Anne Calife

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Anne Calife
Anne Calife

Anne Calife, de son vrai nom Anne Colmerauer, est une femme de lettres française née le 19 mai 1966 à Grenoble (Rhône-Alpes, Isère). Son œuvre comprend des romans qui traitent de la folie, la perte du contrôle mental, mais aussi quelques pièces de théâtre. Publiée par de nombreuses maisons d'éditions, ses textes reflètent une écriture nerveuse et sensorielle, témoignant d'une synesthésie cognitive. Elle s'attache à une écriture physique qu'illustre les couleurs, les parfums, les textures , les citations ci-dessous reprennent les couleurs du blanc, et du bleu.

Meurs la faim, 1999[modifier]

En l’air, le ciel est blanc, tellement il veut être bleu. Même pas un petit nuage pour s’accrocher. Au sol, quelques maisons éparses et cette roche calcaire comme des gros morceaux de sucre qui renvoie le soleil. Et tout le silence qui rend le soleil plus fort
  • Meurs la faim, Anne Calife, éd. Gallimard,1999, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-1-3), p. 9


L’appartement est immense avec du blanc partout, au sol, au plafond, sur les murs. Dans mes promenades, je rencontre peu de meubles mais beaucoup de cartons. Tout est vide. Au sol, il y a du marbre blanc, au ciel volent des mouettes blanches, qui ne ressemblent pas aux oiseaux que je connais.
  • Meurs la faim, Anne Calife, éd. Gallimard,1999, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-1-3), p. 9


Comment fait-on un signe de croix ? Je ne connais rien à la religion. Comment faire un signe de croix avec des mains blanches de chantilly
  • Meurs la faim, Anne Calife, éd. Gallimard,1999. réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-1-3), p. 205


En été, tout Marseille va à Cassis. La tôle de la voiture renvoie des éclairs blancs sous le soleil. Je cligne des yeux. J’aperçois à peine le conducteur
  • Meurs la faim, Anne Calife, éd. Gallimard,1999. réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-1-3), p. 160


Il était parfaitement détendu. Ses fesses blanches lui faisaient une petite culotte. Il s’essuya en silence, un pli narquois au coin des commissures.
  • Meurs la faim, Anne Calife, éd. Gallimard,1999. réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-1-3), p. 155


L’inquiétude la rend cruelle. Quand elle tient une proie entre ses dents blanches, elle ne lâche jamais. Elle va mitrailler en scrutant mon regard. Que faire ?
  • Meurs la faim, Anne Calife, éd. Gallimard,1999. réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-1-3), p. 168


Tout me manque. Le sourire blanc de ma mère me manque, l’ordinateur égoïste de mon père me manque, le thym et la sauge me manquent
  • Meurs la faim, Anne Calife, éd. Gallimard,1999. réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-1-3), p. 205


Mon sang La traverse et me traverse comme un seul corps. Chaque jour, Elle grandit davantage. Je flaire la folie. La nuit, Elle dort sous mon lit. Son pied blanc dépasse du matelas. J’essaie de faire comme si de rien n’était ; c’est juste mon imagination. Mais dès que je ferme les yeux, Elle se jette sur moi et m’étrangle
  • Meurs la faim, Anne Calife, éd. Gallimard,1999. réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-1-3), p. 205


Bleu cathodique. Les images continuaient dans la cuisine avec les fumées bleutées qui se développaient lentement comme le souffle de la ville à l’agonie
  • Meurs la faim, Anne Calife, éd. Gallimard,1999. réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-1-3), p. 205


La déferlante, 2003[modifier]

Je monte une gamme harassante. Mon ombre noire, hésitante me suit péniblement. Sur les marches blanches, elle marque des bémols chancelants. Elle s'affine, traînant derrière moi, de plus en plus longue et filiforme, puis refuse. Essoufflée, je m'arrête. Mon ombre aussi. Marseille entoure la mer dans ses longs bras blancs.… Au loin palpite la mer, ce globe humide visqueux, œil immense tourné vers moi.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 11


Au-dessus de moi, grincent des mouettes aux ailes écartelées. Sous le ciel tendu, Lucille monte les marches, des centaines de marches blanches formant le piano géant des escaliers de la gare Saint Charles.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 11


Fuis, fuis, Lucille. Fuis ces milliards de mètres cubes d’eau salée, ce ciel trop blanc..
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 11


