étant donné qu'a priori et dans l'Absolu le sujet et l'objet se confondent : connaître c'est être, et inversement. Si l'on nous dit que l'Absolu est inconnaissable, cela se rapporte, non à notre faculté intellective de principe, mais à telle modalité de facto de cette faculté ; à telle écorce, non à la substance.


Connaître Dieu, le Réel en soi, le suprême Intelligible, puis connaître les choses en fonction de cette connaissance, et par conséquent aussi nous connaître nous-mêmes : ce sont là les dimensions de l'intelligence intrinsèque et intégrale ; la seule digne de ce nom, à rigoureusement parler, car elle seule est proprement humaine.
  • Racines de la condition humaine, Frithjof Schuon, éd. La Table ronde, 1990, p. 19


La volonté du Bien et l’amour du Beau sont les concomitances nécessaires, aux répercussions incalculables, de la connaissance du Vrai.
  • De l'unité transcendante des religions, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2014, p. 164


Seule la science de l’Absolu donne un sens et une discipline à la science du relatif.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 142


Il convient de distinguer entre une connaissance qui est active et mentale, à savoir le discernement doctrinal par lequel nous prenons conscience de la vérité, et une connaissance qui est passive, réceptive et cardiaque, à savoir la contemplation invocatoire par laquelle nous assimilons ce dont nous avons pris conscience.


Le passage de la connaissance distinctive ou mentale à la connaissance unitive ou cardiaque découle du contenu même de la pensée : ou bien nous comprenons imparfaitement ce que signifient les notions d’Absolu, d’Infini, d’Essence, de Substance, d’Unité, et alors nous nous satisfaisons des concepts, et c’est ce que font les philosophes au sens conventionnel du mot ; ou bien nous comprenons ces notions parfaitement, et alors elles nous obligent par leur contenu même à dépasser la séparativité conceptuelle en cherchant le Réel au fond du Cœur, non en aventuriers mais à l’aide des moyens traditionnels sans lesquels nous ne pouvons rien et n’avons droit à rien. La Substance transcendante et exclusive se révèle alors comme immanente et inclusive. On pourrait dire aussi que Dieu étant Tout ce qui est, nous devons Le connaître avec tout ce que nous sommes ; et connaître Ce qui est infiniment aimable – puisque rien n’est aimable si ce n’est par Lui – c’est L’aimer infiniment.
  • Forme et substance dans les religions, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2012, p. 59


Prière[modifier]

Toutes les fois que l’homme se tient devant Dieu avec un cœur intègre – c’est-à-dire pauvre et sans enflure –, il se tient sur le sol de l’absolue certitude, celle de son salut conditionnel aussi bien que celle de Dieu. Et c’est pour cela que Dieu nous a fait don de cette clef surnaturelle qu’est la prière : afin que nous puissions nous tenir devant Lui, comme dans l’état primordial, et comme toujours et partout ; ou comme dans l’éternité.
  • Résumé de métaphysique intégrale, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1985, p. 68


La prière – au sens le plus large – triomphe des quatre accidents de notre existence : le monde, la vie, le corps, l’âme ; nous pourrions dire aussi : l’espace, le temps, la matière, le désir. Elle se situe dans l’existence comme un abri, comme un îlot. En elle seule, nous sommes parfaitement nous-mêmes, parce qu’elle nous met en présence de Dieu. Elle est comme un diamant que rien ne peut ternir et auquel rien ne résiste.
  • Perspectives spirituelles et faits humains, Frithjof Schuon, éd. L'Âge d’Homme, 2003, p. 286


La prière individuelle a pour but, non seulement l'obtention de faveurs particulières, mais aussi la purification de l'âme : elle défait les nœuds psychiques, ou en d'autres termes, elle dissout les coagulations subconscientes et épuise bien des poisons secrets ; elle extériorise, devant Dieu, les difficultés, défaillances et crispations de l'âme, ce qui présuppose que celle-ci soit humble et véridique, et cette extériorisation – opérée au regard de l'Absolu – a la vertu de rétablir l'équilibre et de ramener la paix ; en un mot, de nous ouvrir à la grâce.
  • Les stations de la sagesse, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2011, p. 124


