Thomas Hobbes

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Thomas Hobbes, par John Michael Wright.

Thomas Hobbes, né le 5 avril 1588 et mort le 4 décembre 1679, est un philosophe matérialiste anglais.

Citations sourcées[modifier]

Léviathan, 1651[modifier]

Il est manifeste que pendant ce temps où les humains vivent sans qu'une puissance commune ne leur impose à tous un respect mêlé d'effroi, leur condition est ce qu'on appelle la guerre ; et celle-ci est telle qu'elle est une guerre de chacun contre chacun.
  • Léviathan (1651), Thomas Hobbes (trad. Gérard Mairet), éd. Gallimard, 2000  (ISBN 2-07-075225-9), p. 224


L'ignorance des causes de la constitution originaire du droit, de l'équité, de la loi et de la justice conduit les gens à faire de la coutume et de l'exemple la règle de leurs actions, de telle sorte qu'ils pensent qu'une chose est injuste, quand elle est punie par la coutume, et qu'une chose est juste quand ils peuvent montrer par l'exemple qu'elle n'est pas punissable et qu'on l'approuve, ou par un précédent (du nom barbare utilisé par les juristes qui connaissent seulement cette norme de justice). Ils sont pareils aux petits enfants qui n'ont d'autres règle des bonnes et des mauvaises manières que la correction infligée par leurs parents et par leurs maîtres, à ceci près que les enfants se tiennent constamment à leur règle, ce que ne font pas les adultes parce que, devenus forts et obstinés, Ils en appellent de la coutume et à la raison, et de la raison à la coutume, comme cela les sert, s'éloignant de la coutume quand leur intérêt le requiert et combattant la raison aussi souvent qu'elle va contre eux. C'est pourquoi la doctrine du juste et de l'injuste est débattue en permanence, à la fois par la plume et l'épée.
  • Léviathan (1651), Thomas Hobbes (trad. Gérard Mairet), éd. Gallimard, 2000  (ISBN 978-2-07-075225-4[à vérifier : ISBN invalide]), p. 194-195


De cette institution de la République sont dérivés tous les droits et libertés de celui ou de ceux à qui le pouvoir souverain a été conféré par le consentement du peuple assemblé.
  • Léviathan, Deuxième partie (1651), Thomas Hobbes (trad. Philippe Folliot), éd. Classiques des sciences sociales, 2002, p. 12


Le souverain de la République, qu'il soit une assemblée ou un seul homme, n'est pas assujetti aux lois civiles, car, ayant le pouvoir de faire ou d'abroger les lois, il peut, quand il lui plaît, se libérer de cette sujétion en abrogeant ces lois qui le gênent et en en faisant de nouvelles. Il était par conséquent déjà libre, car est libre celui qui peut se libérer quand il le veut. Il n'est pas non plus possible qu'une personne soit contrainte par elle-même parce que celui qui peut contraindre peut libérer [de la contrainte]; et celui qui n'est contraint que par lui-même n'est pas contraint
  • Léviathan, Deuxième partie (1651), Thomas Hobbes (trad. Philippe Folliot), éd. Classiques des sciences sociales, 2002, p. 88


Citations rapportées d'Hobbes[modifier]

Michel Foucault, «Il faut défendre la société», 1976[modifier]

La guerre, c'est l'effet immédiat d'une non-différence ou, en tout cas, de différences insuffisantes. En fait, dit Hobbes, s'il y avait eu de grandes différences, si effectivement entre les hommes il y avait des écarts qui se voient et se manifestent, qui sont très clairement irréversibles, il est bien évident que la guerre se trouverait par là même bloquée immédiatement. S'il y avait des différences naturelles marquées, visibles, massives, de deux choses l'une : ou bien il y aurait effectivement affrontement entre le fort et le faible — mais cet affrontement et cette guerre réelle se solderaient aussitôt par la victoire du fort sur le faible, victoire qui serait définitive à cause même de la force du fort ; ou bien il n'y aurait pas affrontement réel, ce qui veut dire, tout simplement, que le faible, sachant, percevant, constatant sa propre faiblesse, renoncerait avant même l'affrontement. De sorte que — dit Hobbes — s'il y avait des différences naturelles marquées, il n'y aurait pas de guerre ; car, ou bien le rapport de force serait fixé d'entrée de jeu par une guerre initiale qui exclurait qu'elle continue, ou bien, au contraire, ce rapport de force resterait virtuel par la timidité même des faibles. Donc, s'il y avait différence, il n'y aurait pas de guerre. La différence pacifie. En revanche, dans l'état de non-différence, de différence insuffisante — dans cet état où on peut dire qu'il y a des différences, mais rampantes, fuyantes, minuscules, instables, sans ordre et sans distinction ; dans cette anarchie des petites différences qui caractérise l'état de nature — qu'est-ce qui se passe ? Même celui qui est un petit peu plus faible que les autres, qu'un autre, il est tout de même suffisamment proche du plus fort pour se percevoir assez fort pour n'avoir pas à céder. Donc, le faible ne renonce jamais. Quant au fort, qui est simplement un tout petit peu plus fort que les autres, il n'est jamais assez fort pour n'être pas inquiet et, par conséquent, pour n'avoir pas à se tenir sur ses gardes. L'indifférenciation naturelle crée donc des incertitudes, des risques, des hasards et, par conséquent, la volonté, de part et d'autre, de s'affronter ; c'est l'aléatoire dans le rapport primitif des forces qui crée cet état de guerre.

