« Vladimir Nabokov » : différence entre les versions
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==== Bons lecteurs et bons écrivains ==== |
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{{citation|citation=Nous ne devrions jamais perdre de vue que toute oeuvre d'art est, toujours, création d'un monde nouveau, en sorte que la première chose à faire est d'étudier ce monde nouveau d'aussi près que possible, en l'abordant comme quelque chose de flambant neuf, n'ayant aucun lien évident avec les mondes que nous connaissons déjà. Et lorsque ce nouveau monde aura été étudié de près, et seulement alors nous examinerons ses liens avec d'autres mondes, d'autres branches du savoir.}} |
{{citation|citation=Nous ne devrions jamais perdre de vue que toute oeuvre d'art est, toujours, création d'un monde nouveau, en sorte que la première chose à faire est d'étudier ce monde nouveau d'aussi près que possible, en l'abordant comme quelque chose de flambant neuf, n'ayant aucun lien évident avec les mondes que nous connaissons déjà. Et lorsque ce nouveau monde aura été étudié de près, et seulement alors nous examinerons ses liens avec d'autres mondes, d'autres branches du savoir.}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=35|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=Bons lecteurs et bons écrivains}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Hélène Pasquier|année=2010|année d'origine=1980|page=35|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=Bons lecteurs et bons écrivains}} |
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{{citation|citation=L'art d'écrire est un art très futile s'il n'implique pas avant tout l'art de voir le monde comme un potentiel de fiction. Le matériau de ce monde peut être bien réel (pour autant qu'il y ait une réalité), mais n'existe aucunement en tant qu'intégralité acceptée comme telle : c'est un chaos, et à ce chaos l'auteur dit : « Va ! » et le monde vacille et entre en fusion. Et voilà que se recombinent non seulement ses éléments visibles et superficiels, mais ses atomes mêmes. L'écrivain est le premier homme à en dresser la carte et à donner des noms aux objets naturels qu'il contient. Ces baies-là sont comestibles. Cette créature mouchetée qui a bondi sur mon chemin peut être domestiquée. Ce lac entre les arbres s'appellera le lac d'Opale, ou, plus artistiquement, le lac Lavasse. Cette brume est une montagne et cette montagne doit être conquise. Le grand artiste gravit une pente vierge et, arrivé au sommet, au détour d'une corniche battue par les vents, qui croyez-vous qu'il rencontre ? Le lecteur haletant et heureux. Tous deux tombent spontanément dans les bras l'un de l'autre et demeurent unis à jamais si le livre vit à jamais.}} |
{{citation|citation=L'art d'écrire est un art très futile s'il n'implique pas avant tout l'art de voir le monde comme un potentiel de fiction. Le matériau de ce monde peut être bien réel (pour autant qu'il y ait une réalité), mais n'existe aucunement en tant qu'intégralité acceptée comme telle : c'est un chaos, et à ce chaos l'auteur dit : « Va ! » et le monde vacille et entre en fusion. Et voilà que se recombinent non seulement ses éléments visibles et superficiels, mais ses atomes mêmes. L'écrivain est le premier homme à en dresser la carte et à donner des noms aux objets naturels qu'il contient. Ces baies-là sont comestibles. Cette créature mouchetée qui a bondi sur mon chemin peut être domestiquée. Ce lac entre les arbres s'appellera le lac d'Opale, ou, plus artistiquement, le lac Lavasse. Cette brume est une montagne et cette montagne doit être conquise. Le grand artiste gravit une pente vierge et, arrivé au sommet, au détour d'une corniche battue par les vents, qui croyez-vous qu'il rencontre ? Le lecteur haletant et heureux. Tous deux tombent spontanément dans les bras l'un de l'autre et demeurent unis à jamais si le livre vit à jamais.}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=36|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=Bons lecteurs et bons écrivains}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Hélène Pasquier|année=2010|année d'origine=1980|page=36|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=Bons lecteurs et bons écrivains}} |
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==== [[Gustave Flaubert]] (1821-1880) — Madame Bovary (1856) ==== |
==== [[Gustave Flaubert]] (1821-1880) — Madame Bovary (1856) ==== |
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{{citation|citation=Le livre traite de l'adultère et il contient des situations et des allusions qui ont choqué le régime prude et philistin de Napoléon III. Le roman a même été cité en justice pour obscénité. Imaginez un peu cela. Comme si l'oeuvre d'un artiste pouvait jamais être obscène. Je suis heureux de vous dire que Flaubert a gagné son procès.}} |
