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Daniel Arasse

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Daniel Arasse, né en 1944 et mort en 2003, est un historien de l’art français.

Citations

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La guillotine et l'imaginaire de la terreur

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Mais, ultime effet inattendu, en isolant ainsi la tête du guillotiné pour la mettre sous les yeux du spectateur, la machine à décapiter devient aussi une redoutable portraitiste, une véritable « machine à tirer le portrait ».
  • La guillotine et l’imaginaire de la terreur, Daniel Arasse, éd. Flammarion, 1987  (ISBN 2-08-211530-5), chap. Guillotine et portrait, p. 167 (lire en ligne)


Le détail : pour une histoire rapprochée de la peinture

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En 1938, à Londres, l’historien de l’art britannique Kenneth Clark publiait un ouvrage intitulé Cent Détails provenant des peintures de la National Gallery […], un second volume paraît en 1941 : Quelques Détails de plus. L’idée de Kenneth Clark était aussi simple qu’efficace : […] ses livres sont conçus pour le plaisir de l’œil. Les détails sont choisis pour leur beauté intrinsèque et ils reflètent le goût de celui qui les a sélectionnés. Les notes historiques qui accompagnent chaque détail représentent « le genre de conversation que deux amateurs de peinture pourraient avoir » en parcourant le musée.
  • Le détail : pour une histoire rapprochée de la peinture (1992), Daniel Arasse, éd. Flammarion, 1996  (ISBN 2-08-081624-1), chap. Préface, questions, p. 5 (lire en ligne)


Très différent du regard lancé de loin, celui qui est posé de près, celui qui, selon Klee, « broute » la surface, fait affleurer comme le sentiment d'une intimité, qu'il s'agisse de celle du tableau, du peintre ou de l'acte même de la peinture. Or, pris à cette intimité, le discours historique ou critique pouvait parfois se développer. Mais il arrivait aussi que cette intimité entraperçue provoquât une impossibilité de dire et même, comble du paradoxe historien, le désir de ne rien dire de ce qui avait été pressenti. Comme si l'ordre du discours affrontait là une de ses limites, la peinture dans sa poétique même.
  • Le détail : pour une histoire rapprochée de la peinture (1992), Daniel Arasse, éd. Flammarion, 1996  (ISBN 2-08-081624-1), chap. Préface, questions, p. 7 (lire en ligne)


Comme le notait André Chastel « l'histoire rassemble ce qui s'est extériorisé et cela, seulement dans la mesure où on peut le recueillir »; mais, au même endroit, il constate aussi que la « plus grande partie de la vie réellement vécue consiste en détails minuscules, en expériences non communiquées et même incommunicables, que rien n'enregistre ». Doit-on en faire le deuil ? […] Par ailleurs, dès lors qu'on a constaté que la présence du peintre dans sa peinture se marquait aussi par des détails minimes, quand on a observé que l'éventuel écart que ces détails font par rapport à l'œuvre dans son « tout ensemble » signale une présence discrète, latente parfois et même cachée (il y a des détails qui n'ont pas été faits pour être vus), doit-on renoncer à y porter l'attention et l'analyse ?
  • Le détail : pour une histoire rapprochée de la peinture (1992), Daniel Arasse, éd. Flammarion, 1996  (ISBN 2-08-081624-1), chap. Préface, questions, p. 8 (lire en ligne)


Le détail est un instrument décisif pour les analyses, les découvertes et les progrès de l’histoire de la peinture. Comme le dit aussi Chastel, « le détail singulier alerte et déclenche l'historien ».
  • Le détail : pour une histoire rapprochée de la peinture (1992), Daniel Arasse, éd. Flammarion, 1996  (ISBN 2-08-081624-1), chap. Préface, questions, p. 9 (lire en ligne)


En appelant le regard à se poser successivement en divers endroits du tableau, le détail rythme le parcours de ce regard qui suit les « chemins ménagés dans l’œuvre » (selon le terme de Klee) ou (pour reprendre l'expression à Diderot) la « ligne de liaison [qui] promène » l'œil. Mais le détail fait aussi courir à la composition le risque de sa dispersion.
  • Le détail : pour une histoire rapprochée de la peinture (1992), Daniel Arasse, éd. Flammarion, 1996  (ISBN 2-08-081624-1), chap. III. Paradoxes. Le tableau en morceaux, p. 225 (lire en ligne)


