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Serge Daney

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Serge Daney est un critique de cinéma né à Paris le 4 juin 1944 et mort le 12 juin 1992.

Il est considéré comme l'un des plus importants critiques de sa génération. Il développa une théorie voir une morale de l'image. Il fut rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, puis chroniqua dans Libération puis il fonda la revue Trafic peu avant son décès. Théoricien du cinéma, il chroniqua également sur la société, la télévision (des chroniques Zappettes rassemblées dans Le Salaire du Zappeur) et le tennis (L'Amateur de Tennis).

Citations de Serge Daney

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Bill Krohn : L'ennemi public numéro un, toujours en liberté : le naturalisme. Pourquoi vous méfiez-vous de lui ?
Serge Daney : La haine du naturalisme est aussi profonde que le goût de l'écriture, puisqu'elle en est exactement l'envers. Dans le naturalisme, il y a un trucage, une tricherie fondamentale : la caméra est là par hasard et transforme les spectateurs en voyeurs. Le naturalisme confond le refoulé et l'invisible. […] C'est du voyeurisme ethnologique. Aux Cahiers, nous pensons que la question n'est pas seulement de « réparer un oubli » mais de lever un refoulement : pourquoi leur image a-t-elle manqué ? Le cinéma nous montre le plus souvent des gens, des événements, des milieux, que nous ne connaissons pas ; il n'y a aucune raison pour qu'il nous donne l'impression qu'ils sont là, next door. Le naturalisme (l'exactitude dans la description) n'est qu'un moment du travail. Si on ne le dépasse pas, on en vient nécessairement à poser les questions du cinéma en termes publicitaires (c'est-à-dire comme si de rien n'était). C'est malheureusement ce qui se produit de plus en plus.

  • « Les Cahiers du Cinéma 1968-1977 », entretien avec Bill Krohn en 1977 pour The Thousand Eyes n°2
  • La maison cinéma et le monde. I : Le temps des Cahiers 1962 - 1981, Serge Daney, éd. POL, 2001, p. 20-21


Bill Krohn : On m'a dit que vous apportez « un vieux Mizoguchi ». Pourquoi en 1977, après tout ce qui est arrivé, un vieux Mizoguchi ?
Serge Daney : Sans doute n'apporterons-nous pas de vieux Mizoguchi. Mais justement, après tout ce qui s'est passé, c'est un vieux Mizoguchi qu'il faut amener : c'est à peu près le seul cinéaste à avoir fait des films marxistes.

  • « Les Cahiers du Cinéma 1968-1977 », entretien avec Bill Krohn en 1977 pour The Thousand Eyes n°2
  • La maison cinéma et le monde. I : Le temps des Cahiers 1962 - 1981, Serge Daney, éd. POL, 2001, p. 31


Il en résulte que les beautés éparses du film desservent l'ensemble et que le film est beaucoup moins que la somme de ses beautés. Enfin, il y a peut-être ce trait, commun à tout film qui traite de l'Inconnaissable ou de l'Étrange : le triomphe final des forces de la lumière ne vient que de notre impuissance à imaginer convenablement l'ombre.
  • La maison cinéma et le monde. I : Le temps des Cahiers 1962 - 1981, Serge Daney, éd. POL, 2001, p. 65


Axiome : Coluche est un grand comique de cinéma. Qu'est-ce qu'un grand comique ? Avant tout quelqu'un qui ne cadre pas avec le cinéma tel qu'il se fait, qui est un corps étranger, un défi, une mine vivante de scénarios nouveaux. De deux choses l'une : soit il invente ou il suscite le cinéma qui lui convient, soit il se plie aux genres déjà en place. Dans le passé, un grand comique était aussi un grand metteur en scène ou bien il y avait des alliances géniales (McCarey et Laurel et Hardy et même Peter Sellers et Blake Edwards). En France (mis à part Tati), il y a eu de grands comiques dont la carrière de cinéma est nulle et non avenue (Fernand Reynaud, Raymond Devos). C'est dommage. Parce que c'est du gâchis. Le gâchis d'un gâchis (parce que le comique, c'est aussi la meilleure façon de gâcher).
Donc Coluche a une telle présence à l'écran (comme tous les acteurs venus du cabaret) qu'on voit Inspecteur la bavure sans ennui et que bien sûr on y rit. Or, il s'agit d'un film faible, bien que non nul. C'est qu'un grand comique peut être grand dans un petit film, inoubliable dans un navet. C'est même en ça que l'acteur comique représente une limite du cinéma : jusqu'à un certain point, il est comme il est, à prendre ou à laisser, améliorable, indifférent, à la magie du cinéma [...] Il reste donc à rêver d'un Coluche pris au sérieux par le cinéma.
  • La maison cinéma et le monde. I : Le temps des Cahiers 1962 - 1981, Serge Daney, éd. POL, 2001, p. 264-265


L'histoire du cinéma a partie liée à celle des guerres. […] Bazin a parlé du plaisir pris au "spectacle des destructions urbaines" qu'il appelait « complexe de Néron », et dont le cinéma lui paraissait être le lieu privilégié. En Amérique, techniques cinématographiques et technologie de la guerre allèrent de pair : tuer et filmer ont «progressé » parallèlement. Le spectateur de cinéma s'est peu à peu habitué à être un survivant. C'est ce spectateur que Coppola vise aujourd'hui, celui qui a échappé aux massacres - ou qui en est revenu —, en lui montrant la plus moderne des guerres, celle dont l'image n'est pas encore retombée. De la guerre du Vietnam. Coppola ne retient que ce qui en fait une guerre de type nouveau (mais un nouveau qui intègre l'ancien : les tranchées, les javelots) et gomme tout ce qui pourrait renvoyer à une certaine intemporalité de la guerre.
  • Critique de Apocalypse Now de Francis Ford Coppola dans Cahiers du Cinéma n°304, octobre 1979
  • La maison cinéma et le monde. I : Le temps des Cahiers 1962 - 1981, Serge Daney, éd. POL, 2001, p. 233


