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Dernières nouvelles des choses

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Dernières nouvelles des choses est un livre de Roger-Pol Droit, qui, comme son précédent ouvrage, célèbre une « philosophie quotidienne », ici à propos des choses.

Citations

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Pour commencer, se dire que les choses sont des discours pliés. Ou les plis d'anciens propos évanouis. Ou les résidus solides de chaînes de mots effacés.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 20



La sympathie suscitée par les trombones n'est pas universelle.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 29


Pour sa façon de faire ce qu'il y a à faire, sans forfanterie, sans rébellion (on ne peut imaginer une révolte de trombones), dans l'ombre, sans souci des complots ni des honneurs, anonyme et utile, ni héroïque ni téméraire, mais fidèle et sérieux, le trombone est la figure de l'éthique.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 32


Observez donc une clé perdue, sans usage. Air pitoyable, poisson mort. Bout de métal jeté dans l'inutile, la pesanteur immobile.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 39


Déchirure brutale. Le cours paisible du sang brusquement défait par une estafilade. Comme quand on se coupe, en épluchant des légumes ou en se rasant : rien de grave, pas de douleur forte, mais la chair ouverte, écorchée en surface. Quand le réveil sonne, c'est comme ça. Suite de stridences, suraiguës, monocordes. Coups d'épingle au-dedans du cerveau.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 45


Être éveillé à une heure fixée d'avance est une intrusion violente. Très commune, je sais bien. Utile, je le concède. Cela ne diminue en rien la violence en question. Ce qui tire du sommeil, bientôt du lit, tout à l'heure de chez vous, c'est une puissante coordination sociale.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 46


La salade manque de sel, et la salière n'est pas sur la table. Normalement, elle devrait être là. C'est comme ça que je l'ai remarquée, parce qu'elle n'était pas là, comme toujours. A l'écart, en attente. Disponible, sachant se faire oublier. Quand elle est là, personne ne la remarque jamais. Son rôle : juste être là. Au cas où. Si par hasard.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 49-50


Dans tous les cas, la salière est une chose à éclipses. Une intermittente. Elle assure seule la permanence, la continuité. Sa stabilité lui incombe, ce n'est pas votre problème. Tout ce que vous lui demandez, c'est d'être toujours en mesure de tenir son rôle. N'importe quand, à l'improviste. Samu de la saveur. Perpétuellement à disposition.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 50


Le vêtement garde une odeur de temps vécu. Vous n'avez pas en tête ce qu'il a fait ou partagé, mais il garde un air de famille avec tel moment passé.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 58


[Le cahier, c'] est l'un des principaux instruments de contrainte, contention et discipline ensemble, dans l'apprentissage des normes sociales relatives au maniement explicite et codé du symbolique.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 67


Billet de train]. Cette chose-signe incarne de l'usage social pur, à peine matérialisé par quelques signes à la surface du papier.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 103


[L'hiver], la campagne se rétrécit, recroquevillée, dépouillée de feuillages, rase et durcie. La montagne s'adonne au silence blanc, la ville se resserre et s'engrise. La mer, au contraire, même sous la brume, même dans le vent noir, garde une immuable réserve.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 134


Pour enfiler [des bottes en caoutchouc], il faut chaque fois surmonter ce moment où l'opération semble vouée à l'échec, le pied coincé, le coude caoutchouteux impossible à franchir. Finalement, en insistant assez ça se distend se décoince et le talon bute au fond. Chaque fois, l'étrange souplesse vient en premier, l'impression de n'avoir pas de chaussures, rien qu'une seconde peau épaisse, une coque mobile autour du pied. Légèreté chasseresse et allégresse kaki, sérénité de patauger dans les flaques boueuses et les reflux marins. Ça commence plutôt bien, et nécessairement ça tourne mal. Le caoutchouc ne protège pas du froid, la transpiration confinée s'y transforme en humidité stagnante, doublant au-dedans d'une moiteur glacée le froid venant du dehors. La peau se croyait protégée, elle se retrouve prisonnière, étouffée, blafarde, les bottes (…) se font sarcophages, mangent la chair, la putréfient presque, la laissent macérer, gonfler, blanchir.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 135


