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{{citation|Le fragment élu se convertit lui-même en texte, non plus morceau de texte, membre de phrase ou de discours, mais morceau choisi, membre amputé; point encore greffe, mais déjà organe découpé et mis en réserve. Car ma lecture n'est ni monotone ni unifiante; elle fait éclater le texte, elle le démonte, elle l'éparpille. C'est pourquoi, même si je ne souligne quelque phrase ni la déporte dans mon calepin, ma lecture procède déjà d'un acte de citation qui désagrège le texte et détache du contexte.}} |
{{citation|Le fragment élu se convertit lui-même en texte, non plus morceau de texte, membre de phrase ou de discours, mais morceau choisi, membre amputé; point encore greffe, mais déjà organe découpé et mis en réserve. Car ma lecture n'est ni monotone ni unifiante; elle fait éclater le texte, elle le démonte, elle l'éparpille. C'est pourquoi, même si je ne souligne quelque phrase ni la déporte dans mon calepin, ma lecture procède déjà d'un acte de citation qui désagrège le texte et détache du contexte.}} |
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{{Citation|Telle une cité (plus urbaine que céleste : une personne morale), le texte est encerclé de toutes parts. Au pied du mur, un fossé redouble et souligne la frontière ; il est jalonné de bornes, de poteaux, de postes de police qui surveillent les accès : ce sont les références affichées, les notes en bas de page – ''foot-notes'' en anglais. À tout moment, elles appellent ce sur quoi le texte s’appuie, des béquilles ou des étais, des voussoirs : le texte est un pont suspendu au-dessus du vide qu’il a horreur ; il craint la chute. Entre ses piles que sont l’épigraphe et la bibliographie, il s’arc-boute de toutes ses forces ([[Montaigne]] parlait du langage « boute-dehors », c’est-à-dire sans soutènement), grâce à une série de relais continus, un réseau de noeuds ou de joints qui le rendent étanche ; sans notes, il ferait eau : sa substance, sa propriété échapperait.}} |
{{Citation|Telle une cité (plus urbaine que céleste : une personne morale), le texte est encerclé de toutes parts. Au pied du mur, un fossé redouble et souligne la frontière ; il est jalonné de bornes, de poteaux, de postes de police qui surveillent les accès : ce sont les références affichées, les notes en bas de page – ''foot-notes'' en anglais. À tout moment, elles appellent ce sur quoi le texte s’appuie, des béquilles ou des étais, des voussoirs : le texte est un pont suspendu au-dessus du vide qu’il a en horreur ; il craint la chute. Entre ses piles que sont l’épigraphe et la bibliographie, il s’arc-boute de toutes ses forces ([[Montaigne]] parlait du langage « boute-dehors », c’est-à-dire sans soutènement), grâce à une série de relais continus, un réseau de noeuds ou de joints qui le rendent étanche ; sans notes, il ferait eau : sa substance, sa propriété échapperait.}} |
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|auteur=Antoine Compagnon |
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Dernière version du 20 mai 2024 à 09:19
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Antoine Compagnon, né en 1950, est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de littérature française moderne et contemporaine.
Citations
[modifier]La seconde main, ou le travail de la citation
[modifier]Lorsque je cite, j'excise, je mutile, je prélève.
- La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979 (ISBN 2020050587), p. 17 (lire en ligne)
Le fragment élu se convertit lui-même en texte, non plus morceau de texte, membre de phrase ou de discours, mais morceau choisi, membre amputé; point encore greffe, mais déjà organe découpé et mis en réserve. Car ma lecture n'est ni monotone ni unifiante; elle fait éclater le texte, elle le démonte, elle l'éparpille. C'est pourquoi, même si je ne souligne quelque phrase ni la déporte dans mon calepin, ma lecture procède déjà d'un acte de citation qui désagrège le texte et détache du contexte.
- La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979 (ISBN 2020050587), p. 17-18
Répétition, mémoire, imitation : une constellation sémantique où il conviendra de cerner la place de la citation.
- La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979 (ISBN 2020050587), p. 18
Toute citation est – au fond ou de surcroît ? – une métaphore.
- La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979 (ISBN 2020050587), p. 19
L'objet assignable que j'expulse du texte afin de le conserver en souvenir d'une passion (celle de la sollicitation), cet objet n'est lui-même qu'un déchet, un rejeton, un leurre, un fétiche et un simulacre qui s'adjoint à mon magasin de couleurs.
