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Journal (André Gide)

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Journal (André Gide).

Le Journal d'André Gide a été rédigé de 1887 à 1950.

Ah ! que de rêves ; c'est ce qu'il y a de meilleur. Que d'élans, que d'enthousiasmes, quelle soif peut avoir un cœur, qui ne sait rien encore de la vie, et qui bondit d'impatience de s'y élancer.
Quelles aspirations d'idéal, quels tressaillements inquiets, quels frémissements de l'âme, elle bondit au-dedans de soi à croire qu'elle va s'échapper du corps ; elle a soif d'un dieu et le cherche partout, elle croit le toucher et se dépite de n'en trouver que le reflet dans les œuvres qu'il a inspirées, la nuit elle regarde si le ciel ne s'entrouvre point ; les sens jeunes et ardents ne la laissent pas se contenter d'une communion spirituelle ; ils veulent toucher, étreindre ce dieu qu'ils cherchent, et se croient leurrés quand ils le sentent se dérober à eux.


Je ne suis qu'un petit garçon qui s'amuse – doublé d'un pasteur protestant qui l'ennuie.


Que de fois l'amoureuse joie, précisément la plus charmante, ne me laissa-t-elle pas dans un délire de tous les sens, si exaspéré, si atroce, que, de longtemps encore, je ne relâchais point et surmenais ma frénésie, ne consentant point d'être quitte, de prendre congé de l'instant, mais insatiablement avide, et comme poursuivant à travers le plaisir quelque chose au-delà du plaisir.


Mais de tous ceux qui entourent un enfant, les parents sont les plus aveugles.


Je voudrais qu'il ne fût permis de se prononcer sur les questions sexuelles, qu'à ceux qui ont eu l'occasion d'élever et de surveiller des animaux. Peut-être enfin consentiraient-ils à comprendre que ne sont pas moins naturelles que d'autres, bien des difficultés, des déviations, des irrégularités qu'ils s'obstinent à considérer comme « contre nature » et anormales.


Je ne m'y méprends pas : Michel[1] m'aime non tant pour ce que je suis que pour ce que je lui permets d'être. Pourquoi demander mieux ? Jamais je n'ai pris plus de plaisir à vivre ; ni le goût de la vie ne m'a paru plus délicieux.


La pensée de la mort me poursuit avec une obstination singulière. À chaque geste que je fais, je calcule: combien de fois déjà? Je suppute: combien de fois encore? et je sens, plein de désespoir, se précipiter la révolution de l'année. C'est aussi qu'à mesurer qu'autour de moi l'eau se retire, ma soif augmente et que je me sens d'autant plus jeune qu'il me restera moins de temps pour le sentir.


Le plus grand bonheur, après que d'aimer, c'est de confesser son amour.


J'aime Madeleine de toute mon âme — l'amour que j'ai pour Marc ne lui a rien volé[2].


Attendu Marc le premier soir; en vain. Le lendemain 14 juillet, je me suis exténué tout le long du jour. Deux fois avec M.; trois fois seul ; une fois avec X.; puis seul encore deux fois[3].


Citation rapportée

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Le monde ne sera sauvé, s'il peut l'être, que par des insoumis. Sans eux, c'en est fait de notre civilisation, de notre culture, de ce que nous aimions et qui donnait à notre présence sur terre une justification secrète. Ils sont, ces insoumis, le « sel de la terre » et les responsables de Dieu.


Notes

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  1. Ce pseudonyme désigne Marc Allégret dont Gide est amoureux depuis mai 1917 environ (voir Journal, 5 mai 1917: « Merveilleuse plénitude de joie. » Et 19 mai 1917: « Je me retiens de parler de l'unique préoccupation de mon esprit et de ma chair … »), sans que celui-ci le sache. Dans les pages qui suivent, Gide se désigne lui-même sous le pseudonyme de Fabrice.
  2. Cette citation ne faisait pas partie de la première édition du Journal.
  3. Cette citation ne faisait pas partie de la première édition du Journal. Il s'agit de la première trace dans de la relation onaniste entre Marc Allégret et Gide, alors qu'ils séjournent ensemble à Cambridge du 20 juin à octobre 1918. “X” désigne sans doute un jeune garçon parent du Prof Dickinson, fellow du King's College (voir Les cahiers de la Petite Dame, Maria Van Rysselberghe, Gallimard, 1973-1977).

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