{{citation|citation=Le livre traite de l'adultère et il contient des situations et des allusions qui ont choqué le régime prude et philistin de Napoléon III. Le roman a même été cité en justice pour obscénité. Imaginez un peu cela. Comme si l'oeuvre d'un artiste pouvait jamais être obscène. Je suis heureux de vous dire que Flaubert a gagné son procès.}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=192|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=[[Gustave Flaubert]] (1821-1880) — Madame Bovary (1856)}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Hélène Pasquier|année=2010|année d'origine=1980|page=192|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=[[Gustave Flaubert]] (1821-1880) — Madame Bovary (1856)}} |
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{{citation|citation=La bourgeoisie, pour Flaubert, est un état d'esprit, pas un état de finances. Dans une célèbre scène de notre livre, où l'on voit une vieille femme, qui a travaillé dur toute sa vie, recevoir une médaille, pour avoir trimé comme une esclave pour son fermier-patron, sous le regard béat d'un aéropage de bourgeois épanouis, faites-y bien attention, il y a philistinisme des deux côtés, politiciens épanouis et vieille paysanne superstitieuse sont également bourgeois au sens flaubertien du terme.}} |
{{citation|citation=La bourgeoisie, pour Flaubert, est un état d'esprit, pas un état de finances. Dans une célèbre scène de notre livre, où l'on voit une vieille femme, qui a travaillé dur toute sa vie, recevoir une médaille, pour avoir trimé comme une esclave pour son fermier-patron, sous le regard béat d'un aéropage de bourgeois épanouis, faites-y bien attention, il y a philistinisme des deux côtés, politiciens épanouis et vieille paysanne superstitieuse sont également bourgeois au sens flaubertien du terme.}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=193|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=[[Gustave Flaubert]] (1821-1880) — Madame Bovary (1856)}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Hélène Pasquier|année=2010|année d'origine=1980|page=193|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=[[Gustave Flaubert]] (1821-1880) — Madame Bovary (1856)}} |
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==== [[Marcel Proust]] (1871-1922) — Du côté de chez Swann (1913) ==== |
==== [[Marcel Proust]] (1871-1922) — Du côté de chez Swann (1913) ==== |
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{{citation|citation=[[Jean Cocteau]] a appelé l'oeuvre « une miniature géante, pleine de mirages, de jardins surimposés, de parties jouées entre l'espace et le temps ».}} |
{{citation|citation=[[Jean Cocteau]] a appelé l'oeuvre « une miniature géante, pleine de mirages, de jardins surimposés, de parties jouées entre l'espace et le temps ».}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=287|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=[[Marcel Proust]] (1871-1922) — Du côté de chez Swann (1913)}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Hélène Pasquier|année=2010|année d'origine=1980|page=287|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=[[Marcel Proust]] (1871-1922) — Du côté de chez Swann (1913)}} |
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{{citation|citation=[[Marcel Proust|Proust]] est un prisme. Son seul objet est de réfracter, et, par réfraction, de recréer rétrospectivement un monde. Ce monde lui-même, les habitants de ce monde, n'ont aucune espèce d'importance historique ou sociale. Il se trouve qu'ils sont ce que les échotiers appellent des représentants du Tout-Paris, des messieurs et des dames qui ne font rien, de riches oisifs. Les seules professions que l'on nous montre en action, ou à travers leurs résultats, relèvent de l'art ou de l'érudition. Les créatures prismatiques de Proust n'ont pas d'emploi, leur emploi est d'amuser l'auteur. Elles sont aussi libres de s'adonner au plaisir et à la conversation que ces légendaires personnages de l'antiquité que nous nous représentons si clairement allongés autour de tables chargées de fruits, ou foulant des sols décorés tout en échangeant de hautes théories, mais que nous ne nous représentons jamais à la comptabilité ou dans un chantier naval.}} |