La pierre tombale est moins une chose qu'une fonction. Elle constitue toujours un dispositif sacré : marque, trace, écart, vide préservé, point de passage.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 142


La pierre tombale masque et désigne le cadavre. À ce titre, elle est chose suprême, avec une face plane et l'autre invisible. Une pleine, et l'autre creuse.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 142


Je ne pourrai jamais les écouter [les voix enregistrées sur mon répondeur] comme si j'étais là. De fait, je suis revenu. J'écoute les messages, vous voyez bien. Toutefois, de même que j'entends dans ces voix leur absence, je perçois, dans mon audition actuelle, mon absence d'avant. Quand ces voix parlent, je ne suis pas là. Quand je suis là, les écoutant, je persiste à ne pas y être entièrement, du fait même que les écouter me renvoie à mon absence.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 154-155


Le chariot [de supermarché] est la chose du désordre et de la confusion. Amoncellement, mélange, chaos. Certains le jouent géométrique, empilé parfait, Tétris impec, d'autres pêle-mêle bordel, chocolat sur jambon sur lessive sur poireaux sur liquide vaisselle. De toutes façon, ça juxtapose et chaotise.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 158


Je contemple avec pitié le carton coloré qui emballait les yaourts aux fruits. Absurde, cette pitié. Ou peut-être pas. Elle répond par l'absurde à l'absurde de l'existence du carton coloré emballant les yaourts aux fruits.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 163


N'importe quel voyage fait que les choses changent : matières, fonctions, emplacements, manières d'être. Petites différences, décalages infinitésimaux, qui font que l'on est ailleurs.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 178


(…) L'âme ? Ce n'est qu'un nom pour notre ignorance.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 179


Les choses destinées à la musique forment une tribu à part. Leur relation au corps est tout à fait singulière. Elles lui dictent leur loi, en même temps, elles attendent tout de lui.

(…)

Choses et corps donnent et reçoivent, se complètent, se maîtrisent réciproquement. Impossible de savoir qui joue de quoi, l'humain de la chose ou la chose de l'humain. Ils jouent l'un et l'autre et l'un de l'autre, en cela consiste le permanent miracle de la musique.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 190-191


Nous avons, nous autres singes ratés, depuis la nuit des temps, inventé et célébré, continûment, l'indispensable nécessité des choses inutiles à notre survie.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 196


Impossible de tout emporter. Impossible et inutile. Le choix est imposé par la valise, par ses limites. Exercice de style. Le plus de possibilités dans le moins d'espace. Concision, efficacité. Sobriété d'une vie ramenée à l'essentiel, temporairement. Juste ce qu'il faut. Avec un peu d'inutile, quand même, pour la beauté du geste. Au cas où. On ne sait jamais. Et si d'aventure. Pourquoi pas, si ça tient.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 206


Le téléviseur n'est pas comme tel instrument de domination, de contrainte ni de contrôle. Il fait en un sens beaucoup plus, et mieux : il provoque l'absence de soi-même à domicile. Vous croyez voir le monde entier dans votre salon ou votre chambre. C'est vous qui êtes parti.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 211


Peu de choses domestiques donnent autant à penser que l'aspirateur. C'est l'ami de tout ce qui est clair et distinct. Quand les miettes brouillent tout, que les floches estompent, Supervacuum restaure l'espace de la représentation.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 218


[Table : s]urface intermédiaire, qui décolle du sol et lui demeure liée, qui double le monde naturel d'un plan d'humanité. Ce monde deux est le lieu de l'étude, du travail, des affaires, le lieu des repas, des familles, de l'utilitaire comme du festif, des amis, des chevaliers de la table ronde, des banquets de l'Olympe, de la Cène du Christ, de la fin des aventures d'Astérix.
  • Dernières nouvelles des choses, Roger-Pol Droit, éd. Odile Jacob, 2003, p. 234