Michel de Montaigne

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Michel de Montaigne (28 février 1533 - 13 septembre 1592), gentilhomme gascon, est né et mort au château de Montaigne à Saint-Michel-de-Montaigne (Dordogne) en Périgord. Philosophe moraliste et homme politique, il est l’auteur des Essais (1re édition 1580, 2e édition augmentée 1588, édition posthume, 1595).

Essais[modifier]

Livre I[modifier]

Lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre.


Certes, c'est un sujet merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l'homme. Il est malaisé d'y fonder jugement constant et uniforme.


Ceux qui accusent les hommes d'aller toujours béant après les choses futures, Et nous apprennent à nous saisir des biens présents, et nous rasseoir en ceux-là, comme n'ayant aucune prise sur ce qui est à venir, voire assez moins que nous n'avons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs : S'ils osent appeler erreur, chose à quoi nature même nous achemine, pour le service de la continuation de son ouvrage : nous imprimant comme assez d'autre cette imagination fausse : plus jalouse de notre action que de notre science. Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà. Et la crainte, le désir, l'espérance nous élancent vers l'avenir ; et nous dérobent le sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus.


De même il semble que l'âme ébranlée et émue se perde en soi-même, si on ne lui donne prise : Et faut toujours lui fournir l'objet qu'elle s'abutte et agisse. Plutarque dit à propos de ceux, qui s'affectionnent aux guenons et aux petits chiens, que la partie amoureuse, qui est en nous, à faute de prise légitime, plutôt que de demeurer en vain, s'en forge ainsi une fausse et frivole. Et nous voyons que l'âme en ses passions se pipe plutôt elle-même, se dressant un faux sujet et fantastique, voire contre sa propre créance, que de n'agir contre quelque chose. Ainsi emporte les bêtes leur rage à s'attaquer à la pierre et au fer, qui les a blessées, Et à se venger à belles dents sur soi-même du mal qu'elles sentent,[...]
  • Essais I (1580), Michel de Montaigne, éd. Gallimard, coll. « folio classique », 2009  (ISBN 978-2-07-042381-1), chap. IV Comme l'âme décharge ses passions sur des objets faux, quand les vrais lui défaillent, p. 140-141


C'est de quoi j'ai le plus de peur que la peur.


Les enfants savent le conte du roi Crœsus à ce propos. Lequel ayant été pris par Cyrus, et condamné à la mort, sur le point de l'exécution, il s'écria. Ô Solon, Solon : Cela rapporté à Cyrus, et s'étant enquis que c'était à dire, il lui fit entendre, qu'il vérifiait lors à ses dépens l'avertissement qu'autrefois lui avait donné Solon, Que les hommes, quelque beau visage que fortune leur fasse, ne peuvent appeler heureux, jusques à ce qu'on leur ait vu passer le dernier jour de leur vie. Pour l'incertitude et variété des choses humaines, qui d'un bien léger mouvement se changent d'un état en autre tout divers.



Qui apprendrait aux hommes à mourir, leur apprendrait à vivre.


Tous les jours vont à la mort : le dernier y arrive.


Mais quoi, et les vieux laissent la vie de même condition : Nul n'en sort autrement que sue comme si tout présentement il y entrait. Joint qu'il n'est homme si décrépit tant qu'il voit Mathusalem devant, qui ne pense avoir encore vingt ans dans le corps.


La vie n'est de soi ni bien ni mal : c'est la place du bien et du mal selon que vous [la] leur faites. Et si vous avez vécu un jour, vous avez tout vu. Un jour est égal à tous les jours. Il n'y a point d'autre lumière, ni d'autre nuit. Ce Soleil, cette Lune, ces Étoiles, cette disposition, c'est celle même, que vos aïeux ont jouie, et qui entretiendra vos arrières-neveux :

Vos pères n'en n'ont pas vu d'autres, et vos descendants n'en contempleront pas d'autre.


Je veux que la mort me trouve plantant mes choux.


Les bêtes mêmes, se voient comme nous, sujettes à la force de l'imagination. Témoins, les chiens qui se laissent mourir de deuil de la perte de leurs maîtres. Nous les voyons aussi japper et trémousser en songe, hennir les chevaux et se débattre. Mais tout ceci peut se rapporter à l'étroite couture de l'esprit et du corps s'entre-communiquant leurs fortunes.


