Pierre Schoendoerffer

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Pierre Schoendoerffer

Pierre Schoendoerffer est un romancier, réalisateur, scénariste et documentariste français né le 5 mai 1928 à Chamalières (Puy-de-Dôme) et mort le 14 mars 2012 à Clamart (Hauts-de-Seine). Lauréat du Grand prix de l'Académie française, récompensé par un Oscar, il était membre de l'Académie des beaux-arts depuis 1988.

Romans[modifier]

L'Adieu au roi, 1969[modifier]

De vastes nuages sombres, bousculés par le vent tiède de la mousson de nord-est, courent sur la mer de Chine. La houle soulève des vagues lourdes et plombées, qui s'écrasent sur la côte. la baleinière de sauvetage grince en talonnant la plage et finalement chavire en éparpillant avirons et naufragés dans l'écume du ressac.

C'était le 13 février 1942, quelques jours avant la chute de Singapour.

Les naufragés, des marins et des soldats, échappés de la ville agonisante sous les bombes japonaises, leur petit vapeur torpillé et coulé dans la nuit, regardaient maintenant, dans la lumière froide et cruelle de l'aube, le sable gris sur lequel la fortune les avaient abandonnés. Loin à l'est, les paillotes d'un village de pêcheurs, ancrées dans les dunes, pliaient sous les rafales de pluie. A l'ouest, tout proche, un arbre mort, sentinelle avancée de l'immense forêt, se dressait contre une falaise de jungle noire qui, partant de la ligne blanche du ressac, se dissolvait dans le ciel bas.
  • Incipit
  • L'Adieu au roi (1969), Pierre Schoendoerffer, éd. Grasset, coll. « les cahiers rouges », 2013  (ISBN 978-2-246-80321-8), p. 17


Ce soir je vais m'arrêter là. Je vais boire un bon whisky et fumer un cigare de Manille. Je reprendrai demain à l'aube. L'histoire de Learoyd est une histoire simple, il faut la raconter avec la tranquillité du naturaliste décrivant le comportement d'un spécimen rare. Il me faut la froide rigueur de l'aube, il me faut sa lumière plate et grise qui tue les rêves et les fantômes. Cette nuit, je m'égare. L'exaltation de la nuit est redoutable : c'est par une nuit pareille que mon père tenta pour la première fois de tuer le diable. C'est par une nuit pareille que Fergusson… Ou bien était-ce à l'aube, comme pour le colonel japonais ?
  • L'Adieu au roi (1969), Pierre Schoendoerffer, éd. Grasset, coll. « les cahiers rouges », 2013  (ISBN 978-2-246-80321-8), p. 86


Il concluait néanmoins, un peu sec, en précisant qu'il goûtait peu l'humour dans les rapports officiels et que, pour ce qui était de mon Irlandais fou, je pouvais l'utiliser si nécessaire, mais prévoir son évacuation dès que possible.

Learoyd me demanda de voir le message, après quelques hésitations je le lui donnai ; je ne pouvais guère faire autrement. Il le parcourut avec une sorte de grand rire silencieux et, brusquement, presque sans transition, son visage se ferma, ses terribles yeux me fixèrent, impénétrables :

– Vaudra mieux ne pas essayer, murmura-t-il lentement.
  • L'Adieu au roi (1969), Pierre Schoendoerffer, éd. Grasset, coll. « les cahiers rouges », 2013  (ISBN 978-2-246-80321-8), p. 87


Il y a presque toujours un moment où le besoin de repos, le besoin de paix, submerge la volonté de vie d'un moribond ; il est trop fatigué, il se rend, il s'arrête, comme un naufragé dans l'immensité de la mer cesse soudain de nager. De petites signes, une mollesse, l'ombre d'une veulerie passe sur le visage d'un combattant usé par la longue bataille : c'est fini, il accepte, il est déjà mort, mais la Mort, elle, a un rendez-vous et elle attend son heure. Il est plus rare — sauf chez les femmes — de voir le combat perdu se poursuivre jusqu'au bout, sans raison et sans espoir, et la Mort obligée d'arracher sa victoire de haute lutte. Chez Learoyd, il n'y avait pas un signe, rien, ni angoisse, ni doute, ni volonté, ni lassitude, rien. Toute l'énergie était tournée vers l'intérieur et je ne voyais qu'une carcasse décharnée.
Quand il se releva, huit jours plus tard, je pensais aux petits bouts de bois qui font éclater la pierre, à cette force invisible qui m'avait fait choisir d'être botaniste.
  • L'Adieu au roi (1969), Pierre Schoendoerffer, éd. Grasset, coll. « les cahiers rouges », 2013  (ISBN 978-2-246-80321-8), p. 98


Je déclarai, péremptoire :