- La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979 (ISBN 2020050587), p. 24-25
« Qu’est-ce que la citation ? » On pourrait presque trouver chez chaque auteur une réponse. « La citation, pour moi c’est… » : autrement dit, j’investis la citation de telle valeur ; lorsque je cite, je veux (dire) ceci. Soit une réponse, celle d’Aulu-Gelle : citer quelqu’un, c’est en faire l’éloge […]. Aux antipodes, celle de Claude Mauriac : « La citation, c’est le piège à con. » Mais qui est le con dans l’histoire ? La personne citée, le destinataire (l’auditeur, le lecteur), à moins que ce soit le citateur.
- La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979 (ISBN 2020050587), p. 49
Il n’y a pas à interroger une citation sur sa vérité. L’alternative du vrai et du faux ne la concerne pas et le citateur aurait beau jeu de répondre : c’est écrit. Cela ne veut pas dire : c’est écrit, c’est donc vrai ; mais : c’est écrit sans plus. Et cela suffit à déplacer la question de la vérité. D’où le pouvoir extraordinaire de la citation.
- La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979 (ISBN 2020050587), p. 88-89
- Citation choisie pour le 5 novembre 2022.
L'élément formel de la citation, libre de ses fonctions éventuelles, est la répétition des mots d'autrui. Comme telle, elle dépend, selon les catégories platoniciennes, de la mimesis, et ne peut être assimilée qu'au simulacre.
- La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979 (ISBN 2020050587), p. 125
Lorsque me tombe sous la main un livre dont j’ignore tout, ce n’est ni la table des matières ni le prière d’insérer que je consulte d’abord, si le titre ne m’a pas rebuté. […] Mieux que la photographie, mieux que la biographie, c’est la bibliographie qui me renseigne et qui risque d’éveiller mon désir. Je la parcours comme un atlas géographique ou un prospectus d’agence de voyages, attentif à l’écho que fait retentir en moi le nom d’un lieu par où je suis passé. […] la bibliographie m’accroche lorsque je m’y retrouve à ma place auprès de l’auteur : nous avons les mêmes lectures, nous appartenons au même monde.
- La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979 (ISBN 2020050587), p. 332-333
Une bibliographie véridique, sincère et exhaustive, n’est pas plus possible qu’une confession vraie.
- La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979 (ISBN 2020050587), p. 333
Telle une cité (plus urbaine que céleste : une personne morale), le texte est encerclé de toutes parts. Au pied du mur, un fossé redouble et souligne la frontière ; il est jalonné de bornes, de poteaux, de postes de police qui surveillent les accès : ce sont les références affichées, les notes en bas de page – foot-notes en anglais. À tout moment, elles appellent ce sur quoi le texte s’appuie, des béquilles ou des étais, des voussoirs : le texte est un pont suspendu au-dessus du vide qu’il a en horreur ; il craint la chute. Entre ses piles que sont l’épigraphe et la bibliographie, il s’arc-boute de toutes ses forces (Montaigne parlait du langage « boute-dehors », c’est-à-dire sans soutènement), grâce à une série de relais continus, un réseau de noeuds ou de joints qui le rendent étanche ; sans notes, il ferait eau : sa substance, sa propriété échapperait.
- La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979 (ISBN 2020050587), p. 339
Tandis que l'énonciation est un procès d'appropriation de la langue, la citation est un procès d'appropriation du discours, du Fonds littéraire comme l'appelait Mallarmé. Or, si la langue est du domaine public et n'appartient à personne, le discours relève de la propriété privée.
- La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979 (ISBN 2020050587), p. 360
Le Démon de la théorie
[modifier]L’œuvre de valeur, c'est l’œuvre que l'on continue d'admirer parce qu'elle recèle une pluralité de niveaux propres à satisfaire une variété de lecteurs.
- Le Démon de la théorie : littérature et sens commun, Antoine Compagnon, éd. Seuil, coll. « Points », 2001 (ISBN 2-02-049094-3), chap. La valeur, p. 272
Autres citations
[modifier]Le web abrite une vaste maison d'édition à compte d'auteur, un vanity publisher à l'échelle globale, car l'édition électronique rend la publication à compte d'auteur indolore. L'imprimeur et l'éditeur ayant disparu, la transition de l'écriture privée à l'écriture publique est abolie.
- « Un monde sans auteurs ? », Antoine Compagnon, dans Où va le livre ?, Jean-Yves Mollier (dir.), éd. La Dispute, coll. « États des lieux », 2007, p. 338