{{citation|citation=[[Marcel Proust|Proust]] est un prisme. Son seul objet est de réfracter, et, par réfraction, de recréer rétrospectivement un monde. Ce monde lui-même, les habitants de ce monde, n'ont aucune espèce d'importance historique ou sociale. Il se trouve qu'ils sont ce que les échotiers appellent des représentants du Tout-Paris, des messieurs et des dames qui ne font rien, de riches oisifs. Les seules professions que l'on nous montre en action, ou à travers leurs résultats, relèvent de l'art ou de l'érudition. Les créatures prismatiques de Proust n'ont pas d'emploi, leur emploi est d'amuser l'auteur. Elles sont aussi libres de s'adonner au plaisir et à la conversation que ces légendaires personnages de l'antiquité que nous nous représentons si clairement allongés autour de tables chargées de fruits, ou foulant des sols décorés tout en échangeant de hautes théories, mais que nous ne nous représentons jamais à la comptabilité ou dans un chantier naval.}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=287|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=[[Marcel Proust]] (1871-1922) — Du côté de chez Swann (1913)}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Hélène Pasquier|année=2010|année d'origine=1980|page=287|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=[[Marcel Proust]] (1871-1922) — Du côté de chez Swann (1913)}} |
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{{citation|citation=Chez les romanciers qui l'ont précédé, il y avait une distinction très nette entre passage descriptif et partie dialoguée : un passage de nature descriptive, puis l'on passe à la conversation, et ainsi de suite. Notez qu'il s'agit là d'une méthode encore en usage aujourd'hui dans la littérature conventionnelle, la littérature de série B et de série C, qu'on sert en bouteilles, et une littérature non côtée qu'on débite à pleins seaux. Mais, chez Proust, conversations et descriptions s'entremêlent, créant une nouvelle unité où fleur et feuilles et insecte appartiennent à un seul et même arbre en fleurs.}} |
{{citation|citation=Chez les romanciers qui l'ont précédé, il y avait une distinction très nette entre passage descriptif et partie dialoguée : un passage de nature descriptive, puis l'on passe à la conversation, et ainsi de suite. Notez qu'il s'agit là d'une méthode encore en usage aujourd'hui dans la littérature conventionnelle, la littérature de série B et de série C, qu'on sert en bouteilles, et une littérature non côtée qu'on débite à pleins seaux. Mais, chez Proust, conversations et descriptions s'entremêlent, créant une nouvelle unité où fleur et feuilles et insecte appartiennent à un seul et même arbre en fleurs.}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=292|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=[[Marcel Proust]] (1871-1922) — Du côté de chez Swann (1913)}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Hélène Pasquier|année=2010|année d'origine=1980|page=292|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=[[Marcel Proust]] (1871-1922) — Du côté de chez Swann (1913)}} |
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==== L'Art de la littérature et le bon sens ==== |
==== L'Art de la littérature et le bon sens ==== |
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{{citation|citation=La couleur d'un credo, d'une cravate, des yeux, des pensées, des manières, des propos, est assurée de rencontrer quelque part dans le temps ou dans l'espace l'hostilité fatale d'une populace qui hait cette teinte particulière. Et plus l'individu est brillant, plus il est près du bûcher. ''Etranger'' rime toujours avec ''danger''. Le doux prophète, l'enchanteur dans sa grotte, l'artiste révolté, l'écolier différent des autres, tous partagent le même péril sacré. Et cela étant, bénissons-les, bénissons les dissidents, car dans l'évolution naturelle des choses le singe ne serait peut-être jamais devenu un homme si un dissident n'était pas apparu dans la famille. Quiconque dans l'esprit est assez fier pour ne pas se développer suivant un shéma invariable, a, en secret, une bombe derrière la tête ; et je vous propose, histoire de s'amuser un peu, de prendre cette bombe, et de la laisser tomber soigneusement sur la cité modèle du bon sens. Dans la brillante lumière de l'explosion qui s'ensuivra apparaîtront nombre de choses ; nos sens les plus rares supplanteront un bref instant le sens vulgaire dominant, qui tord le cou de Sinbad durant le match de catch entre le moi adopté et le moi profond. Je mélange allègrement les métaphores, car c'est exactement ce pour quoi elles sont faites lorsqu'elles suivent le cours de leurs secrètes correspondances, ce qui, du point de vue d'un écrivain, est le premier résultat positif de la déroute du bon sens.}} |