L'Ambition de Vermeer

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Léonard de Vinci : le rythme du monde

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Dieu mis à part, Léonard de Vinci est sans doute l’artiste sur lequel on a le plus écrit. […] Il a inspiré les fantasmes les plus légitimes et les déductions les plus saugrenues.
  • Léonard de Vinci : le rythme du monde, Daniel Arasse, éd. Hazan, 1997  (ISBN 2-85025-542-4), chap. Léonard aujourd’hui, p. 9 (lire en ligne)


En 1852, Théophile Gautier fait de Léonard un peintre romantique du crépuscule, du mystère, de l’ineffable. En 1855, Michelet approfondit le thème : Léonard, « ce surprenant magicien, le frère italien de Faust, étonna et effraya ». En 1869 finalement, Walter Pater noue le lien en faisant de La Joconde, être mythique « comme le Vampire », une sœur de la fameuse Méduse. Sans rien inventer en fait puisque, dès 1851, Gustave Planche affirmait que la Méduse des Offices contenait en germe « ce que nous admirons dans la Joconde du Louvre », Pater formalisait un sentiment diffus et l’efficacité de son écriture fait entendre son écho jusque chez Merejkowski et, de là, chez Freud.
  • Léonard de Vinci : le rythme du monde, Daniel Arasse, éd. Hazan, 1997  (ISBN 2-85025-542-4), chap. Léonard aujourd’hui, p. 13 (lire en ligne)


La conscience d'une dynamique inscrite au cœur de la Création, à la fois mouvance matérielle irrésistible du macrocosme et énergie spirituelle inaliénable du microcosme, est au centre des pensées et de l'art de Léonard. Cette intuition est d'abord celle, fondamentale, de l'unité du monde (et de l'homme, pars mundi, dans et avec le monde) comme incessante transformation. Comme l'a souligné André Chastel, la plupart des idées développées à ce sujet par Léonard sont empruntées, parfois directement, à Ovide et, en particulier, au grand discours du Livre XV des MétamorphosesPythagore décrit le monde dans un état permanent de devenir: depuis les montagnes qui ont été au fond des océans (et on sait l'importance des intuitions géologiques de Léonard) jusqu'à la belle Hélène dont la beauté est consumée par le temps (et on connaît la violence avec laquelle Léonard guette, chez le vieillard, la catastrophe de la beauté), « toute forme est une image errante ».
  • Léonard de Vinci : le rythme du monde, Daniel Arasse, éd. Hazan, 1997  (ISBN 2-85025-542-4), chap. Léonard aujourd’hui, p. 17 (lire en ligne)


Incontestablement, pour reprendre la formule de Paul Klee (dont les textes et les préoccupations font si souvent écho à ceux de Léonard), un aspect essentiel de l’art de Léonard tient à ce qu’il veut, en accord avec ce qu’il perçoit du monde, y faire sentir « la formation sous la forme ».
  • Léonard de Vinci : le rythme du monde, Daniel Arasse, éd. Hazan, 1997  (ISBN 2-85025-542-4), chap. Léonard aujourd’hui, p. 19 (lire en ligne)


Le rythme du monde est à ce point inscrit dans les pensées, les travaux et l’art de Léonard que l’ensemble de son œuvre peut apparaître comme donnant sa « forme symbolique » à une intuition du monde où macrocosme et microcosme participeraient d’un même rythme universel – que l’artiste lui-même écoute et cherche à rejoindre dans l’intimité de sa création.
  • Léonard de Vinci : le rythme du monde, Daniel Arasse, éd. Hazan, 1997  (ISBN 2-85025-542-4), chap. Léonard aujourd’hui, p. 20 (lire en ligne)


