Toni Morrison
Apparence
Toni Morrison (1931-2019) est une écrivaine, professeure de littérature et éditrice américaine, lauréate du prix Nobel de littérature en 1993.
Citations
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Playing in the Dark, 1992
[modifier]Écrire et lire, pour un écrivain, ce n’est guère distinct. Chaque activité exige d’être vigilant et disponible à une beauté inattendue, à la complexité ou à la simple élégance de l’imagination de l’auteur, au monde évoqué par cette imagination. Chacune exige d’être attentif aux endroits où l’imagination se sabote elle-même, verrouille ses portails, pollue sa vision.
- Playing in the Dark : blancheur et imagination littéraire (1992), Toni Morrison (trad. Pierre Alien), éd. 10-18, 1995 (ISBN 2-264-02073-3), chap. Préface, p. 13
- Citation choisie pour le 14 janvier 2022.
Jazz, 1992
[modifier]Le soleil de biais coupe les immeubles en deux comme un rasoir. Dans la moitié du haut je vois des visages qui regardent, difficile de dire qui sont les gens, qui l'œuvre des maçons. En bas, c'est l'ombre où a lieu n'importe quel truc blasé : clarinette ou baise, des poings et les voix tristes des femmes. Une ville comme celle-là me fait rêver grand et sentir les choses. Au secours. C'est l'acier brillant qui se balance au-dessus de l'ombre qui fait ça. quand je regarde les rubans d'herbe verte le long du fleuve, les clochers des églises et les entrées cuivre et crème des immeubles résidentiels, je suis forte.
- Jazz (1992), Toni Morrison (trad. Pierre Alien), éd. Christian Bourgeois, 1993, p. 15
L'armistice avait huit ans l'hiver où Violette a dérangé les funérailles, et les anciens combattants de la Septième Avenue portent encore leurs capotes militaires, parce que rien de ce qu'ils peuvent se payer n'est aussi solide ou ne cache aussi bien ce dont ils s'étaient vantés en 1919. Huit ans plus tard, la veille des frasques de Violette, quand la neige arrive, elle reste là où elle tombe sur Lennox et aussi Park Avenue, et attend que les carrioles à chevaux la tassent en livrant du charbon aux chaudières qui refroidissent dans les caves. Dans ces gros immeubles de cinq étages et les étroites maisons en bois qui les séparent, les gens frappent aux portes pour savoir ce dont on a besoin ou qu'on peut donner.
- Jazz (1992), Toni Morrison (trad. Pierre Alien), éd. Christian Bourgeois, 1993, p. 18
Ça fait mal de respirer quand il fait aussi froid, mais malgré tous les problèmes d'être coincés par l'hiver dans la ville, ils le supportent parce que tout vaut d'être sur l'Avenue Lenox à l'abri des sales Blancs et des trucs qu'ils inventent ; là où les trottoirs, couverts de neige ou non, sont plus larges que les grandes rues des villes où ils sont nés et où des gens parfaitement ordinaires peuvent attendre à l'arrêt, monter dans le tramway, donner une pièce au conducteur et aller partout où ils veulent, même si on n'a pas envie d'aller si loin parce que tout ce qu'on veut est sur place : l'église, la boutique, la fête, les femmes, les hommes, la boîte à lettres (mais pas de lycée), le marchand de meubles, le vendeur de journaux ambulant, les bistrots clandestins (mais pas de banque), les instituts de beauté, les coiffeurs, les bars à juke-box, les voitures à glace, les chiffonniers, les salles de billard, les marchés couverts, les vendeurs de la loterie, et tous les clubs, organisations, syndicats, sociétés, fraternités, sororités ou associations imaginables. Les ornières de ces services, bien sûr, sont usées et des pistes sont lissées par les membres d'un groupe dans le territoire d'un autre où on croit qu'il y a quelque chose de curieux ou d'excitant. Un truc brillant, crépitant, effrayant. Là où on peut faire sauter le bouchon et porter la bouche glacée du verre à la sienne. Où on peut trouver le danger ou le devenir ; où on peut se battre jusqu'à tomber et sourire au couteau quand il vous rate ou non. Juste voir ça, c'est merveilleux. Et c'est tour aussi merveilleux de savoir que dans son propre immeuble il y a des listes faites par les épouses pour envoyer le mari au marché couvert, que des draps impossibles à étendre sous la neige sont tendus dans les cuisines comme les rideaux dans un sketch de patronage sur l'Abyssinie.
- Jazz (1992), Toni Morrison (trad. Pierre Alien), éd. Christian Bourgeois, 1993, p. 18-19
Paradise, 1997
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Ils tuent la jeune Blanche d’abord. Avec les autres, ils peuvent prendre leur temps.