{{citation|citation=La couleur d'un credo, d'une cravate, des yeux, des pensées, des manières, des propos, est assurée de rencontrer quelque part dans le temps ou dans l'espace l'hostilité fatale d'une populace qui hait cette teinte particulière. Et plus l'individu est brillant, plus il est près du bûcher. ''Etranger'' rime toujours avec ''danger''. Le doux prophète, l'enchanteur dans sa grotte, l'artiste révolté, l'écolier différent des autres, tous partagent le même péril sacré. Et cela étant, bénissons-les, bénissons les dissidents, car dans l'évolution naturelle des choses le singe ne serait peut-être jamais devenu un homme si un dissident n'était pas apparu dans la famille. Quiconque dans l'esprit est assez fier pour ne pas se développer suivant un shéma invariable, a, en secret, une bombe derrière la tête ; et je vous propose, histoire de s'amuser un peu, de prendre cette bombe, et de la laisser tomber soigneusement sur la cité modèle du bon sens. Dans la brillante lumière de l'explosion qui s'ensuivra apparaîtront nombre de choses ; nos sens les plus rares supplanteront un bref instant le sens vulgaire dominant, qui tord le cou de Sinbad durant le match de catch entre le moi adopté et le moi profond. Je mélange allègrement les métaphores, car c'est exactement ce pour quoi elles sont faites lorsqu'elles suivent le cours de leurs secrètes correspondances, ce qui, du point de vue d'un écrivain, est le premier résultat positif de la déroute du bon sens.}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=485|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=L'Art de la littérature et le bon sens}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Hélène Pasquier|année=2010|année d'origine=1980|page=485|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=L'Art de la littérature et le bon sens}} |
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{{citation|citation=<poem>Je me souviens d'un dessin où l'on voyait un ramoneur, qui tombait du toit d'un haut immeuble, remarquer en passant une faute d'orthographe sur une enseigne et se demander, tout en poursuivant sa chute, pourquoi personne n'avait pensé à la corriger. En un sens, nous faisons tous le même plongeon mortel, du haut de l'étage supérieur de notre naissance jusqu'aux dalles plates du cimetière, et en compagnie d'une immortelle Alice au pays des merveilles, nous nous étonnons de ce que nous voyons défiler sur les murs. Cette capacité de s'étonner devant des petites choses en dépit du péril imminent, ces à-côtés de l'esprit, ces notes au bas des pages du livre de la vie, constituent les formes les plus hautes de la conscience, et c'est dans cet état d'esprit naïvement spéculatif, si différent du bon sens et de sa logique, que nous savons que le monde est bon. |
{{citation|citation=<poem>Je me souviens d'un dessin où l'on voyait un ramoneur, qui tombait du toit d'un haut immeuble, remarquer en passant une faute d'orthographe sur une enseigne et se demander, tout en poursuivant sa chute, pourquoi personne n'avait pensé à la corriger. En un sens, nous faisons tous le même plongeon mortel, du haut de l'étage supérieur de notre naissance jusqu'aux dalles plates du cimetière, et en compagnie d'une immortelle Alice au pays des merveilles, nous nous étonnons de ce que nous voyons défiler sur les murs. Cette capacité de s'étonner devant des petites choses en dépit du péril imminent, ces à-côtés de l'esprit, ces notes au bas des pages du livre de la vie, constituent les formes les plus hautes de la conscience, et c'est dans cet état d'esprit naïvement spéculatif, si différent du bon sens et de sa logique, que nous savons que le monde est bon. |
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Dans ce monde divinement absurde de l'esprit, les symboles mathématiques ne prospèrent pas. Leur mécanisme, quelque bien huilés qu'en soient les rouages, avec quelque application qu'ils singent les circonvolutions de nos rêves et les quanta de nos associations d'idées, ne peuvent jamais exprimer réellement ce qui est si profondément étranger à leur nature, considérant que rien n'enchante davantage un esprit créateur que d'accorder à un détail apparemment incongru la suprématie sur une généralisation apparemment dominante. De l'instant où l'on éjecte le bon sens en même temps que sa machine à calculer, les chiffres cessent de troubler l'esprit. Les statistiques retroussent leurs jupons et s'enfuient à toutes jambes.</poem>}} |
Dans ce monde divinement absurde de l'esprit, les symboles mathématiques ne prospèrent pas. Leur mécanisme, quelque bien huilés qu'en soient les rouages, avec quelque application qu'ils singent les circonvolutions de nos rêves et les quanta de nos associations d'idées, ne peuvent jamais exprimer réellement ce qui est si profondément étranger à leur nature, considérant que rien n'enchante davantage un esprit créateur que d'accorder à un détail apparemment incongru la suprématie sur une généralisation apparemment dominante. De l'instant où l'on éjecte le bon sens en même temps que sa machine à calculer, les chiffres cessent de troubler l'esprit. Les statistiques retroussent leurs jupons et s'enfuient à toutes jambes.</poem>}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=486|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=L'Art de la littérature et le bon sens}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Hélène Pasquier|année=2010|année d'origine=1980|page=486|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=L'Art de la littérature et le bon sens}} |