S'il fallait, à terme, chercher un cadre par rapport auquel situer l'intuition léonardesque du rythme du monde, on le trouverait chez Ovide. Comme l'a indiqué André Chastel, le grand discours prêté à Pythagore au chant XV des Métamorphoses (dont Léonard possédait un exemplaire) sert, en plusieurs points, de source directe à certaines pages de Léonard, et plusieurs de ses notations constituent autant de citations, directes ou de mémoire, du texte ovidien – qu'il s'agisse du thème du « Temps consumateur de toutes choses » et de la beauté d'Hélène en particulier, ou de la question des fossiles marins que l'élévation du sol terrestre a placés en haut des collines et des montagnes. D'une manière générale, « la cosmologie, la physique et même la morale de Léonard » sont remarquablement analogues à celles du Pythagore ovidien, dont la vision du monde se condense dans le vers célèbre: « Cuncta fluunt omnisque vagans formatur imago » (« Tout coule et chaque image est une forme errante »).
  • Léonard de Vinci : le rythme du monde, Daniel Arasse, éd. Hazan, 1997  (ISBN 2-85025-542-4), partie I. L’universel inachevé. Portrait de l’artiste en philosophe, chap. Le monde de Léonard, p. 129-130 (lire en ligne)


Donnant tout son sens et sa légitimation véritable au paragone tel que l'élabore Léonard (intégrée à ce qui est presque un système des connaissances et à ce qui n'est pas encore un « système des arts »), la peinture « absorbe, relie et complète toutes les activités de l'esprit ». Ce caractère « scientifique » de la peinture explique enfin l'extraordinaire promotion intellectuelle de la main du peintre, qui est sans doute le point où la théorie de l'art léonardienne fait entendre ses échos les plus modernes : « La science de la peinture réside dans l'esprit qui la conçoit; d'où naît ensuite l'exécution, bien plus noble que ladite théorie ou science » (Codex Urbinas, 19v).
  • Léonard de Vinci : le rythme du monde, Daniel Arasse, éd. Hazan, 1997  (ISBN 2-85025-542-4), partie L’ouvrage de peinture, chap. Les desseins du peintre, p. 269 (lire en ligne)


Le caractère divin que possède en propre la « science de la peinture » est inconcevable sans le dessin. Comme l'écrit Léonard au verso du folio 1 du Codex Urbinas, le dessin est le « fondement » de la peinture et c'est à partir de cet axiome qu'il peut considérer que la « peinture » est la maîtresse de l'architecture, de la poterie, de l'orfèvrerie, du tissage et de la broderie, et qu'elle a aussi inventé les caractères des diverses écritures, « donné les chiffres aux arithméticiens, appris aux géomètres le tracé des figures, et instruit opticiens, astronomes, dessinateurs de machines et ingénieurs ». On aura reconnu ici quelques-unes des activités de Léonard. Relais essentiel de sa recherche, qu'elle soit scientifique, technique ou artistique, le dessin est en effet au cœur de la démarche de sa pensée. Non seulement il lui permet de clarifier et de connaître le visible, non seulement il est « la seule forme satisfaisante d'investigation scientifique » mais, plus universellement, il construit le modèle théorique, conceptuel, du visible. […] Conjointement à cette approche graphique, linéaire, d'un monde qu'il perçoit en effet comme parcouru par une infinité de lignes virtuelles et dynamiques, le grand apport de sa peinture, lentement découvert et inventé, et comme son signe distinctif, réside dans le sfumato, cet estompage ou « enfumage » qui vise à annuler le contour des corps.
  • Léonard de Vinci : le rythme du monde, Daniel Arasse, éd. Hazan, 1997  (ISBN 2-85025-542-4), partie L’ouvrage de peinture, chap. Les desseins du peintre, p. 270-271 (lire en ligne)


[…] Ce mouvement virtuel de l'ombre est le ressort, dramatique, esthétique et scientifique, du sfumato léonardien. Fondé sur l'approche scientifique de la physiologie de la vision, mais reprenant aussi pour la porter à son aboutissement la tradition antique de la gradation des tons en vue d'obtenir le relief, le sfumato constitue, dans son acception la plus simple et selon la description qu'en donne Galilée dans ses Considérations sur le Tasse, un moyen de passer « sans rudesse d'une teinte à une autre, grâce auquel la peinture parvient à être douce et ronde, possédant force et relief[n 1].
  • Léonard de Vinci : le rythme du monde, Daniel Arasse, éd. Hazan, 1997  (ISBN 2-85025-542-4), partie L’ouvrage de peinture, chap. Les desseins du peintre, p. 309 (lire en ligne)


