Renée Vivien
Renée Vivien, née Pauline Mary Tarn le 11 juin 1877 à Londres et morte le 18 novembre 1909 à Paris, était une poétesse britannique de langue française de la Belle Époque, inclassable dans les mouvements littéraires.
Recueil de nouvelles
[modifier]La Dame à la Louve, 1904
[modifier]La Dame à la Louve
[modifier]- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Dame à la louve, p. 12
- Citation choisie pour le 18 novembre 2024.
Décidément, pensai-je, elle exagère son rôle, pourtant très bien compris. Elle exagère.
(Si nous étions entre hommes, messieurs, je vous dirais que je n’ai pas toujours méprisé les maisons publiques et que j’ai même ramassé maintes fois, sur le trottoir, de piteuses grues. Cela n’empêche pas les Parisiennes d’être plus accommodantes que cette sainte nitouche. Je ne suis nullement fat, mais enfin il faut avoir la conscience de sa valeur.)
Et, jugeant que l’entretien avait assez duré, je quittai fort dignement la Dame à la Louve.
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Dame à la louve, p. 13
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Dame à la louve, p. 15
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Dame à la louve, p. 16
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Dame à la louve, p. 16
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Dame à la louve, p. 17
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Dame à la louve, p. 18
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Dame à la louve, p. 18
La Dame à la Louve, très calme, regardait les flots blancs… Oh ! plus blancs que la neige au crépuscule ! Et, assise sur son derrière, Helga hurlait comme une chienne. Elle hurlait lamentablement, comme une chienne à la lune… Elle comprenait…
Je ne sais pourquoi ces hurlements me glacèrent plus encore que le bruit du vent et des flots… Elle hurlait à la mort, cette sacrée louve du diable ! Je voulus l’assommer pour la faire taire, et je cherchai une planche, un espar, une barre de fer, quelque chose enfin pour l’abattre sur le pont… Je ne trouvai rien…
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Dame à la louve, p. 18
… Elles étaient à une courte distance de la terre, lorsque la Dame, épuisée, se tourna vers Helga, comme pour lui dire : « Je suis à bout… »
Et voici que se passa une chose douloureuse et solennelle. La louve, qui avait compris, prolongea vers la terre proche et inaccessible son hurlement de désespoir… Puis, se dressant, elle posa ses deux pattes de devant sur les épaules de sa maîtresse, qui la prit entre ses bras… Toutes deux s’abîmèrent dans les flots…
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Dame à la louve, p. 22
La Soif ricane
[modifier]« Pourquoi t’arrêtes-tu ? » me demanda Polly.
« Je regarde la Soif. Sa robe est grise comme l’herbe sèche là-bas. Elle grimace. Elle ricane. Les contorsions de sa carcasse me font peur. Elle est bien laide, la Soif. »
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Soif ricane, p. 26
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Soif ricane, p. 27
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Soif ricane, p. 29
Je hasardai une réflexion au cours du chemin.
« Il y aura sûrement de l’orage avant peu, Polly, ma fée, ma chimère.
— Idiot ! » souffla-t-elle avec conviction. « Laisse-moi donc tranquille. Tu ne dis jamais que des choses sottes. Bien sûr qu’il y aura de l’orage avant peu. Ça se voit et ça se sent, et je n’aime pas les mots inutiles.
— Ô ma douceur admirable, ta sagesse est aussi bienveillante que profonde. »
Elle ne daigna point me répondre. Je finirai sûrement par la tuer un jour. Je n’aurai jamais la force de l’étrangler ; mais je lui tirerai dans le dos un bon coup de revolver.
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Soif ricane, p. 29
Polly mâcha un sourd juron… Mes genoux fléchirent sous moi. Elle me toisa de son regard dédaigneux, et, me quittant sans une parole, elle se mit en devoir de gravir la colline.
Je la suivis, par crainte de la solitude, plus odieuse encore que la présence de cette compagne détestée.
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Soif ricane, p. 31
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Soif ricane, p. 33
… C’était beau quand même, cette trombe de flammes. C’était plus beau que le soleil. Jamais je n’ai vu quelque chose d’aussi magnifique… C’était si merveilleusement splendide que je tombai à genoux, et que je tendis mes deux bras vers le Feu, en riant comme les petits enfants et les idiots.
Je vous répète que c’était aussi effroyable que superbe, et que j’en devins presque fou. C’était trop beau pour les yeux d’un homme. Dieu seul pouvait regarder cet embrasement en face sans en mourir ou en perdre la raison.
Mais Polly, qui n’a pas plus d’âme que mes mules, ne comprit point et regarda sans voir. Elle ne s’étonne de rien, elle n’admire rien…
Je la haïssais de ne point avoir peur. Oh ! comme je la haïssais !… Je la hais férocement, parce qu’elle est plus forte et plus vaillante que moi… Je la hais, comme une femme exècre l’homme qui la domine.