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{{citation|citation=Les fous ne sont fous que parce qu'ils ont profondément et imprudemment démantelé un monde familier, mais n'ont pas le pouvoir – ou ont perdu le pouvoir – d'en créer un nouveau aussi harmonieux que l'ancien. L'artiste, lui, désassemble ce qu'il choisit de désassembler, et, ce faisant, a conscience du fait que quelque chose en lui a conscience du résultat final. Lorsqu'il examine son chef-d'oeuvre terminé, il sait que, malgré l'inconsciente opération mentale qui a accompagné le grand saut créateur, ce résultat final est l'achèvement d'un plan défini, qui était contenu dans le choc initial.}} |
{{citation|citation=Les fous ne sont fous que parce qu'ils ont profondément et imprudemment démantelé un monde familier, mais n'ont pas le pouvoir – ou ont perdu le pouvoir – d'en créer un nouveau aussi harmonieux que l'ancien. L'artiste, lui, désassemble ce qu'il choisit de désassembler, et, ce faisant, a conscience du fait que quelque chose en lui a conscience du résultat final. Lorsqu'il examine son chef-d'oeuvre terminé, il sait que, malgré l'inconsciente opération mentale qui a accompagné le grand saut créateur, ce résultat final est l'achèvement d'un plan défini, qui était contenu dans le choc initial.}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=491|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=L'Art de la littérature et le bon sens}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Hélène Pasquier|année=2010|année d'origine=1980|page=491|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=L'Art de la littérature et le bon sens}} |
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{{citation|citation=Le passage du stade de dissociation au stade d'association est marqué par une sorte de frisson spirituel qu'on baptise du terme très vague d' ''inspiration''.}} |
{{citation|citation=Le passage du stade de dissociation au stade d'association est marqué par une sorte de frisson spirituel qu'on baptise du terme très vague d' ''inspiration''.}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=492|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=L'Art de la littérature et le bon sens}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Hélène Pasquier|année=2010|année d'origine=1980|page=492|collection=Bouquins|partie=Littératures I|section=L'Art de la littérature et le bon sens}} |
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==== Nikolaï Gogol (1809-1852) — « Le manteau » (1842) ==== |
==== Nikolaï Gogol (1809-1852) — « Le manteau » (1842) ==== |
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{{citation|citation=Vous commencerez par l'alphabet, les labiales, les linguales, les dentales, les lettres qui bourdonnent, frelon, bourdon et mouche tsé-tsé. Une des voyelles vous fera dire : « Euh ! » Vous vous sentirez mentalement courbatu et endolori après votre première déclinaison de pronoms personnels. Je ne vois pourtant pas d'autre façon d'accéder à Gogol (ou d'ailleurs à n'importe quel autre écrivain russe). Comme toutes les grandes réussites littéraires, son oeuvre est un phénomène de langage et non d'idées.}} |
{{citation|citation=Vous commencerez par l'alphabet, les labiales, les linguales, les dentales, les lettres qui bourdonnent, frelon, bourdon et mouche tsé-tsé. Une des voyelles vous fera dire : « Euh ! » Vous vous sentirez mentalement courbatu et endolori après votre première déclinaison de pronoms personnels. Je ne vois pourtant pas d'autre façon d'accéder à Gogol (ou d'ailleurs à n'importe quel autre écrivain russe). Comme toutes les grandes réussites littéraires, son oeuvre est un phénomène de langage et non d'idées.}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=602|collection=Bouquins|partie=Littératures II|section=Nikolaï Gogol (1809-1852) — « Le manteau » (1842)}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Marie-Odile Fortier-Masek|année=2010|année d'origine=1980|page=602|collection=Bouquins|partie=Littératures II|section=Nikolaï Gogol (1809-1852) — « Le manteau » (1842)}} |
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==== Ivan Tourguéniev (1818-1883) ==== |
==== Ivan Tourguéniev (1818-1883) ==== |
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{{citation|citation=La Russie de cette époque n'était qu'un immense rêve : les masses dormaient – au sens figuré ; les intellectuels, eux, passaient des nuits blanches – au sens littéral – assis à bavarder ou simplement à méditer jusqu'à cinq heures du matin, puis ils allaient faire un tour. Il était bien vu de se jeter tout habillé sur son lit avant de sombrer das un profond sommeil et de se lever d'un bond. En général, les jeunes filles de Tourguéniev excellent dans l'art de sauter du lit pour plonger dans leur crinoline, s'asperger le visage d'eau froide et se précipiter dans le jardin, aussi fraîches que des roses, vers l'inévitable rendez-vous sous la tonnelle.}} |