Le don de soi pour Dieu est toujours un don de soi pour tous ; se donner à Dieu, et serait-ce à l’insu de tous, c’est se donner aux hommes, car il y a dans ce don de soi une valeur sacrificielle dont le rayonnement est incalculable.
  • Regards sur les mondes anciens, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2016, p. 149


Qu'est-ce que le monde, sinon un écoulement de formes, et qu'est-ce que la vie, sinon une coupe qui, apparemment, se vide entre deux nuits ? Et qu'est-ce que l'oraison, sinon le seul point stable – fait de paix et de lumière – dans cet univers de rêve, et la porte étroite vers tout ce que le monde et la vie ont recherché en vain ? Dans la vie d'un homme ces quatre certitudes sont tout : le moment présent, la mort, la rencontre avec Dieu, l'éternité. La mort est une sortie, un monde qui se ferme ; la rencontre avec Dieu est comme une ouverture vers une infinitude fulgurante et immuable ; l'éternité est une plénitude d'être dans la pure lumière ; et le moment présent est, dans notre durée, un lieu presque insaisissable où nous sommes déjà éternels – une goutte d'éternité dans le va-et-vient des formes et des mélodies. L'oraison donne à l'instant terrestre tout son poids d'éternité et sa valeur divine ; elle est la sainte barque qui conduit, à travers la vie et la mort, vers l'autre rive, vers le silence de lumière – mais ce n'est pas elle, au fond, qui traverse le temps en se répétant, c'est le temps qui s'arrête pour ainsi dire devant son unicité déjà céleste.
  • Les stations de la sagesse, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2011, p. 144


L’homme prie, et la prière façonne l’homme. Le saint est devenu lui-même prière, lieu de rencontre entre la terre et le Ciel ; il contient par là l’univers, et l’univers prie avec lui. Il est partout où la nature prie, il prie avec elle et en elle : dans les cimes qui touchent le vide et l’éternité, dans une fleur qui s’éparpille, ou dans le chant perdu d’un oiseau. Qui vit dans la prière, n’a pas vécu en vain.
  • Perspectives spirituelles et faits humains, Frithjof Schuon, éd. L'Âge d’Homme, 2003, p. 287


Soufisme[modifier]

Tout le soufisme, nous semble-t-il, peut tenir en ces quatre mots Haqq, Qalb, Dhikr, Faqr : « Vérité », « Cœur », « Souvenir », « Pauvreté ». Haqq coïncide avec la Shahâdah, le double Témoignage ; la Vérité métaphysique, cosmologique, mystique et eschatologique. Qalb signifie que cette Vérité doit être acceptée, non par la pensée seulement, mais avec le Cœur ; donc avec tout ce que nous sommes. Le Dhikr est l'actualisation permanente, au moyen de la parole sacramentelle, de cette foi ou de cette gnose ; tandis que le Faqr est la simplicité et la pureté de l'âme, lesquelles rendent possible cette actualisation en lui conférant la sincérité sans laquelle aucun acte n'est valide.
  • Le soufisme, voile et quintessence, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 2007, p. 130


[...] Ces diverses données permettent d'envisager une interprétation particulière du ternaire Sharî'ah-Tarîqah-Haqîqah, « Loi-Voie-Vérité » : tandis que selon l'usage courant des termes la Tarîqah est la Voie, et la Haqîqah la Réalité à atteindre, – du moins quand on entend ce dernier terme en connexion avec le précédent, – nous pouvons entendre par Tarîqah le vaste domaine du soufisme moyen, et par Haqîqah le domaine restreint du soufisme quintessentiel, donc de l'ésotérisme proprement dit ; le premier se fondant sur le pessimisme anthropologique, l'ascétisme, l'accumulation des pratiques méritoires et un moralisme scrupuleux, et le second, sur la gnose au double point de vue doctrinal et opératif.
  • Sur les traces de la Religion pérenne, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1982, p. 91


