Mathias et la Révolution

Une page de Wikiquote, le recueil des citations libres.

Mathias et la Révolution est un roman en français de l'écrivaine Leslie Kaplan, paru chez P.O.L en 2016. Il a été adapté pour le théâtre en 2015[1].

Divisé en cinq parties, il raconte les déambulations et les réflexions d'un groupe de personnes, un été dans Paris, à l'annonce d'une émeute.

Partie I[modifier]

« La révolution est glacée », continuait Mathias, il avait envie de pleurer.

Je suis seul.

Il donna un coup de pied dans une pierre.

Il leva la tête, regarda le ciel.

Le ciel est vide, dit Mathias. C'est atroce. Je m'en fous, mais c'est atroce.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016  (ISBN 978-2-8180-3722-5), partie I, p. 11-12


Voilà les rues. Voilà les institutions. Voilà le monde. Voilà moi.

Tout tient ensemble, c'est ça qui est… qui est… bizarre.

Comment est-ce possible.

Est-ce que tout tient vraiment ensemble ? Qu'est-ce que ça veut dire, que tout tient ensemble.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie I, p. 13


En le disant il se demandait si c'était vrai, et si ce ne l'était pas, pourquoi il le disait.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie I, p. 15


— Ce n'est pas la France qui est une et indivisible, dit Mathias. C'est la République.
— C'est la même chose.
— Pas du tout, dit Mathias. Et vous le savez.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie I, p. 20


« La Révolution n'a jamais lieu une fois pour toutes. »
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie I, p. 27


— Est-ce que c'est le Progrès, ça. Moi j'appelle ça du gâchis. On n'a pas besoin de tout ça, de tout ça.
— Non, dit Mathias, non. Mais en réalité on n'a besoin de rien ou presque. Alors.
— Alors quoi, dit André.
— Alors ce n'est pas le besoin qui fait avancer les choses, dit Mathias.
— C'est quoi, alors, dit André.
— Je ne sais pas, dit Mathias, mais c'est pas le besoin.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie I, p. 34


Les femmes ont beaucoup fait pour la Révolution, la Révolution n'a pas beaucoup fait pour les femmes, zéro égalité, dit la jeune femme.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie I, p. 42


Partie II[modifier]

Pour Robespierre, pour Saint-Just, c'est : non, pas de procès. Louis ne doit pas mourir parce qu'il est coupable mais parce qu'il est roi.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie II, p. 58


Mathias était déçu, mais il décida de ne pas être triste.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie II, p. 62


Quand je suis inspiré, tout m'inspire. La table m'inspire. Le ciel m'inspire. Et toi aussi, tu m'inspires. Est-ce que c'est l'objet qui crée le désir ou le désir qui crée l'objet ? L'autre rit, Mathias paya et sortit, tout en se disant, C'est exactement ça. La Révolution, c'est ça.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie II, p. 62


J'adore ma canne, il se disait tous les matins en la faisant tournoyer devant la glace avant de sortir, que c'est gentil de la part de ces gens de m'avoir fait ce cadeau, c'est d'une élégance, ah, naturellement, j'adore jouer avec ma canne, faire comme si j'en avais besoin, et non, absolument aucun besoin, je descends l'escalier comme un jeune homme, quand j'étais jeune, je m'étais acheté une canne, je trouvais déjà que ça m'allait bien, mais à l'époque ma femme m'a dit que ça faisait prétentieux, elle avait raison, j'étais trop jeune, ma femme a toujours raison quand elle me conseille, j'ai de la chance, ma femme est un trésor, la jeune femme de l'accueil me fait les yeux doux, ah ah ah, mais il faut dire que je présente pas mal, pas mal du tout, ah ah ah, ma femme, mon jardin, ma maison, ma canne, ma santé, ma jeunesse, comment pourrais-je ne pas être amoureux de moi ? ah ah ah, j'exagère un peu mais c'est pour rire, c'est pour rire et c'est la vérité, ah ah ah, bonjour Jean-Louis.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie II, p. 85-86


Morel assis regardait le monde passer et détestait.

Grr, pensait Morel. Grr, grr, grr.

Parfois, il cherchait une autre expression, une autre façon de dire, mais très vite il revenait à celle-là, elle exprimait, elle disait, si exactement sa pensée.

Pourquoi chercher autre chose.

