Alexis ou le Traité du vain combat
Apparence
Alexis ou le Traité du vain combat est un roman épistolaire de Marguerite Yourcenar, paru en 1929. Il évoque les vains efforts d'un homme pour refouler son homosexualité dans les années 1910.
Citations
[modifier]Le passé, pour peu qu'on y songe, est chose infiniment plus stable que le présent, aussi paraissait-il d'une conséquence plus grande.
- « Alexis ou le Traité du Vain Combat » (1929), dans Alexis. Le Coup de Grâce, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1971 (ISBN 2-07-037041-0), p. 24
Nous sommes tous distraits, parce que nous avons nos rêves ; seul, le perpétuel recommencement des mêmes choses finit par nous imprégner d'elles.
- « Alexis ou le Traité du Vain Combat » (1929), dans Alexis. Le Coup de Grâce, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1971 (ISBN 2-07-037041-0), p. 29
Je ne suis qu'un exécutant, je me borne à traduire. Mais on ne traduit que son trouble : c'est toujours de soi-même qu'on parle.
- « Alexis ou le Traité du Vain Combat » (1929), dans Alexis. Le Coup de Grâce, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1971 (ISBN 2-07-037041-0), p. 30
C'est toujours ainsi : nos œuvres représentent une période de notre existence que nous avons déjà franchie, à l'époque où nous les écrivons.
- « Alexis ou le Traité du Vain Combat » (1929), dans Alexis. Le Coup de Grâce, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1971 (ISBN 2-07-037041-0), p. 30
La vie est quelque chose de plus que la poésie ; elle est quelque chose de plus que la physiologie, et même que la morale, à laquelle j'ai cru si longtemps. Elle est tout cela et bien davantage encore : elle est la vie. Elle est notre seul bien et notre seule malédiction. Nous vivons, Monique ; chacun de nous a sa vie particulière, unique, déterminée par tout le passé, sur lequel nous ne pouvons rien, et déterminant à son tour, si peu que ce soit, tout l'avenir. Sa vie. Sa vie qui n'est qu'à lui-même, qui ne sera pas deux fois, et qu'il n'est pas toujours sûr de comprendre tout à fait. Et ce que je dis là de la vie tout entière, je pourrais le dire de chaque moment d'une vie. Les autres voient notre présence, nos gestes, la façon dont les mots se forment sur nos lèvres ; seuls, nous voyons notre vie. Cela est étrange : nous la voyons, nous nous étonnons qu'elle soit ainsi, et nous ne pouvons la changer. Même lorsque nous la jugeons, nous lui appartenons encore ; notre approbation ou notre blâme en fait partie ; c'est toujours elle qui se reflète elle-même. Car il n'y a rien d'autre ; le monde, pour chacun de nous, n'existe que dans la mesure où il confine à notre vie.
- « Alexis ou le Traité du Vain Combat » (1929), dans Alexis. Le Coup de Grâce, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1971 (ISBN 2-07-037041-0), p. 34
Je ne sais pas, mon amie, à quoi nous serviraient nos tares, si elles ne nous enseignaient la pitié.
Je m'habituai. On s'habitue facilement. Il y a une jouissance à savoir qu'on est pauvre, qu'on est seul et que personne ne songe à nous. Cela simplifie la vie. Mais c'est aussi une grande tentation. Je revenais tard, chaque nuit, par les faubourgs presque déserts à cette heure, si fatigué que je ne sentais plus la fatigue. Les gens que l'on rencontre dans les rues, pendant le jour, donnent l'impression d'aller vers un but précis, que l'on suppose raisonnable, mais, la nuit, ils paraissent marcher dans leurs rêves. Les passants me semblaient, comme moi, avoir l'aspect vague de figures qu'on voit dans les songes, et je n'étais pas sûr que toute la vie ne fût pas un cauchemar inepte, épuisant, interminable. Je n'ai pas à vous dire la fadeur de ces nuits viennoises. J'apercevais quelquefois des couples d'amants étalés sur le seuil des portes, prolongeant tout à leur aise leurs entretiens, ou leurs baisers peut-être ; l'obscurité, autour d'eux, rendait plus excusable l'illusion réciproque de l'amour ; et j'enviais ce contentement placide, que je ne désirais pas. Mon amie, nous sommes bien étranges. J'éprouvais pour la première fois un plaisir de perversité à différer des autres ; il est difficile de ne pas se croire supérieur, lorsqu'on souffre davantage, et la vue des gens heureux donne la nausée du bonheur.