Quand j’ai remis ma chemise, je me suis rendu compte qu’elle sentait … Oui une odeur de transpiration végétale. La même que celle de… de … ma mère... Oui, Lucille sur une île blanche avec autour du bleu. Que du bleu. Devant, derrière. De temps à autre, je recevais de mon passé des bouteilles avec du papier jauni dedans. Et, là, c’est le présent qui tambourine à la porte.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 11


Le train se dirige vers le Nord. Au fil des rails, la nature paraît se solidifier, se rigidifier. L’énergie du ciel passe dans les feuilles, les branches. Les arbres s’élancent plus hauts, plus verdoyants, tandis que le ciel pâlit, se trouble devant ces troncs puissants, cette force de l’herbe.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland, 2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 13


C’est une ville toute blanche et grise, avec des clochers crénelés, des pavés bombés comme des écailles de tortues. Comme l'eau de pluie dans les gargouilles, Lucille a suivi une pente longeant des façades claires
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland, 2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 14


Ce soir, j’attaque Vermeer. Je vais tenter de reproduire ce tableau « La laitière », qui m’a laissé toute abasourdie. De la cruche dans la jatte, coule le lait. Il coulait de façon quasi éternelle. La femme au tablier baisse les yeux, sa main gauche soutenait la cruche. On ne voit pas ses yeux. Morte ? Immobile, figée ? Eternité? Surtout, surtout au centre du tableau, le tablier ! Non, que le Tablier ! Un tablier d'un Bleu ! Une de ces couleurs qui vous saute au visage … Impossible de reproduire le bleu outremer du tablier. J’ajoute par-ci une touche de violet, par-là du noir. J’ai beau m’acharner, rien à faire. Invincible ce Bleu.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland, 2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 20


Oh, je n’y arriverai jamais ! Car je sais bien que l’Intelligence aux yeux perçants suit les cailloux blancs semés par la Logique, cette despote…
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 24


Portonevere. Crêtés de noir, des blocs de roches blanches s'enfoncent verticalement dans les eaux. Jusqu'où, mon dieu ?
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 26


Je me penche dans la tasse de café comme pour y chercher une solution. Le liquide noir me renvoie ma pupille dilatée, immense. Moi, je suis l'œil dit le café mais toi ? Toi ? Qui es-tu ?
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 26


Je frôle au passage des cyprès en chapeaux pointus dans la cour. Surtout, surtout je reconnais le son clair du burin contre la roche. Ding-ding. Chaque coup entre dans ma chair, faisant claquer tous les os de mon squelette. Des branches noires de cyprès ont griffé mes bras nus. Je m’immobilise. Où donc avais-je vu autant de cyprès ? Il me semble connaître ces arbres depuis toujours. C’est que j’en avais copié des cyprès dans les tableaux de Van Gogh «  Champ de blé au cyprès», « Cyprès dans la nuit étoilée ». Pourtant chez Van Gogh, ils jaillissaient, de l’été brûlant tordus comme des flammèche noires. Oui, l’Artiste ne peignait que des cyprès qui ondulaient, tourbillonnaient parmi le soleil, l'or des champs. Non, non, ce n’était pas cela. Ma mémoire se confronte avec de toutes autres images : celles de cyprès fiers et rigides, qu’un fort mistral ne faisait pas plier. En sourdine encore : ding - ding. Le vent tord les arbres noirs. Ma vue se brouille. Il suffirait Lucille, que tu regroupes, rassembles tes pensées sur cette odeur effilée, aiguisée, sur ce son clair. Je ferme les yeux, le vent gifle mon visage. J’inspire à fond. Je devine la résistance des cyprès sous le vent, celle de mon esprit qui se cabre, résiste.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 26


Février secoue un colossal édredon du ciel. Les flocons tombent, tombent, sur mon ventre de sept mois. Toute la neige semble dire, laisse, Lucille, oublie, oublie …
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 31


Les travaux ménagers laissèrent donc place à une activité bien plus passionnante : la sculpture sur bois. Pourquoi le bois, cette matière tourmentée faite de fibres, s’enchevêtrant, se superposant ? Peut–être parce que c’est un matériau qui asservit l’Artiste, condamné à respecter le sens des fibres du bois, à suivre leurs angoisses.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 32