La Scapiliata
Expression suprême de la science de la peinture comme de son caractère divin, le sfumato léonardien est aussi le ressort de la poétique propre de ses tableaux et du mystère qui semble en émaner. L'étrange panneau connu sous le nom de La Scapiliata condense cette poétique du mystère. Si, par endroits, quelques lignes suggèrent la forme, la plupart des contours internes et externes sont produits par la lumière ou l'ombre adjacente – et l'incommensurable douceur du modelé n'est engendrée que par le voile d'ombres, parcourues de reflets, qui habillent le visage. […] le panneau est à la fois très fini et inachevé, comme suspendu dans ce moment d'équilibre où la figure affleure, « vivante », et où toute détermination supplémentaire figerait les virtualités dont l'indétermination est porteuse – comme si Léonard associait ici le génie de Parrhasios (la promesse du contour) et la qualité encore supérieure d'Apelle : savoir ôter à temps la main du tableau[n 2].
  • Léonard de Vinci : le rythme du monde, Daniel Arasse, éd. Hazan, 1997  (ISBN 2-85025-542-4), partie L’ouvrage de peinture, chap. Les desseins du peintre, p. 311 (lire en ligne)


On n’y voit rien

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Nous avons la même passion pour la peinture ; comment cela se fait-il qu’au moment d’interpréter certaines œuvres, nous puissions être aussi loin l’un de l’autre ? Je ne prétends pas que les œuvres n’auraient qu’un seul sens et qu’il n’y en aurait donc qu’une seule « bonne » interprétation. Ça, c’est Gombrich qui l’a dit, et tu sais ce que j’en pense. Non, ce qui me préoccupe, c’est plutôt le type d’écran (fait de textes, de citations et de références extérieures) que tu sembles à tout prix, à certains moments, vouloir interposer entre toi et l’œuvre, une sorte de filtre solaire qui te protègerait de l’éclat de l’œuvre et préserverait les habitudes acquises dans lesquelles se fonde et se reconnaît notre communauté académique.
  • On n’y voit rien (2000), Daniel Arasse, éd. Gallimard, 2003  (ISBN 978-2-07-042764-2), chap. Cara Giulia, p. 11-12


Mars et Vénus surpris par Vulcain
Tel que Tintoret nous le présente, ce pauvre Vulcain n'est pas seulement boiteux : à force de taper sur son enclume, il a dû devenir sourd comme un pot. La preuve : il n'entend même pas le chien. Et, pourtant, il en fait du bruit, le cabot : il aboie tout ce qu'il peut pour indiquer où est Mars. Un vrai roquet. Mais Vulcain n'entend rien! Tu devines pourquoi? Ce n'est pas tellement qu'il soit sourd; c'est qu'il pense à autre chose. À ce moment précis (et Tintoret a tout fait pour nous montrer qu'il représentait un instant), Vulcain oublie ce qu'il était venu chercher. Il est distrait. Ce qu'il voit là, entre les cuisses de sa femme, le rend aveugle (et sourd) à toute autre chose. Il ne voit plus que ça, il ne pense plus qu'à ça. Je n'invente rien. Il suffit de regarder dans le grand miroir qui est derrière lui pour voir ce qui va se passer, dans l'instant qui suit.
  • On n’y voit rien (2000), Daniel Arasse, éd. Gallimard, 2003  (ISBN 978-2-07-042764-2), chap. Cara Giulia, p. 16


Les Ménines ! Encore ? Non ! Non ! Par pitié ! Ça suffit, avec Les Ménines ! On a tout dit sur elles ! Tout et rien ? D’accord, mais quand même, maintenant, ça commence à bien faire.
  • On n’y voit rien (2000), Daniel Arasse, éd. Gallimard, 2003  (ISBN 978-2-07-042764-2), chap. L’œil du maître, p. 177


Les Ménines
Alors qu’est-ce que tu viens faire dans cette galère ? Qu’est-ce que tu veux nous dire, encore ? On a tout interprété du tableau, même ce qu’on n’y voit pas. On sait tout ce qu’on peut en savoir. […] Bref, on sait tout et on a tout imaginé sur ce tableau, pour le meilleur et pour le pire.
  • On n’y voit rien (2000), Daniel Arasse, éd. Gallimard, 2003  (ISBN 978-2-07-042764-2), chap. L’œil du maître, p. 178-179


Le Tableau de la famille, devenu Les Ménines, démontre que le peintre n’a pas besoin d’être un intellectuel pour penser. Tout se passe comme si, là, c’était le tableau qui produisait visuellement du sens, indépendamment et au-delà des idées que le peintre et son commanditaire pouvaient s’en faire – et longtemps après leur disparition. C’est sans doute ça aussi, un chef-d’œuvre.
  • On n’y voit rien (2000), Daniel Arasse, éd. Gallimard, 2003  (ISBN 978-2-07-042764-2), chap. L’œil du maître, p. 215-216


Histoires de peintures

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 Voir la série « Histoires de peintures », sur France Culture, .

