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Aimé Césaire

Une page de Wikiquote, le recueil des citations libres.
(Redirigé depuis Discours sur le colonialisme)
Aimé Césaire (2003).

Aimé Fernand David Césaire (né à Basse-Pointe, Martinique, le 26 juin 1913, mort le 17 avril 2008 à Fort-de-France, Martinique), était un poète et homme politique français. Son œuvre a été marquée par la défense de ses racines africaines.

Partir. Mon cœur bruissait de générosités emphatiques. Partir... j'arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J'ai longtemps

erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies. »


Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui

s'affaissent au cachot du désespoir.


Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car

un homme qui crie n'est pas un ours qui danse...


Ce qui est à moi
c'est un homme seul emprisonné de
blanc
c'est un homme seul qui défie les cris
blancs de la mort blanche
(TOUSSAINT, TOUSSAINT
LOUVERTURE)
c'est un homme qui fascine l'éper-
vier blanc de la mort blanche
c'est un homme seul dans la mer infé-
conde de sable blanc


Nous vomissure de négrier
Nous vénerie des Calebars
quoi ? Se boucher les oreilles ?
Nous, soûlés à crever de roulis, de risées, de brume humée !


C'était un nègre dégingandé sans rythme ni mesure.
Un nègre dont les yeux roulaient une lassitude sanguinolente.
Un nègre sans pudeur et ses orteils ricanaient de façon assez puante au fond de la tanière entrebâillée de ses souliers.
La misère, on ne pouvait pas dire, s'était donné un mal fou pour l'achever.


Un nègre comique et laid et des femmes derrière moi ricanaient en le regardant.
    Il était COMIQUE ET LAID,
    COMIQUE ET LAID pour sûr.
    J'arborai un grand sourire complice...
    Ma lâcheté retrouvée !


Et la voix prononce que l'Europe nous a pendant des siècles gavés de mensonges et gonflés de pestilences,
car il n'est point vrai que l'œuvre de l'homme est finie
que nous n'avons rien à faire au monde
que nous parasitons le monde
qu'il suffit que nous nous mettions au pas du monde
mais l'œuvre de l'homme vient seulement de commencer
et il reste à l'homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur
et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l'intelligence et de la force


    Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.
    Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.
    Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde.


La colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral [...] Au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et "interrogés", de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l'Europe, et le progrès, lent, mais sûr, de l'ensauvagement du continent.


Oui, il vaudrait la peine d'étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d'Hitler et de l'hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle qu'il porte en lui un Hitler qui s'ignore, qu'Hitler l'habite, qu'Hitler est son démon, que s'il vitupère, c'est par manque de logique, et qu'au fond, ce qu'il ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce n'est pas l'humiliation de l'homme en soi, c'est le crime contre l'homme blanc, et d'avoir appliqué à l'Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les Arabes d'Algérie, les coolies de l'Inde et les nègres d'Afrique.


Colonisation : tête de pont dans une civilisation de la barbarie d'où, à n'importe quel moment, peut déboucher la négation pure et simple de la civilisation.


La colonisation, je le répète, déshumaniste l'homme même le plus civilisé ; [...] l'action coloniale, l'entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l'homme indigène et justifiée par ce mépris, tend inévitablement à modifier celui qui l'entreprend ; [...] le colonisateur, qui, pour se donner bonne conscience, s'habitue à voir dans l'autre la bête, s'entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête.


Entre colonisateur et colonisé, il n'y a de place que pour la corvée, l'intimidation, la pression, la police, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies. [...] J'entends la tempête. On me parle de progrès, de "réalisations", de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d'eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, des cultures piétinées, d'institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d'extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer. Moi, je parle de milliers d'hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l'heure où j'écris, sont en train de creuser à la main le port d'Abidjan. Je parle de millions d'hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à la sagesse. Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme. On m'en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d'hectares d'oliviers ou de vignes plantés. Moi, je parle d'économies naturelles, d'économies harmonieuses et viables, d'économies à la mesure de l'homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières.


Et alors, me dira-t-on, le vrai problème est de revenir [aux vieilles civilisations nègres]. Non, je le répète. Nous ne sommes pas les hommes du « ou ceci ou cela ». pour nous, le problème n'est pas d'une utopique et stérile tentative de réduplication, mais d'un dépassement. Ce n'est pas une société morte que nous voulons faire revivre. Nous laissons cela aux amateurs d'exotisme. Ce n'est pas davantage la société coloniale actuelle que nous voulons prolonger, la plus carne qui ait jamais pourri sous le soleil. C'est une société nouvelle qu'il nous faut, avec l'aide de tous nos frères esclaves, créer, riche de toute la puissance productive moderne, chaude de toute la fraternité antique.


