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Pierre de Villiers

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Pierre de Villiers (2015).

Pierre Le Jolis de Villiers de Saintignon, dit Pierre de Villiers, est un général d'armée français, né le 26 juillet 1956 à Boulogne en Vendée. Il a été chef d'État-Major des armées du 15 février 2014 au 19 juillet 2017.

Servir, 2017

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La force régulatrice des États souverains, comme celles des pôles de sécurité collective, est fortement fragilisée par l'affirmation de deux menaces distinctes, mais non disjointes : d'une part, le terrorisme islamiste radical ; de l'autre, la menace nouvelle que fait peser le retour des États-puissances.


Restons donc convaincus que la violence recule là où la force avance. Le maintien d’une force militaire en capacité de s’opposer à la violence est une responsabilité collective. Elle conditionne la solidité de l’organisation de notre société et permet ce fameux « vivre ensemble », cette cohésion nationale, dont nous parlons tant et que nous avons tant de mal à appréhender dans ce nouveau contexte.


La véritable victoire est humble et discrète ; elle ne se paie pas de mots. Elle n'écrase rien, ni personne, sous son propre poids. Elle se reconnait plus à ses fruits qu’à ses trophées. Saint-Exupéry disait d’elle qu’elle organise et bâtit. Autre signe distinctif et sans doute le plus éclatant, c’est l'avènement d’une paix durable ; «  une situation meilleure de paix », pour reprendre les termes de Sir Lidell Hart. Là réside la vraie finalité de notre engagement.


On a déjà donné. On a déjà tout donné. Le ministère de la Défense a été le plus important contributeur de la révision générale des politiques publiques (RGPP), instaurée en 2007 pour réduire la dépense publique et renforcer l’efficacité de l’action publique. En poste à Matignon entre 2008 et 2010, j'ai pu le vérifier, chiffres à l’appui. Notre modèle s'est alors contracté autour d’un cœur de métier minimaliste : c'est sa cohérence d’ensemble qui s'est trouvée fragilisé alors que les armées étaient en même temps de plus en plus sollicitées. Lorsque les engagements opérationnels sont en hausse et le budget en baisse, j'appelle cela un grand écart.


Pour conclure ce chapitre, je ferai trois remarques. La première est que nous sommes entrés dans des temps difficiles et incertains ; nous sommes rentrés dans le temps de la décision et du courage où se jouent ensemble la sécurité et l’avenir du pays. Chaque époque a ses difficultés. L'esprit de défense, « premier fondement de la sécurité nationale » selon les termes du livre blanc 2013, nous est nécessaire. Et il ne faudra jamais opposer dans les années à venir la règle des 3% du PIB pour le déficit public à respecter dans le cadre de l’Union Européenne et l’objectif des 2% du PIB pour le budget de la défense en 2025 dans le cadre de l'Otan. Les deux sont importants.


La troisième remarque est plus sensible, mais je me dois de la faire. L'Histoire ne repasse pas les plats, mais la polémologie compte des constances, des invariants qui ne peuvent être contestés. La phrase du maréchal de Saxe est encore très actuelle : « Nous autres militaires, nous sommes comme des manteaux dont on ne se souvient que quand vient la pluie ». Lorsqu'on étudie les grandes défaites militaires françaises notamment depuis deux siècles, on constate un phénomène classique avec trois paramètres, comme l'a si bien exposé Pierre Servent dans Le complexe de l’autruche (Perrin 2011). Le premier facteur est généralement une situation économique difficile qui conduit à rendre des arbitrages sous contrainte et pression sociale. Le deuxième, dans ce contexte, est une myopie politique qui minimise le danger, et réduit d’autant les mesures à prendre pour y faire face. Le troisième est plus connu : l’incapacité des chefs militaires à faire prendre les bonnes décisions à la hauteur des dangers pour la protection du pays, parfois par incompétence, frilosité ou absence de courage.


La souveraineté est l'attribut essentiel d’une nation, véritable communauté humaine, issue d’une patrie, la terre des pères ; elle s'exprime, avant tout, à travers l'autonomie de décision et d’action de l'État qui ne provoque pas un syndrome isolationniste conduisant au renfermement sur soi, mais au contraire, à un engagement affirmé dans la marche du monde.


Dans La France au défi (Fayard 2014), Hubert Védrine rappelle cette formule de Pierre Mendès France : « Les comptes en désordre sont la marque des peuples qui s'abandonnent ». Certes l'économie doit rester au service de l'Homme, le monde de la finance ne doit pas prospérer au détriment de l'État jusqu'à compromettre les fonctions régaliennes. Mais je suis convaincu, et je le répète, que la souveraineté économique ne s’oppose pas à la souveraineté de défense, bien au contraire.