{{citation|citation=La Russie de cette époque n'était qu'un immense rêve : les masses dormaient – au sens figuré ; les intellectuels, eux, passaient des nuits blanches – au sens littéral – assis à bavarder ou simplement à méditer jusqu'à cinq heures du matin, puis ils allaient faire un tour. Il était bien vu de se jeter tout habillé sur son lit avant de sombrer das un profond sommeil et de se lever d'un bond. En général, les jeunes filles de Tourguéniev excellent dans l'art de sauter du lit pour plonger dans leur crinoline, s'asperger le visage d'eau froide et se précipiter dans le jardin, aussi fraîches que des roses, vers l'inévitable rendez-vous sous la tonnelle.}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=607|collection=Bouquins|partie=Littératures II|section=Ivan Tourguéniev (1818-1883)}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Marie-Odile Fortier-Masek|année=2010|année d'origine=1980|page=607|collection=Bouquins|partie=Littératures II|section=Ivan Tourguéniev (1818-1883)}} |
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{{citation|citation=Avant d'aller en Allemagne, Roudine avait étudié à l'université de Moscou. Un de ses amis nous parle ainsi de leur jeunesse : « Une demi-douzaine de jeunes gens, une seule et unique chandelle de suif [...], le thé le meilleur marché, de vieux biscuits secs [...], mais nos regards flamboient, nos joues sont empourprées, notre coeur bat [...] et nous parlons de Dieu, de la Vérité, de l'Avenir et l'Humanité, de la Poésie – nous disons parfois des sottises, mais qu'importe ! »}} |
{{citation|citation=Avant d'aller en Allemagne, Roudine avait étudié à l'université de Moscou. Un de ses amis nous parle ainsi de leur jeunesse : « Une demi-douzaine de jeunes gens, une seule et unique chandelle de suif [...], le thé le meilleur marché, de vieux biscuits secs [...], mais nos regards flamboient, nos joues sont empourprées, notre coeur bat [...] et nous parlons de Dieu, de la Vérité, de l'Avenir et l'Humanité, de la Poésie – nous disons parfois des sottises, mais qu'importe ! »}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=607|collection=Bouquins|partie=Littératures II|section=Ivan Tourguéniev (1818-1883)}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Marie-Odile Fortier-Masek|année=2010|année d'origine=1980|page=607|collection=Bouquins|partie=Littératures II|section=Ivan Tourguéniev (1818-1883)}} |
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==== Anton Tchekhov (1860-1904) ==== |
==== Anton Tchekhov (1860-1904) ==== |
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{{citation|citation=Ce que nous voyons dans toutes les nouvelles de Tchekhov, c'est un homme qui trébuche – mais s'il trébuche, c'est qu'il regarde les étoiles.}} |
{{citation|citation=Ce que nous voyons dans toutes les nouvelles de Tchekhov, c'est un homme qui trébuche – mais s'il trébuche, c'est qu'il regarde les étoiles.}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|année=2010|année d'origine=1980|page=826|collection=Bouquins|partie=Littératures II|section=Anton Tchekhov (1860-1904)}} |
{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Marie-Odile Fortier-Masek|année=2010|année d'origine=1980|page=826|collection=Bouquins|partie=Littératures II|section=Anton Tchekhov (1860-1904)}} |
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{{citation|citation=Je recommande vivement de lire aussi souvent que possible les livres de Tchekhov (même dans les traductions qu'ils ont subies) et de rêver au fil de leurs pages, car c'est pour cela qu'ils ont été écrits.}} |
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{{citation|citation=Voici maintenant un premier exemple du système propre à Tchekhov pour évoquer une atmosphère à partir de quelques détails concis de la nature : « La mer était d'une chaude teinte lilas avec un chemin d'or pour la lune . »|précisions=In « La dame au petit chien » (1899).}} |
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{{Réf Livre|titre=Littératures|auteur=Vladimir Nabokov|éditeur=Robert Laffont|traducteur=Marie-Odile Fortier-Masek|année=2010|année d'origine=1980|page=830|collection=Bouquins|partie=Littératures II|section=Anton Tchekhov (1860-1904)}} |
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Version du 18 décembre 2011 à 18:43
Vladimir Nabokov (en russe Владимир Владимирович Набоков) est un romancier, poète et critique littéraire américain d'origine russe né à Saint-Pétersbourg le 23 avril 1899, mort à Montreux le 2 juillet 1977.