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Soif ricane, p. 33
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Soif ricane, p. 35
Les Sœurs du silence
[modifier]« Puis-je savoir?… » commençai-je avec embarras et maladresse.
« Ne m’interrogez point, » interrompit la Femme Grise, non sans douceur. « Car la question est un viol brutal du droit et du devoir de se taire. Regardez et observez, apprenez par vous-même, sans jamais rien demander à un être aussi faillible, aussi incertain que vous. »
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, Les Sœurs du silence, p. 35
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, Les Sœurs du silence, p. 54
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, Les Sœurs du silence, p. 52
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, Les Sœurs du silence, p. 54
La plus jeune Sœur vint à moi comme l’incarnation de ma pensée la plus belle. Sa robe était du même violet que le soir. Cette femme m’évoquait la fragilité de la nacre et la tristesse altière des cygnes noirs au sillage obscur. Répondant à mon silence, elle murmure:
« J’ai cherché dans cette ombre non point la paix, comme l’Exilé frappant aux portes du monastère, mais l’Infini. »
Et je vis que son visage ressemblait au divin visage de la Solitude.
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, Les Sœurs du silence, p. 54
Trahison de la forêt
[modifier]- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, Trahison de la forêt, p. 93
La Chasteté paradoxale
[modifier]- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Chasteté paradoxale, p. 102
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Chasteté paradoxale, p. 102
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Chasteté paradoxale, p. 103
Une femme entra. Jamais je ne vis beauté plus magnanime. La magnificence orientale des belles Juives éclatait en elle. Pâle d’extase, je contemplai les reflets roux et bleus de sa chevelure noire. Ses yeux étaient de la couleur des raisins. Le velours rouge des rideaux et des tentures l’encadrait de flammes vives et intensifiait l’ardeur mate de sa chair d’ambre et de nard. Sa bouche était pareille à la rougeur fraîche des pastèques.
Cette femme était un faste vivant… Elle ressemblait à un jardin de reine, à une parure inestimable, à un tissu ingénieusement brodé par des mains patientes. Quelque chose de grave et de lointain qui était en elle inspirait, ou plutôt imposait, un respect involontaire.
- Description de la proxénète non encore identifiée.
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Chasteté paradoxale, p. 103
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Chasteté paradoxale, p. 105
- Citation choisie pour le 11 mars 2012.
J’ôtai de mon doigt un rubis très rare, beau comme le sang d’une blessée, et le jetai, avec ma bourse pesante, sur la table d’onyx.
« Prenez-les, Myriam. Et prenez encore ce saphir, d’un bleu méditerranéen. En échange, vous me donnerez vos plus savants baisers. »
Elle sourit de nouveau, mais d’un sourire plus aigu.
« Vous vous trompez, signor, » répondit-elle, très calme. « Je suis la marchande, je ne suis point la marchandise. »
Je rencontrai son regard altier.
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Chasteté paradoxale, p. 108
Je m’approchai d’elle, les sens exaspérés jusqu’au viol. Ma main chercha les seins farouches que soulevait impétueusement un souffle irrité.
Plus prompte qu’un essor d’hirondelle, elle saisit un stylet, merveille de niellure et de pierreries, qui ornait sa ceinture, et me le plongea dans la poitrine… Je tombai… Une douleur suraiguë me trouait le cœur… Je sombrai au fond d’une nuit rouge…. [...]
Je ne franchis plus le seuil de la proxénète, de cette étrange femme, perverse et pure, impudique et inaccessible…
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Chasteté paradoxale, p. 109
La Saurienne
[modifier]- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Saurienne, p. 123
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Saurienne, p. 124
Elle me regarda de ses prunelles libidineuses et féroces de monstre en rut.
« Viens, » commanda-t-elle.
J’essayai de la suivre. Je ne pouvais point. Je fis des gestes étranglés de fou maintenu par une camisole de force.
À quelques pas du lieu où nous étions, il y avait un fouillis d’herbes très hautes, et des arbres dont les branches ressemblaient à des serpents géants. Elle guignait cet abri du coin de l’œil… Je devinai sans peine ce qu’elle voulait de moi.
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Saurienne, p. 127
Les Yeux !
Je fus saisi d’une joie de fièvre et de délire, de cette joie que seuls connaissent les naufragés enfin rendus à la terre et les malades qui voient l’aube dissiper leur nuit d’horribles hallucinations. Je dansais, je faisais siffler ma salive. Je balbutiai même à ma redoutable compagne de stupides paroles d’amour.
Je vidai ma gourde d’un trait. La pensée de ma délivrance prochaine coula dans mes veines, avec la bienfaisante chaleur du brandy… J’eus ainsi la force d’accomplir la meurtrière besogne… Et, lorsque la Saurienne, les regards chavirés sous les paupières ivres, attendait la satisfaction charnelle, je pris mon couteau. Je pris mon couteau, et, atteignant le monstre vautré dans l’herbe, je lui crevai les yeux…
Je lui crevai les yeux, vous dis-je. Ah ! c’est que je suis courageux, moi ! On peut clabauder sur mon compte, mais on ne prétendra jamais que je suis un lâche. Beaucoup d’hommes auraient perdu la tête, à ma place.