Grr, grr, grr.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie II, p. 88-89


Je m'intéresse à la Révolution parce qu'elle a existé, dit Mathias à voix haute, voilà pourquoi.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie II, p. 96


Il y a beaucoup de révolutions dans la Révolution…[2]
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie II, p. 97


Partie III[modifier]

Hello, how do you like Paris, s'entendit dire Mathias
We love Paris, répondit le père avec un grand sourire. History everywhere. De l'Histoire, partout. It's great for the children. C'est formidable pour les enfants.
Paris is not a museum, Paris n'est pas un musée, dit Mathias, en secouant la tête. Paris et musée, l'union des deux mots, même par une négation, faillit le désespérer.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie III, p. 112-113


Partie IV[modifier]

— Mais dites-nous pourquoi ces émeutes, dit Luca.
— Pour moi, dit Myriam, la question n'est pas pourquoi des émeutes, mais plutôt pourquoi pas d'émeutes. « No justice, no peace. » Pas de justice, pas de paix.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie IV, p. 150


Oh là là, redit Mathias.

Dehors, c'est l'émeute. Dedans, c'est l'émeute.

Qu'est-ce que je fais, qu'est-ce que je vais faire.

La catastrophe. L'amour.

J'ai l'impression qu'elle me dit qui je suis, qui je peux être.

Qu'est-ce que je vais faire, dit encore Mathias.

Je n'ai pas envie de ça.

Je n'ai pas envie de ça, et je l'attendais, dit Mathias.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie IV, p. 150-151


— Quand ce qui fait figure d'autorité, de norme, n'a plus de consistance, quand on ne croit plus à sa légitimité… on tombe dans le grotesque, dit Bruno.
— Les soi-disant décideurs ressemblent à des clowns, dit Louise.
— Ne dites pas de mal des clowns, dit un comédien qui avait entendu.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie IV, p. 160


J'arrête.
Je ne me vends plus, voilà.
C'est décidé.
— Mais comment tu gagneras ta vie, demanda Sibylle.
— Ah tais-toi, cria Anaïs, tais-toi, tais-toi, tais-toi, tu parles comme ma mère.
Faut savoir se vendre, faut savoir plaire, c'est comme ça, c'est la réalité, c'est pas toi qui vas refaire le monde, qu'est-ce que tu crois, et tout de suite après, Tu es trop nulle, tu gagnes pas assez, tu vaux rien, regarde-toi, comment tu es habillée, c'est quoi ces chaussures, comment t'es coiffée, regarde la vie que tu mènes, c'est pas une vie.
Tout et son contraire.
Elle me rend idiote.
Eh bien, c'est fini.
C'est décidé.
J'arrête.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie IV, p. 172-173


moi vous savez mon père était boucher, alors quand il faut couper, je coupe, mon père m'a au moins donné ça, mon pauvre papa, quand je pense à lui j'entends tout de suite sa voix, c'est automatique, « la poire, le merlan, le collier, l'araignée, l'échine, la côte et l'entrecôte, le filet et le faux-filet, le jarret, l'onglet, l'aiguillette, la queue de bœuf, le plat de côtes, la bavette d'aloyau, la bavette de flanchet, la hampe, la macreuse bifteck, la macreuse à pot-au-feu », et à la fin il soupirait toujours, « qui connaît tous ces noms maintenant, bientôt on dira un steak un point c'est tout, quand les noms se perdent c'est le goût qui se perd, avoir du goût c'est distinguer »
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie IV, p. 180


Le racisme, c'est une maladie de l'esprit. Il y a des gens qui ont besoin de vous rabaisser pour se sentir bien. Se sentir bien pour eux c'est se sentir supérieur. Que l'autre n'existe pas, ils n'ont trouvé que ça pour exister, eux.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie IV, p. 185


Partie V[modifier]

Comment peut-on exister dans une communauté humaine sans être nommé ?

L'absence de nom. Très difficile à penser.

Ça fait l'effet d'un trou énorme.

Ou plutôt, d'un trou sans contours.

