Witold Gombrowicz
Apparence

Witold Gombrowicz, né en Pologne à Małoszyce, près de Kielce, en 1904 et mort en 1969 à Vence, était un écrivain polonais.
Ferdydurke, 1937
[modifier]La malédiction de l'humanité est que notre existence dans ce monde n'admet aucune hiérarchie définie et stable, mais que tout s'écoule, tout se répand, tout bouge sans cesse et chacun doit être éprouvé et jugé par chacun, la conclusion des êtres ignares, bornés et obtus n'étant pas moins importante que celle des êtres intelligents, brillants et subtils. L'homme dépend étroitement de son reflet dans l'âme d'autrui, cette âme fût-elle celle d'un crétin. Là, je m'oppose avec fermeté à l'avis de mes collègues qui, devant l'opinion des obtus, prennent une attitude d'aristocrates en proclamant Odi profanum vulgus. Quelle façon pauvre et médiocre d'échapper à la réalité, quelle misérable fuite dans une fausse supériorité ! J'affirme, juste à l'inverse, que plus une opinion est obtuse et étroite, plus elle est, pour nous, importante et forte, tout comme un soulier étroit se fait mieux sentir au pied qu'un soulier bien adapté.
- Ferdydurke (1937), Witold Gombrowicz (trad. Georges Sédir), éd. Christian Bourgois Éditeur, coll. « 10/18 domaine étranger », 1973 (ISBN 2-264-00538-6), chap. I Enlèvement, p. 10
S'ils n'avaient pas su que Chopin était un génie et le pianiste aussi, peut-être auraient-ils écouté avec moins d'ardeur. Il est également possible que si chacun, pâle d'enthousiasme, applaudit, bisse et se démène, c'est parce que les autres aussi se démènent et poussent des cris ; en effet chacun pense que les autres éprouvent d'extraordinaires délices, des émotions célestes, de sorte que sa propre émotion commence à grandir sur le modèle d'autrui ; et il peut très bien arriver ainsi que, dans une salle de concert, nul ne soit directement enchanté, mais que tous manifestent leur enchantement parce que chacun se modèle sur ses voisins.
- Ferdydurke (1937), Witold Gombrowicz (trad. Georges Sédir), éd. Gallimard, coll. « Quarto », 1996 (ISBN 2-07-074493-0), chap. 4 Introduction à « Philidor doublé d'enfant », p. 333
Mais dans la Réalité, voici ce qu'il en est : l'être humain ne s'exprime pas d'une façon directe et conforme à sa nature, il passe toujours à travers une forme définie. Cette forme, ce style, cette manière d'être ne viennent pas seulement de lui-même, mais lui sont aussi imposés par l'extérieur - et voilà pourquoi le même individu peut s'exprimer sagement ou au contrairement sottement, sanguinairement ou angéliquement, avec ou sans maturité, en fonction du style qui lui échoit et de sa dépendance à l'égard d'autrui. Si les vers et les insectes sont toute la journée à la pousuite de nourriture, nous passons notre temps, nous, à la poursuite de la forme, nous nous battons avec d'autres hommes pour un style et un genre de vie ; que nous allions en tram, conduisions notre voiture, nous amusions, nous reposions ou fassions des affaires, toujours et en toute circonstance nous cherchons la forme, nous jouissons ou souffrons par elle, nous nous plions à elle ou nous la violons et la brisons, ou nous la laissons nous recréer, amen.
- Ferdydurke (1937), Witold Gombrowicz (trad. Georges Sédir), éd. Christian Bourgois Éditeur, coll. « 10/18 domaine étranger », 1973 (ISBN 2-264-00538-6), chap. IV Introduction à « Philidor doublé d'enfant », p. 90
Trans-Atlantique, 1953
[modifier]Si l'on t'offre un cheval, prends-le sans lui compter les dents.
