Fahrenheit 451

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Fahrenheit 451 est un roman de science-fiction paru en 1953 et dans lequel Ray Bradbury décrit une société dystopique où la littérature est éliminée par un corps de pompiers incendiaires.

1. Le foyer et la salamandre[modifier]

   Le plaisir d’incendier !
   Quel plaisir extraordinaire c’était de voir les choses se faire dévorer, de les voir noircir et se transformer.
   Les poings serrés sur l’embout de cuivre, armé de ce python géant qui crachait son venin de pétrole sur le monde, il sentait le sang battre à ses tempes, et ses mains devenaient celles d’un prodigieux chef d’orchestre dirigeant toutes les symphonies en feu majeur pour abattre les guenilles et les ruines carbonisées de l’Histoire.

  • Incipit.
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie Le foyer et la salamandre, p. 21


« Eh bien, dit-elle, j’ai dix-sept ans et je suis folle. Mon oncle affirme que les deux vont toujours ensemble. Lorsqu’on te demande ton âge, m’a-t-il dit, réponds toujours que tu as dix-sept ans et que tu es folle. N’est-ce pas agréable de se promener à cette heure de la nuit ? J’aime humer les choses, regarder les choses, et il m’arrive de rester toute la nuit debout, à marcher, et de regarder le soleil se lever. »
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie Le foyer et la salamandre, p. 25


Il n’était pas heureux. Il n’était pas heureux. Il se répétait ces mots. Ils résumaient parfaitement la situation. Il portait son bonheur comme un masque, la jeune fille avait filé sur la pelouse en l’emportant et il n’était pas question d’aller frapper à sa porte pour le lui réclamer.
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie Le foyer et la salamandre, p. 31


Nous sommes trop nombreux, songea-t-il. Nous sommes des milliards et c’est beaucoup trop. Personne ne connaît personne. Des inconnus viennent vous violer. Des inconnus viennent vous arracher le cœur. Des inconnus viennent vous prendre votre sang. Grand Dieu, qui étaient donc ces hommes ? C’est la première fois de ma vie que je les vois !
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie Le foyer et la salamandre, p. 36


J’ai peur des enfants de mon âge. Ils s’entre-tuent. Est-ce que ça a toujours été comme ça ? Mon oncle dit que non. Rien que l’année dernière, six de mes camarades se sont fait descendre. Dix sont morts dans des accidents de voiture. J’ai peur d’eux et ils ne m’aiment pas parce que j’ai peur. Mon oncle dit que son grand-père se souvenait d’une époque où les enfants ne s’entre-tuaient pas. Mais c’était il y a longtemps, quand tout était différent. Ils croyaient à la responsabilité, d’après mon oncle.
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie Le foyer et la salamandre, p. 53


« Tu ne veux pas me poser de question sur ce qui s’est passé hier soir ?
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— On a brûlé un millier de livres. On a brûlé une femme.
— Et alors ? »
Dans le salon, c’était une explosion de sons.
« On a brûlé des livres de Dante, de Swift, de Marc Aurèle.
— Ce n’était pas un Européen ?
— Quelque chose comme ça.
— Et ce n’était pas un extrémiste ?
— Je ne l’ai jamais lu.
— C’était un extrémiste. »

  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie Le foyer et la salamandre, p. 77


Cette nuit, j’ai pensé à tout le pétrole que j’ai déversé depuis dix ans. Et j’ai pensé aux livres. Et pour la première fois je me suis rendu compte que derrière chacun de ces livres, il y avait un homme. Un homme qui les avait conçus. Un homme qui avait mis du temps pour les écrire. Jamais cette idée ne m’était venue. […] Si ça se trouve, il a fallu toute une vie à un homme pour mettre certaines de ses idées par écrit, observer le monde et la vie autour de lui, et moi j’arrive en deux minutes, et boum ! tout est fini.
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie Le foyer et la salamandre, p. 79


Plus vaste est le marché, Montag, moins vous tenez aux controverses, souvenez-vous de ça ! Souvenez-vous de toutes les minorités, aussi minimes soient-elles, qui doivent garder le nombril propre. Auteurs pleins de pensées mauvaises, bloquez vos machines à écrire.
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie Le foyer et la salamandre, p. 86


2. Le tamis et le sable[modifier]

Monsieur Montag, c’est un lâche que vous avez en face de vous. J’ai vu où on allait, il y a longtemps de ça. Je n’ai rien dit. Je suis un de ces innocents qui auraient pu élever la voix quand personne ne voulait écouter les “coupables”, mais je n’ai pas parlé et suis par conséquent devenu moi-même coupable. Et lorsque en fin de compte les autodafés de livres ont été institutionnalisés et les pompiers reconvertis, j’ai grogné deux ou trois fois et je me suis tu, car il n’y avait alors plus personne pour grogner ou brailler avec moi. Maintenant il est trop tard.
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie Le tamis et le sable, p. 114


Les bons écrivains touchent souvent la vie du doigt. Les médiocres ne font que l’effleurer. Les mauvais la violent et l’abandonnent aux mouches.
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie Le tamis et le sable, p. 115