Citations propres à l'auteur
Lolita, 1955
- Lolita (1955), Vladimir Nabokov (trad. E. H. Kahane), éd. Gallimard, coll. « Folio », 1959, p. 86
La Transparence des choses, 1972
- La Transparence des choses (1972), Vladimir Nabokov (trad. Donald Harper et Jean-Bernard Blandenier), éd. Arthème Fayard, coll. « Folio », 1979, p. 31
Littératures, 1980
Vladimir Nabokov a enseigné la littérature européenne de 1941 à 1958. Ces cours qu'il a professé dans plusieurs universités américaines se trouvent réunis dans Littératures.
Bons lecteurs et bons écrivains
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Hélène Pasquier), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures I, Bons lecteurs et bons écrivains, p. 35
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Hélène Pasquier), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures I, Bons lecteurs et bons écrivains, p. 36
Gustave Flaubert (1821-1880) — Madame Bovary (1856)
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Hélène Pasquier), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures I, Gustave Flaubert (1821-1880) — Madame Bovary (1856), p. 192
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Hélène Pasquier), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures I, Gustave Flaubert (1821-1880) — Madame Bovary (1856), p. 193
Marcel Proust (1871-1922) — Du côté de chez Swann (1913)
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Hélène Pasquier), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures I, Marcel Proust (1871-1922) — Du côté de chez Swann (1913), p. 287
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Hélène Pasquier), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures I, Marcel Proust (1871-1922) — Du côté de chez Swann (1913), p. 287
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Hélène Pasquier), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures I, Marcel Proust (1871-1922) — Du côté de chez Swann (1913), p. 292
L'Art de la littérature et le bon sens
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Hélène Pasquier), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures I, L'Art de la littérature et le bon sens, p. 485
Je me souviens d'un dessin où l'on voyait un ramoneur, qui tombait du toit d'un haut immeuble, remarquer en passant une faute d'orthographe sur une enseigne et se demander, tout en poursuivant sa chute, pourquoi personne n'avait pensé à la corriger. En un sens, nous faisons tous le même plongeon mortel, du haut de l'étage supérieur de notre naissance jusqu'aux dalles plates du cimetière, et en compagnie d'une immortelle Alice au pays des merveilles, nous nous étonnons de ce que nous voyons défiler sur les murs. Cette capacité de s'étonner devant des petites choses en dépit du péril imminent, ces à-côtés de l'esprit, ces notes au bas des pages du livre de la vie, constituent les formes les plus hautes de la conscience, et c'est dans cet état d'esprit naïvement spéculatif, si différent du bon sens et de sa logique, que nous savons que le monde est bon.
Dans ce monde divinement absurde de l'esprit, les symboles mathématiques ne prospèrent pas. Leur mécanisme, quelque bien huilés qu'en soient les rouages, avec quelque application qu'ils singent les circonvolutions de nos rêves et les quanta de nos associations d'idées, ne peuvent jamais exprimer réellement ce qui est si profondément étranger à leur nature, considérant que rien n'enchante davantage un esprit créateur que d'accorder à un détail apparemment incongru la suprématie sur une généralisation apparemment dominante. De l'instant où l'on éjecte le bon sens en même temps que sa machine à calculer, les chiffres cessent de troubler l'esprit. Les statistiques retroussent leurs jupons et s'enfuient à toutes jambes.
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Hélène Pasquier), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures I, L'Art de la littérature et le bon sens, p. 486
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Hélène Pasquier), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures I, L'Art de la littérature et le bon sens, p. 491
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Hélène Pasquier), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures I, L'Art de la littérature et le bon sens, p. 492
Nikolaï Gogol (1809-1852) — « Le manteau » (1842)
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Marie-Odile Fortier-Masek), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures II, Nikolaï Gogol (1809-1852) — « Le manteau » (1842), p. 602
Ivan Tourguéniev (1818-1883)
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Marie-Odile Fortier-Masek), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures II, Ivan Tourguéniev (1818-1883), p. 607
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Marie-Odile Fortier-Masek), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures II, Ivan Tourguéniev (1818-1883), p. 607
Anton Tchekhov (1860-1904)
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Marie-Odile Fortier-Masek), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures II, Anton Tchekhov (1860-1904), p. 826
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Marie-Odile Fortier-Masek), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures II, Anton Tchekhov (1860-1904), p. 827
- In « La dame au petit chien » (1899).