Étrange itinéraire que celui de Bergman. Cinéaste suédois, peu connu puis très connu en Europe puis dans le monde entier, devenu, de cinéaste local symbole même de l'« art et essai », puis l'un des rares à étendre son territoire jusqu'au niveau multinational (c'est-à-dire américain) et le seul à être devenu le cinéaste de masse de la bourgeoisie. Aujourd'hui, il se décale, lui aussi, par rapport au medium cinéma, et au moment où le moindre de ses films est salué comme un événement d'une portée incommensurable, ne produit plus rien intéressant le cinéma. Il n'est d'ailleurs pas le seul : le fossé entre le dispositif-cinéma et les objets-films ne cesse de se creuser. C'est pourquoi voir Sonate d'automne, dans l'ambiance de messe culturelle d'une salle de cinéma, est proprement asphyxiant.
  • Critique de Sonate d'Automne d'Ingmar Bergman dans Cahiers du Cinéma n°295, décembre 1978
  • La maison cinéma et le monde. I : Le temps des Cahiers 1962 - 1981, Serge Daney, éd. POL, 2001, p. 214


La fille est frivole et la vie est dure et le film est au-dessous du SMIC esthétique. Il est, ce qui n'arrange rien, entièrement parlé, vécu, senti en américain, et traduit l'inexpiable amour des producteurs pour ce qu'il y a de plus bas aux USA. À l'avenir, il faudra se méfier des productions Golan-Globus.
  • Critique de Juke-box de Boaz Davidson dans Cahiers du Cinéma n°296, janvier 1976
  • La maison cinéma et le monde. I : Le temps des Cahiers 1962 - 1981, Serge Daney, éd. POL, 2001, p. 163


Quand je me suis surpris, dans cette chronique [celle pour Libération, NDLR], à dire encore du bien de Fritz Lang et toujours du mal de René Clair, j'ai moins été étonné de ma fidélité aux goûts traditionnels des Cahiers qu'à la véhémence avec laquelle je refusais toute « réconciliation ». Cette véhémence est peut-être devenue mon problème dans une opinion très pacifiée. Au moment où, au cours d'une fête du cinéma télévisée [La plus belle nuit du cinéma, diffusé sur Canal + en novembre 1990], on a élu Les Enfants du paradis plus beau film français depuis le parlant, j'ai eu le sentiment que « nous » n'avions pas gagné. Qui est ce « nous » ? Ceux pour qui le cinéma français, c'est plutôt La Règle du jeu, Pickpocket, Playtime, L'Enfance nue ou La Maman et la Putain. Et puis, je me raisonne et je me dis que si nous avions aimé ces films pour leur violence minoritaire, il est normal que dans cette période de retour d'hypocrisie bourgeoise (je préfère ça au « consensus mou » qui est lui-même un cliché mou), la violence soit mal vue, le sens critique dévalorisé et le minoritaire vite mis dans son tort.

Je ne devrais donc pas être surpris. Pas surpris qu'entre le cru et le cuit, la guerre continue. Une guerre culinaire (nous sommes en France) où, face à la crudité-naturalisme (Renoir), la crudité-impressionnisme (Bresson) ou la crudité-art moderne (Godard), on retrouve le mijoté à la Tavernier ou le frichti Berri. Pas surpris que celui-ci me poursuive en justice comme un caïd blessé. C'est l'héritage du Delannoy bouilli ou du mironton L'Herbier (un vrai nul, celui-là). Cela dit, tout me dit qu’il y a là comme une « guerre civile » franco-française, qui tient à ce pays et à son histoire, qui excède le cinéma et qui ne sera jamais finie. Quelqu'un m'avait écrit, à Libération, pour me reprocher de faire du Truffaut trente ans après. Il avait raison. Nous sommes « trente ans avant ».

  • Devant la recrudescence des vols de sacs à main, Serge Daney, éd. Aléas, 1991, chap. Entretien avec Philippe Roger, p. 113


Ici on a Claude Berri, c'est le troisième âge, en Amérique ils ont Terminator, c'est le premier âge.

  • Serge Daney, Serge Daney, itinéraire d'un ciné-fils (2005), écrit par Serge Daney et Régis Debray


A. Indiscutable. Film-compagnon de route. Vu et revu. « Lot » primitif. Jamais épuisé.
B. Devenu indiscutable ou soupçonné tel. Mais peu de réelle « connivence » avec.
C. Aérolite vu une fois, classé à part, second « lot » virtuel.
D. Mémoire vive mais vague d'y avoir adhéré.
E. Chef-d'œuvre pour les autres et, finalement, pour moi aussi.
F. Émotion personnelle mais pas forcément partageable.
G. Sublime ou important, un temps, pour « nous ». Pas revu. Crainte.
H. Nanars erratiquement présents. Liés à l'enfance.
[donne ensuite une liste de réalisateurs par ordre alphabétique et quelques uns de leurs films, chacun accolés d'une lettre-note]

  • L'Exercice a été profitable Monsieur, Serge Daney, éd. P.O.L, 1992, p. 88


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