Qu'est-ce qui fascine dans un tableau, qui fait que telle œuvre plutôt que telle autre nous arrête et qu'on ne peut s'en détacher, ou que l'œuvre vous « appelle », comme disait Roger de Piles ? En ce qui me concerne, car il n'y a bien sûr pas de règle générale, je dirais que c'est le sentiment que dans cette œuvre-là il y a quelque chose qui pense, et qui pense sans mots. Je suis quelqu'un qui parle et qui écrit, ma pensée se fait avec des mots, elle se cherche, s'exprime, et une peinture pense de façon non verbale; et certaines peintures m'attirent, me fixent, m'arrêtent, me parlent comme si elles avaient quelque chose à me dire, or en fait elles ne me disent rien, et c'est cette fascination-là, cette attente, qui m'arrête et me fixe.
  • Histoires de peintures (2004), Daniel Arasse, éd. Gallimard, 2006  (ISBN 978-2-07-032081-3), chap. le tableau préféré, p. 21-22


La Joconde.
La Joconde c’est la grâce, la grâce d’un sourire. Or, le sourire c’est éphémère, ça ne dure qu’un instant. Et c’est ce sourire de la grâce qui fait l’union du chaos du paysage qui est derrière, c’est-à-dire que du chaos on passe à la grâce et de la grâce on repassera au chaos. Il s’agit donc d’une méditation sur une double temporalité, et nous sommes là au cœur du problème du portrait, puisque le portrait est inévitablement une méditation sur le temps qui passe.
  • Les plus beaux textes de l’histoire de l’art, Pierre Sterckx, éd. Beaux Arts, 2009  (ISBN 978-2-84278-651-9), chap. Daniel Arasse et la Joconde de Léonard de Vinci, p. 50


À propos de cette interrogation sur la présence d’un pont, (Carlo Pedretti) dit une chose très simple à laquelle je n’avais pas pensé, à savoir que c’est le symbole du temps qui passe; s’il y a un pont, il y a une rivière, qui est le symbole banale par excellence du temps qui passe. […] Le thème du tableau c’est le temps.
  • Les plus beaux textes de l’histoire de l’art, Pierre Sterckx, éd. Beaux Arts, 2009  (ISBN 978-2-84278-651-9), chap. Daniel Arasse et la Joconde de Léonard de Vinci, p. 50


Quand vous avez vingt-deux ans, que vous arrivez en Italie par le nord et que vous découvrez le baptistère de Castiglione Olona, je crois que vous ne vous en remettez pas et que vous vous faites inoculer le virus italien! J'ai donc fait ma maîtrise sur Masolino (it), et ce goût de l'Italie s'est poursuivi, curieusement, par saint Bernardin de Sienne (it). Je me suis demandé pourquoi j'avais pris ce chemin, pourquoi ce thème […] . C'est en fait passé par le détour du problème de ce qui est écrit dans la peinture. Le fameux livre de Michel Butor, Les Mots dans la peinture, en fait état. Mais je m'étais posé une question que Michel Butor ne se pose pas dans ce livre : à quoi sert-il d'écrire des mots dans la peinture pour des spectateurs analphabètes ? En effet, il est très frappant que le public majeur des tableaux religieux ou des fresques soit analphabète, non pas illettré, mais il ne sait pas l'alpha et le bêta, il ne sait pas lire. J'avais très vite eu l'idée que ce n'était pas pour ce que disaient les mots écrits, puisqu'on ne savait pas les lire, mais pour l'image du verbe.
  • Histoires de peintures (2004), Daniel Arasse, éd. Gallimard, 2006  (ISBN 978-2-07-032081-3), chap. La thèse volée, p. 155-156