— Chaque fois qu'un être naît, c'est un monde entier, avec son soleil, ses étoiles, ses brins d'herbes, qui naît et prend peu à peu sa teinte particulière, sa nuance personnelle. Chaque fois qu'un être meurt, c'est son monde entier, avec son soleil, ses étoiles et ses brins d'herbes qui disparaît à jamais. La disparition de ces mondes est scandaleuse, mais plus le monde est riche et coloré, plus le scandale est grand. Alors faisons un scandale énorme et que Dieu aie honte.
La mort du huitième Japonais paralysé sur la piste du Golgotha me semblait déjà une injustice et un grand scandale parce que son monde était riche ; il voulait vivre son agonie quelques heures de plus, impuissant, dévoré vivant… Les couleurs du monde de Learoyd, qui avait conquis un royaume et qui avait chassé Dieu, étaient plus éclatantes que les miennes, son soleil était plus brûlant. Il avait réveillé un vieux peuple et annoncé le retour des temps aventureux. Il était le sel dans le riz, avait di Gwaï… Je fis part de ma décision au vieux missionnaire ébahi :

— Je ne vais pas rentré. Je vais rester avec Learoyd.
  • L'Adieu au roi (1969), Pierre Schoendoerffer, éd. Grasset, coll. « les cahiers rouges », 2013  (ISBN 978-2-246-80321-8), p. 207


La 317e Section, 1963[modifier]

Un blessé léger, le bras serré dans un bandage, glisse, essaie de se rattraper à une branche, perd l'équilibre, jure, roule sur la pente et fauche comme des quilles les porteurs des deux dernières civières. Une avalanche de fusils, de blessés, de supplétifs pêle-mêle dévale la piste transformée en tobogan et s'évanouit dans la brume. Les porteurs des trois autres civières ses ont arrêtés ; hébétés, ils entendent un moment le fracas de la chute, puis le silence revient et brutalement un long hurlement de douleur éclate. A la limite de la visibilité, une ombre floue se relève et reste immobile.
  • La 317e Section (1963), Pierre Schoendoerffer, éd. Robert Laffont, 2004  (ISBN 2-221-10233-9), p. 94


– Ba Phalong qui est... qui repose ici était un bon soldat. Nous ne l'oublierons pas.

Il relève la tête, son regard se pose sur le corps puis sur les hommes.
–Je... Nous n'avons pas de drapeau laotien pour le couvrir, mais ça ne fait rien : c'est un beau drapeau. Et puis nous sommes tous ensemble dans le même combat, alors voyez-le aux couleurs du Laos. Voilà.
Quatre supplétifs prennent Ba Phalong et le déposent dans la fosse. Torrens un peu rouge se tourne vers Ty. Son regard reste obstinément baissé mais sa voix et claire.
–Faites reposer les armes. Départ dans trois minutes.
Il tourne le dos et s'éloigne dans la brume.

Sur sa civière, Roudier a fermé les yeux.
  • La 317e Section (1963), Pierre Schoendoerffer, éd. Robert Laffont, 2004  (ISBN 2-221-10233-9), p. 111


–Ils ne le plantent pas aussi bien qu'au Tonkin. Mais c'est beau cette vallée, hein ? Et tans quinze jours trois semaines tous les arbres le long te la rivière seront rouges. Ce sont tes flamboyants. Alors les Lao feront un « boum » — une fête — et ils se saouleront la gueule, et ils tanceront avec les filles toute la nuit... Je vais vous tire quelque chose mon lieutenant. J'aurais laissé Routier à Pa Ka et à l'heure actuelle on serait à Tao Tsaï. Quand on fait la guerre, il y a une chose tont il faut être sûr. C'est que l'objectif à atteindre justifie les pertes. Sans ça, on ne peut plus commanter... Je sais bien, quand on est chef de section, les pertes, ce sont les copains. Mais quand même, vous avez tort. Vous faites une connerie... Eh merte ! Je suis content que vous l'ayez faite et je suis content t'être avec vous pour ça. Et si on toit tous y rester, eh bien, vive la mort !
  • La 317e Section (1963), Pierre Schoendoerffer, éd. Robert Laffont, 2004  (ISBN 2-221-10233-9), p. 141


Là-haut, 1981[modifier]

Au commencement était le Verbe… l'homo sapiens — ou l'homme de Cro-Magnon, ou de Néanderthal, je ne sais plus lequel — a découvert les mots avec le feu. Le jour il poussait des cris, des grognements de bête pour coordonner la chasse du clan, mais le soir, dans sa caverne, à l'abri, au chaud, éclairé par les flammes, il inventait les mots. Pas pour dire j'ai faim, j'ai soif, file-moi une cigarette ! Non ! Pour dire… le reste, je ne sais pas… ce qu'essaient de nous dire les grands livres, sans jamais y parvenir tout à fait… Et avec les mots il y a eu le premier comédien.