En fait, le dénominateur « soufisme » englobe le fanatisme le plus plat aussi bien que la spéculation la plus profonde ; or ni l'un ni l'autre ne constitue le taçawwuf plénier, ce qui va de soi pour la première attitude, tandis que la seconde n'est intégralement l'ésotérisme qu'à condition de s'accompagner d'une méthode appropriée et non d'observances pieuses seulement, dont l'accentuation émotionnelle n'est d'ailleurs guère compatible avec la perspective de la gnose. L'ésotérisme authentique est la voie qui se fonde sur la vérité totale ou essentielle, non partielle ou formelle seulement, et qui fait un usage opératif de l'intelligence, non de la volonté et du sentiment seulement. La totalité de la vérité exige la totalité de l'homme.
  • Le soufisme, voile et quintessence, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 2007, p. 95


« La Doctrine (et la Voie) de l'Unité est unique » (Et-Tawhîdu wâhid) : cette formule classique énonce d'une manière concise l'essentialité, la primordialité et l'universalité de l'ésotérisme islamique aussi bien que de l'ésotérisme tout court ; et nous dirons même que toute la sapience – tout l'Advaita-Vedânta si l'on veut – se trouve, pour l'islam, contenue dans la seule Shahâdah, le double Témoignage de foi.
  • Le soufisme, voile et quintessence, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 2007, p. 112


Sainteté[modifier]

La sainteté, c’est le sommeil de l’ego et la veille de l’âme immortelle – de l’ego nourri d’impressions sensorielles et rempli de désirs, et de l’âme libre, cristallisée en Dieu. La surface mouvante de notre être doit dormir et par conséquent se retirer des images et des instincts, tandis que le fond de notre être doit veiller dans la conscience du Divin et illuminer ainsi, telle une flamme immobile, le silence du saint sommeil.


Pour pouvoir maintenir le monde en équilibre, ou pour pouvoir même l'améliorer en tel secteur, il ne suffit pas qu'il y ait des hommes capables de prendre des mesures efficaces en accord avec les principes spirituels, il faut aussi qu'il y ait des saints qui, semblables au « moteur immobile » d'Aristote, ne réalisent que la « seule chose nécessaire », donc ce qui constitue la raison d'être de toute cité humaine.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 161


La sainteté est essentiellement la contemplativité : c’est l’intuition de la nature spirituelle des choses ; intuition profonde qui détermine toute l’âme, donc tout l’être de l’homme.


Le saint, c'est l'homme qui agit comme s'il était mort et revenu à la vie : ayant déjà cessé d'être « lui-même », au sens terrestre, il n'entend point revenir à ce rêve, mais se maintient dans une sorte de veille que le monde, domaine des étroitesses et des impuretés, ne peut comprendre.


Vertu[modifier]

La vertu, c’est laisser libre passage, dans l’âme, à la Beauté de Dieu.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 93


Il n’y a pas de vertu valable sans piété, et il n’y a pas de piété authentique sans vertu.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 85


La vertu est un rayon de la Beauté divine, à laquelle nous participons par notre nature ou par notre volonté, facilement ou difficilement, mais toujours par la grâce de Dieu.


La vertu, c’est la conformité de l’âme au Modèle divin et à l’œuvre spirituelle ; conformité ou participation. L’essence des vertus est le vide devant Dieu, lequel permet aux Qualités divines d’entrer dans le cœur et de rayonner dans l’âme. La vertu est l’extériorisation du cœur pur.


Toute vertu est une participation à la beauté de l’Un et une réponse à son amour.


Le désir de vaincre des défauts parce que c'est « moi » qui les ai, est inopérant puisqu'il est lui-même du même ordre que ces défauts. Tout défaut, en effet, est une forme d'égoïsme, voire d'orgueil. Nous devons tendre vers la perfection parce que nous la comprenons et que par conséquent nous l'aimons, et non parce que nous désirons que notre « moi » soit parfait. En d'autres termes : il faut aimer et réaliser une vertu parce qu'elle est vraie et belle, et non parce qu'elle nous embellirait si nous la possédions ; et il faut détester et combattre un défaut parce qu'il est faux et laid, et non parce qu'il est nôtre et qu'il nous enlaidit. Avoir une vertu, c'est avant tout ne pas avoir de défaut qui lui est contraire, car Dieu nous a créés vertueux. Il nous a créés à son image ; les défauts sont surajoutés. Au demeurant, ce n'est pas nous qui possédons la vertu, c'est la vertu qui nous possède.