Ce jugement semble être mal pris, d'autant qu'il ne se fait aucun profit qu'au dommage d'autrui, et qu'à ce compte il faudrait condamner toute sorte de gain. Le marchand ne fait bien ses affaires, qu'à la débauche de la jeunesse : le laboureur à la cherté des blés : l'architecte à la ruine des maisons : les officiers de la justice aux procès et querelles des hommes : l'honneur même et pratique des ministres de la religion se tire de notre mort et de nos vices. Nul médecin ne prend plaisir à la santé de ses amis mêmes, dit l'ancien Comique Grec, ni soldat à la paix de sa ville : ainsi du reste. Et qui pis est, que chacun se sonde au-dedans, il trouvera que nos souhaits intérieurs pour la plupart naissent et se nourrissent aux dépens d'autrui.


Car c'est à la vérité une violente et traîtresse maîtresse d'école, que la coutume. Elle établit en nous, peu à peu, à la dérobée, le pied de son autorité : mais par ce doux et humble commencement, l'ayant rassis et planté à l'aide du temps, elle nous découvre tantôt un furieux et tyrannique visage, contre lequel nous n'avons plus la liberté de hausser seulement les yeux. Nous lui voyons forcer tous les coups les règles de nature. En toutes choses l'usage est le plus puissant des maîtres.


Et les communes imaginations, que nous trouvons en crédit autour de nous , et infuse en notre âme par la semence de nos pères, il semble que ce soient les générales et naturelles. Par où [il advient que ce qui est hors des gonds de la coutume, on le croit] hors des gonds de la raison : Dieu sait combien déraisonnablement, le plus souvent : Si comme nous qui nous étudions, avons appris de faire, chacun qui ouït une juste sentence, regardait incontinent par où elle appartient en son propre, chacun trouverait que cette-ci n'est pas tant un bon mot qu'un bon coup de fouet à la bêtise ordinaire de son jugement. Mais on reçoit [les] avis de la vérité comme adressés au peuple, non jamais à soi : [et] au lieu de les coucher sur ses mœurs, chacun les couche en [sa] mémoire ; très sottement et [très] inutilement.
  • Essais I (1580), Michel de Montaigne, éd. Gallimard, coll. « folio classique », 2009  (ISBN 978-2-07-042381-1), chap. XXIII De la coutume et de ne changer aisément une loi reçue, p. 268-269


Nous prenons en garde les opinions et le savoir d'autrui, et puis c'est tout. Il les faut faire nôtres. Nous semblons proprement celui, qui ayant besoin de feu, en irait querir chez son voisin, et y en ayant trouvé un beau et grand, s'arrêterait là à se chauffer, sans plus se souvenir d'en rapporter chez soi. Que nous sert-il d'avoir la panse pleine de viande, si elle ne se transforme en nous ? si elle ne nous augmente et fortifie ?


À cela sont merveilleusement propres la fréquentation des hommes et la visite des pays étrangers [...] pour frotter et limer notre cervelle contre celle d'autrui.


Le silence et la modestie sont qualités très commodes à la conversation.


Le vrai miroir de nos discours est le cours de nos vies.


Il se tire une merveilleuse clarté pour le jugement humain de la fréquentation du monde. Nous sommes tous contraints et amoncelés en nous, et avons la vue raccourcie à la longueur de notre nez. On demandait à Socrate d'où il était. Il ne répondit pas: d'Athènes, mais : du monde.
  • Essais, Montaigne, éd. Lefèvre, 1826, t. 1, chap. 25, p. 248


Toute autre science est dommageable à celui qui n'a la science de la bonté.


Quand bien nous pourrions être savants du savoir d'autrui, au moins sages ne pouvons-nous être que de notre sagesse.


Je ne dis les autres, sinon pour d'autant plus me dire.
  • Explication annotée : « Je ne cite les autres que pour mieux exprimer ma pensée ».


À un enfant de maison, qui recherche les lettres, non pour le gain [...], ni tant pour les commodités externes que pour les siennes propres, et pour s'enrichir et parer au dedans, et si l'on veut faire de lui un habile plutôt qu'un homme savant, je voudrais qu'on fût soigneux de lui choisir un conducteur qui ait plutôt la tête bien faite que bien pleine.


Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi ».


Livre II[modifier]

elle (l'envie du plaisir) monte à la moyenne région, (au milieu du corps) où elle se plante longtemps, et y produit, selon moi, les seuls vrais plaisirs de la vie corporelle.


C’est ce qu’on dit, que le sage vit tant qu’il doit, non pas tant qu’il peut ; et que le present que nature nous ait faict le plus favorable, et qui nous oste tout moyen de nous pleindre de nostre condition, c’est de nous avoir laissé la clef des champs.



J'accuse toute violence en l'éducation d'une âme tendre, qu'on dresse pour l'honneur, et la liberté. Il y a je ne sais quoi de servile en la rigueur, et en la contrainte : et tiens que ce qui ne se peut faire par la raison, et par prudence, et adresse, ne se fait jamais par la force.
  • Essais, Montaigne, éd. P. Villey et Saulnier, 1595, t. II, chap. 8, de l'affection des peres aux enfans, p. 160 (texte intégral sur Wikisource)


Il n'est aucune si douce consolation en la perte de nos amis que celle que nous apporte la science de n'avoir rien oublié à leur dire, et d'avoir eu avec eux une parfaite et entière communication.
  • Essais, Montaigne, éd. P. Villey et Saulnier, 1595, t. II, chap. 8, de l'affection des peres aux enfans, p. 163 (texte intégral sur Wikisource)


Nos raisons et nos discours humains, c'est comme la matière lourde et stérile : la grâce de Dieu en est la forme ; c'est elle qui y donne la façon et le prix.


La plus subtile folie se fait de la plus subtile sagesse.


Je me fais plus d'injure en mentant que je n'en fais à celui à qui je mens.


Livre III[modifier]

Personne n'est exempt de dire des fadaises. Le malheur est de les dire curieusement.


Il se trouve de trahisons, non seulement refusées, mais punies, par ceux en faveur desquels elles avoyent esté entreprises.


[…] ; chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition.


Je ne peints pas l’estre. Je peints le passage : non un passage d’aage en autre, ou comme dict le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute.


Nul a esté prophete non seulement en sa maison, mais en son païs, dit l'experience des histoires.


La vieillesse nous attache plus de rides en l'esprit qu'au visage ; et ne se voit point d'âmes, ou fort rares, qui en vieillissant ne sentent l'aigre et le moisi.


Les plus belles âmes sont celles qui ont plus de variété et de souplesse.


La plus utile et honorable occupation d'une femme, c'est la science du ménage.
  • (fr) La plus utile et honorable science et occupation à une femme, c'est la science du mesnage.


L'ambition n’est pas un vice de petits compagnons, et de tels efforts que les nostres.


Puis que ce n'est par conscience, aumoins par ambition refusons l'ambition. Dédaignons cette faim de renommée et d'honneur, basse et belitresse, qui nous le fait coquiner de toute sorte de gens.


Qui veut guérir de l'ignorance, il faut la confesser. Iris est fille de Thaumantis. L'admiration est fondement de toute philosophie, l'inquisition le progrès, l'ignorance le bout.


La vraie liberté, c'est de pouvoir faire toute chose sur soi.


Qui craint de souffrir souffre déjà de ce qu’il craint.
  • (fr) Qui craint de souffrir, il souffre desja de ce qu’il craint.


Or les loix se maintiennent en credit, non par ce qu’elles sont justes, mais par ce qu’elles sont loix.


Il faut se prêter aux autres et se donner à soi-même.


J’estime tous les hommes mes compatriotes, et embrasse un Polonais comme un Français, subordonnant cette liaison nationale à l’universelle et commune.


Citations sur Montaigne[modifier]

Montaigne, Nietzsche. Jamais l'un ni l'autre ne pensent sans se raconter. Leur singularité est partout présente, perceptible. Jamais pourtant ils ne se racontent pour le plaisir de l'épanchement. Ils ne cherchent pas à mettre leur vie sous le regard. C'est tout différent : ils regardent, et décrivent, et pensent avec leur vie.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 74-75


Il touille, ajoute, épaissit. Entre deux expressions, Montaigne choisit les deux.
  • Dictionnaire égoïste de la littérature française, Charles Dantzig, éd. Grasset, 2005, p. 552


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