Fred Vargas est une archéologue et femme de lettres française née le 7 juin 1957 à Paris, spécialiste du policier « décalé ». Son premier roman, Les jeux de l'amour et de la mort, obtient le Prix du Festival de Cognac en 1986. Depuis, elle a écrit plus d'une dizaine de romans dont la plupart ont été également primés.
Les Jeux de l'amour et de la mort
Les idées c'est comme tout, on les retourne, on les use, et puis elles se trouent et c'est très triste si tu n'as pas moyen d'en changer.
Tu n'as pas d'yeux c'est tout. C'est pour tout le monde pareil. On est tellement persuadé d'en avoir qu'on ne songe pas à s'en servir.
Les Jeux de l'amour et de la mort, Fred Vargas, éd. Le Masque, 1986, p. 123
Ceux qui vont mourir te saluent
Richard Valence avait de l'aversion pour les bibliothèques, parce qu'il fallait s'y abstenir de tout, de faire du bruit avec ses paroles, de fumer, de remuer, de soupirer, bref de faire du bruit avec sa vie. Il y avait des gens qui disaient que ces contraintes du corps favorisent la pensée. Chez lui, elles la détruisaient instantanément.
Pour quoi faire, écrire? Pour séduire? C'est ça? Pour séduire les inconnus, comme si les connus ne te suffisaient pas? Pour t'imaginer rassembler la quintessence du monde en quelques pages? Quelle quintessence à la fin? Quelle émotion du monde? Quoi dire? Même l'histoire de la vieille musaraigne n'est pas intéressante à dire. Écrire, c'est rater.
Un maniaque, ça règle son univers au millimètre près. Sinon ce n'est pas la peine d'avoir une manie. Une manie, c'est fait pour organiser le monde, pour le contraindre, pour posséder l'impossible, pour s'en protéger.
L'Homme aux cercles bleus, Fred Vargas, éd. J’ai Lu, 2002, p. 208
Debout les morts
On a quand même autre chose à faire dans la vie que de mâchonner ses déceptions. Vous vous rendez compte? Si tous les largués du monde mâchonnaient leur truc pour ce venger, la terre serait un vrai champ de bataille. Un désert... Pas vrai?
Mon ami, dit Lucien sans lever la tête et en suivant du doigt une des colonnes de l'annuaire, «la quête des paroxysmes oblige à se confronter à l'essentiel qui est ordinairement caché».
Marc, qui n'était pas de mauvaise foi, réfléchit sérieusement à cette phrase. Elle l'ébranla. Il se demanda dans quelle mesure sa tendance à travailler sur l'ordinaire médiéval plutôt que sur ses secousses paroxysmiques pouvait l'éloigner de l'essentiel caché. Il avait toujours pensé jusqu'ici que les petites choses ne se révélaient bien que dans les grandes et les grandes dans les petites, dans l'Histoire comme dans la vie.
[...]l’histoire de la main gauche et de la main droite. Main gauche, annonçait Louis en levant les bras et en étendant les doigts, imparfaite, malhabile, hésitante, et donc productrice salutaire du cafouillis et du doute. Main droite, assurée, ferme, détentrice du savoir-faire, conductrice du génie humain. Avec elle, la maîtrise, la méthode et la logique. [...] Que tu penches un peu trop vers ta main droite, deux pas de plus, et c’est la bascule tragique dans la perfection, dans l’impeccable, et puis dans l’infaillible et l’impitoyable. Tu n’es plus alors qu’une moitié d’homme qui marche penché à l’extrême sur ta droite, inconscient de le haute valeur du cafouillis, cruel imbécile fermé aux vertus du doute ; ça peut venir plus sournoisement que tu ne te le figures, te crois pas à l’abri, faut se surveiller, t’as deux mains, c’est pas fait pour les chiens.
Paquelin était loin d’être un imbécile, d’ailleurs, c’est souvent là-dessus qu’on bute. Dieu [...] avait réservé une part équitable d’intelligence aux salauds, comme quoi Dieu, on pouvait sérieusement se poser des questions.
Un peu plus loin sur la droite, Fred Vargas, éd. J’ai Lu, 2000, p. 29
Tous les artistes sont cinglés. Artistes suants dans la peinture; le moyen age, la sculpture, la criminologie, tous cinglés,....