- Paradis (1997), Toni Morrison (trad. Jean Guilloineau), éd. 10-18, 1999 (ISBN 2-264-02551-4), chap. Ruby, p. 11
Home, 2012
[modifier]Ils se sont dressés comme des hommes. On les a vus. Comme des hommes ils se sont mis debout.
- Home, Toni Morrison (trad. Christiane Laferrière), éd. Christian Bourgeois, 2012 (ISBN 978-2-267-02383-1), chap. 1, p. 11
The Origin of Others, 2017
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La race a été un critère constant de différenciation, tout comme la richesse, la classe sociale et le genre, donc chacun est affaire de pouvoir et de nécessité de contrôle.
- L’origine des autres (2017), Toni Morrison (trad. Christiane Laferrière), éd. Christian Bourgois, 2018 (ISBN 978-2-267-03069-3), chap. Embellir l’esclavage, p. 16-17
Comment devient-on raciste, sexiste ? Puisque personne ne naît raciste et qu’il n’existe pas de prédisposition fœtale au sexisme, on apprend à fabriquer l’Autre non par des conférences ou par une instruction, mais par l’exemple.
- L’origine des autres (2017), Toni Morrison (trad. Christiane Laferrière), éd. Christian Bourgois, 2018 (ISBN 978-2-267-03069-3), chap. Embellir l’esclavage, p. 18
Les ressources dont nous disposons pour accéder en toute bienveillance les uns aux autres, pour franchir d’un bond le seul air bleu qui nous sépare, sont peu nombreuses, mais puissantes : le langage, l’image et l’expérience, qui peut inclure les deux premiers, l’un d’eux ou bien ni l’un ni l’autre.
- L’origine des autres (2017), Toni Morrison (trad. Christiane Laferrière), éd. Christian Bourgois, 2018 (ISBN 978-2-267-03069-3), chap. Être ou devenir étranger, p. 38
The Source of Self-Regard, 2019
[modifier]La vie et l’œuvre d’un écrivain ne sont pas un don fait à l’humanité : ils sont sa condition nécessaire.
- La Source de l’amour-propre : essais choisis, discours et médiations (2019), Toni Morrison (trad. Christiane Laferrière), éd. 10-18, 2021 (ISBN 978-2-264-07793-6), chap. Péril, p. 10
- Citation choisie pour le 8 novembre 2021.
Nous mourons. C’est peut-être le sens de la vie. Mais nous faisons la langue. C’est peut-être la mesure de notre vie.
- (en) We die. That may be the meaning of life. But we do language. That may be the measure of our lives.
- Discours de réception du prix Nobel, 7 décembre 1993 [lire en ligne].
- La Source de l’amour-propre : essais choisis, discours et médiations, Toni Morrison (trad. Christiane Laferrière), éd. Christian Bourgois, 2019 (ISBN 978-2-267-03175-1), chap. Discours de Stockholm, p. 140
- Citation choisie pour le 15 octobre 2021.
La passion ne suffit jamais; le savoir non plus. Mais essaye. Par égard pour nous et pour toi-même, oublie ton nom dans la rue, dis-nous ce que le monde était pour toi dans les endroits sombres et dans la lumière. Ne nous dis pas que croire, que craindre. Montre-nous l’ample jupe de la croyance et la couture qui défait la coiffe de la peur. Toi, veille femme, qui as la chance d’être aveugle, tu sais parler la langue qui nous dit ce que seule la langue peut dire : comment voir sans images. Seule la langue nous protège de la nature effroyable des choses sans nom. Seule la langue est méditation.
- Discours de réception du prix Nobel, 7 décembre 1993 [lire en ligne].
- La Source de l’amour-propre : essais choisis, discours et médiations, Toni Morrison (trad. Christiane Laferrière), éd. Christian Bourgois, 2019 (ISBN 978-2-267-03175-1), chap. Discours de Stockholm, p. 142-143
À présent, je découvre que, en ta compagnie, c’est moi-même que je connais. Voilà le don stupéfiant de ta vie et de ton amitié : c’est nous-mêmes que tu nous as donnés à méditer, à chérir.
- La Source de l’amour-propre : essais choisis, discours et médiations (2019), Toni Morrison (trad. Christiane Laferrière), éd. 10-18, 2021 (ISBN 978-2-264-07793-6), chap. Éloge funèbre de James Baldwin, p. 359
Tu m’as offert la langue dans laquelle résider : cadeau si parfait qu’il semble être ma propre invention. Je pense tes pensées, parlées ou écrites, depuis si longtemps que je les croyais miennes. Je vois le monde à travers ton regard depuis si longtemps que je croyais que cette vision limpide, si limpide, était ma propre vision. Même maintenant, même ici, j’ai besoin que tu me dises ce que j’éprouve et comment l’exprimer.