Chaque instant que je passe avec mon fils est clair, pur, comme le givre le matin au pied des racines. Un présent tout neuf, page blanche et vierge, pour une nouvelle Lucille.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 45


Pourquoi ce rejet de la mort ? Pourquoi ne parle-t-on que de la naissance de l’homme, jamais de son agonie ? Moi, mon agonie sera l’expérience de ma vie. Je m’y préparais tous les jours. Oh oui. Elle sera le retour dans le temps fœtal, la vague, le terreau.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 50


« Pourtant Régine, il te faudra apprendre à VOIR. Car tout l’invisible de mon travail t’aura échappé … Combien de fois lui avais-je répété que je ne représentais pas l'agonie en elle-même, mais toute la solitude de l’humanité ! Oh, je voudrais tant convaincre les hommes de la brièveté de leur vie ! Les faire réagir ! Moi, toi, nous sommes seuls. Oui, seuls, nous resterons. Isolés dans nos bulles de verre. Complètement. A la naissance, l’oxygène avait pénétré, déchiré nos poumons de nouveau-né. Seuls, seuls à crier, n’est-ce pas ? Nous avançons dans un tunnel, clair, transparent, durant l’enfance, allant s’opacifiant avec l’âge. Pour voir autre chose, pour voir ce que l’œil physique ne saurait voir … Pour voir l’Invisible, il faut la casser cette paroi de verre. Parce qu’après nous mourrons. Encore seuls à voir arriver le mur noir. A se sentir glisser dans le gouffre visqueux. »
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 52


On rentrait, ressortait avec de grands sacs blancs, comme des ailes de cygne, laissant derrière nous l’empreinte indélébile de l’ylang-ylang.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 55


C’est avec ferveur que j’ai déchiré le papier de soie rien que pour l’entendre crépiter entre les doigts. Apparaît du blanc, que du blanc. Petite, je n’étais habillée qu’en blanc. Oui, tous les blancs :crème ivoire, césure. Blanc chagrin. Années d’enfance diluées dans l’immaculé. Pour laver mon linge, enfin plutôt les taches de sang, ils avaient acheté une énorme quantité d’eau oxygénée ce fut tout. Une machine à laver tournait exprès pour moi. La femme de ménage que la vue de draps aussi rouges avait effrayé fut renvoyée sur-le-champ. Pour épurer les mauvaises pensées nourries contre ma famille, tous les soirs, je me purifiais en sacrifiant mes veines. Je dormais dans un pyjama blanc. J'étais un ange, je vous dis. »
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 55


Je l'envie. Je voudrais tant avoir cette force d'acier qui résiste à la persuasion des autres. Moi, qui ne suis que Lucille, flamme chétive d'une bougie qu'un seul souffle des autres suffirait à éteindre.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 56


Nous voici allongés sur l'herbe, Tom et moi. Dessous le vert de l'herbe, dessus la bienveillance du ciel. Les ciels d'automnes sont les plus beaux : aussi précis que ceux de l'été avec pourtant une onctuosité, une douceur … Des ciels suaves, prêts à se rompre, prêts à pleurer.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 58


Quand j’ai remis ma chemise, je me suis rendu compte qu’elle sentait … Oui une odeur de transpiration végétale. La même que celle de… de … ma mère … Oui, Lucille sur une île blanche avec autour du bleu. Que du bleu. Devant, derrière. De temps à autre, je recevais de mon passé des bouteilles avec du papier jauni dedans. Et, là, c’est le présent qui tambourine à la porte.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 58


Figures de proues, les souvenirs surgissaient sans cesse dans le liquide du quotidien. Mon passé ne cessait me tendre des miroirs, où se reflétaient paroles, odeurs, gestes. Oublier. Tout ? Est-ce qu’on peut seulement ? Et puis la mémoire serait peut-être la seule protestation contre la maladie mentale ? Ne rien se rappeler, c’est entendre tinter derrière soi le grelot de la folie. Oui mon passé est là, impérieux, pressant. Un énorme paquet encombrant. D’accord, d’accord, Lucille se mutilait parce qu’elle souffrait trop. Bien. Parce que la douleur physique en remplaçait une autre plus grande, encore. Bon. Et alors ? Ce passé, quoi en faire aujourd’hui ? Vieilles souffrances, plaies, quel sens leur donner ?
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 59