Les militaires ne sont pas au service d'une personne, ni d'une entreprise, ni d'un parti, ni même uniquement d’un chef. Ils ne sont pas davantage au service d’une idée et encore moins d’une idéologie. Ils sont au service d'un pays, la France. Ils servent un bien commun qui les dépasse, mais dans lequel ils s'incarnent pour une part.


Qu'est-ce qu'un chef ?, 2018

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L'autorité avec un grand A est celle qui ne tombe dans aucun des deux pièges qui la guettent. Ni l'abus de pouvoir qui détruit l'autorité ni la démagogie qui est la négation même de l'autorité. Ni la coercition ni l'argumentation. Ni la dureté froide ni la mollesse tiède.

L'autorité avec un grand A écoute, décide, ordonne, entraîne, oriente, guide, sanctionne si besoin, encourage si nécessaire. Elle réchauffe ce qui est froid et redresse ce qui fléchit. Elle ne compte ni son temps ni ses efforts. Elle crée une dynamique, un élan, un mouvement dans lequel on souhaite s'inscrire. Elle suscite l'adhésion et la volonté de vaincre !

  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 38, 39


Le mot "autorité" vient du latin auctoritas et se rattache, par sa racine, au même groupe que augere (augmenter), augure (celui qui accroît l'autorité d'un acte par l'examen favorable des oiseaux), augustus (celui qui renforce par son charisme). Cette idée d'augmentation est fondamentale. L'autorité ne fait pas subir une quelconque chape de plomb sur les subordonnés, mais au contraire élève, améliore, augmente, renforce. Parler avec autorité suscite la confiance et l'espérance. C'est le langage des grands chefs. S'imposer en écrasant les autres est la marque des petits chefs.
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 41


Pour ma part, je suis convaincu que tout ne se vaut pas. La recherche du bien commun, du beau, du bon, de la vérité, est meilleure que le relativisme, "le luxe et la mollesse", du chacun pour soi. J'aime cette devise militaire : "Le travail pour loi ; l'honneur comme guide."
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 44


On communique par écran interposé. On ne sait plus se parler et prendre le temps de discuter. Et surtout, la vie est entrecoupée de courts messages (mails, SMS, tweets, etc.), dont nos jeunes (et d'ailleurs moins jeunes aussi !) ont du mal à s'abstraire. Ils sont dans le bruit et l'agitation. Ils font ce dont ils ont envie, quand ils en ont envie. Leur vie est disruptive et fragmentée en permanence. De puissants groupes, en Californie et en Chine, consacrent des moyens colossaux à pirater l'attention de la jeunesse. Il est d'ailleurs frappant d'apprendre comment les magnats de ces mêmes groupes élèvent leurs enfants, soucieux de les préserver au maximum des écrans et des brain hackers qui fondent leur fortune...
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 77


"La mode, c'est ce qui se démode." Notre société médiatique de l'instantané surfe sur ces phénomènes de mode et de mouvement permanent. La réflexion se banalise et se situe de plus en plus en surface. Elle évolue comme sur une patinoire. Tout point fixe est une réticence au changement et à la modernité. Le mieux pour être heureux est d'être de nulle part ou de partout. L'espace et le temps se perdent dans le trou noir du nihilisme.
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 78, 79


Le premier droit de l'Homme est un devoir, celui de respecter l'Homme. La technologie est une avancée. Le "technologisme", comme toute les idéologies, peut être un danger. Les progrès techniques, technologiques, améliorent les performances, et on ne fera plus machine arrière. Mais cela ne doit pas se faire à n'importe quel prix : celui d'accepter le risque de l'asservissement de l'humanité à la cause du progrès, celui de la rupture anthropologique. Le progrès technique n'est pas une fin en soi, mais un moyen pour procurer à l'Homme plus de bonheur. Sylvain Tesson en vient à considérer qu "augmenter les capacités de l'Homme en le dotant d'un appareillage biotechnique, c'est le diminuer. Plus exactement, c'est augmenter ses fonctions par une diminution de sa nature".
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 113