Mon projet de thèse, que je faisais sous la direction d'André Chastel, et je pense que cette thèse était presque ironique – je m'en suis rendu compte après coup – par rapport à Chastel, car son grand livre, sa thèse à lui, c'était « Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique » : la voie royale de l'histoire de l'art. De mon côté, la thèse que j'imaginais, jeune historien arrogant, c'était « Art et société autour de saint Bernardin de Sienne », évidemment aux antipodes exacts de mon maître de l'époque. Il se trouve que cette thèse, au bord d'être écrite – toutes les fiches étaient faites ainsi que la bibliographie, tout était classé, je n'avais plus qu'à l'écrire –, m'a été volée à Florence, dans le coffre de ma voiture. […] J'ai d'abord mis des annonces, je suis allé à Sienne dire à saint Bernardin qu'il fallait qu'il fasse quelque chose pour que je récupère cette thèse et finisse mon travail sur lui. Mais saint Bernardin avait, je pense, vraiment un secret, et ne tenait pas à ce que cette thèse soit faite ! Je n'ai pas renoncé à lui, j'ai continué à publier à son sujet, car c'est un thème absolument passionnant sur lequel je continue à réfléchir, mais je n'allais pas refaire tout ce travail, reprendre toutes les recherches, les photos, donc j'ai trouvé plus simple de changer de thèse et de directeur de thèse. C'est là que je suis passé, non pas de Charybde en Scylla, mais tout au contraire de Chastel en Marin ! Je suis donc passé de saint Bernardin à la question, plus large, de l'art de la mémoire et l'art de la rhétorique.
  • Histoires de peintures (2004), Daniel Arasse, éd. Gallimard, 2006  (ISBN 978-2-07-032081-3), chap. La thèse volée, p. 160-161


Tout historien de l'art travaille traditionnellement avec les détails. Je crois que c'est André Chastel qui a écrit dans Fables, formes, figures, son recueil de textes, que l'historien est alerté par le détail. Oui, parce qu'un détail qui ne cadre pas, qui ne colle pas avec l'ensemble du tableau, interroge, alerte l'historien […]. Tout historien dès lors qu'il s'intéresse en particulier à l'iconographie, donc au détail iconique, travaille avec le détail. Pourtant, je crois que la pratique habituelle de l'histoire de l'art consiste à éteindre le détail. L'historien est un peu comme le pompier du détail. Un détail est choquant, il faut l'éteindre, venir l'expliquer pour que tout soit à nouveau lisse. La fonction du détail est de nous appeler, de faire écart, de faire anomalie. L'histoire iconographique tend à penser que tous les détails sont normaux. Or ce qui m'intéressait, en tant que petit obsessionnel, c'était au contraire de dire que ce n'est pas normal, et de chercher les possibilités de cette anomalie. À ce moment-là s'ouvre une histoire rapprochée qui implique autant de lectures de documents, et peut-être même plus, qu'une histoire de loin.
  • Histoires de peintures (2004), Daniel Arasse, éd. Gallimard, 2006  (ISBN 978-2-07-032081-3), chap. Pour une histoire rapprochée de la peinture, p. 290-291


Autres citations

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Citations rapportées

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Dieu mis à part, Léonard de Vinci est sans doute l’artiste sur lequel on a le plus écrit.
  • « Daniel Arasse, Léonard de Vinci : un Léonard profondément génial et humain », Fabien Simode, Le journal des arts, mars 2012 (lire en ligne)
  • « Léonard de Vinci, une poétique de l'inachevé (1452-1519) », Émission Une vie, une œuvre, France Culture, 20 avril 2019 (lire en ligne)
  • « Léonard de Vinci, l'insaisissable », Catherine Golliau, Le Point, octobre 2019 (lire en ligne)


Citations sur

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Hubert Damisch

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Pour lui, le travail de l'historien d'art consistait à s'efforcer d'en voir assez pour être pris par l'envie d'en savoir un peu plus, mais surtout d'y regarder plus avant, de plus près, en s'aidant des photographies qu'il multipliait comme autant d'aide-mémoire.