Alors, pourquoi ?… Quel est le sens ?… Qui suis-je… Le soir, seul, je repense à tout ça… À Ky… Aux blessés sur la crête, à Lin… Aux autres, à des tas d'autres… À tous ces camarades à qui je dois… quelque chose… À Dien Bien Phu, surtout !… Au camp ! Pourquoi ne suis-je pas mort aussi ? À quoi ça sert !


C'est l'Indochine la mieux connue. Il y a l'autre : celle des contreforts de l'Himalaya au nord, de la cordillère Annamitique au centre, des plateaux montagnards du sud : plus de quatre-vingts ethnies, peuplades, tribus, clans ! À peu près intacts, pas dégénérés, aussi libres qu'on peut l'être sur terre ! Nulle part au monde une telle diversité, une telle densité… Voilà que je vous fait un cours de géographie humaine maintenant ! Comme vous m'avez l'air de ne pas connaître grand-chose, çà ne vous fera pas de mal… De toute façon, c'est de l'histoire ancienne. Cette Indochine-là est morte. Tout est rentré dans le rang. Ces survivances féodales héritées du colonialisme français ont été promptement liquidées… pas de salut hors des masses populaires, du socialisme scientifique basé sur le matérialisme dialectique enrichi par le grand Lénine et le génial Staline, du centralisme démocratique, du déterminisme historique et tutti quanti… Ha ! ha ! ha ! Ainsi va le monde !


Je ne peux m'empêcher de penser que là-haut c'était autre chose. Je les connais ces Méo, n'oubliez-pas, j'ai vécu avec eux. Ils défendaient leur intégrité, leur peau ! pas d'O.N.U, là-haut, pas de « casques bleus » ! Pas d'alternative : la lutte ou « les lendemains qui chantent », l'impitoyable joug viet-minh… Vous vous rappelez ce que vous a dit le Vieux ?… Un génocide ! Il suffit d'aller dans les camps de réfugiés en Thaïlande pour savoir.


Ky avait foi en certaines valeurs simples. C'est pour cela qu'il était soldat… L'observation d'une règle libère le reste de l'homme, qui est l'essentiel. Un soldat fait et dit ce que lui commande le règlement, au-delà, il est libre. Ky était le plus libre de tous.


Vous comprenez un peu mieux ?… dans leurs camps de l'archipel du Goulag les gardes russes n'en veulent qu'à la chair de leurs victimes humiliées. Les Viets, plus subtils, en veulent aussi à l'esprit… Ils ont tous été piégés. Mentir ou mourir… Même celui qui était le mieux armé pour résister, le prêtre…


Une épitaphe gravée, Ky me l'a montrée ; elle lui a plu, c'est pourquoi il avait installé son P.C à cet endroit.

What I gave I have
What I spent I had

What I kept I lost.


Je suis content et fier d'y avoir été, même s'il a fallu payer le prix de la captivité, parce que là-haut… Ah ! comment dire ?… Là-haut, on a eu des exemples, mon vieux. Des maîtres. Des patrons. Des capitaines ! Des hommes bien ! je ne parle pas seulement du courage, ce qui est essentiel… Je parle aussi de la manière aussi, la manière !… [...]
Oh je sais bien que ce n'est pas parce qu'on accepte de se faire tuer pour une cause que cette cause est juste. Mais je m'en fous de la cause… je vous parle des hommes… je pourrais vous donner la liste. De toutes les origines, de tous les rangs de l'armée. Il y en a je ne sais même pas leur nom. Je ne les ai vus qu'une fois. Je sens encore… leurs doigts sur mon cœur. Un seul type bien, vraiment bien, et ça change tout. Un seul ! Là-haut il y en avait plein ! Et ils avaient la manière. Je peux vous le dire…


Là-bas, le pépé à furoncles recollait la peinture, rebouchait les trous… Un soir il lui a dit : « Pourquoi fais-tu ça ? » C'était la fin d'un de leurs cours ; une campagne de dénonciation des « atrocités », vous voyez le genre, de la boue ! « Pas toi, Henri », lui a dit le pépé… j'étais là, juste à côté… Je peux vous dire : Henri a reçu un coup sur la tête. Il s'est arrêté. Il aurait reçu une balle dans le ventre ça aurait été pareil…


On a tous menti un peu, dans le sillage d'Henri. Et Jachié est mort quand même ! Nos mensonges ne nous ont même pas permis d'obtenir une boulette d'opium pour le sauver… Oh, le Viet était content, il le pouvait, il avait gagné, on était devenu ses complices… J'y ai bien réfléchi : le mensonge c'est la pourriture… On ment trop dans le monde d'aujourd'hui !… Bon Dieu ! c'était quand même plus simple là-haut, sur les cinq collines… avec nos capitaines. On ne mentait pas…


Films[modifier]

Le Crabe-tambour, 1977[modifier]

Voir le recueil de citations : Le Crabe-tambour

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