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Saurienne, p. 128
Brune comme une Noisette
[modifier]- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, Brune comme une Noisette, p. 149
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, Brune comme une Noisette, p. 151
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, Brune comme une Noisette, p. 155
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, Brune comme une Noisette, p. 161
Blanche comme l'Ecume
[modifier]- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, Blanche comme l'Ecume, p. 206
Des lèvres d’Androméda jaillit un sanglot d’épouvante et d’amour. Ses paupières frémirent avant de se clore sur la volupté de son regard. Ses lèvres goûtaient amèrement la saveur de la Mort.
… Mais l’heure de délivrance avait sonné, et le Héros apparut, armé par la Parthène et pareil à un éclair d’été. Le combat se livra sur les vagues et le glaive de Perseus fut vainqueur. Le Monstre s’abîma lentement dans les ténèbres de l’eau.
À l’instant où le triomphateur brisait les chaînes d’or de la Captive, il s’arrêta devant le reproche muet de ses larmes.
Et la voix d’Androméda sanglota lentement:
« Pourquoi ne m’as-tu point laissée périr dans la grandeur du Sacrifice ? La beauté de mon Destin incomparable m’enivrait, et voici que tu m’as ravie au baiser léthéen. Ô Perseus, sache que le Monstre de la Mer a connu seul mon sanglot de désir, et que la Mort m’apparaîssait moins sombre que ton étreinte prochaine. »
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, Blanche comme l'Ecume, p. 207
Prose poétique
[modifier]Brumes de fjords, 1902
[modifier]Les fleurs sans parfum
[modifier]Ses compagnes l’appelèrent du haut des rochers.
Ses compagnes l’appelèrent en pleurant.
Elle leur tendit les bras des profondeurs de la montagne.
Ses larmes coulèrent sur les fleurs sans parfum,
Mais elle ne put répondre à ses compagnes,
Car, déjà, elle avait oublié leur langage.
- Brumes de fjords, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemerre, 1902, Les fleurs sans parfum, p. 77
Légende du saule
[modifier]Les premiers souffles du printemps s’attiédissaient.
Les forêts étaient lourdes de la vie intarissable des plantes et du rut des animaux.
Les Nymphes violées s’évanouissaient de leurs amoureuses blessures et les Hamadryades elles-mêmes, dans leurs temples d’écorce et de feuillages, n’étaient plus à l’abri de l’attaque des Faunes.
- Brumes de fjords, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemerre, 1902, Légende du saule, p. 103
Divinement et terriblement éblouie, elle vit la Naïade lui sourire d’un sourire qui semblait attirer et promettre, et elle eut le pressentiment des mortelles amours…
Revenue à la conscience d’elle-même, elle chercha de nouveau, mais en vain, l’illusion mystérieuse de ce visage.
Le songe avait disparu.
- Brumes de fjords, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemerre, 1902, Légende du saule, p. 103
Sapho
[modifier]Vois se rapprocher l'Aurore Vénérable,
Apportant l'effroi, la souffrance et l'effort,
Et le souvenir dont la langueur accable,
La vie et la mort.
- Sapho; traduction nouvelle avec le texte grec, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemerre, 1903, p. lire en ligne
L’herbe de l’été pâlit sous le soleil.
La rose, expirant sous les âpres ravages
Des chaleurs, languit vers Pombre, et le sommeil
Coule des feuillages.
- Sapho; traduction nouvelle avec le texte grec, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemerre, 1903, p. lire en ligne
Poèmes en vers
[modifier]On m'a montrée du doigt en un geste irrité
Parce que mon regard cherchait ton regard tendre...
En nous voyant passer, nul n'a voulu comprendre
Que je t'avais choisie avec simplicité.
- Huitième strophe de « Paroles à l'amie » (publié dans le recueil A l'heure des mains jointes en 1906).
- Choix de poèmes, Renée Vivien, éd. Thi-Van Phuong Nguyen, 2010 (1e éd. 2001), p. 23
Laissons-les au souci de leur morale impure,
Et songeons que l'aurore a des blondeurs de miel,
Que le jour sans aigreur et que la nuit sans fiel
Viennent, tels des amis dont la bonté rassure...
Nous irons voir le clair d'étoiles sur les monts...
Que nous importe, à nous, le jugement des hommes ?
Et qu'avons-nous à redouter, puisque nous sommes
Pures devant la vie et que nous nous aimons ?
- Les deux dernières strophes du poème « Paroles à l'amie » (publié dans le recueil A l'heure des mains jointes en 1906).
- Choix de poèmes, Renée Vivien, éd. Thi-Van Phuong Nguyen, 2010 (1e éd. 2001), p. 23