Car enfin, il faut en prendre son parti et se dire une fois pour toutes, que la bourgeoisie est condamnée à être chaque jour plus hargneuse, plus ouvertement féroce, plus dénuée de pudeur, plus sommairement barbare; que c'est une loi implacable que toute classe décadente se voit transformée en réceptacle où affluent toutes les eaux sales de l'histoire ; que c'est une loi universelle que toute classe, avant de disparaître, doit préalablement se déshonorer complètement, omnilatéralement, et que c'est la tête enfouie sous le fumier que les sociétés moribondes poussent leur chant du cygne.


  Les moralistes n'y peuvent rien.
  La bourgeoisie, en tant que classe, est condamnée, qu'on le veuille ou non, à prendre en charge toute la barbarie de l'histoire, les tortures du Moyen-Âge comme l'inquisition, la raison d'État comme le bellicisme, le racisme comme l'esclavagisme, bref, tout ce contre quoi elle a protesté et en termes inoubliables, du temps que, classe à l'attaque, elle incarnait le progrès humain.
  Les moralistes n'y peuvent rien. Il y a une loi de déshumanisation progressive en vertu de quoi désormais, à l'ordre du jour de la bourgeoisie, il n'y a, il ne peut y avoir maintenance que la violence, la corruption et la barbarie.


Ce qui, en net, veut dire que le salut de l'Europe n'est pas l'affaire d'une révolution dans les méthodes ; que c'est l'affaire de la Révolution ; celle qui, à l'étroite tyrannie d'une bourgeoisie déshumanisée, substituera, en attendant la société sans classes, la prépondérance de la seule classe qui ait encore mission universelle, car dans sa chair elle souffre de tous les maux de l'histoire, de tous les maux universels : le prolétariat.


Je veux parler ici de ce système de pensée ou plutôt de l'instinctive tendance d'une civilisation éminente et prestigieuse à abuser de son prestige même pour faire le vide autour d'elle en ramenant abusivement la notion d'universel, chère à Léopold Sédar Senghor, à ses propres dimensions, autrement dit, à penser l'universel à partir de ses seuls postulats et à travers ses catégories propres.
  • « Discours sur la Négritude » (1987), dans Discours sur le Colonialisme, Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1989  (ISBN 2-7087-0531-8), p. 84-85
Ce n'est pas une société morte que nous voulons faire revivre. C'est une société nouvelle qu'il nous faut créer...riche de toute la puissance productive moderne, chaude de toute la fraternité antique.


Je me souviens encore de mon ahurissement lorsque, pour la première fois au Québec, j'ai vu à une vitrine de librairie un livre dont le titre était Nous autres nègres blancs d'Amérique.
  • Discours prononcé le 26 février 1987 lors de la conférence hémisphérique organisée par l'université internationale de Floride à Miami
  • Le discours sur le négritude : Négritude, Ethnicity et Cultures Afro Aux Amériques (1987), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 2004  (ISBN 2-7087-0531-8), p. 81


Pétion : À vouloir scruter le lait de trop près, on finit par y découvrir des poils noirs !
  • La Tragédie du roi Christophe (1963), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1970  (ISBN 2-7087-0130-4), acte I, scène 1, p. 19


Christophe : Lorsque vous enseignez à un macaque à jeter des pierres, il arrive à l’élève d’en ramasser une et vous casser la tête !
  • La Tragédie du roi Christophe (1963), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1970  (ISBN 2-7087-0130-4), acte I, scène 1, p. 22


Madame Christophe : À vouloir poser la toiture d’une case sur une autre case, elle tombe dedans ou se trouve grande !
  • La Tragédie du roi Christophe (1963), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1970  (ISBN 2-7087-0130-4), acte I, scène 7, p. 58


Intermède : Le vrai de vrai n’est pas d’aller comme de savoir par où aller.
  • La Tragédie du roi Christophe (1963), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1970  (ISBN 2-7087-0130-4), p. 67


Christophe : La liberté ne peut subsister sans le travail .
  • La Tragédie du roi Christophe (1963), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1970  (ISBN 2-7087-0130-4), acte II, scène 1, p. 76


Vastey : Et s’il était prouvé que, bien dépensé, l’argent du diable devient l’argent de Dieu ?
  • La Tragédie du roi Christophe (1963), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1970  (ISBN 2-7087-0130-4), acte II, scène 2, p. 81


Christophe : Qui se sent morveux se mouche.
  • La Tragédie du roi Christophe (1963), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1970  (ISBN 2-7087-0130-4), acte II, scène 3, p. 86


Christophe : Quand on l’a commencée, on n’abandonne pas la tâche ? Même pour aller embrasser sa vieille mère…
  • La Tragédie du roi Christophe (1963), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1970  (ISBN 2-7087-0130-4), acte II, scène 3, p. 88


