Elena Botchorichvili

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Elena Botchorichvili (2016).

Elena Botchorichvili est une romancière québécoise de langue russe et d'origine géorgienne née en URSS. Elle est l'autrice de plusieurs courts romans — dits sténographiques — ayant pour thème l'ex-Union soviétique. Son cinquième roman, La Tête de mon père (2011), prend la forme d'une longue lettre qu'un père écrit à son fils, lettre dans laquelle il raconte les années vécues sous le régime communiste géorgien. Elena Botchorichvili vit à Montréal, au Canada.

La Tête de mon père (2011)[modifier]

Ici, au Canada, j'ai acheté à une vieille Ukrainienne la Grande Encyclopédie soviétique — cinquante et un volumes dont la publication commença à l'époque de Staline et fut achevée après sa mort, sous Khrouchtchev. Elle est remplie de feuilles volantes qui portent le même numéro qu'une autre page. On rédigeait un article sur un personnage quelconque, on le vérifiait, on donnait son accord, on signait le bon à tirer […] Et soudain, l'individu en question était arrêté, il était fusillé ! Un ennemi du peuple ! On composait alors un double de la page. On supprimait l'article, on jetait le portrait, on rédigeait un nouvel article sur un sujet différent et on insérait un autre portrait. On vérifiait, on donnait son accord, on signait le bon à tirer. Le souscripteur recevait cette nouvelle page avec son mode d'emploi : il devait arracher et détruire l'ancienne, puis insérer la nouvelle à sa place.
  • Ta tête de mon père, Elena Botchorichvili (trad. Bernard Kreise), éd. Boréal, 2011, p. 11


Je voudrais expliquer pourquoi nous nous débrouillions tous pour être heureux en vivant dans la grisaille de l'Union soviétique. Nous étions unis, nous étions tous comme un seul homme. On nous avait privés du passé et on nous détournait du présent en nous faisant rêver à l'avenir. Nous étions égaux, en ce sens que quelqu'un décidait pour nous, à notre place […] Nous avions la certitude absolue que l'avenir ne dépendait pas de nous, de nous personnellement, bien qu'il fût le nôtre […] Un sentiment d'unité et d'égalité face à notre avenir, un sentiment de désolation et d'impasse nous unissait […] Comme devant la mort, comme une dernière fois, comme une séparation à jamais, comme des seins nus sur toute la surface d'un écran, les mêmes pour tout le monde.
  • La Tête de mon père, Elena Botchorichvili (trad. Bernard Kreise), éd. Boréal, 2011, p. 25-26


Maintenant, bien des années après, la haine et l'amour de l'Union soviétique vivent en moi de façon simultanée. J'ai vécu la mort du pays où je suis né comme celle d'un être aimé qui a terriblement souffert. Et on voulait qu'il meure parce qu'on l'aimait.
  • La Tête de mon père, Elena Botchorichvili (trad. Bernard Kreise), éd. Boréal, 2011, p. 68