  • «Il faut défendre la société» — Cours au Collège de France, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll. « Hautes Études », 1997  (ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 4 février 1976, p. 78


Il n'y a pas de batailles dans la guerre primitive de Hobbes, il n'y a pas de sang, il n'y a pas de cadavres. Il y a des représentations, des manifestations, des signes, des expressions emphatiques, rusées, mensongères ; il y a des leurres, des volontés qui sont travesties en leur contraire, des inquiétudes qui sont camouflées en certitudes. On est sur le théâtre des représentations échangées, on est dans un rapport de peur qui est un rapport temporellement indéfini ; on n'est pas réellement dans la guerre. Ceci veut dire, finalement, que l'état de sauvagerie bestiale, où les individus vivants se dévoreraient les uns les autres, ne peut en aucun cas apparaître comme la caractérisation première de l'état de guerre selon Hobbes. Ce qui caractérise l'état de guerre, c'est une sorte de diplomatie infinie de rivalités qui sont naturellement égalitaires. On n'est pas dans «la guerre» ; on est dans ce que Hobbes appelle, précisément, «l'état de guerre». Il y a un texte où il dit : «La guerre ne consiste pas seulement dans la bataille et dans les combats effectifs ; mais dans un espace de temps — c'est l'état de guerre — où la volonté de s'affronter en des batailles est suffisamment avérée».

  • «Il faut défendre la société» — Cours au Collège de France, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll. « Hautes Études », 1997  (ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 4 février 1976, p. 79


Domination, direz-vous, et pas souveraineté. Eh bien non, dit Hobbes ; on est bien encore et toujours dans le rapport de souveraineté. Pourquoi ? Parce que, dès lors que les vaincus ont préféré la vie et l'obéissance, ils ont par la même reconstitué une souveraineté, ils ont fait de leurs vainqueurs leurs représentants, ils ont restauré un souverain à la place de celui que la guerre avait abattu. Ce n'est donc pas la défaite qui fonde une société de domination, d'esclavage, de servitude, d'une manière brutale et hors du droit, mais ce qui s'est passé dans cette défaite, après même la bataille, après même la défaite, et d'une certaine manière indépendamment d'elle : c'est quelque chose qui est la peur, la renonciation à la peur, la renonciation aux risques de la vie. C'est cela qui fait entrer dans l'ordre de la souveraineté et dans un régime juridique qui est celui du pouvoir absolu. La volonté de préférer sa vie à la mort : c'est cela qui va fonder la souveraineté, une souveraineté qui est aussi juridique et légitime que celle qui a été constituée sur le mode de l'institution et de l'accord mutuel.

  • «Il faut défendre la société» — Cours au Collège de France, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll. « Hautes Études », 1997  (ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 4 février 1976, p. 82


Il y a dans le Leviathan tout un front du discours qui consiste à dire : peu importe qu'on se soit battu ou pas, peu importe que vous ayez été vaincus ou non ; de toute façon, c'est le même mécanisme qui joue pour vous les vaincus, le même que celui que l'on trouve à l'état de nature, dans la constitution de l'État, ou que l'on retrouve encore, tout naturellement, dans le rapport le plus tendre et le plus naturel qui soit, c'est-à-dire celui entre les parents et les enfants. Hobbes rend la guerre, le fait de la guerre, le rapport de force effectivement manifeste dans la bataille, indifférents à la constitution de la souveraineté. La constitution de la souveraineté ignore la guerre.

  • «Il faut défendre la société» — Cours au Collège de France, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll. « Hautes Études », 1997  (ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 4 février 1976, p. 83


D'un mot, ce que Hobbes veut éliminer c'est la conquête, ou encore l'utilisation, dans le discours historique et dans la pratique politique, de ce problème qui est celui de la conquête. L'invisible adversaire du Léviathan, c'est la conquête [...]. En ayant l'air de proclamer la guerre partout, dès le départ et encore à l'arrivée, le discours de Hobbes disait, en réalité, tout le contraire. Il disait que guerre ou pas guerre, défaite ou non, conquête ou accord, c'est la même chose : «Vous l'avez voulue, c'est vous, les sujets, qui avez constitué la souveraineté qui vous représente. Ne nous ennuyez donc plus avec vos ressassements historiques : au bout de la conquête (si vous voulez vraiment qu'il y ait eu une conquête), eh bien, vous trouverez encore le contrat, la volonté apeurée des sujets.» Le problème de la conquête se trouve donc ainsi dissous, en amont par cette notion de guerre de tous contre tous et en aval par la volonté, juridiquement valable même, de ces vaincus apeurés, le soir de la bataille. Donc je crois que Hobbes peut bien paraître scandaliser. En fait, il rassure : il tient toujours le discours du contrat et de la souveraineté, c'est-à-dire le discours de l'État.

  • «Il faut défendre la société» — Cours au Collège de France, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll. « Hautes Études », 1997  (ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 4 février 1976, p. 85


C'était cela qu'il fallait éliminer ; et, d'une façon plus générale, et à plus longue échéance, ce qu'il fallait éliminer, c'était ce que j'appellerais l'«historicisme politique», c'est-à-dire cette espèce de discours que l'on voit se profiler à travers les discussions dont je vous ai parlé, qui se formule dans certaines des phases les plus radicales et qui consiste à dire : dès que l'on a affaire à des rapports de pouvoir, on n'est pas dans le droit et on n'est pas dans la souveraineté ; on est dans la domination, on est dans ce rapport historiquement indéfini, indéfiniment épais et multiple de domination. On ne sort pas de la domination, donc on ne sort pas de l'histoire. Le discours philosophico-juridique de Hobbes a été une manière de bloquer cet historicisme politique qui était donc le discours et le savoir effectivement actifs dans les luttes politiques du XVIIe siècle.

  • «Il faut défendre la société» — Cours au Collège de France, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll. « Hautes Études », 1997  (ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 4 février 1976, p. 96


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