Dans mon dos, je sens la petite main. Je sais que Tom va venir se renverser contre moi, en riant.Ca y est, ses pieds nus labourent mes côtes, il vient s'asseoir sur mes jambes croisées en tailleur. J’ai l'impression que tout ce que j'ai de vivant, passe au centre, dans ce corps chaud, cet axe doré. Comme si Lucille devenait coque autour du fruit.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 60


Les montgolfières sont allongées sur le sol, collant à l’herbe chaude, comme des bêtes inertes et molles. On entend le souffle chaud et rauque de l'hydrogène qui les gonfle peu à peu. A quoi sert de souffrir ? Seule, la souffrance permet de s'élever, déchirant dans l'être une échancrure où le ciel peut s’engouffrer. Une plaie où tout peut s’y précipiter, le bon comme le mauvais. Une à une, les montgolfières s’élèvent lentement, gravement. Elles passent au-dessus de la foule, des toits, solennelles et sauvages. Et dessinent des larmes colorées sur les joues bombées du ciel.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 60


Eh, oui, Lucille cet ancien grumeau, enfin intégrée, malaxée, dans la pâte chaude de la Société. Après tout, guère compliqué, je me dis en gravissant les marches : suffit de rentrer dans la boîte et couic-couic de couper tout ce qui dépasse.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 61


Irritant mes narines une odeur capiteuse éclabousse toute ma cervelle. Benjoin, jasmin ? Où suis-je ? Le parfum enveloppe de soie crépitante ma chambre, mon lit Régine à mon chevet
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 67


Il secoue la tête voulant dire non. Un NON froid, bleu et colossal qui se dresse devant moi. Me barre la route.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 70


Lucille , écroulée sur le lit. Lucille, hoquetant, suffoquant. Où peut-on trouver autant de noir pour gribouiller sur l’existence des humains ?
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 71


J’ai versé du café lyophilisé dans la tasse. La poudre forme une tache noire dans l’eau chaude. Un soleil noir qui s’étend, s’étend en longs filaments. Les longs tentacules bruns envahissent tout le liquide, toute la cuisine.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 71


Phi, mon pauvre Phi, t’auras beau faire, beau dire, je serai toujours une belle porcelaine, toujours fêlée. Ça fuira toujours Phi. Toujours.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 71


De mes omoplates croissent des amorces d’ailerons. Ils m'emportent, m’enlèvent, me soulèvent de terre. Ma volonté a pris ma tête, mes pieds.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 77


Avec cette silhouette plus petite, recouverte d'une pèlerine bleue dissimulant le visage. Ce visage que je connais pas cœur. Pupilles, cils, cornées, agrippés, accrochés cette pèlerine bleue, à ce bleu. phosphorescent qui palpite derrière les épines sombres. Mes yeux vont du manteau à la pèlerine, de la pèlerine au manteau, comme pour y trouver une solution, alors qu'il n'y en a pas. Un cauchemar … Encore un. Fermons, ferme les yeux, Lucille … Taches bleutées envahissent mes nerfs optiques par saccades fulgurantes. Se crever les yeux, Lucille. C’est ce qu’il faudrait.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 77


Elle m’ouvrit la porte. Sa chevelure frais teint en orange surmontait un tablier autant orange, un tablier hideux vraiment, avec des pâquerettes velues aux tiges tordues.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 78


Le mixer s’embrase de reflets bleus.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 80


Je suis en train de me dire qu'elle a un accent Marseillais juste celui que Régine et moi avions perdus. Un accent rude, salé, fort, une lame blanche venant trancher la brume Lorraine
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 81


Au bout du fil, cette voix. Coupe-circuit général ! Quelque chose se décolle en moi, comme un vieux caillot s'arrache. Un flot de sang jaillit m'éclabousse le visage, le cerveau.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 83


Ah, les huîtres ! Ne pas ignorer qu’on asperge leurs chairs écartelées d’acide. Et surtout qu’on les mange vivantes. Sous le citron les entrailles déchirées se rétractent de douleur. Mâche, déchire leurs organes palpitants. Je crois que je serais capable ce soir de manger du homard vivant. Et du crabe. Et des moules. Tous ces animaux froids, mous, lisses, encore imprégnés de la saumure de l’océan. Crus. Vivants.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 84


