Les Apotres/I. Formation des croyances relatives à la résurrection

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Michel Lévy (p. 1-26).

CHAPITRE PREMIER.

FORMATION DES CROYANCES RELATIVES À LA RÉSURRECTION DE JÉSUS. — LES APPARITIONS DE JÉRUSALEM.


Jésus, quoique parlant sans cesse de résurrection, de nouvelle vie, n’avait jamais dit bien clairement qu’il ressusciterait en sa chair[1]. Les disciples, dans les premières heures qui suivirent sa mort, n’avaient à cet égard aucune espérance arrêtée. Les sentiments dont ils nous font la naïve confidence supposent même qu’ils croyaient tout fini. Ils pleurent et enterrent leur ami, sinon comme un mort vulgaire, du moins comme une personne dont la perte est irréparable[2] ; ils sont tristes et abattus ; l’espoir qu’ils avaient eu de le voir réaliser le salut d’Israël est convaincu de vanité ; on dirait des hommes qui ont perdu une grande et chère illusion.

Mais l’enthousiasme et l’amour ne connaissent pas les situations sans issue. Ils se jouent de l’impossible, et, plutôt que d’abdiquer l’espérance, ils font violence à toute réalité. Plusieurs paroles qu’on se rappelait du maître, celles surtout par lesquelles il avait prédit son futur avènement, pouvaient être interprétées en ce sens qu’il sortirait du tombeau[3]. Une telle croyance était d’ailleurs si naturelle, que la foi des disciples aurait suffi pour la créer de toutes pièces. Les grands prophètes Hénoch et Élie n’avaient pas goûté la mort. On commençait même à croire que les patriarches et les hommes de premier ordre dans l’ancienne loi n’étaient pas réellement morts, et que leurs corps étaient dans leurs sépulcres à Hébron, vivants et animés[4]. Il devait arriver pour Jésus ce qui arrive pour tous les hommes qui ont captivé l’attention de leurs semblables. Le monde, habitué à leur attribuer des vertus surhumaines, ne peut admettre qu’ils aient subi la loi injuste, révoltante, inique, du trépas commun. Au moment où Mahomet expira, Omar sortit de la tente le sabre à la main, et déclara qu’il abattrait la tête de quiconque oserait dire que le prophète n’était plus[5]. La mort est chose si absurde quand elle frappe l’homme de génie ou l’homme d’un grand cœur, que le peuple ne croit pas à la possibilité d’une telle erreur de la nature. Les héros ne meurent pas. La vraie existence n’est-elle pas celle qui se continue pour nous au cœur de ceux qui nous aiment ? Ce maître adoré avait rempli, durant des années, le petit monde qui se pressait autour de lui de joie et d’espérance ; consentirait-on à le laisser pourrir au tombeau ? Non ; il avait trop vécu dans ceux qui l’entourèrent pour qu’on n’affirmât pas, après sa mort, qu’il vivait toujours[6].

La journée qui suivit l’ensevelissement de Jésus (samedi, 15 de nisan) fut remplie par ces pensées. On s’interdit toute œuvre des mains à cause du sabbat. Mais jamais repos ne fut plus fécond. La conscience chrétienne n’eut, ce jour-là, qu’un objet, le maître déposé au tombeau. Les femmes surtout le couvrirent en esprit de leurs plus tendres caresses. Leur pensée n’abandonne pas un instant ce doux ami, couché dans sa myrrhe, que les méchants ont tué ! Ah ! sans doute, les anges l’entourent, et se voilent la face en son linceul. Il disait bien qu’il mourrait, que sa mort serait le salut du pécheur, et qu’il revivrait dans le royaume de son Père. Oui, il revivra ; Dieu ne laissera pas son fils en proie aux enfers ; il ne permettra pas que son élu voie la corruption[7]. Qu’est-ce que cette pierre du tombeau qui pèse sur lui ? Il la soulèvera ; il remontera à la droite de son Père, d’où il est descendu. Et nous le verrons encore ; nous entendrons sa voix charmante ; nous jouirons de nouveau de ses entretiens, et c’est en vain qu’ils l’auront tué.

La croyance à l’immortalité de l’âme, qui, par l’influence de la philosophie grecque, est devenue un dogme du christianisme, permet de prendre facilement son parti de la mort, puisque la dissolution du corps en cette hypothèse n’est qu’une délivrance de l’âme, affranchie désormais de liens gênants sans lesquels elle peut exister. Mais cette théorie de l’homme, envisagé comme un composé de deux substances, n’était pas bien claire pour les Juifs. Le règne de Dieu et le règne de l’esprit consistaient pour eux dans une complète transformation du monde et dans l’anéantissement de la mort[8]. Reconnaître que la mort pouvait être victorieuse de Jésus, de celui qui venait supprimer son empire, c’était le comble de l’absurdité. L’idée seule qu’il pût souffrir avait autrefois révolté ses disciples[9]. Ceux-ci n’eurent donc pas de choix entre le désespoir ou une affirmation héroïque. Un homme pénétrant aurait pu annoncer dès le samedi que Jésus revivrait. La petite société chrétienne, ce jour-là, opéra le véritable miracle ; elle ressuscita Jésus en son cœur par l’amour intense qu’elle lui porta. Elle décida que Jésus ne mourrait pas. L’amour chez ces âmes passionnées fut vraiment plus fort que la mort[10], et, comme le propre de la passion est d’être communicative, d’allumer à la manière d’un flambeau un sentiment qui lui ressemble et se propage ensuite indéfiniment, Jésus, en un sens, à l’heure où nous sommes parvenus, est déjà ressuscité. Qu’un fait matériel insignifiant permette de croire que son corps n’est plus ici-bas, et le dogme de la résurrection sera fondé pour l’éternité.