- La Source de l’amour-propre : essais choisis, discours et médiations (2019), Toni Morrison (trad. Christiane Laferrière), éd. 10-18, 2021 (ISBN 978-2-264-07793-6), chap. Éloge funèbre de James Baldwin, p. 360
« Notre couronne, as-tu dit, a déjà été achetée et payée. Tout ce que nous avons à faire, c’est la porter. » Et nous la portons, Jimmy. C’est toi qui nous as couronnés.
- La Source de l’amour-propre : essais choisis, discours et médiations (2019), Toni Morrison (trad. Christiane Laferrière), éd. 10-18, 2021 (ISBN 978-2-264-07793-6), chap. Éloge funèbre de James Baldwin, p. 364
L’encre invisible est ce qui réside sous, entre et hors les lignes, et reste caché jusqu’à ce que le bon lecteur le découvre. Par « bon » lecteur, je sous-entends que certains livres ne sont à l’évidence pas fait pour tous les lecteurs. Il est possible d’admirer Proust sans pour autant se retrouver impliqué d’un point de vue intellectuel ou affectif. Même un lecteur qui aime le livre peut ne pas être celui qui l’aime le mieux ou comme il faut. Le lecteur « fait pour » le livre est celui qui est en harmonie avec l’encre invisible.
- « Encre invisible ». Conférence, Université de Princeton, 11 mars 2011.
- La Source de l’amour-propre : essais choisis, discours et médiations, Toni Morrison (trad. Christiane Laferrière), éd. Christian Bourgois, 2019 (ISBN 978-2-267-03175-1), chap. Encre invisible. Lire l’écriture et écrire la lecture, p. 415
Retirer les métaphores et les comparaisons est tout aussi important que de les choisir. Des phrases majeures peuvent être écrites afin de contenir des informations enfouies qui complètent, envahissent ou manipulent la lecture. Le non-écrit est tout aussi révélateur que l’écrit. Lorsqu’elle sont comblées par le « bon » lecteur, les lacunes volontaires, et délibérément trompeuses, produisent le texte dans son intégralité et atteste de son existance vivante.
- « Encre invisible ». Conférence, Université de Princeton, 11 mars 2011.
- La Source de l’amour-propre : essais choisis, discours et médiations, Toni Morrison (trad. Christiane Laferrière), éd. Christian Bourgois, 2019 (ISBN 978-2-267-03175-1), chap. Encre invisible. Lire l’écriture et écrire la lecture, p. 416
Écrire la lecture implique de séduire : d’amener par ruse le lecteur à pénétrer dans des environnements situés hors des pages. De disqualifier la notion de texte stable au profit de celle d’un texte dépendant d’un lecteur actif et activé, qui écrit la lecture… dans l’encre invisible.
- « Encre invisible ». Conférence, Université de Princeton, 11 mars 2011.
- La Source de l’amour-propre : essais choisis, discours et médiations, Toni Morrison (trad. Christiane Laferrière), éd. Christian Bourgois, 2019 (ISBN 978-2-267-03175-1), chap. Encre invisible. Lire l’écriture et écrire la lecture, p. 418
Autres citations
[modifier] Serai-je autorisée, enfin, à écrire sur des Noirs sans avoir à dire qu'ils sont noirs, comme les Blancs écrivent sur les Blancs ?
- « Morrison, la guerrière », Josyane Savigneau, Le Monde, 29 mai 1998, p. I, Le Monde des livres (lire en ligne)
Je n'ai jamais vu la vie avec les yeux d'un blanc.
- Réponse à la question « Ce type de situations ne vous faisait pas enrager ? » à propos de l'ostracisation des noirs.
- « Toni Morrison n'a pas dit ses derniers maux », Benjamin Locoge, Paris Match (ISSN 0397-1635), nº 3302, du 30 août au 5 septembre 2012, p. 9 à 11 (lire en ligne)
Je ne pleurais jamais. Jusqu'à la mort de mon fils.
- Réponse à la remarque « Vous avez dit que vous étiez une femme qui ne pleurait jamais… ».
- « Toni Morrison n'a pas dit ses derniers maux », Benjamin Locoge, Paris Match (ISSN 0397-1635), nº 3302, du 30 août au 5 septembre 2012, p. 9 à 11 (lire en ligne)