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René Crevel, né le 10 août 1900 à Paris et mort le 18 juin 1935 à Paris également, est un écrivain et poète français ayant appartenu au courant dadaïste et surréaliste.
Tant de voix sonnaient faux en dépit des sourires que mes oreilles ne voulaient plus entendre. Sur les pavés trop quotidiens, mes pieds traînaient des distances pesantes, bordées d’une ombre qui se trouvait pourtant dépourvue d’épaisseur. Tous les arbres étaient en bois de potence, et ils étaient innombrables dans la forêt de la répression, avec leur feuillage de plomb si épais que, de l’aube au crépuscule et du crépuscule à l’aube, on n’osait imaginer qu’un jour, au-delà de l’horizon et au-delà de l’habitude, brillerait un Soleil tout de soufre et d’amour. Les feuilles répétaient les inepties druidiques des chênes, l’hypocrisie méditerranéenne des oliviers, l’amertume fatale du buis, le puritanisme glacé des saules, et les allusions malsaines chuchotées par les peupliers de la Troisième République.
« La Période des sommeils », René Crevel, This Quarter vol. 5, nº 1, Septembre 1932, p. 1
Tous les troncs des arbres se divisaient en une infinité de branches sinueuses et insinuantes, qui offraient leurs aptitudes sournoises à étrangler prestement, sinon les créatures trop imprudentes, du moins et à coup sûr les mots dans leur gorge.
« La Période des sommeils », René Crevel, This Quarter vol. 5, nº 1, Septembre 1932, p. 1
Au cœur de la ville métaphysique, à l’ombre des statues, les oreillers-artichauts invitaient au sommeil tandis que, comme je lisais Lautréamont, Paris cessait d’être la capitale de la France et revenait à la vie en renaissant de ses pierres. La Seine… la rue Vivienne… La lumière d’Ile-de-France que les gens ordinaires trouvent si agréable ne représentait bientôt plus pour moi qu’un chiffon de papier. Le plomb des cieux, le plomb des crânes, se trouvait éclairé, couronné, déchiré, illuminé par un coup de tonnerre révélateur. Et maintenant encore, après toutes ces années, pour retrouver ces moments brûlants, il faut que la tempête de mai accélère mon pouls au point de créer l’impression que, partant des poignets, des compagnies souterraines d’oiseaux se développent en lourdes fleurs de matière grise sous les monticules des paumes.
« La Période des sommeils », René Crevel, This Quarter vol. 5, nº 1, Septembre 1932, p. 1
J’aimerais pouvoir écrire ces souvenirs en lettres phosphorescentes. Si je les écris malgré tout, c’est parce qu’à cet instant, avenue de l’Opéra, le soleil couchant a baigné les visages avec assez de soufre pour les rendre jaunes, d’un jaune insupportable, en même temps que devient bleu, d’un bleu intolérable, le chapeau melon, initialement noir, d’un promeneur un peu bizarre.
Ainsi puis-je me rappeler que Desnos avait les yeux exorbités. Deux huîtres dans leur coquille qui reflétaient, dans leur passivité glauque et rauque, le mouvement de la mer. Au bord, au commencement, de sa mer, il y avait une plage, de sable le jour, de chair la nuit. Sur la lande près de la plage, dans un verger trop fleuri, une fille s’était laissée choir à terre et m’avait demandé de passer l’après-midi entier à lui presser des géraniums entre les seins.
« La Période des sommeils », René Crevel, This Quarter vol. 5, nº 1, Septembre 1932, p. 1
Un certain dualisme qu’ils ne parvenaient pas à surmonter, voilà ce qui détourna du surréalisme, non seulement Desnos, mais beaucoup d’autres, parce que, dialectique dans son essence, le surréalisme n’entend sacrifier ni le rêve à l’action, ni l’action au rêve, préférant plutôt nourrir leur synthèse.
« La Période des sommeils », René Crevel, This Quarter vol. 5, nº 1, Septembre 1932, p. 1
Au jeu surréaliste de la vérité, alors que, de part et d’autre, le manque de retenue est la règle que nulle ombre d’exception ne saurait venir confirmer, l’interrogé mettra d’autant moins de réticence à répondre que l’interrogateur aura visé, avec une plus minutieuse et lucide cruauté, le point entre tous sensible, parmi l’enchevêtrement des rapports physiques et des faits concrets aptes à surprendre sinon à choquer l’auditoire. Les premières confidences serviront de tenailles pour taillader les fils de fer barbelés de l’inhibition.
