Hippolyte Taine

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Hippolyte Taine.

Hippolyte Adolphe Taine, né à Vouziers le 21 avril 1828 et mort à Paris le 5 mars 1893, est un philosophe et historien français.

Citations[modifier]

Histoire de la littérature anglaise[modifier]

Un vrai peintre regarde avec plaisir un bras bien attaché et des muscles vigoureux, quand même ils seraient employés à assommer un homme. Un vrai romancier jouit par contemplation de la grandeur d'un sentiment nuisible - ou du mécanisme ordonné d'un caractère pernicieux.
  • Histoire de la littérature anglaise, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1864, t. 4, p. 123


Nouveaux essais de critique et d'histoire[modifier]

Paris nous excite trop, nous autres gens ordinaires; quelles fourmilières d'idées devaient pulluler dans cet esprit, qui, multiplié par l'inspiration et par la science, apercevait dans un geste, dans un vêtement un caractère et une vie entière, les reliait à leur siècle, prévoyait leur avenir, les pénétrait en peintre, en médecin, en philosophe, et étendait le réseau infini de ses divinations involontaires à travers toutes les idées et tous les faits!
  • À propos de Balzac.
  • Nouveaux essais de critique et d'histoire, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1865, p. 72


Beaucoup de gens souffrent de le lire. Le style est pénible, surchargé; les idées s'encombrent et s'étouffent; les intrigues compliquées saisissent l'esprit de leur pince de fer; les passions accumulées, grondantes, flamboient comme une fournaise. Sous cette lueur fauve se détache avec un relief violent une multitude de figures grimaçantes, tourmentées, plus expressives, plus puissantes, plus vivantes que les physionomies réelles; parmi elles une vermine sale d'insectes humains, cloportes rampants, scolopendres hideux, araignées venimeuses nées dans la pourriture, acharnées à fouir, à déchirer, à entasser et à mordre; par-dessus tout des féeries éblouissantes, et le cauchemar douloureux et gigantesque de tous les rêves auxquels l'or, la science, l'art, la gloire et la puissance peuvent fournir.
  • À propos de Balzac.
  • Nouveaux essais de critique et d'histoire, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1865, p. 73-74


J'aime mieux en rase campagne rencontrer un mouton qu'un lion; mais derrière une grille, j'aime mieux voir un lion qu'un mouton. L'art est justement cette sorte de grille; en ôtant la terreur, il conserve l'intérêt. Désormais, sans souffrance et sans danger, nous pouvons contempler les superbes passions, les déchirements, les luttes gigantesques, tout le tumulte et l'effort de la nature humaine, soulevée hors d'elle-même par des combats sans pitié et des désirs sans frein.
  • Nouveaux essais de critique et d'histoire, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1865, p. 152


La superstition a la même racine que l'obéissance. L'esprit énervé qui se retranche le jugement personnel est promptement envahi par les croyances folles. Privé du discernement, il tombe dans le rêve, et sa débilité acquise le replonge parmi des imaginations d'enfant.
  • Nouveaux essais de critique et d'histoire, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1865, p. 379


Voyage en Italie[modifier]

Le seul moyen efficace de supporter la vie, c'est d'oublier la vie.
  • Voyage en Italie, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1866, p. 382


Notes sur Paris: vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge[modifier]

Le ballet est ignoble. C'est une exposition de filles à vendre. Elles ont les gestes et les basses petites minauderies de l'emploi, la fadeur voluptueuse et voulue. Il n'y a pas dix pour cent dans un ballet de beauté vraie. Tout est provocation comme sur un trottoir; les jambes en maillot rose se montrent jusqu'aux hanches : l'attitude est celle des danseuses de corde; avec leurs vilaines pattes de grenouille moderne, avec leurs bras filamenteux d'araignée, avec leurs ronds de jambe qui sentent l'école du saltimbanque, elles s'imaginent représenter les nobles processions de la Grèce antique.
  • Notes sur Paris: vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1867, p. 12-13


Des gens du monde qui vivent pour le plaisir et l'attrapent une fois sur dix, des bourgeois qui courent après sans l'atteindre, des filles et une populace interlope qui le vendent ou le filoutent : voilà Paris. Un seul but : jouir et paraître.
  • Notes sur Paris: vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1867, p. 13


Sur trente femmes dans un salon, il y a vingt-cinq bécasses, qui font frou-frou avec leur plumage, et dont le ramage consiste à répéter la phrase qui court; mais il y a cinq personnes fines, et elles vous jugent.
  • Notes sur Paris: vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1867, p. 54


L'honnête homme à Paris ment dix fois par jour, l'honnête femme vingt fois par jour, l'homme du monde cent fois par jour. On n'a jamais pu compter combien de fois par jour ment une femme du monde.
  • Notes sur Paris: vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1867, p. 57


Trois procédés quand une femme sort du piano:

Si l'on est loin, levez vos mains visiblement pour applaudir : c'est un moyen de montrer vos boutons de manche et la jolie façon dont vous êtes ganté.