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Marie-Odile Fortier-Masek), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures II, Anton Tchekhov (1860-1904), p. 830
D'autres auteurs le concernant
Tu aimes l'art parce que tu goûtes encore l'aventure, le jeu, les dieux, rire et jouir. Tu aimes l'art parce qu'il t'innocente du cauchemar collectif, révèle ton âme comme foyer vivant d'énergie et de désir vrais, cibles et flèches érotiques. Tu aimes l'art parce que tu hais la mort et d'ailleurs n'y crois pas, le problème du temps se résolvant en épiphanies dans ta solitude pensive.
Il va sans dire alors que ces cours sont pour toi — comme d'ailleurs toute l'oeuvre de Nabokov. Car véritables exercices de guerre défensive, ils retournent contre l'ennemi les armes mêmes que ce dernier entend liquider : raison, sensibilité, esprit critique, jouissance, luxe.
- Cécile Guilbert préfaçant la réédition de 2010 des cours de littérature européenne de Vladimir Nabokov, professés entre 1941 et 1958 dans plusieurs universités américaines et réunis sous le titre Littératures.
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. VIII
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. X
« J'ai toujours eu un certain nombre de rôles en réserve au cas où ma muse me ferait défaut », assentit Nabokov avec son humour habituel à un interviewer de la BBC venu l'interroger quelques semaines avant sa mort, en 1977 : « En tête venait le lépidoptériste, explorateur de célèbres jungles. Ensuite il y avait le grand maître aux échecs, puis le champion de tennis au revers implacable, enfin le goal qui arrête un but historique, et pour finir, l'auteur d'une pile d'ouvrages inconnus : Feu pâle, Lolita, Ada, que découvrent et publient mes héritiers. »
Or, bizarrement, il a omis de cette malicieuse déclaration son rôle de professeur. Un rôle qu'il a pourtant joué pendant presque vingt ans. Un rôle exécuté avec le soin et la fougue qu'il propulsait dans tout ce qu'il entreprenait. Un rôle interprété avec tant d'originalité que tous ses spectateurs s'en souviennent encore. Un rôle qui, à l'instar des autres et les diffractant tous, a laissé de volumineuses traces imprimées dans lesquelles on le retrouve tout entier.
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. XIV
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. XV
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. XVIII
- Point de vue de Vladimir Nabokov sur le philistinisme.
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. XIII
- Point de vue de Vladimir Nabokov sur le philistinisme.
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. XIX
- Point de vue de Vladimir Nabokov sur le philistinisme.
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. XX
- Point de vue de Vladimir Nabokov sur le philistinisme.
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. XXI
[...] toute règle possédant son exception, il lui arrive d'évoquer dans sa correspondance « 146 étudiants morts d'ennui et 4 enthousiastes ». Et au fond, c'est à ces quatre-là seulement qu'il s'adresse.
Car à l'opposé du philistin, à toutes les époques et dans tous les milieux, se dresse l'individu particulier, singulier, solitaire, spirituellement différent. Forcément rare et minoritaire, c'est l'artiste, mais aussi l'opposant politique, le dissident, le scissionniste, le résistant. C'est lexicalement parlant le libertin [En « fauconnerie, se dit de l'oiseau de proie qui s'écarte et ne revient pas » (Littré).], mais aussi l'excentrique, le décalé. Nul n'a été plus sensible que Nabokov à la fragilité de cette différence, de cette discordance toujours menacée, étouffée ou combattue. Pas seulement par la dictature mais par le ressentiment démocratique. Pas seulement par la censure mais par l'indifférence, l'insensibilité, voire la cruauté. « Quiconque dont l'esprit est assez fier pour ne pas se développer suivant un schéma invariable, dit-il, a en secret une bombe derrière la tête. » Mais aussi : « Plus l'individu est brillant, plus il est près du bûcher. Etranger rime toujours avec danger. »
Ce « brillant étranger » (suivez son regard) est bien sûr au premier chef le grand écrivain, mais aussi l'excellent lecteur communiquant avec lui dans la jouissance de l'art.
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. XXII
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. XXIV
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. XXX
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. XXX
- Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. XXXI