« Note en marge du jeu de la vérité », René Crevel, Documents 34, nº 20, Avril 1934, p. 21
Dans la jungle, de lui-même l’explorateur se rit des pièges à loup dissimulés derrière les broussailles intimes. D’un saut, il franchit le fossé entre ce qui a été et ce qui, selon ses rêves, eût dû être. Il y a excès plutôt que défaut de franchise.
« Note en marge du jeu de la vérité », René Crevel, Documents 34, nº 20, Avril 1934, p. 21
Il faut qu’il y ait tremblement de terre et d’heures. Il ne suffit donc pas de chronométrer, d’arpenter l’anecdote. Dire la vérité, c’est non seulement rendre compte des actes qui ont trouvé leurs dimensions à la fois précises et mouvantes dans le temps et l’espace, mais c’est aussi, c’est surtout laisser deviner quels seraient les fruits du désir enfin rendu au soleil d’une liberté objective et s’y riant des scrofules, des hontes, des peurs, des déviations subjectives, à quoi toujours condamne la nécessité aveugle tant qu’elle n’est pas connue.
« Note en marge du jeu de la vérité », René Crevel, Documents 34, nº 20, Avril 1934, p. 21
De la rencontre de ce qui aura été vécu et de ce qui aura été imaginé, doivent jaillir ces flammes dont le galop fleurira d’incandescence les icebergs à la dérive sur tous les arctiques et les antarctiques du refoulement.
« Note en marge du jeu de la vérité », René Crevel, Documents 34, nº 20, Avril 1934, p. 22
Voilà déjà l’équateur qui renonce à couper la poire en deux. Par un pont de lianes frénétiques, il relie les deux pôles, le pôle diurne, le pôle nocturne. Les songes ressuscitent en geysers d’entre les pavés où l’aube les avait précipités. Des fleuves de clarté escaladent les hautes terrasses du sommeil et remontent à leurs sources.
« Note en marge du jeu de la vérité », René Crevel, Documents 34, nº 20, Avril 1934, p. 22
Le coton des plus lointaines velléités se condense, se métamorphose en cette boule de cristal lancée à toute allure sur un plan incliné entre des haies de chair vive. Chacune de ces flaques, naguère d’incertitude, est maintenant le miroir en tempête dont les vagues abritent des buissons ardents de formes intermédiaires. À l’ombre géante des plantes carnivores, des échos fracassants prolongent le silence. Les voies du souvenir et du devenir se rejoignent en carrefour étoilé.
« Note en marge du jeu de la vérité », René Crevel, Documents 34, nº 20, Avril 1934, p. 22
L’exhibitionnisme servira de cornue, de microscope, d’éprouvette dans un laboratoire en forme de clairière. De sa cathèdre thomiste, le réaliste au sang-froid ne cessera de glapir contre le surréaliste au sang chaud.
« Note en marge du jeu de la vérité », René Crevel, Documents 34, nº 20, Avril 1934, p. 22
Pour l’homme, se trahir, c’est démanteler les forteresses des coutumières prudences, c'est, afin de les rendre au mouvement, libérer des préjugés qui la cuirassent et des bandelettes qui la momifient, la réalité si prompte à se surpasser, se surmonter, à apparaître en voie de surréalité.
« Note en marge du jeu de la vérité », René Crevel, Documents 34, nº 20, Avril 1934, p. 22
Sans doute, de très classiques glacières s’obstineront à vouloir conserver des cadavres d’heures. Mais déjà les mouches se rient des Narcisse obstinés à embaumer, au fond des lacs de nécrophilie, leurs pompeuses charognes.
« Note en marge du jeu de la vérité », René Crevel, Documents 34, nº 20, Avril 1934, p. 22
Les rêves n’acceptent plus d’être traités de refuges. Depuis Freud, ces tapis volants ont enfin rétabli les communications entre le lobe oriental et le lobe occidental du cerveau.
« Note en marge du jeu de la vérité », René Crevel, Documents 34, nº 20, Avril 1934, p. 22
La nuit, de son phosphore, nourrit le soleil du jour à naître. Déterminateur non moins que déterminé, le rêve, dans les labyrinthes de ses volutes les plus particulières, désigne leurs chemins aux vérités générales, aux décisions qu’elles commandent.