Un peu plus loin sur la droite, Fred Vargas, éd. J’ai Lu, 2000, p. 65
Les hommes passaient beaucoup de temps à essayer de se piquer le Rhin, ils l’avaient même coupé en deux. Couper de l’eau, il n’y a que les hommes pour inventer une foutaise pareille.
Un peu plus loin sur la droite, Fred Vargas, éd. J’ai Lu, 2000, p. 104
Erreur monumentale, avait répondu Lucien, la Grande Guerre est un goufre, un trou noir de l'humanité, une secousse sismique ou git la clef des catastrophes. L'histoire n'est pas faite pour rassurer l'homme, mais pour l'alerter.
Un peu plus loin sur la droite, Fred Vargas, éd. J’ai Lu, 2000, p. 120
Sans feu ni lieu
C'est plus difficile qu'on ne se l'imagine de se tenir à l'écart quand on a des fichiers. Ils te harcèlent. Ils hurlent leurs mémoire à tes oreilles. Au lieu que l'évènement passe à tes côtés, il vient faire de l'écho au cœur de tes armoires. Et ça fait un tel vacarme que tu ne peux plus dormir en paix, voilà tout.
Il n'y a pas de vraie liberté sans risque, dis Lucien d'un air négligent. Toi, l'historien, tu devrais savoir çà.
Sans feu ni lieu, Fred Vargas, éd. J'ai lu, 2002, p. 151
L'homme à l'envers
On naît où on naît. Mais tâche de ne pas renier tes vieux, c'est un truc à te foutre dans la merde. C'est renier qui n'est pas bon. Renier, dénier, cracher, c'est pour les aigris, les fortiches, les types qui veulent croire qu'ils se sont faits tout seuls et personne avant eux. Les cons quoi.
Les paysages à vous couper le soufle sont très gênants pour la pensée. On est obligé de s'occuper d'eux, on n'ose pas s'asseoir dessus sans un minimum d'égards.
L'homme à l'envers, Fred Vargas, éd. J’ai Lu, 2002, p. 159
L'hésitation est le luxe des sages.......L'audace est le luxe des esprits forts.
L'homme à l'envers, Fred Vargas, éd. J’ai Lu, 2002, p. 187
Le téléphone était conçu pour la conversation de gros et de demi-gros, en aucun cas pour le détail.
L'homme à l'envers, Fred Vargas, éd. J’ai Lu, 2002, p. 195
Les Quatre Fleuves
Je tutoie toujours les grands principes. C'est un principe.
Les Quatre Fleuves, Fred Vargas et Edmond Baudoin, éd. Viviane Hamy, 2000, p. 214
Pars vite et reviens tard
S'il y a un produit qui ne se tarit pas sur cette terre, c'est les nouvelles, et s'il y a une soif qui ne s'étanche jamais, c'est la curiosité des hommes. Quand t'es crieur, tu donnes la tétée à toute l'humanité. T'es assuré de ne jamais manquer de lait et de ne jamais manquer de bouches.
-Moment donné, dit Sanscartier, on pourra plus pisser tranquillement dans la neige sans faire surgir un code-barres et trois hélicos de cops.
-Moment donné, répéta Adamsberg en écho, on aura même plus besoin d'intérroger les gars.
-Moment donné, on aura même plus besoin de les voir. D'entendre leur voix, de se demander si des fois. On se pointera sur la scène du crime, on prélèvera une vapeur de sueur, et le gars sera pogné à domicile avec une pince et livré dans une boite à sa mesure.
Si la beauté s'enfuit sitôt qu'on s'exaspère, quelle chance a-t-elle pour survivre en ce monde ? Et sur quoi fonder les critères stables de la beauté réelle ? Dans une forme hors tout ? Dans la jonction d'une forme et d'une idée ? Dans l'idée que suggère une forme ?
Coule la Seine, Fred Vargas, éd. J'ai lu, 2004, p. 33
Vous aviez pourtant les yeux d'un homme à piger que la sauvegarde des bricoles fonde l'éclosion des grandes choses. Entre le dérisoire et le grandiose, il n'y a même pas l'espace d'un ongle.