Il n’y a pas d’accès au Cœur sans les vertus.


Divers[modifier]

Révélation[modifier]

La révélation est l'irruption fulgurante d'une connaissance qui provient, non d'un subconscient individuel ou collectif, mais au contraire d'un supraconscient qui, tout en demeurant latent dans tous les êtres, en dépasse pourtant immensément les cristallisations individuelles et psychologiques.
  • Regards sur les mondes anciens, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2016, p. 137


Spécifions que les lacunes éventuelles de l'esprit humain sont dues, non à des causes fortuites, mais aux conditions mêmes de « l'âge sombre » – le kali-yuga – lequel a pour effet, parmi d'autres modes de déchéance, un affaiblisse¬ment progressif de la pure intellection et des tendances ascendantes de l'âme ; d'où la nécessité des révélations religieuses, d'où aussi le phénomène problématique des philosophies gratuites et divergentes.


La valeur de l'homme est dans sa conscience de l'Absolu, et par conséquent dans l'intégralité et la profondeur de cette conscience ; l'ayant perdu de vue en s'enfonçant dans le monde des phénomènes envisagés en tant que tels, l'homme a besoin, pour le lui rappeler, du Message céleste. Au fond, ce Message vient de « lui-même » ; non de son moi empirique bien entendu, mais de son immanente ipséité, qui est celle de Dieu et sans laquelle il n'y aurait pas de moi humain, ni angélique, ni autre ; la crédibilité du Message résulte du fait qu'il est ce que nous sommes, à la fois en nous-mêmes et au-delà de nous-mêmes. Au fond de la transcendance est l'immanence, et au fond de l'immanence, la transcendance.
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 152


Religion[modifier]

Sans religion – ou sans religion authentique – une collectivité humaine ne saurait survivre à la longue ; c'est-à-dire qu'elle ne saurait rester humaine.


La religion traduit les vérités métaphysiques ou universelles en langage dogmatique ; or, si le dogme n'est pas accessible à tous dans sa Vérité intrinsèque que seul l'intellect peut atteindre directement, le même dogme n'en est pas moins accessible par la foi, seul mode de participation possible, pour la grande majorité des hommes, aux vérités divines. Quant à la connaissance intellectuelle qui ne procède ni d'une croyance ni d'un raisonnement, elle dépasse le dogme, en ce sens que, sans jamais le contredire, elle en pénètre la dimension interne, c'est-à-dire la Vérité infinie qui domine toutes les formes.
  • De l'unité transcendante des religions, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2014, p. 11


La science moderne a eu pour effet, entre autres, de blesser mortellement la religion, en posant concrètement des problèmes que seul l'ésotérisme peut résoudre, et que rien ne résout en fait puisque l'ésotérisme n'est pas écouté, et ne l'est moins que jamais. En face de ces problèmes nouveaux, la religion est désarmée, et elle emprunte maladroitement et en tâtonnant les arguments de l'adversaire, ce qui l'oblige à fausser insensiblement sa propre perspective et à se renier de plus en plus ; sa doctrine n'est pas atteinte, certes, mais les fausses opinions empruntées à ses négateurs la rongent sournoisement « de l'intérieur », témoin l'exégèse moderne, l'aplatissement démagogique de la liturgie, le darwinisme teilhardien ou l' « art sacré » d'obédience surréaliste et « abstraite ».
  • Regards sur les mondes anciens, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2016, p. 46


Il faut dire que les progressistes ne se trompent pas tout à fait quand ils estiment qu'il y a quelque chose, dans la religion, qui ne va plus ; en fait, l'argumentation individualiste et sentimentale avec laquelle opère la piété traditionnelle ne mord plus guère sur les consciences, et il en est ainsi, non seulement pour la simple raison que l'homme moderne est irréligieux, mais aussi parce que les arguments religieux habituels, n'allant pas suffisamment au fond des choses et n'ayant d'ailleurs pas eu besoin autrefois de le faire, sont quelque peu usés psychologiquement et ne répondent pas à certains besoins de causalité.
  • Forme et substance dans les religions, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2012, p. 236