« Note en marge du jeu de la vérité », René Crevel, Documents 34, nº 20, Avril 1934, p. 23
Lénine, plus et mieux que jamais, nous apparaît incontestable, lorsqu’il déclare :
« Si l’homme était privé de sa faculté de rêver, s’il ne pouvait parfois courir en avant et contempler par l’imagination l’œuvre complète qui commence à se former sous ses mains, comment pourrait-il entreprendre et mener à leur fin lointaine la vastitude épuisante de ses travaux ? Rêvons, mais à la condition de croire sérieusement en notre rêve, d’examiner attentivement la vie réelle, de confronter nos observations avec notre rêve, de réaliser scrupuleusement notre fantaisie. Il faut rêver. Et cette sorte de rêve est malheureusement trop rare dans notre mouvement par le fait de ceux-là mêmes qui s’enorgueillissent le plus de leur bon sens et de leur exacte approximation des choses concrètes. »
« Note en marge du jeu de la vérité », René Crevel, Documents 34, nº 20, Avril 1934, p. 23
Le scandale, non seulement n’est pas à fuir, mais encore, mais au contraire, il doit être reconnu d’utilité publique. Il ne s’ensuit d’ailleurs pas qu’il faille s’y limiter, le limiter à lui-même. Vouloir le scandale pour le scandale, ce serait encore choisir une retraite, ce serait pétrifier une phase, arrêter un mouvement, donc se castrer du possible, du nouveau et déclarer la guerre au temps à venir. Ce serait, en somme, tirer de simples feux d’artifices contre un état de choses à réduire sans pitié.
« Note en marge du jeu de la vérité », René Crevel, Documents 34, nº 20, Avril 1934, p. 23
Navigateur du silence, le dock est sans couleur et sans forme ce quai d'où partira ce soir le beau vaisseau fantôme, ton esprit.
« Le Pont de la mort », René Crevel, La Révolution Surréaliste, nº 7, 15 juin 1926, p. 27
Autrefois tu te contentais d'allumer de faciles chansons et seul l'incendie des pianos mécaniques éclairait ta nuit.
« Le Pont de la mort », René Crevel, La Révolution Surréaliste, nº 7, 15 juin 1926, p. 27
Enfin, les prostituées ont compris que les pieds n'étaient pas faits pour des tortures de velours noir mais pour une nudité de peau à même une nudité de sable. Alors les talons, sur lesquels, depuis des siècles, elles chaviraient, tous les talons se sont brisés, et des fleurs sans semence ont jailli du macadam. Parce que nul mensonge ne pouvait plus être toléré, fût-il celui si mince des semelles de ficelle, les voyous ont jeté plus loin que l'horizon leurs espadrilles.
« Le Pont de la mort », René Crevel, La Révolution Surréaliste, nº 7, 15 juin 1926, p. 28
Éclatez couleurs. Les criminels ont les mains bleues.
« Le Pont de la mort », René Crevel, La Révolution Surréaliste, nº 7, 15 juin 1926, p. 28
Au fond des océans, tous les Africains crédules qui voulurent faire des voyages à bon compte et moururent près des chaufferies, ressuscitent. Sans doute bientôt seront-ils poissons, puisque déjà leurs jambes deviennent transparentes. Écoutez leurs chansons sans mots, à la lumière des monstres électriques. Les hippocampes appuient sur leur nombril, comme sur le bouton d'une sonnette électrique. Est-ce pour le thé ? Mais non. Des forêts d'eau, ils montent, points d'interrogation à tête de cheval, jusqu'aux yeux des savants européens qui éclatent dans leur peau terrestre.
« Le Pont de la mort », René Crevel, La Révolution Surréaliste, nº 7, 15 juin 1926, p. 28
Le vaisseau fantôme écrit sa danse en plein ciel. Les murs s'écartent entre lesquels on voulut enchaîner les vents de l'esprit. Derrière les plis d'un velours trop lourdement paisible s'allume un soleil de soufre et d'amour. Les hommes du monde entier se comprennent par le nez.
« Le Pont de la mort », René Crevel, La Révolution Surréaliste, nº 7, 15 juin 1926, p. 28
Il y a un pont de la planète minuscule à la liberté.
Du pont de la mort, venez voir, venez tous voir la fête qui s'allume.
« Le Pont de la mort », René Crevel, La Révolution Surréaliste, nº 7, 15 juin 1926, p. 28
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