Sara Longo

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« Et c'est à ce moment là que je suis passé, non pas du tout de Charibde en Scylla mais de Chastel à Marin… ce qui n'est pas du tout de Charibde en Scylla, c'est tout à fait le contraire[n 3] ! » À la fin des années soixante-dix, Daniel Arasse change de directeur de thèse. Cet événement est raconté dans Histoires de peintures, émissions radiophoniques enregistrées en 2003, transcrites et publiées à titre posthume l'année suivante. Ces mots, dont la transcription a quelque peu adouci le sarcasme, nous font comprendre avec ironie que Daniel Arasse, jeune étudiant, était bien content de se séparer d'André Chastel.
  • « Daniel Arasse élève d’André Chastel. Regards et dialogue », Sara Longo, dans André Chastel : méthodes et combats d'un historien de l'art [actes de colloque, Institut national d'histoire de l'art et Collège de France, 29 novembre-1er décembre 2012], Sabine Frommel, Michel Hochmann et Philippe Sénéchal, éd. Picard, 2015  (ISBN 978-2-7084-0992-7), partie Chastel, ses maîtres et ses contemporains. Modèles et méthodes, p. 150


La surprise est chez lui un instrument qui déclenche et guide l'analyse. Le regard arassien est curieux, impatient, constamment en demande de discussion et d'échange, de publication et de critique. Le style littéraire élaboré par l'auteur dans ses derniers textes entend de fait rendre cette urgence, cet effet d'« excitation que procure la proximité à l'œuvre », comme le précise Catherine Bédard en préface des Histoires de peintures. Selon les souvenirs d'amis et de collègues, cet enthousiasme avait le don d'agacer André Chastel.
  • « Daniel Arasse élève d’André Chastel. Regards et dialogue », Sara Longo, dans André Chastel : méthodes et combats d'un historien de l'art [actes de colloque, Institut national d'histoire de l'art et Collège de France, 29 novembre-1er décembre 2012], Sabine Frommel, Michel Hochmann et Philippe Sénéchal, éd. Picard, 2015  (ISBN 978-2-7084-0992-7), partie Chastel, ses maîtres et ses contemporains. Modèles et méthodes, p. 150


Une lecture rapide des écrits de Daniel Arasse pourrait faire croire que l'auteur se débarrasse des savoirs pour ne privilégier que la vision directe de l'œuvre. Rien de plus faux que cette pensée en surface, qui ne tient pas compte du support, à savoir une histoire de l'art indissociable de l'histoire de la culture. La formation auprès d'André Chastel a contribué à bâtir, si l'on peut dire, le châssis du tableau arassien, son support : la rigueur historique de l'approche arassienne est tributaire de l'enseignement chastelien et du renouvellement du regard sur la Renaissance italienne tel qu'il est élaboré dès les premières thèses du maître. À ce titre, André Chastel peut être considéré comme la figure du « garde-fou » pour Daniel Arasse : il l'a été dans son rapport de maître à élève en freinant les élans de jeunesse, ce qui a entraîné une séparation intellectuelle. Mais on comprend qu'Arasse a fait de ce frein un élément régulateur de l'interprétation, un outil constitutif de sa manière, pourtant si éloignée de l'histoire de l'art chastelienne.
  • « Daniel Arasse élève d’André Chastel. Regards et dialogue », Sara Longo, dans André Chastel : méthodes et combats d'un historien de l'art [actes de colloque, Institut national d'histoire de l'art et Collège de France, 29 novembre-1er décembre 2012], Sabine Frommel, Michel Hochmann et Philippe Sénéchal, éd. Picard, 2015  (ISBN 978-2-7084-0992-7), partie Chastel, ses maîtres et ses contemporains. Modèles et méthodes, p. 157


Notes et références

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  1. Galileo Galilei, Considerazioni al Tasso  (chant I, strophe 1), cité par (en) Alexander Nagel, « Leonardo and sfumato », Res. Anthropology and aesthetics, no24, automne 1993, p. 7 [texte intégral] . « […] sfumandosi dolcemente i confini, si passa senza crudeza dall'una all'altra tinta, onde la pittura riesce morbida, tonda, con forza e con rilievo », voir Considerazioni al Tasso, 1793 [lire en ligne], p. 20  et Le opere di Galileo Galilei, vol. IX, 1933 [lire en ligne], p. 63  (s:it:Indice:Le opere di Galileo Galilei IX.djvu (p. 63))
  2. Voir Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XXXV (s:Histoire naturelle (trad. Littré)/XXXV#475).
  3. « La thèse volée », Histoires de peintures par Daniel Arasse, sur radiofrance.fr.

Voir aussi

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