Je m'habituai. On s'habitue facilement. Il y a une jouissance à savoir qu'on est pauvre, qu'on est seul et que personne ne songe à nous. Cela simplifie la vie. Mais c'est aussi une grande tentation. Je revenais tard, chaque nuit, par les faubourgs presque déserts à cette heure, si fatigué que je ne sentais plus la fatigue. Les gens que l'on rencontre dans les rues, pendant le jour, donnent l'impression d'aller vers un but précis, que l'on suppose raisonnable, mais, la nuit, ils paraissent marcher dans leurs rêves. Les passants me semblaient, comme moi, avoir l'aspect vague de figures qu'on voit dans les songes, et je n'étais pas sûr que toute la vie ne fût pas un cauchemar inepte, épuisant, interminable. Je n'ai pas à vous dire la fadeur de ces nuits viennoises. J'apercevais quelquefois des couples d'amants étalés sur le seuil des portes, prolongeant tout à leur aise leurs entretiens, ou leurs baisers peut-être ; l'obscurité, autour d'eux, rendait plus excusable l'illusion réciproque de l'amour ; et j'enviais ce contentement placide, que je ne désirais pas. Mon amie, nous sommes bien étranges. J'éprouvais pour la première fois un plaisir de perversité à différer des autres ; il est difficile de ne pas se croire supérieur, lorsqu'on souffre davantage, et la vue des gens heureux donne la nausée du bonheur.
- « Alexis ou le Traité du Vain Combat » (1929), dans Alexis. Le Coup de Grâce, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1971 (ISBN 2-07-037041-0), p. 68
On n'est jamais tout à fait seul : par malheur, on est toujours avec soi-même.
- « Alexis ou le Traité du Vain Combat » (1929), dans Alexis. Le Coup de Grâce, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1971 (ISBN 2-07-037041-0), p. 80
- Citation choisie pour le 13 septembre 2016.
Le silence ne compense pas seulement pour l'impuissance des paroles humaines, il compense aussi, pour les musiciens médiocres, la pauvreté des accords. Il m'a toujours semblé que la musique ne devrait être que du silence, et le mystère du silence, qui chercherait à s'exprimer. Voyez, par exemple, une fontaine. L'eau muette emplit les conduits, en déborde, et la perle qui en tombe est sonore. Il m'a toujours semblé que la musique ne devrait être que le trop-plein d'un grand silence.
- « Alexis ou le Traité du Vain combat » (1929), dans Œuvres romanesques, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982 (ISBN 2-07-011018-4), p. 49
J'ai souvent pensé, avec tristesse, qu'une âme vraiment belle n'obtiendrait pas la gloire, parce qu'elle ne la désirerait pas. Cette idée, qui m'a désabusé de la gloire, m'a désabusé du génie. J'ai souvent pensé que le génie n'est qu'une éloquence particulière, un don bruyant d'exprimer.
- « Alexis ou le Traité du Vain Combat » (1929), dans Alexis. Le Coup de Grâce, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1971 (ISBN 2-07-037041-0), p. 82
Je pleurai à l'idée que la vie fût si simple, et serait si facile si nous étions nous-mêmes assez simples pour l'accepter.
- « Alexis ou le Traité du Vain Combat » (1929), dans Alexis. Le Coup de Grâce, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1971 (ISBN 2-07-037041-0), p. 85
Vous avez cru qu'il suffisait d'être parfaite pour être heureuse ; j'ai cru suffisant, pour être heureux, de n'être plus coupable.
- « Alexis ou le Traité du Vain Combat » (1929), dans Alexis. Le Coup de Grâce, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1971 (ISBN 2-07-037041-0), p. 100
J'aime que le temps nous porte, et non qu'il nous entraîne.
- « Alexis ou le Traité du Vain Combat » (1929), dans Alexis. Le Coup de Grâce, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1971 (ISBN 2-07-037041-0), p. 100
Le courage consiste à donner raison aux choses quand nous ne pouvons les changer.
- « Alexis ou le Traité du Vain Combat » (1929), dans Alexis. Le Coup de Grâce, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1971 (ISBN 2-07-037041-0), p. 104
Je me sentais timide, devant cet enfant qu'il fallait embrasser. Il m'inspirait, non pas de la tendresse, ni même de l'affection, mais une grande pitié, car on ne sait jamais, devant les nouveau-nés, quelle raison de pleurer leur fournira l'avenir.
- « Alexis ou le Traité du Vain Combat » (1929), dans Alexis. Le Coup de Grâce, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1971 (ISBN 2-07-037041-0), p. 115
Mon amie, nous croyons à tort que la vie nous transforme : elle nous use et ce qu'elle use en nous, ce sont les choses apprises.
- « Alexis ou le Traité du Vain Combat » (1929), dans Alexis. Le Coup de Grâce, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1971 (ISBN 2-07-037041-0), p. 117