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Alain Besançon

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Alain Besançon, né le 25 avril 1932 dans le 6e arrondissement de Paris, est un historien français.

L'identité de l'Europe, 2010

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C’est pourquoi nous voyons se dessiner en filigrane une frontière intra-européenne, celle qui sépare l’Europe carolingienne (celle des Quinze, avec l’Angleterre, en symbiose avec la France et avec l’Espagne reconquise) de l’Europe des Vingt-Cinq, qui regroupe les pays dont la conversion s’est effectuée par leurs propres princes, en s’appuyant les uns les autres (comme ceux de Pologne et de Bohème) et en s’appuyant directement sur la papauté romaine.


C’est pourquoi la frontière orientale de l’Europe « totale » s’arrêta au royaume polono-litunanien. Les princes slavo-varègues de Kiev avaient hésité un certain temps. Le mot russe pour Église est Tserkov, qui vient de l’allemand Kirche. Mais l’empereur de Byzance ayant eu besoin de leur alliance dans une certaine circonstance, il les fit tomber de son côté. Ce qui fut accompli par mariage du prince de Kiev avec une porphyrogénète et batême collectif en 989. La frontière de ce côté fut donc celle du filioque. Elle devint plus tard celle de la Horde tatare, puis celle de la Moscovie, mais le filioque subsistera comme symbole de la séparation et comme motif de la haine parfaite.


Une expression très visible de l’unité européenne est l’art, et précisément l’art gothique. La frontière orientale de l’Europe peut se lire comme la ligne qui réunit les dernières églises gothiques. Cette ligne borde donc la Finlande, les pays Baltes, la Pologne, la Hongrie, la Croatie, la Slovénie. C’est exactement la frontière de l’Europe des vingt-Cinq, celle qui va être officialisée en mai de cette année. Au-delà, par une rupture nette, s’annoncent l’art byzantin et l’art musulman.


Une autre particularité de l’Europe est l’intensité du conflit dogmatique. À la différence du monde orthodoxe où les Églises s’appuyaient sur une base ethnique et où l’on pouvait s’abandonner plus tranquillement au sommeil théologique, l’Église latine étant transnationale ne pouvait garder son unité que par une attention continue à l’unité de sa doctrine. Cela entretenait dans les universités à la fois une vitalité intellectuelle intense et les occasions de dispute et de déchirement. L’Église put espérer un instant établir la paix autour de la synthèse particulièrement large et belle de saint Thomas d’Aquin. À peine le Docteur commun fut-il mort que la synthèse s’écroula et qu’avec Duns Scot, Guillaume d’Occam et bien d’autres, une révolution de la pensée commença et ne s’arrêta plus.


Ce n’est donc pas sa surpuissance qui rend problématique une intégration éventuelle à l’Europe et donc une extension des frontières de celle-ci, non pas jusqu’à l’Oural, qui n’a jamais été une frontière, mais jusqu’à la Chine et au pacifique. Mais c’est plutôt la volonté russe elle-même. Son régime est ce qu’il est, et les Russes sincèrement occidentalistes, car il y en a beaucoup, sont partagés entre le rire et les larmes quand la presse étrangère le décrit comme une émergent democracy. Quant à l’Église orthodoxe, elle est mise à profit par ce pouvoir pour nourrir le nationalisme le plus extrême et le plus hostile à tout rapprochement avec la latinité.


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