Impossible d’avoir un œil juste sur le passé. Leurs morceaux du passé sont comme les vitraux d’églises, enchâssés dans du plomb : autant de vues que de couleurs …
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland, 2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 88


Je rase les murs. Tout est dangereux. Dans les boutiques, derrière mon passage, des ondes vertes de malveillance. Ça mijote, ça mijote, papote, papote…
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland, 2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 90


Mes chaussures écrasent les feuilles mortes. On dirait un jeu de cartes grandiose qui eût égaré au sol toutes ses figures géométriques. Voilà qui aurait plu à Phi, à ce joueur de poker. Du pique, du trèfle. Je froisse des feuilles de ginko-biloba, de marronniers. Avec Tom, nous sautillons parmi les tas de feuilles. Roi dame, valet. Autant de cartes, autant de souvenirs. Du bout des semelles, je bats les cartes comme des visages. Certains sont flous comme ceux de mes trois frères, je me souviens juste qu’ils étaient tous trois bien plus grands que mon père … Mon père, ses yeux sombres…
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 92


J’ai longtemps écouté ses pas décroître en crissant sur le sol gelé. La bouche cerise de Tom a dit Maman, alors là, non, on ne peut pas résister. On s’agenouille, on le prend dans ses bras . On le presse contre soi à l’étouffer. -Donne du pain aux poissons rouges. Ils ont faim eux aussi, ! dis-je pour qu’il ne voit pas mes larmes couler. Fesses aux talons, Lucille, repliée, recroquevillée. Bien moins qu’une grenouille, Lucille, fin prête à se jeter dans le bassin gelé en dépliant des pattes en Z. Les miettes volent sur le bassin, les nénuphars . Dans le bassin, les poissons rouges se dispersent, en morceaux écarlates. Et puis ce n’est plus des poissons mais les éclats de mon cœur en mille morceaux rouges s’éparpillant dans une eau glacée.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 94


Du sang, non, Lucille, du jus violacé qui gicle noyant la planche. Clac. La lame inox a laissé une trace dans le bois de la planche. Tombent mollement des tranches chaudes. Encore vivantes, veloutées comme des muqueuses Spiralées de blanc, de rouge, comme de l'amour. Comme de la haine.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 94


Le soleil de septembre ensanglantait les érables, rougissait son sourire. Philippe m’embrassa sur le banc de notre rencontre. Derrière ses cheveux blonds, je voyais les marronniers jaunes bouger lentement.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 94


Ces couleurs-ci ne semblent pas inspirer du tout, le mari désorienté…. Il serre la serviette à carreaux dans ses mains, en maugréant :

-Je crois vraiment qu’on a tous besoin de vacances ! Effaré, Philippe contemple les boursouflures des feuilles bleutées. Tom paraît très satisfait du chou bleu qu’il a entrepris d’explorer en Ferrari. -Tom ! Non ! Pas la voiture dans ton assiette. Dis, ça ne te rappelle rien ces feuilles violettes, Phi ? On dirait, on dirait, dis-je encore … les lèvres d’un noyé. J’ai versé du citron sur les feuilles. Sous l’action de l’acidité, des taches écarlates ont marbré le chou bleu. -Oui c’est la tête d’un noyé ! Un noyé bouilli, dis-je. Regarde, si je verse du citron le noyé se réveille ! Il va… Il va …parler !

Les yeux de Philippe vont de mon visage au chou, reviennent agrandis vers moi.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 95


De mon amour, je ne palpe que des tissus conjonctifs emplis de pus, dont la seule pression me fait crier. Cette nuit-ci, je dis adieu à une moitié de moi-même. Qui dériva au large, en silence. Entre les bords des plaies repoussaient, germaient de nouveaux tissus. Difformes et hideux. Dans l’obscurité, je faisais attention à mes mouvements. Immobile, Lucille. Ne pas bouger. Pourtant quelque chose bougeait, quelque chose que j’identifiait mal, que je ne voulais pas reconnaître. Qui rampait dans l’ombre.
  • La déferlante, Anne Calife, éd. Balland,2003, réédition Menthol House, 2003  (ISBN 2-7158-1436-4), p. 98


Paul et le chat, 2004[modifier]

Aux extrémités des branches, luisaient des bourgeons à carapaces vertes comme les chars.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 20