- Trans-Atlantique, Witold Gombrowicz (trad. Constantin Jelenski et Geneviève Serreau), éd. Denoël, 2002, p. 62
Ah, il faudrait réfléchir, décider quelque chose, mais Réflexions et Décisions sont comme un champ après la moisson, comme de la Paille, comme ces fétus que le vent emporte sur les jachères abandonnées. Notre Néant, Notre vide, de plus en plus vertigineux.
- Trans-Atlantique, Witold Gombrowicz (trad. Constantin Jelenski et Geneviève Serreau), éd. Denoël, 2002, p. 155
La Pornographie, 1960
[modifier]L'apparence charnelle d'un rustre présente cet immense avantage que le rustre n'y prête aucune attention, de sorte qu'elle ne choque jamais, même brouillée avec l'esthétique — mais un homme qui se soigne fait saillir, ressortir son apparence charnelle, il s'y complaît, s'y vautre délectablement et dès lors chaque défectuosité devient mortelle.
- La Pornographie, Witold Gombrowicz (trad. Georges Lisowski), éd. 10/18, 1969, p. 52
La facilité avec laquelle les femmes disent "non". Ce don de refus qu'elles possèdent au suprême degré. Ce "non" qu'elles ont toujours en réservent — et une fois qu'elles le trouvent en elles, elles sont impitoyables.
- La Pornographie, Witold Gombrowicz (trad. Georges Lisowski), éd. 10/18, 1969, p. 77
Nous sommes condamnés au développement. Cette loi se réalise aussi bien dans l'histoire de l'humanité que dans celle de chaque homme en particulier.
- La pornographie, Witold Gombrowicz (trad. Georges Lisowski), éd. 10/18, 1969, p. 111
Un homme mûr ne peut être supportable pour un autre qu'en tant que renoncement, lorsqu'il renonce à lui-même pour incarner autre chose — l'honneur, la vertu, la patrie, la lutte...Mais un homme qui n'est qu'un homme — quelle horreur !
- La Pornographie, Witold Gombrowicz (trad. Georges Lisowski), éd. 10/18, 1969, p. 155
Dans certaines situations on ne peut se permettre d'être "moins profond" ou "moins subtil", cela vous disqualifie au point de vue mondain.
- La pornographie, Witold Gowbrowicz (trad. Georges Lisowski), éd. 10/18, 1969, p. 166
Cosmos, 1964
[modifier]Comment ne pas raconter après coup ? Ainsi il faudrait pensé que rien ne sera exprimer pour de bon, restitué dans son devenir anonyme, que personne ne pourra jamais rendre le bredouillement de l'instant qui naît; on se demande pourquoi, sorti du chaos, nous ne pourrons jamais être en contact avec lui : à peine avons-nous regardé que l'ordre naît sous notre regard...et la forme.
- Cosmos, Witold Gombrowicz (trad. Georges Sédir), éd. Denoël, 1966, p. 41
En observant les personnes, on se heurte à plus d'obstacles qu'avec les objets : seuls les objets peuvent être regardés vraiment.
- Cosmos, Witold Gombrowicz (trad. Georges Sédir), éd. Denoël, 1966, p. 42
Les années se dissolvent en mois, les mois en jours, les jours en heures, en minutes et en secondes, et les secondes fuient. On ne peut pas les attraper.
- Cosmos, Witold Gombrowicz (trad. Georges Sédir), éd. Denoël, 1966, p. 155
Il n'existe pas de combinaisons impossibles...N'importe quelle combinaison est possible...
- Cosmos, Witold Gombrowicz (trad. Georges Sédir), éd. Denoël, 1966, p. 208
Je commençais à comprendre ce qui se passe quand on est assassin. On assassine quand le meurtre devient aisé, quand on n'a rien de mieux à faire : les autres possibilités sont simplement épuisés.
- Cosmos, Witold Gombrowicz (trad. Georges Sédir), éd. Denoël, 1966, p. 215