La mondialisation, qui procure à nos jeunes des expériences et une ouverture incontestable, risque de façonner des individus de nulle part, "ni d'aucun temps ni d'aucun pays", comme l'écrivait Fénelon. Pourtant l'enracinement est probablement le besoin le plus important, au plus profond de l'être humain. Il provient pour l'essentiel de la terre sur laquelle on est né : la terre des pères, la patrie, et de la communauté dans laquelle on a grandi, et qui s'appelle la nation, communauté d'hommes et de femmes réunis par des valeurs choisies ensemble et incarnée par un Etat chargé de la faire vivre et de l'organiser. Le mondialisme forcené, qui nie cela ou en fait abstraction, est une idéologie dangereuse. Tout dirigeant responsable ne peut l'ignorer. Un homme est d'autant plus efficace qu'il sait d'où il vient et ce qu'il incarne.
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 151


Le progrès et la modernité ne résident pas dans la béatitude d'un être uniforme, sans particularité ni singularité, qui nous amènerait dans un monde sans guerre, parce que sans frontières et plus fraternel. Les bons sentiments n'assurent pas la paix dans le monde. Mon expérience me fait dire que, pour sauvegarder la paix, il faut tenir compte de ces différences entre les cultures, les nations et les hommes. La richesse provient de la diversité.
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 152, 153


La dilution des peuples dans un monde sans frontières est le meilleur moyen de susciter de l'inquiétude et de déclencher des conflits. Si les dirigeants négligent cette contrainte, la mondialisation peut devenir un risque pour la paix. Chacun, en Europe, le sent confusément. Il faudra entendre les protestations qui grondent. Comme l'histoire nous l'enseigne, on ne réforme ni profondément ni durablement contre la volonté des peuples.
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 153


Je prône une Europe de la défense plus qu'une défense européenne. Toute coopération communautaire est bonne à prendre, mais c'est avant tout la coopération interétatique qui fait avancer l'Europe dans ce domaine. La nuance est d'importance. L'armée européenne fusionnée est un rêve, qui pourrait se terminer en cauchemar. Je crois aux souverainetés nationales, pas à la souveraineté européenne.
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 157


La France doit insuffler la dynamique pour notre Europe, qui s’essouffle sous l'absence de vision, étouffée par la seule dimension économique et financière, par des technocrates souvent hors sol au point même, parfois, de paraître apatrides. Cette Europe puissance, dont notre monde a absolument besoin face au retour des anciens empires et au terrorisme islamiste radical, se fera d'abord par le haut, c'est-à-dire par la volonté politique de ses dirigeants et dans le respect du choix des peuples, qui veulent légitimement conserver leur spécificité culturelle et nationale.
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 159


Il est temps de prôner dans nos écoles le retour aux valeurs fondamentales sur lesquelles une société peut s'appuyer pour construire. La première est la fidélité. Comment être fidèle à celui qui divise pour convaincre, à celui qui agresse, qui polémique ? La fidélité est la stabilité mise à l'épreuve du temps. Elle engendre la détermination. Elle éclate dans la magnifique devise de la Légion étrangère "honneur et fidélité".
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 175


Nous sommes là au point précis où le chef justifie sans fonction, son rôle. Son discernement ne relève ni de la seule raison, ni de la seule intuition, mais d'une alchimie mystérieuse capable de les mettre en ordre.
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 184


De la même façon, à l'intérieur des pays, les disparités sociales nous éloignent de la justice. Comment accepter l'écart des salaires de 1 à 300 entre certains PDG de grands groupes internationaux et leurs ouvriers ? Dans l'armée, l'écart entre le militaire du rang tout juste incorporé et le chef d'état-major des armées est de 1 à 8 - un écart qui permet de faire vivre une authentique fraternité d'armes.
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 201


Bien sûr, rien ne sert d'opposer, mais lorsqu'on l'on compare les dizaines de milliards d'euros consacrés aux banlieues de notre pays et que l'on voit la désertification progressive de nos zones rurales, on peut se demander si l'on n'oublie pas l'article 1er de notre Constitution : "La France est une République indivisible... Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens...Son organisation est décentralisée."
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 206, 207


En soulageant le carcan juridique, on redonnerait sa chance et sa place au pragmatisme. Mais nous n'en sommes pas là. Aujourd'hui, la loi, qui n'est en principe qu'un moyen au service d'une bonne organisation de l'Etat et l'encadrement d'une vie harmonieuse dans notre société, devient une fin en soi. La nation devient l'appendice ou la variable d'ajustement de l'Etat, dont elle devrait être le cœur et la raison d'être. C'est ainsi par exemple que j'ai souvent entendu ces derniers mois cette réflexion : "A quoi bon embaucher avec tous les ennuis que j'aurai . Alors, je me débrouille." Quelle tristesse de voir les amoureux de la France devoir tourner le dos à l'Etat français.
  • Qu'est-ce qu'un chef ?, Pierre de Villiers, éd. Fayard, 2018, p. 213