Lorsque Paul manifeste sa volonté de changer d’endroit, une pointe de vert apparaît dans le bleu de ses yeux. Sans cris, sans pleurs, sans phrases, je sais deviner son désir aux variations de couleur de son iris. Et je le change aussitôt de place. Oui, j’accours à un anneau bleu repoussé par la dilatation d’une pupille, à un iris verdi par la colère. Je me précipite sans mots formés avant le geste.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 27


Alors, c’est Paul que je regarde. Voir, je ne sais faire que cela : Paul, neuf mois. Son premier Printemps. Des yeux, je suis l'arc énorme de sa joue rose que surmonte celui plus petit de la cornée, puis au-dessus, un cil noir incurvé en aile d'oiseau. Et ses joues … si tendues qu'elles en allument des reflets. Entre la mer et le ciel, les soldats avancent lentement, leurs costumes gris volent sur le sable comme des poissons perdus.
  • « Paul et le Chat », Anne Calife, Mercure de France, réeditions Menthol House, 2004, p. 24


Sous les hululements, j’avais plié la nuque. Sous la douche, le savon me parut à la fois immense et dérisoire. Sur la céramique, mes pieds dessinaient deux éventails japonais. Au travers de mes larmes, au travers de la buée, je vis brûler les branches noires du chêne
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 21


Peu importaient les mots, c’étaient ces images qui me lacéraient, ces images qui passaient, repassaient, infernales, comme la boucle du Chat. Trois jours plus tard, encore là devant la télévision, délaissant radio et journaux. Besoin de ces images. Besoin de voir.
  • « Paul et le Chat », Anne Calife, Mercure de France, réeditions Menthol House, 2004, p. 22


Du ciel cru, nu, soufflait soudain un vent bleu. Il fit claquer la chaise longue blanche rayée de bleu comme les voiles d’un bateau. Sans commentaires, je devinai le vent du côté de la Guerre. Des tourbillons de fumée bleue penchèrent à droite. Au travers des volutes, allaient et venaient des silhouettes noires, des silhouettes paniquées. Mère… et donc chargée de le soulever pour le poser devant ce qu’il convoitait.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 86


Combien de mots pour décrire l’éclat outré de son regard, ce blanc qui diminue ? Combien pour cette pointe de jaune verdissant soudain l’iris ? Les désirs de Paul flottent, furtifs, fugaces dans son regard, modifiant les rayons bleutés, hachurant son iris. Pour leur éclat, je peux bien choisir un bleu minéral : ardoise, turquoise, lapis-lazuli joli. Pour leur transparence, taper dans un bleu végétal : gentiane, pervenche, myosotis. Pour leur intensité, m’incliner vers l’art : Klee, Chagall, bleu Matisse, Picasso – ridicules peut-être au regard d’une si petite surface.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 86


Bleu petit bateau, bleu de la Vierge Marie. Le rouge n’est pas si loin du bleu. Le rouge d’un cauchemar n’est qu’un rêve bleuté qui s’est asphyxié.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 86


Le journaliste n’avait pas filmé la femme penchée mais son visage troublé dans les eaux noires, encerclé par les parois blanches du puits. Comment avait-il pu faire ça ? Il avait dû gentiment s’asseoir sur la margelle du puits aux côtés d’une femme endeuillée, lui disant : « Mais faites comme si je n’étais pas là, pleurez donc. Je vais prendre votre reflet dans les eaux du puits, ce sera plus parlant
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 60


Sur le Golfe, il devait encore faire nuit. La mer, le ciel devaient se fondre unis – noir à peine frangé du blanc des vagues. Noir immense. Noir engloutissant tous les espoirs.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 31


Dans le noir, longtemps, j'avais repensé à la peau blanche de la petite fille, à ses pupilles élargies de douleur. Le jour perçait. Dehors, les arbres formaient des boules blanches contre le vert de la plaine. Pourquoi les fleurs s’ouvrent-elles à même le bois noir et nu ?
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 37


La convoitise rétrécit ses prunelles, l’acide vert de ses yeux vira au noir. Son pelage, ses taches noires se figèrent, sauf la queue qui fouetta l’air. Ça y est ! Il a bondi. Entre ses pattes, le merle fut plus rapide. Déjà, il tirait un trait tordu dans le ciel. Le Chat bailla de dépit, dévoilant ses canines pointues, son palais rouge, sa langue rose.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 60