Les livres sont faits pour nous rappeler quels ânes, quels imbéciles nous sommes. Ils sont comme la garde prétorienne de César murmurant dans le vacarme des défilés triomphants : “Souviens-toi, César, que tu es mortel.”
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie Le tamis et le sable, p. 119


3. L’éclat de la flamme[modifier]

   Ce n’était pas la police, se dit-il.
   Il regarda au bout du boulevard. C’était clair à présent. Une bande de gamins d’allez savoir quel âge, douze à seize ans si ça se trouvait. En virée dans un concert de sifflements, de braillements, d’acclamations. Ils avaient vu, spectacle absolument inouï, un homme à pied, une rareté, et s’étaient dit comme ça : « On se le fait ! » Ignorant qu’il s’agissait de Guy Montag, le fugitif. En simples gamins qu’ils étaient, partis pour une longue équipée nocturne, cinq ou six cents kilomètres de folie motorisée sous la lune, leurs visages glacés par le vent, retour ou pas retour à la maison à l’aube, vivants ou non, c’était tout le sel de l’aventure.
   Ils m’auraient tué, pensa Montag en touchant sa joue meurtrie, chancelant dans les remous de l’air déplacé et la poussière soulevée. Sans la moindre raison, ils m’auraient tué.

  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie L’éclat de la flamme, p. 168-169


Il avait l’impression de laisser derrière lui une scène grouillante d’acteurs. De s’être arraché à une grande séance de spiritisme avec tous ses fantômes murmurants. Il délaissait une effrayante irréalité pour pénétrer dans une réalité qui n’était irréelle qu’en raison de sa nouveauté.
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie L’éclat de la flamme, p. 182-183


[L]e courant était faible et l’entraînait paresseusement loin de cette population qui se nourrissait d’ombres au petit déjeuner, de vapeurs à midi et de buée le soir.
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie L’éclat de la flamme, p. 183


Et quand il est mort, je me suis aperçu que ce n’était pas lui que je pleurais, mais les choses qu’il faisait. J’ai pleuré parce qu’il ne les referait jamais ; jamais plus il ne sculpterait de morceaux de bois, ni ne nous aiderait à élever des tourterelles et des pigeons dans l’arrière-cour, ni ne nous raconterait des blagues. Il faisait partie de nous, et quand il est mort, tout ça est mort avec lui sans qu’il y ait personne pour le remplacer.
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie L’éclat de la flamme, p. 201-202


Chacun doit laisser quelque chose derrière soi à sa mort, disait mon grand-père. Un enfant, un livre, un tableau, une maison, un mur que l’on a construit ou une paire de chaussures que l’on s’est fabriquée. Ou un jardin que l’on a aménagé. Quelque chose que la main a touché d’une façon ou d’une autre pour que l’âme ait un endroit où aller après la mort ; comme ça, quand les gens regardent l’arbre ou la fleur que vous avez plantés, vous êtes là. Peu importe ce que tu fais, disait-il, tant que tu changes une chose en une autre, différente de ce qu’elle était avant que tu la touches, une chose qui te ressemble une fois que tu en as fini avec elle. La différence entre l’homme qui ne fait que tondre le gazon et un vrai jardinier réside dans le toucher, disait-il. L’homme qui tond pourrait tout aussi bien n’avoir jamais existé ; le jardinier, lui, existera toute sa vie dans son œuvre.
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie L’éclat de la flamme, p. 202-203


Remplis-toi les yeux de merveilles, disait-il. Vis comme si tu devais mourir dans dix secondes. Regarde le monde. Il est plus extraordinaire que tous les rêves fabriqués ou achetés en usine. Ne demande pas de garanties, ne demande pas la sécurité, cet animal-là n’a jamais existé. Et si c’était le cas, il serait parent du grand paresseux qui reste suspendu toute la journée à une branche, la tête en bas, passant sa vie à dormir.
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie L’éclat de la flamme, p. 204


Il y avait autrefois, bien avant le Christ, une espèce d’oiseau stupide appelé le phénix. Tous les cent ans, il dressait un bûcher et s’y immolait. Ce devait être le premier cousin de l’homme. Mais chaque fois qu’il se brûlait, il resurgissait de ses cendres, renaissait à la vie. Et on dirait que nous sommes en train d’en faire autant, sans arrêt, mais avec un méchant avantage sur le phénix. Nous avons conscience de l’énorme bêtise que nous venons de faire. Conscience de toutes les bêtises que nous avons faites durant un millier d’années, et tant que nous en aurons conscience et qu’il y aura autour de nous de quoi nous les rappeler, nous cesserons un jour de dresser ces maudits bûchers funéraires pour nous jeter dedans. À chaque génération, nous trouvons un peu plus de monde qui se souvient.
  • Fahrenheit 451 (1953), Ray Bradbury (trad. Jacques Chambon et Henri Robillot), éd. Denoël, coll. « Folio/SF », 2000  (ISBN 2-07-041573-2), partie L’éclat de la flamme, p. 210-211


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