Coule la Seine, Fred Vargas, éd. J'ai lu, 2004, p. 88-89
Dans les bois éternels
...car scander la vie en vers de douze pieds introduisait une distance incomparable - à nulle autre pareille - entre lui-même et les fracas du monde.
Si seulement le monde pouvait ressembler aux rêves des vieilles mamans.
Dans les bois éternels, Fred Vargas, éd. Viviane Hamy, 2006, p. 39
Il n'y a que deux choses qui délassent vraiment. Rire, ou faire l'amour.
Dans les bois éternels, Fred Vargas, éd. Viviane Hamy, 2006, p. 122
La poésie, ça sert surtout à compliquer les choses, non ? Mais peut être qu'en les compliquant, on les comprend mieux. Et en les comprenant, on les simplifie. Au bout du compte.
Dans les bois éternels, Fred Vargas, éd. Viviane Hamy, 2006, p. 126
Les femmes se font toujours du mouron. C'est qu'elles aiment faire le travail à fond, comprends cela. Tandis que les gars, ça peut aller d'un côté et de l'autre, et puis bâcler, finir, ou tout laisser en plan. Au lieu qu'une femme, comprend cela, ça peut suivre sa même idée pendant des jours, des mois, et sans siffler une bière.
Dans les bois éternels, Fred Vargas, éd. Viviane Hamy, 2006, p. 429
Un lieu incertain
C'est là, dit il en cognant son front, gravé dans les neurones. Qui n'ont toujours pas compris que le bras était parti. Ça traverse les ans et l'entendement ne peut rien y faire.
Le pinard - car il n'y avait pas d'autres mots pour le désigner - coula dans son organisme en lui dessinant à l'acide tous les contours de son système digestif. Il le but jusqu'au bout, assez satisfait de cette brûlure, tant il est vrai qu'une légère souffrance fait ressentir la vie.
Un lieu incertain, Fred Vargas, éd. Viviane Hamy, 2008, p. 118
Mais parler et faire parler, on apprenait cela avant de savoir tirer. «La parole disait l'instructeur, est la plus mortelle des balles, si vous savez la loger en pleine tête.» Il ajoutait que c'était difficile de trouver le centre de la tête avec des mots, et que si l'on passait à côté, l'ennemi tirait aussitôt.
Un lieu incertain, Fred Vargas, éd. Viviane Hamy, 2008, p. 182
L'Armée furieuse
Flic ou enseignant, que feriez-vous ? L'enseignement est une vertu qui aigrit. Le flicage est un vice qui enorgueillit. Et comme il est plus facile d'abandonner une vertu qu'un vice, il n'a pas le choix.
- On dit que les Normands n'aiment pas beaucoup parler, hasarda Adamsberg qui se mit à marcher dans le sillage de la femme, qui exhalait une légère odeur de feu de bois.
- Ce n'est pas qu'ils n'aiment pas parler, c'est qu'ils n'aiment pas répondre. Ce n'est pas la même chose.
L'Armée furieuse, Fred Vargas, éd. Viviane Hamy, 2011, p. 71-72
Ici, c'est comme partout, il y a beaucoup de têtes creuses qui ont vite fait de se remplir de n'importe quoi, si possible du pire. C'est ce que tout le monde préfère, le pire. On s'ennuie tellement.
L'Armée furieuse, Fred Vargas, éd. Viviane Hamy, 2011, p. 76
Lui non plus [...] n'avait pas pu s'endormir, cherchant vainement un lieu calme pour déposer ses pensées, comme on tente de se mettre à l'abri du vent.
L'Armée furieuse, Fred Vargas, éd. Viviane Hamy, 2011, p. 321
Quand sort la recluse
Les êtres emplis d'une si haute idée d'eux-mêmes n'ont jamais envisagé de chuter un jour. Quand cela se produit, ces êtres se vident , effarés, impréparés, leur substance s'évapore dans la stupeur de l'échec. Pas de milieu, pas de nuance, pas d'anticipation. Ainsi sont ils.
Mais suppose qu'on cherche à voir par une autre face? Tu te souviens de l'escalade du pic du Balaïtous? Il y a des chemins où l'on tombe et d'autres par lesquels on accède.
Quand sort la recluse, Fred Vargas, éd. Flammarion, 2017, p. 98
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