Pis encore ! Elle est couverte de suçons ! De larges ecchymoses violettes maculent son beau cou blanc, ses épaules.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 86


Jamais, je n’ai autant remarqué le vert puissant du Printemps, insultant les premiers bleus du ciel. De même, le rouge du sang me renvoie au bleu des yeux de Paul. Car le rouge n’est qu’un bleu qui a souffert. La souffrance se rattache à tout, s’accroche partout, se reflète dans les yeux bleu myosotis d’un bébé de mars.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 92


Les cheveux sombres cachaient presque son visage clair. La souffrance ou la peur dilatait ses yeux noirs contre sa peau blanche. Elle criait parce qu'elle avait été réveillée en sursaut par la caméra ou parce qu'elle souffrait de sa jambe amputée...
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 36


Le Mari, sa chemise amidonnée et blanche sur le divan noir, leva les bras au ciel vers une belle évidence. Chatons ? plus rien : il les avait noyés. Comment ? Il refusa d’en parler, balayant toutes mes questions d’un geste blanc.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 44


Et je mis la télé en route. Toujours ces images en boucle, en cercle, qui se mordaient la queue. La Guerre continuait. Dans l’aube rougie, des hommes marchaient vers Bagdad. Ils marchaient vers la mort d'autres hommes dans le parfum des amandiers en fleurs. À quoi t’attendais-tu Anne ? Hein ? Le Chat mit au monde un troisième chaton. Tout blanc.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 36


Moite, j’ouvris la fenêtre pour respirer. Gonflé, le cerisier floconnait, dépassé par l’abondance de ses pétales blancs. En face, la voisine souleva le rideau blanc qui retomba lentement. Le soleil médaillait le soldat. Solitaire, la fleur du magnolia éclatait en apothéose blanche. Et la Mort qui marchait là, entre les boules blanches, s’arrêta.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 43


Noir immense. Noir engloutissant tous les espoirs.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 31


Au fond de la prairie, les branches noires du chêne se détachaient précises, bien trop précises sur la brume grise de février. Le vieil arbre gravait une griffe immobile contre la brume mouvante. Cinq branches noires à droite, cinq à gauche.

Deuil symétrique.

Parfait.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 14


Je craignais qu’il ne tombe malade ; ses taches noires semblaient plus grosses que jamais, l’une sur le flanc alourdi, l’autre en bandeau sur la tempe. Comme lors de toutes les grandes peines, le Chat se résigna. Il ferma ses yeux ourlés de noir. Les rayures de son visage convergèrent vers le trait oblique des paupières.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 17


Enfermés dans la boîte transparente de la télévision, les enfants de la Guerre tendaient, eux aussi, leurs bras maigres vers nous. .
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 18


Giclèrent sur l’écran les traces orange des bombes sur le ciel noir. Désormais, la Guerre se déployait sur toutes les chaînes, avec ce « r » présent dans toutes les langues : « Krieg, Guerra » ou englouti par les mâchoires américaines : « War ». Les Arabes la nomment « har’b » avec un « h » soufflé de gorge, ce « r » guttural du fond du ventre. Dans toutes les bouches, cette râpe du « r ». .
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 21


Cette Guerre, je la voyais partout. Dans les centres commerciaux, des mères poussaient de grosses poussettes lourdes comme des chars.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 43


Arrêter les images n’aurait jamais arrêté la Guerre. Car tout était Guerre... tout était Guerre et Printemps à la fois
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 62


La Guerre continuait. Dans l’aube rougie, des hommes marchaient vers Bagdad. Ils marchaient vers la mort d'autres hommes dans le parfum des amandiers en fleurs.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 36


« Il a des yeux, cet enfant ! » dit-on de Paul. D’un bleu éclatant certes, sans que je parvienne réellement à définir ce qui différencie l’œil de Paul de celui d’un adulte. Grâce ces heures d’observation, j’ai compris finalement le « Il a des yeux, cet enfant ! » : la brillance, le renvoi de la lumière.
  • Paul et le Chat, Anne Calife, éd. Mercure de France, réédition Menthol House, 2004  (ISBN 978-2-9599680-2-0), p. 25


Fleur de peau, 2006[modifier]

Parmi les millions de substances reconnues, perçues, c’est celle de la peau, que je préfère entre toutes. À l’affût, mes narines tentent de capter cet élixir précieux, savant mélange de texture, de fossettes, plis et vibrations. Oh, la peau, son odeur…

Si précise, si juste, qu’elle reflète la nature, le caractère de son propriétaire.