Si l'on est près, faire défiler à mi-voix la liste des adjectifs : « Admirable, goût parfait, jeu brillant, sentiment vrai. » — Si la musicienne est bête, lâcher les grandes épithètes : « Ravissant, foudroyant. » — Si l'on veut s'insinuer, apprendre quelques termes techniques; « Reprise savante, changement de ton, passage en mineur, ces trilles sont perlés, etc. » — Le degré supérieur consiste à savoir les noms des principales œuvres des maîtres et à les citer à voix basse avec une sorte d'intimité, comme un initié qui entre dans le temple des mystères. Là-dessus, on vous parle; les confidences admiratives roulent, la charmante pianiste se trouve aussi contente de son esprit que de ses doigts, et prend de l'estime pour M. Anatole Durand, ou d'Urand.
  • Notes sur Paris: vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1867, p. 61-62


Un grand homme est absorbant, parce qu'il est absorbé. Ne partez pas de là pour engloutir, comme vous l'avez fait hier, deux tasses de thé, trois tasses de chocolat, deux gâteaux et des sandwiches.
  • Notes sur Paris: vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1867, p. 63


Le bruissement sec des conversations s'enfle et s'élève. A les voir ainsi se retourner, saluer, gesticuler, tordre leurs corps emprisonnés dans la stalle étroite, on pense à l'entassement d'un peuple d'insectes, comprimé dans un entonnoir.
  • À propos du public du Théâtre des Italiens.
  • Notes sur Paris: vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1867, p. 158


J'ai vu des ambassadeurs et des ministres; les laquais sont mieux; la belle prestance est une portion de leur état; leur gravité n'a pas d'égale. Mais surtout, ils ont l'organe essentiel, aristocratique, le mollet; des mollets complets valent en plus cent francs de gages: ce mollet blanc au-dessus d'un soulier à boucle reporte l'esprit aux plus beaux jours de Marly et de Versailles. Hélas! si nous relevions notre pantalon, combien d'entre nous, bourgeois desséchés, enflés, déformés, seraient dignes d'être des laquais!
  • Notes sur Paris: vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1867, p. 195


En fait de morale, les paroles ne servent de rien; par elles-mêmes elles ne sont qu'un son plus ou moins désagréable. C'est l'éducation antérieure qui leur donne une force et un sens; si elle a mis dans la jeune tête deux ou trois bouts d'idées saines, parlez raison; sinon, autant frapper sur une bûche pour en tirer des étincelles. Il faut s'adresser à des sentiments déjà nés, et ce ne sont pas des phrases qui les feront pousser en un quart d'heure.
  • Notes sur Paris: vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1867, p. 285


Voyez le travail machinal et monstrueux des candidats qui aspirent aux grandes écoles, puis, au sortir de ces mêmes écoles, la fatigue profonde, l'allanguissement, la flânerie au café ou à domicile, l'inertie bureaucratique ou provinciale. Comparez l'élève de l'École polytechnique, cloué quatorze heures par jour devant des formules, et l'ingénieur qui va bâiller, sa femme au bras, pour voir si ses cailloux sont bien cassés. Avec cet encombrement des carrières et cette réglementation des étapes, nous parvenons d'abord à essouffler nos chevaux de course, ensuite à les changer en bidets de fiacre.
  • Notes sur Paris: vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1867, p. 325-326


On ne s'adresse plus à une petite élite, mais à tout un peuple. Comment faire pour que cent mille personnes retiennent mon nom? D'autant plus que leur mémoire est déjà surchargée ; il y a trop de noms qui prétendent à leur attention; chaque été trois ou quatre mille peintres à l’Exposition ; pendant six mois des centaines de musiciens qui bourdonnent le soir comme des insectes à la lumière des lustres; tous les jours, au bas de vingt revues et de cinquante journaux, une population d'écrivains; tous travaillant à coups répétés d'articles, de concerts et de tableaux à s'approprier un coin dans cette mémoire pleine; elle déborde; au bout d'un temps rien n'y entre plus.
  • Notes sur Paris: vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1867, p. 326-327


Ce n'est pas vanité, c'est besoin; aujourd'hui la publicité aussi bien que le temps est de l'argent. Je suppose qu'à l'ordinaire vous vendiez un tableau quinze cents francs; ayez trois pages bien signées dans trois journaux notables, joignez y quelque petite manœuvre à l'hôtel des ventes, vous vendrez le tableau suivant, tout pareil, quatre mille francs. Un objet commercial quelconque, toiture en zinc ou clysopompe, cheminée fumivore ou râtelier en hippopotame, gagne tant d'acheteurs par tant de lignes d'annonce; la proportion est connue. Forcément, fatalement, telle denrée, tel remède, qu'on rencontre tous les jours, partout, en grosses lettres, en petites lettres, sur les murs, dans les gazettes, dans les chemins de fer, aux cafés, chez soi, chez les autres, imprime son nom dans la mémoire. On n'a pas voulu le lire et on l'a lu; on a évité de le retenir et on le sait par cœur; on s'en est moqué tout haut, ce qui a accru sa publicité. Que le besoin de la chose en question survienne :on n'a pas de conseil sous la main, on n'a pas d'autre nom en tête, on est pressé, on se dit par lassitude que, puisque celui-là est public, il en vaut un autre; on va à l'adresse connue, on avale et on recommence. L'an dernier, j'ai trouvé en province des gens qui traitaient leurs enfants par la médecine Leroy, comme en 1820; les noms s'encroûtent dans la mémoire humaine; il est aussi difficile d'en sortir que d'y entrer.
  • Notes sur Paris: vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1867, p. 328-329


Comme à son endroit [Beethoven] la renommée publique est injuste! On le reconnaît comme souverain dans le gigantesque et le douloureux; on borne là son royaume; on ne lui accorde pour domaine qu'une lande déserte, battue d'ouragans, désolée et grandiose, pareille à celle où vit Dante. Il la possède, cette solitude, et nul autre musicien que lui n'y entre; mais il habite encore ailleurs. Ce qu'il y a de plus riche et de plus magnifiquement épanoui dans la campagne regorgeante,ce qu'il y a de plus suave et de plus souriant dans les vallées ombreuses et fleuries, ce qu'il y a de plus frais et de plus virginal dans la timidité de la première aube, lui appartient comme le reste. Seulement, il n'y porte point une âme tranquille; la joie l'ébranle tout entier comme la douleur.
  • Notes sur Paris: vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge, Hippolyte Taine, éd. Hachette, 1867, p. 360-361


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