Le trou de l'injustice contenue dans l'inégalité.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie V, p. 208


Il n'eut pas le temps de répondre, d'ailleurs quoi répondre, pourtant il aurait fallu répondre, ils arrivaient à l'hôpital.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie V, p. 223


Elle fit quelques pas à l'intérieur de la gare. Elle n'était pas venue depuis longtemps, les couloirs et les galeries, les lumières, les kiosques, tout lui paraissait refait. Neuf, refait, refait, neuf, les affiches s'étalaient, désagréables à voir, difficiles à éviter, trop grandes, trop simples, trop remplies, les visages souriants, impeccables, les corps aussi souriaient, sourire plastique, tout plastique, fluide et raide et bouillie sonore, et subitement c'était là, elle eut la sensation que c'était arrivé, c'était là, mais quoi, on avait glissé et on était entré d'un seul coup dans un autre monde, le monde suivant, le monde qui s'annoncait partout sans arrêt, il était là, on y était, on s'y attendait mais quand même, pas si vite, pas si complètement, on ne voulait pas, pas du tout, mais il était là, on était avalé.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie V, p. 229-230


Irène se plaignait aussi, dans la foulée, sur un plan plus personnel. Sa vie, ses déceptions. Sa mère, son père, son amoureux, ses collègues.
— Arrête, arrête, finit par lui dire son amie, on ne sait jamais si c'est toi ou le monde qui va mal.
— C'est les deux, les deux. Ça va ensemble, dit Irène avec un grand sourire, et son amie, sans pouvoir dire pourquoi, l'aurait giflée.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie V, p. 237


On parlait des émeutes comme si les faits relevaient d'une dangerosité prévisible, une donnée à surveiller, la justice elle-même devenait prédictive, nombreux étaient les avocats et les magistrats qui dénonçaient cette tendance, on allait vers une déshumanisation de la justice, comme si on savait d'avance que les émeutiers sont ceci ou cela, comme s'il ne s'agissait pas d'êtres humains singuliers mais de purs produits déterminés par leurs conditions sociales, déterminés et en même temps, bien entendu, intégralement responsables, mauvaise foi, mensonge, quelle société voulons-nous, la lutte contre le terrorisme devient un prétexte pour renforcer une justice de classe, c'est l'idée absurde, le fantasme haineux, du risque zéro, comme s'il pouvait y avoir une société humaine sans risque, le Patriot Act c'est Ben Laden qui a gagné.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie V, p. 238


Comment pouvait-on être devant sa vie, devant sa mort, comme ça. Dans un endroit pareil [les urgences]. Les murs avaient l'air d'être en papier mâché. Le corps, c'était pourtant un lieu de soin, le corps pas protégé.

Le mensonge partout, pourquoi cette sensation concrète de mensonge.

Des gens qui toussaient. Des quintes de toux, qui se prolongeaient, qui se prolongeaient, qui s'arrêtaient net. À cause des toux, on avait des images, on voyait l'intérieur des corps, on pensait à ce qui pouvait en sortir, craché, expectoré. On pensait au sang, aux organes, et en même temps on avait des impressions de gravats, de gravier, de cailloux qui heurtent, de rochers pointus.

Chaque toux était particulière, aucune ne ressemblait à une autre, pourtant on les connaissait toutes, ou peut-être on avait toussé de la même façon, on avait toussé toutes ces toux. Le corps de chacun, différent, singulier, était uni aux autres, le sang de chacun, on aurait pu l'avoir, soi, il aurait pu être là en train de circuler dans son propre corps, et la toux aussi on aurait pu l'avoir, être dans cette bagarre, ce corps à corps avec elle.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie V, p. 249-250


Un monsieur qui était assis recroquevillé sur son siège se leva brusquement et dit très fort :
— Vous avez raison.
Je suis d'accord avec ce que vous dites.
C'est la fin de notre civilisation.
C'est la fin du monde.
Le monde va à sa perte.
Et c'est la faute du Juif Marat.
Le déclin de la France.
La gangrène du monde occidental.
La maladie, la peste.
Il a été prouvé que Marat était juif, et il a été prouvé que les massacres de Septembre, c'est lui.
La honte de la France.
C'est lui, c'est prouvé.
Assoiffé de sang comme tous ceux de sa race il a couvert de rouge notre belle France propre, pacifique et blanche.
Il parlait de plus en plus fort.
Tout le monde ahuri.
N'importe quoi.
Un homme très âgé, ridé et maigre s'approcha et lui dit, Dehors, citoyen. Tu déshonores la République.
Mathias, Bruno, Luca, Marie décidèrent de partir.
  • Mathias et la Révolution, Leslie Kaplan, éd. P.O.L, 2016, partie V, p. 252-253


Notes[modifier]

  1. « Remerciements » de l'édition 2016.
  2. Cité encore pages 169 et 195, partie IV.