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Carlo Levi

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Carlo Levi (né le 29 novembre 1902 à Turin, mort le 4 janvier 1975 à Rome) est un écrivain, médecin, peintre, journaliste et homme politique italien.

Carlo Levi en 1955. Photo par Paolo Monti (Fondo Paolo Monti, BEIC).


Le Christ s'est arrêté à Eboli, 1945

Le Christ n'est jamais arrivé ici, ni le temps, ni l'âme individuelle, ni l'espoir, ni la liaison entre causes et effets, ni la raison, ni l'histoire. [.] Le Christ est descendu dans l'enfer souterrain du moralisme judaïque pour en briser les portes éternelles et les sceller dans l'éternel. Mais sur cette terre sombre, sans péché et sans rédemption, où le mal n'est pas un fait moral, mais une douleur terrestre, qui existe pour toujours dans les choses mêmes, le Christ n'est jamais descendu. Le Christ s'est arrêté à Eboli.
  • Le Christ s'est arrêté à Eboli (1945), Carlo Levi (trad. Jeanne Modigliani), éd. Gallimard, coll. « Folio », 1948  (ISBN 9782070369546), p. 10


Au delà de l’œuvre à la fois autobiographique et romanesque, l'ouvrage est aussi une anthropologie, une sociologie, une étude de psychologie, d'économie et de politique de la partie méridionale de l'Italie, durant la deuxième guerre mondiale (1939-1945)...


Pour les gens de Lucanie, Rome n'est rien : C'est la capitale des seigneurs, le centre d'un État étranger et malfaisant. Naples pourrait être leur capitale, et elle l'est vraiment, la capitale de la misère, avec ses habitants aux visages pâles et aux yeux fiévreux, ses sous-sols aux portes ouvertes l'été à cause de la chaleur, ses femmes débraillées qui dorment affalées sur une table dans les bas-fonds de Toledo.
  • Le Christ s'est arrêté à Eboli (1945), Carlo Levi (trad. Jeanne Modigliani), éd. Gallimard, coll. « Folio », 1948  (ISBN 9782070369546), p. 138


Les conquérants phéniciens qui venaient de Troie apportaient avec eux toutes les valeurs opposées à celles de l'ancienne civilisation paysanne. Ils apportaient la religion et l’État et la religion de l’État. [.] Ils apportaient l'armée, les armes, les boucliers, l'héraldique et la guerre. Leur religion était féroce, elle comportait des sacrifices humains. [.] Quand les Troyens vinrent en Italie, ils se heurtèrent donc, de la part des premiers habitants, à une hostilité irréductible, née d'une différence absolue de civilisation.
  • Le Christ s'est arrêté à Eboli (1945), Carlo Levi (trad. Jeanne Modigliani), éd. Gallimard, coll. « Folio », 1948  (ISBN 9782070369546), p. 159


Ces vieilles cervelles de fonctionnaires [de police] n'étaient, Dieu merci, pas encore contaminées par la culture primaire, l'idéalisme des universités populaires [fascistes], qui excitaient le zèle hystérique des jeunes et les faisaient s'imaginer que l’État - cet État indiscutablement éthique - était une personne faite à peu près comme eux, avec une morale personnelle semblable à la leur, qu'il fallait imposer à tous, livré aux mêmes petites ambitions, petits sadismes et petites combines qu'eux, mais en même temps incompréhensible aux profanes, énorme et sacré.
  • Le Christ s'est arrêté à Eboli (1945), Carlo Levi (trad. Jeanne Modigliani), éd. Gallimard, coll. « Folio », 1948  (ISBN 9782070369546), p. 179


Je m'attendais à éprouver le plaisir le plus vif à revoir ma ville, à bavarder avec mes anciens amis, à participer à nouveau à une vie multiple et mouvementée ; mais maintenant je sentais en moi un détachement insurmontable, une sentiment d'éloignement infini, une difficulté à reprendre contact, qui m'empêchaient de jouir des biens retrouvés. [.] à ce sentiment de détachement que j'avais éprouvé et à la totale incompréhension des gens qui s'occupaient de politique pour la vie de ces pays vers lesquels je me hâtais. [.] ainsi la vie et les besoins des paysans étaient pour eux un monde fermé qu'ils ne cherchaient même pas à pénétrer.
  • Le Christ s'est arrêté à Eboli (1945), Carlo Levi (trad. Jeanne Modigliani), éd. Gallimard, coll. « Folio », 1948  (ISBN 9782070369546), p. 280 et 282


D'autres encore professaient que le problème méridional n'était qu'un cas particulier de l'oppression capitaliste, que la dictature du prolétariat aurait réglé sans problème.
  • Le Christ s'est arrêté à Eboli (1945), Carlo Levi (trad. Jeanne Modigliani), éd. Gallimard, coll. « Folio », 1948  (ISBN 9782070369546), p. 283


C'était l’État, c'est à dire un organisme transcendant les personnes et la vie du peuple ; tyrannique ou paternaliste, dictatorial ou démocratique, mais toujours unitaire, centralisé et lointain. [.] Entre l'étatisme fasciste, l'étatisme libéral, l'étatisme socialiste et toutes ces autres formes d'étatisme qui verraient le jour dans un pays petit-bourgeois comme le nôtre, et l'antiétatisme des paysans, il y a et il y aura toujours un abîme, [.].
  • Le Christ s'est arrêté à Eboli (1945), Carlo Levi (trad. Jeanne Modigliani), éd. Gallimard, coll. « Folio », 1948  (ISBN 9782070369546), p. 283 et 284


L'ennemi véritable, celui qui enlève toute liberté et toute possibilité d'une existence meilleure aux paysans est la petite bourgeoisie locale. C'est une classe dégénérée physiquement et moralement, incapable de remplir sa fonction et qui vit seulement de petites rapines et de la tradition abâtardie d'un droit féodal. Aussi longtemps que cette classe n'aura pas été supprimée et remplacée, on ne pourra penser résoudre le problème méridional. [... En Italie] où les idéologies petites bourgeoises sont parvenues à contaminer mêmes les classes populaires des villes, [.].
  • Le Christ s'est arrêté à Eboli (1945), Carlo Levi (trad. Jeanne Modigliani), éd. Gallimard, coll. « Folio », 1948  (ISBN 9782070369546), p. 286


Cette voie est celle de l'autonomie. L’État ne peut être que la somme d'une infinité d'autonomies, une fédération articulée. [.] la cellule de l’État, la seule qui leur permettra de participer à la vie multiple de la collectivité, ne peut être que la commune rurale autonome. [.] L'autonomie de la commune rurale suppose l'autonomie des usines, des écoles, des villes et de toutes les autres formes de la vie sociale. C'est ce que j'ai appris au cours d'une année de vie souterraine.
  • Le Christ s'est arrêté à Eboli (1945), Carlo Levi (trad. Jeanne Modigliani), éd. Gallimard, coll. « Folio », 1948  (ISBN 9782070369546), p. 287 et 288