On peut s'étonner et même se scandaliser de la fréquence, en climat religieux, d'opinions et d'attitudes plus ou moins inintelligentes, soit dit sans euphémisme ; la cause indirecte du phénomène est que la religion, dont le but est de sauver le plus grand nombre possible et non de satisfaire le besoin de causalité d'une élite intellectuelle, n'a pas de motif de s'adresser directement à l'intelligence proprement dite. Conformément à sa finalité et à la capacité de la majorité, le message religieux s'adresse globalement à l'intuition, au sentiment et à l'imagination, puis à la volonté, et à la raison dans la mesure où la condition humaine l'exige ; il informe les hommes de la réalité de Dieu, de l'immortalité de l'âme et des conséquences qui en découlent pour l'homme, et il offre à celui-ci les moyens de se sauver. Il n'est pas, ne veut pas, et ne peut être et offrir autre chose, explicitement tout au moins ; car implicitement il offre tout.
  • Résumé de métaphysique intégrale, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1985, p. 81


Théologie[modifier]

La théologie est somme toute le commentaire philosophique de la Révélation ; commentaire « inspiré » en ce sens qu'il prévient dans la mesure du possible les hérésies proprement dites, tout en tenant compte de l'opportunité psychologique et morale.


La perspective théologique se caractérise extrinsèquement par son souci de défendre des intérêts conceptuels et moraux, alors que la pure métaphysique rend compte de la nature des choses tout en étant consciente des aspects et des points de vue.
  • L'ésotérisme comme principe et comme voie, Frithjof Schuon, éd. Dervy Livres, 1997, p. 23


La théologie est une pensée qui, fondée sur les données scripturaires forcément antinomiques et elliptiques, mais nullement contradictoires ni insolubles, interprète ces données au moyen de la raison et en fonction d'une piété souvent plus fervente qu'éclairée : il en résulte parfois des théories sans doute opportunes et efficaces sous tel rapport psychologique ou moral, mais limitatives ou même aberrantes au point de vue de la vérité pure et simple, et en tout cas irrecevables sur le plan de la métaphysique.


Les théologies monothéistes ordinaires n'opèrent qu'avec l'alternative tout à fait insuffisante du « créé » et de l' « incréé » : il n'y a que Dieu et le monde, le Créateur et le créé, alors qu'en réalité il y a tout d'abord l'Absolu et le relatif, et ensuite, au sein de la Relativité, l'Incréé créateur – non l'Incréé en soi – et tout le créé.


Philosophie[modifier]

Il faudrait pouvoir restituer au mot « philosophie » sa signification originelle : la philosophie – l' « amour de la sagesse » – est la science de tous les principes fondamentaux ; cette science opère avec l'intuition, qui « perçoit », et non avec la seule raison, qui « conclut ». Subjectivement parlant, l'essence de la philosophie est la certitude ; pour les modernes au contraire, l'essence de la philosophie est le doute : le philosophe est censé raisonner sans aucune prémisse (voraussetzungsloses Denken), comme si cette condition n'était pas elle-même une idée préconçue ; c'est la contradiction classique de tout relativisme. On doute de tout, sauf du doute. La solution du problème de la connaissance – si problème il y a – ne saurait être ce suicide intellectuel qu'est la promotion du doute ; c'est au contraire le recours à une source de certitude qui transcende le mécanisme mental, et cette source – la seule qui soit – est le pur Intellect, ou l'Intelligence en soi.
  • La transfiguration de l’homme, Frithjof Schuon, éd. L’Âge d’Homme, 1995, p. 11


Si tel auteur ancien peut donner une impression de simplicité d'esprit, c'est pour une large part parce qu'il n'avait pas à tenir compte de mille erreurs encore inconnues ni de mille possibilités de mésinterprétation, et aussi, parce que sa dialectique n'avait pas à ressembler à une danse écossaise entre des œufs, étant donné qu'il pouvait se passer largement de nuances ; les mots avaient encore une fraîcheur et une plénitude – ou une magie – qu'il nous est difficile d'imaginer dans le climat d'inflation verbale où nous vivons.
  • Regards sur les mondes anciens, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2016, p. 104