Hugonin : À chacun sa chacune, à chacune son chacun… et réciproquement.
  • La Tragédie du roi Christophe (1963), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1970  (ISBN 2-7087-0130-4), acte II, scène 4, p. 89


Hugonin : À chaque pied sa pointure…
  • La Tragédie du roi Christophe (1963), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1970  (ISBN 2-7087-0130-4), acte II, scène 4, p. 90


Christophe : À tout péché miséricorde !
  • La tragédie du roi christophe (1963), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1970  (ISBN 2-7087-0130-4), acte II, scène 5, p. 91


Porte-parole des paysans : Une pirogue tient la mer, mais n’est pas toujours sur une mer démontée. Un ceiba tient au vent, mais n’est pas toujours à se colleter avec le vent.
  • La tragédie du roi christophe (1963), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1970  (ISBN 2-7087-0130-4), acte II, scène 6, p. 96


Christophe : Toutes feuilles en dents de scie rassemblées autour du cœur de l’ananas résiste.
  • La Tragédie du roi Christophe (1963), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1970  (ISBN 2-7087-0130-4), acte II, scène 8, p. 106


Christophe : So yé djé agonglo.
  • La Tragédie du roi Christophe (1963), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1970  (ISBN 2-7087-0130-4), acte II, scène 8, p. 107


 
Mobutu : Le temps que j'annonce est le temps du sang rouge,
la liberté est pour demain.


La revendication : Les voitures, c'est pour les ministres et les députés. Les femmes, c'est pour les députés et les ministres. Le père Noël, c'est pour les nègres à monocle. Que le père Noël soit pour tous ! Voilà comme nous l'entendons, nous, l'indépendance du Congo !


Mobutu à ces ministres : tous les révolutionnaires sont des naïfs : ils ont confiance en l'homme ! (il rit) Quelle tare !
  • Une saison au Congo (1966), Aimé Césaire, éd. Seuil, coll. « Théâtre », 1966  (ISBN 2-02-001321-5), acte III, scène 7, p. 130


Moi, laminaire…, 1982

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La justice écoute aux portes de la beauté.


Il faut savoir traverser toute l'épaisseur du sang
avec trois voyelles de fraîche eau
anxieusement renouvelée par l'oriflamme
toujours à reconsidérer d'une chaîne à briser


j'ai eu je garde j'ai
            le libre choix de mes ennemis


Interviews

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Ce n'est pas nous qui avons inventé la négritude, elle a été inventée par tous ces écrivains de la Negro Renaissance que nous lisions en France dans les années 1930.
  • Figures de la révolution africaine, Aimé Césaire, propos cités par Saïd Bouamama, éd. La Découverte, 2014, p. 82


Nous avons publié, par exemple, des articles sur la traite des noirs. [...] Comme, dans ces pays, classe et race se confondent - les prolétaires, c'est les nègres et l'oppresseur, c'est les blancs -, inévitablement, on décrivait un malaise social. C'était révolutionnaire. Le fait simplement d'affirmer qu'on est nègre, comme je l'affirmais, était un postulat révolutionnaire.


Le mouvement de la négritude est un mouvement qui affirme la solidarité des noirs que j'appelais de la Diaspora avec le monde africain. Vous savez, on n'est pas impunément noir, et que l'on soit français - de culture française - ou que l'on soit de culture américaine, il y a un fait essentiel : à savoir que l'on est noir, et que cela compte. Voilà la négritude.


Divers

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On aurait peine à s’imaginer ce qu’à pu être pour les Nègres des Antilles la terrible époque qui va du début du XVIIe siècle à la moitié du XIXe siècle, si depuis quelque temps, l’histoire ne s’était chargée de fournir quelques bases de comparaison. Que l’on se représente Auschwitz et Dachau, Ravensbrück et Matthausen, mais le tout à l’échelle immense, celle des siècles, celle des continents, l’Amérique transformée en "univers concentrationnaire", la tenue rayée imposée à toute une race, la parole donnée souverainement aux kapos et à la schlague, une plainte lugubre sillonnant l’Atlantique, des tas de cadavres à chaque halte dans le désert ou dans la forêt et les petits bourgeois d’Espagne, d’Angleterre, de France, de Hollande, innocents Himmlers du système, amassant de tout cela le hideux magot, le capital criminel qui fera d’eux des chefs d’industrie. Qu’on imagine tout cela et tous les crachats de l’histoire et toutes les humiliations et tous les sadismes et qu’on les additionne et qu’on les multiplie et on comprendra que l’Allemagne nazie n’a fait qu’appliquer en petit à l’Europe ce que l’Europe occidentale a appliqué pendant des siècles aux races qui eurent l’audace ou la maladresse de se trouver sur son chemin. L’admirable est que le nègre ait tenu !
  • Esclavage et colonisation (1948), Victor Schoelcher, éd. PUF, 1948, Introduction par Aimé Césaire, p. 17-18


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