François-Xavier Bellamy

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François-Xavier Bellamy

François-Xavier Bellamy est un homme politique français né le 11 octobre 1985, professeur agrégé de philosophie.

Les Déshérités ou l'Urgence de transmettre, 2014[modifier]

Rien n'est plus beau que d'apprendre par cœur, c'est-à-dire de recevoir pleinement une parcelle de cet immense héritage qui reste toujours à comprendre. L'expression même manifeste, de façon lumineuse, l'unité de l'intelligence et de la sensibilité, augmentées ensemble de ce qui nous est transmis. Apprendre par cœur, c'est laisser un texte, une musique, un savoir nous habiter, nous transformer, élever et élargir notre esprit et notre cœur jusqu'à leur propre hauteur. De cette maturation, notre être même a besoin.


Le meilleur des livres est celui qui ne se contente pas de me procurer un plaisir en venant satisfaire mon attente : au contraire, il la surprend, la dépasse, me tire hors de mon état initial ; et c'est en me dépassant, à sa lecture, que je m'approche de ce que je suis, de ce que je pense, ressens et vis. Par son ouvrage, l'auteur ne m'offre pas qu'un divertissement : il augmente en moi ma propre liberté — il m'augmente de moi-même, pourrait-on dire. C'est d'ailleurs là le principe même de son autorité : l'auctor est celui dont le propre est d' augere, d'« augmenter ». Ce que l'auteur fait croître en moi, ce n'est pas seulement un contenu de savoir, une quantité de culture, un capital à entretenir, mais l'être même que je suis.


La fécondité du travail de l'auteur réside en effet dans l'occasion de cette singularité dont il augmente chaque lecteur au fur et à mesure de son itinéraire dans l'œuvre. Son autorité n'est pas l'aliénation, mais l'occasion de notre liberté. Le livre nous donne ainsi de comprendre ce que l'héritage culturel, cette médiation essentielle par laquelle nous recevons d'autrui de quoi rejoindre notre propre nature. La lecture est le plus décisif des voyages, le chemin le plus favorable pour qui veut progresser vers sa propre liberté, et l'occasion de vivre la seule véritable aventure de l'existence : celle qui consiste à devenir soi-même.


Notre refus de la transmission a engendré ce qui ressemble parfois à une société d'enfants sauvages. Développement des incivilités, distension de tous les liens, consumérisme irresponsable, difficultés quotidiennes dans la vie en collectivité, échec de l'insertion sociale et de l'engagement citoyen, rupture du dialogue entre les générations, explosion de la délinquance… Partout, nous voyons l'homme « dégradé, insociable, grossier » — partout, nous voyons l'homme inhumain. Au cœur de nos pays « développés », nous avons le sentiment de voir resurgir la barbarie. Et nous n'arrivons pas à nous l'expliquer.


Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, 2018[modifier]

La modernité est l'univers dans lequel le mouvement prend toute la place, à la fois comme un fait et comme une norme. Le mouvement est tout ce qui est, et tout ce qui doit être. Malheur à celui qui n'est pas assez mobile, pas assez souple et adaptable, pour se couler dans le flux : il constitue une objection vivante à ce monde nouveau, à ce monde du nouveau, qui ne lui pardonnera pas de rester comme un fossile encombrant au milieu de l'innovation triomphante. La modernité se caractérise par une immense colère contre ce qui ne se met pas à son rythme.

  • Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, François-Xavier Bellamy, éd. Grasset, 2018  (ISBN 978-2-246-81558-7), p. 85


Affirmer que ce qui existe doit exister, c'est évidemment une erreur de raisonnement ; mais le contraire d'une erreur n'est pas forcément une vérité : et en l'occurrence, affirmer de manière opposée que ce qui existe doit être remplacé, que l'innovation est forcément un bien — regarder l'histoire comme étant forcément l'occasion d'un progrès, c'est aussi une erreur de raisonnement, non moins absurde, et non moins dangereuse.

  • Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, François-Xavier Bellamy, éd. Grasset, 2018  (ISBN 978-2-246-81558-7), p. 96


Notre optimisme est un nihilisme : il décrète que ce monde ne vaut rien, puisque tout autre monde sera meilleur. Il n'y a pas d'hésitation à avoir, d'incertitude possible sur le sens de l'histoire : il faut choisir le changement par parti pris, parce qu'il va arriver et parce qu'il doit arriver. Une telle perspective refuse de considérer que nous ayons des biens qu'il faudrait prendre en compte dans un choix, un discernement à mener ; c'est donc supposer que nous n'avons rien à perdre — c'est supposer que nous n'avons rien du tout, en réalité. C'est ramener tout l'être au néant, en ne donnant de crédit qu'à ce qui n'est pas encore.

  • Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, François-Xavier Bellamy, éd. Grasset, 2018  (ISBN 978-2-246-81558-7), p. 104


Le transhumanisme se donne un but totalement autre : non pas réparer le corps humain, mais le remplacer. Il ne s'agit plus de se modeler sur une régularité naturelle, que l'on appelle la santé — l'état du corps dans son cours ordinaire, quand aucune pathologie n'est venue le troubler. Le progressisme post-moderne ne veut pas recevoir l'homme tel qu'il est, mais le dépasser — pour cela, il faut commencer par le mépriser, et par se mépriser soi-même.

  • Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, François-Xavier Bellamy, éd. Grasset, 2018  (ISBN 978-2-246-81558-7), p. 112


L'avenir n'existe pas. Il n'existe absolument pas. Cette représentation mentale du temps comme une flèche est un piège intellectuel ; elle nie la consistance du présent en le réduisant à n'être que le point de passage vers un avenir déjà défini. Or cette flèche est une fiction, et l'avenir n'est pas écrit. Seuls existent le présent, et le passé qui se condense en lui. Le « non-encore être » est encore du non-être ; et même le possible doit être créé. En réalité, notre avenir ne sera rien d'autre que le résultat de nos choix.

  • Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, François-Xavier Bellamy, éd. Grasset, 2018  (ISBN 978-2-246-81558-7), p. 118, 119


Il est ridicule de considérer que changer est bon en soi — et tout aussi ridicule de considérer que ne pas changer est en soi un impératif. Le débat public comme nos discernements personnels sont vides s'ils se contentent d'opposer le mouvement à la conservation. Rien n'est stupide comme l'injonction de « bouger », si ce n'est peut-être l'injonction « de ne pas bouger ».
Pour ne pas laisser nos vies à l'antagonisme de ces deux folies réciproques, il nous reste simplement à retrouver la sagesse de cette question : « Où vas-tu ? »

  • Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, François-Xavier Bellamy, éd. Grasset, 2018  (ISBN 978-2-246-81558-7), p. 156


La science elle-même se déploie dans le temps, bien sûr : elle découvre peu à peu de nouvelles connaissances, de nouvelles vérités, qui ajustent l'une après l'autre notre représentation du réel. Mais si la science a une histoire, c'est celle d'un mouvement vers cette vérité qui n'en a pas, et dont la nécessité est étrangère à nos découvertes. L'histoire des sciences a un sens, parce que les sciences s'approchent peu à peu dans le temps de ce qui est extérieur au temps. Et on peut parler de ce cheminement de la science comme d'un progrès, si l'on considère ce cheminement par rapport à l'objectif immuable que constitue la vérité, vers laquelle tout chercheur tente simplement d'avancer.
On ne peut donc parler de progrès que pour décrire un mouvement qui se connaît pour but un point d'arriver immobile.

  • Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, François-Xavier Bellamy, éd. Grasset, 2018  (ISBN 978-2-246-81558-7), p. 158, 159


La conscience humaine ne vise à rien de moins que l'éternité. Et c'est précisément ce que professe la philosophie naissante face à la sophistique : quand l'intelligence n'a d'autre but que de changer aussi vite que les ombres qui passent, elle devient inconsistante comme elles et tout aussi inféconde. De la même manière, quand le progressisme moderne s'enorgueillit d'être l'art d'épouser au mieux le mouvement, quand il considère par principe qu'il faut changer, bouger, évoluer, alors il détruit la possibilité de tout progrès authentique.

  • Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, François-Xavier Bellamy, éd. Grasset, 2018  (ISBN 978-2-246-81558-7), p. 162


Ce qui est en jeu, ce n'est pas d'arrêter le mouvement ; c'est au contraire de sauver la possibilité d'un mouvement authentique. Pour qu'un changement effectif nous approche du meilleur, encore faut-il un point d'appui : « Donnez-moi, demandait Archimède, un point fixe et un levier, et je soulèverai la terre. » Si l'on nous refuse tout point fixe, nos leviers même les plus puissants ne nous serviront à rien… En affirmant que tout est mobile, on tue en fait le mouvement. Le progressisme a détruit l'idée de progrès en décrivant le changement comme nécessaire par principe. Il faut sauver de cette illusion absurde les progrès véritables dont nous avons besoin : et voilà comment nous pourrons remettre la main sur notre propre destin.

  • Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, François-Xavier Bellamy, éd. Grasset, 2018  (ISBN 978-2-246-81558-7), p. 165


La technologie contemporaine entre en lutte contre le réel, parce qu'il est constitué de consistances qui sont autant de pesanteurs pour notre exigence de mobilité. La vie implique pourtant de les assumer — et si nous préférons les fuir, seule la mort pourrait nous offrir la perspective d'une absence de contrariétés. Vivre et habiter ce monde, exister et être un corps, suppose d'accepter un ordre de contraintes, une infinité de renoncements. Se trouver vraiment quelque part, c'est à chaque instant de cette présence renoncer à être ailleurs. Faire vraiment quelque chose, c'est ne pas faire tout le reste. Voilà ce à quoi nous ne voulons plus nous résoudre.

  • Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, François-Xavier Bellamy, éd. Grasset, 2018  (ISBN 978-2-246-81558-7), p. 189, 190


Ainsi la publicité vide de leur sens les mots les plus essentiels, et rend absurde le langage. Derrière elle, le marché trahit des réalités qu'il absorbe : rendre tout bien échangeable et liquide, c'est à la fin détruire ce qui ne saurait devenir l'objet d'un échange marchand. La mobilisation générale qui constitue la dynamique du marché, cette extension perpétuelle pour ne rien laisser en dehors de la marche de l'économie, c'est, au sens littéral du terme, une liquidation générale. Vendre de la « présence », c'est seulement révéler et emmurer encore notre infinie solitude ; commercialiser l'« humain », c'est de toute évidence contribuer à construire un monde inhumain. Si elle va au bout de ce renversement universel, la société la plus prospère peut aussi bien devenir celle la plus grande misère… Cette misère n'a rien d'une fatalité : elle est un choix, le produit d'une vision du monde.

  • Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, François-Xavier Bellamy, éd. Grasset, 2018  (ISBN 978-2-246-81558-7), p. 212, 213


En réalité, le progressisme, nous l'avons dit, n'est pas une option politique, mais une neutralisation de la politique. Il ne consiste pas à considérer qu'un progrès est désirable — ce qui est une tautologie, mais a considérer que tout mouvement est un progrès. De ce point de vue, la seule maxime qui reste à la politique et l'injonction de tout faire pour libérer le mouvement, pour défaire les immobilismes, pour déconstruire les barrières, pour « laisser faire et laisser passer ». La politique est conduite par là à s'effacer pour que plus rien ne puisse empêcher la circulation universelle des personnes et des choses, orchestrée par l'économie marchande.

  • Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, François-Xavier Bellamy, éd. Grasset, 2018  (ISBN 978-2-246-81558-7), p. 217


Entendons-nous bien : le marché est évidemment nécessaire à l'économie, et l'économie à la vie sociale et politique des hommes. Cependant, une difficulté majeure survient quand l'économie marchande n'est plus une activité parmi d'autres, mais la clé de toute activité ; quand l'argent par lequel les objets circulent n'est plus un moyen, mais une fin ; quand le marché ne trouve plus une place au sein de la cité, mais que toute la cité devient un immense marché.
Difficulté majeure en effet ; car cette domination de l'économie marchande ne signe pas seulement la crise de la politique : elle entraîne aussi, paradoxalement, une crise inédite de l'économie elle-même. Le marché est un outil essentiel à la vie des hommes ; et quand il absorbe tout de leur vie, il perd son sens, devient absurde, et se retourne contre eux.
La culture contemporaine porte partout des traces de cette crise profonde. On connaît le mot désabusé qui ouvre le film de Jan kounen, 99 Francs :
Tout s'achète. L'amour, l'art, la planète Terre, vous, moi. Surtout moi. L'homme est un produit comme les autres, avec une date limite de vente.

  • Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, François-Xavier Bellamy, éd. Grasset, 2018  (ISBN 978-2-246-81558-7), p. 223, 224


Comment s'étonner, dès lors, que l'économie moderne soit à l'origine de la crise écologique que nous découvrons aujourd'hui ? Il ne s'agit pas là d'un hasard ou d'un accident. Le monde du mouvement, en exigeant que tout soit sans cesse remplacé, ne pouvait que faire de la nature sa première cible : une « économie des flux », de la croissance et du « progrès » doit rendre mobile tout ce qui est installé, tous les ordres établis. Et la nature et par définition la figure de cet équilibre qui nous précède. La crise écologique et donc l'effet logique d'une économie du mouvement. Il faudrait être aveugle pour prétendre préserver la nature en affirmant simultanément que notre but est de tout changer, de tout transformer, de tout mettre au service de l'idole du « progrès » technique.

  • Demeure, pour échapper à l'ère du mouvement perpétuel, François-Xavier Bellamy, éd. Grasset, 2018  (ISBN 978-2-246-81558-7), p. 230


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