Ce sont les sophistes, Protagoras en tête, qui sont les véritables précurseurs de la pensée moderne ; ce sont eux les « penseurs » proprement dits, en ce sens qu'ils se bornaient à ratiociner et ne se souciaient guère de « percevoir » et de rendre compte de ce qui « est ». Et c'est à tort qu'on a vu en Socrate, Platon et Aristote les pères du rationalisme, voire de la pensée moderne en général ; sans doute, ils raisonnent – Shankara et Râmânuja en font autant – mais ils n'ont jamais dit que le raisonnement est l'alpha et l'oméga de l'intelligence et de la vérité, ni a fortiori que nos expériences ou nos goûts déterminent la pensée et priment l'intuition intellectuelle et la logique, quod absit.
  • La transfiguration de l’homme, Frithjof Schuon, éd. L’Âge d’Homme, 1995, p. 12


Modernité[modifier]

Quand nous confrontons l'Antiquité avec notre époque, nous voyons deux extrêmes : d'une part la dureté marmoréenne et abstraite des Anciens, fondée sur la loi de sélection naturelle et sur les vertus aristocratiques des dieux et des héros, et d'autre part les excès de la démocratie de notre temps, à savoir le règne des inférieurs, le culte de la médiocrité et de la vulgarité, la protection sentimentaliste, non des faibles, mais des faiblesses et des tares, la mollesse psychologique à l'égard de toutes les formes du laisser-aller et du vice, l'immoralisme soutenu au nom de la « liberté » et de la « sincérité », la bêtise et le bavardage travestis en « culture », le mépris de la sagesse et la neutralisation de la religion, puis les méfaits d'une science athée qui nous mène à la surpopulation, à la dégénérescence et à la catastrophe.
  • La transfiguration de l’homme, Frithjof Schuon, éd. L’Âge d’Homme, 1995, p. 29


Le monde est malheureux parce que les hommes vivent au-dessous d'eux-mêmes ; l'erreur des modernes, c'est de vouloir réformer le monde sans vouloir ni pouvoir réformer l'homme ; et cette contradiction flagrante, cette tentative de faire un monde meilleur sur la base d'une humanité pire, ne peut aboutir qu'à l'abolition même de l'humain et par conséquent aussi du bonheur. Réformer l'homme, c'est le relier au Ciel, rétablir le lien rompu ; c'est l'arracher au règne de la passion, au culte de la matière, de la quantité et de la ruse, et le réintégrer dans le monde de l'esprit et de la sérénité, nous dirions même : dans le monde de la raison suffisante.


Ceux qui soutiennent l'argument évolutionniste d'un progrès intellectuel aiment à expliquer les idées religieuses et métaphysiques par des facteurs psychologiques inférieurs, tels que la peur de l'inconnu, l'espoir infantile d'un bonheur perpétuel, l'attachement à une imagerie devenue chère, l'évasion dans les rêves, le désir d'opprimer autrui à bon compte, et caetera ; comment ne voit-on pas que de tels soupçons, présentés sans vergogne comme des faits démontrés, comportent des inconséquences et impossibilités psychologiques qui n'échappent à aucun observateur impartial ? Si l'humanité a été stupide pendant des millénaires, on ne s'explique pas comment elle a pu cesser de l'être, d'autant que ce fut dans un laps de temps relativement très court ; et on se l'explique d'autant moins quand on observe avec quelle intelligence et quel héroïsme elle a été stupide pendant si longtemps et avec quelle myopie philosophique et quelle décadence morale elle est devenue enfin « lucide » et « adulte ».
  • Du Divin à l'humain, Frithjof Schuon, éd. Le Courrier du Livre, 1981, p. 18


Il est facile de critiquer le « fanatisme » de nos ancêtres quand on n'a même plus la notion d'une vérité salvatrice, ou d'être « tolérant » quand on se moque de la religion.
  • Regards sur les mondes anciens, Frithjof Schuon, éd. L'Harmattan, 2016, p. 20


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