Si ténue, si légère, que la moindre goutte d’eau l’éteint, le moindre souffle l’emporte.
  • Fleur de peau, Anne Calife, éd. Héloïse d’Ormesson, 2006, 2006  (ISBN 2-35087-015-4), p. 6


Juste après le sas, l’entrée concentrait à elle seule tous les parfums de la maison. Sautaient d’abord aux narines les notes volatiles du parfum de Rémi, qu’accompagnaient l’acidité de ses thés verts, celle de mes tisanes, mélisse-tilleul, que renvoyait en écho la prairie de l’herbe, alentour. Puis cela s’arrondissait sur l’amande-vanille de la peau des enfants, le fruité pommes-bananes dans le compotier. Je distinguais aussi précisément l’un et l’autre.

Enfin cela se coloriait des notes plus sèches du pain grillé, du mélange chicorée-café. Nulle part ailleurs je n’avais senti pareil mélange. Portée entre les plis du tapis, des rideaux, et même dans le galbe des fauteuils, c’était l’odeur de nos murs.

L’odeur de chez nous.
  • Fleur de peau, Anne Calife, éd. Héloïse d’Ormesson, 2006, 2006  (ISBN 2-35087-015-4), p. 9


J’ai du mal à décrire mon odeur : blonde, fade, tels mon visage et mon corps. Plus précisément, je la cherche surtout dans les sécrétions du corps dont le nom commence par un « s » : salive, sébum, selles, sueurs ; elles ont le mérite de concentrer l’odeur naturelle. Ma transpiration rappellerait ces graminées frêles, un peu laiteuses, que coupent les enfants.

Bien entendu, j’avais questionné Rémi : j’eus droit à un vague « noisette, orge grillée ». Cet aspect mi-formé, embryonnaire, des odeurs, ne l’intéresse guère, lui, homme de raison acharné à tailler les élèves, tuteurer des cervelles, palisser des savoirs. Peut-on aimer quelqu’un sans connaître pleinement son odeur ? Rémi sentait peu, très peu. Pourtant, yeux bandés, j’aurais reconnu son odeur parmi celles de centaines d’hommes. De sa peau blanche élastique émanait une senteur fade, tout en équilibre dans sa rondeur, son mœlleux : de la pâte à pain mise à gonfler. La temporalité d’une odeur importe autant que sa forme, son coloris : celle de Rémi savait planer sans peser.

Cette neutralité corporelle, en beige respectable, lui permettait de tout porter sans gêne. Aussi lui avais-je trouvé ce parfum anglais à base de violette, à laquelle on avait ajouté du thé vert, une fragrance en demi-teintes brumeuses, diffuses, un petit matin d’hiver froid. Je l’avoue, il me permettait de le suivre, de le repérer dans les grands espaces
  • Fleur de peau, Anne Calife, éd. Héloïse d’Ormesson, 2006, 2006  (ISBN 2-35087-015-4), p. 20


Je savais peu de choses de la vie pénitentiaire. Personnels de santé et de justice se mêlent rarement. Alors c’était son nez qui me racontait la pénitentiaire de l’intérieur.

Couloirs, escaliers à monter, descendre, toujours y rampait cette odeur voilée maladive, macération de l’air du temps, aération insuffisante. La cour de promenade, elle, dégageait un relent d’habitudes infernales, sueur, moisi – car les prisonniers, de leurs fenêtres jetaient du pain, des restes avariés. Parfois Ivan pouvait y entendre bruisser le peuplier, capter lorsqu’il venait de pleuvoir ce mélange de crème, d’eau de la terre. Les douches, elles, sentaient l’eau de Javel, la marque de l’unique savon à l’amande vendu par la cantine.

Nos seules odeurs communes restaient celles du self ; y déjeunaient détenus et personnels. Alors, on jouait à « raconter » les menus : l’odeur duveteuse des pâtes qui sautent dans l’eau bouillante, celle piquante et racornie de la viande grillée, celle grasse, écrasée, des choux de Bruxelles.
  • Fleur de peau, Anne Calife, éd. Héloïse d’Ormesson, 2006, 2006  (ISBN 2-35087-015-4), p. 30