Ce fut ce qui arriva dans des circonstances qui, pour être en partie obscures, par suite de l’incohérence des traditions, et surtout des contradictions qu’elles présentent, se laissent néanmoins saisir avec un degré suffisant de probabilité[11].

Le dimanche matin, de très bonne heure, les femmes galiléennes qui, le vendredi soir, avaient embaumé le corps à la hâte, se rendirent au caveau où on l’avait provisoirement déposé. C’étaient Marie de Magdala, Marie Cléophas, Salomé, Jeanne, femme de Khouza, d’autres encore[12]. Elles vinrent probablement chacune de leur côté ; car, s’il est difficile de révoquer en doute la tradition des trois Évangiles synoptiques, d’après laquelle plusieurs femmes vinrent au tombeau[13], il est certain d’un autre côté que, dans les deux récits les plus authentiques[14] que nous ayons de la résurrection, Marie de Magdala joue seule un rôle. En tout cas, elle eut, en ce moment solennel, une part d’action tout à fait hors ligne. C’est elle qu’il faut suivre pas à pas ; car elle porta, ce jour-là, pendant une heure tout le travail de la conscience chrétienne ; son témoignage décida de la foi de l’avenir.

Rappelons que le caveau où avait été renfermé le corps de Jésus était un caveau récemment creusé dans le roc et situé dans un jardin près du lieu de l’exécution[15]. On l’avait pris uniquement pour cette dernière cause, vu qu’il était tard, et qu’on ne voulait pas violer le sabbat[16]. Seul, le premier Évangile ajoute une circonstance : c’est que le caveau appartenait à Joseph d’Arimathie. Mais, en général, les circonstances anecdotiques ajoutées par le premier Évangile au fond commun de la tradition sont sans valeur, surtout quand il s’agit des derniers jours de la vie de Jésus[17]. Le même Évangile mentionne un autre détail qui, vu le silence des autres, n’a aucune probabilité : c’est le fait des scellés et d’une garde mise au tombeau[18]. — Rappelons aussi que les caveaux funéraires étaient des chambres basses, taillées dans un roc incliné, où l’on avait pratiqué une coupe verticale. La porte, d’ordinaire en contre-bas, était fermée par une pierre très lourde, qui s’engageait dans une feuillure[19]. Ces chambres n’avaient pas de serrure fermant à clef ; la pesanteur de la pierre était la seule garantie qu’on eût contre les voleurs ou les profanateurs de tombeaux ; aussi s’arrangeait-on de telle sorte qu’il fallût pour la remuer ou une machine ou l’effort réuni de plusieurs personnes. — Toutes les traditions sont d’accord sur ce point que la pierre avait été mise à l’orifice du caveau le vendredi soir.

Or, quand Marie de Magdala arriva, le dimanche matin, la pierre n’était pas à sa place. Le caveau était ouvert. Le corps n’y était plus. L’idée de la résurrection était encore chez elle peu développée. Ce qui remplissait son âme, c’était un regret tendre et le désir de rendre les soins funèbres au corps de son divin ami. Aussi ses premiers sentiments furent-ils la surprise et la douleur. La disparition de ce corps chéri lui enlevait la dernière joie sur laquelle elle avait compté. Elle ne le toucherait plus de ses mains !… Et qu’était-il devenu ?… L’idée d’une profanation se présenta à elle et la révolta. Peut-être, en même temps, une lueur d’espoir traversa son esprit. Sans perdre un moment, elle court à une maison où Pierre et Jean étaient réunis[20] : « On a pris le corps du maître, dit-elle, et nous ne savons pas où on l’a mis. »

Les deux disciples se lèvent à la hâte, et courent de toute leur force. Jean, le plus jeune, arrive le premier. Il se baisse pour regarder à l’intérieur. Marie avait raison. Le tombeau était vide. Les linges qui avaient servi à l’ensevelissement étaient épars dans le caveau. Pierre arrive à son tour. Tous deux entrent, examinent les linges, sans doute tachés de sang, et remarquent en particulier le suaire qui avait enveloppé la tête roulé à part en un coin[21]. Pierre et Jean se retirèrent chez eux dans un trouble extrême. S’ils ne prononcèrent pas encore le mot décisif : « Il est ressuscité ! » on peut dire qu’une telle conséquence était irrévocablement tirée et que le dogme générateur du christianisme était déjà fondé.

Pierre et Jean étant sortis du jardin, Marie resta seule sur le bord du caveau. Elle pleurait abondamment. Une seule pensée la préoccupait : Où avait-on mis le corps ? Son cœur de femme n’allait pas au delà du désir de tenir encore dans ses bras le cadavre bien-aimé. Tout à coup, elle entend un bruit léger derrière elle. Un homme est debout. Elle croit d’abord que c’est le jardinier : « Oh ! dit-elle, si c’est toi qui l’as pris, dis-moi où tu l’as posé, afin que je l’emporte. » Pour toute réponse, elle s’entend appeler par son nom : « Marie ! » C’était la voix qui tant de fois l’avait fait tressaillir. C’était l’accent de Jésus. « O mon maître !… » s’écrie-t-elle. Elle veut le toucher. Une sorte de mouvement instinctif la porte à baiser ses pieds[22]. La vision légère s’écarte et lui dit : « Ne me touche pas ! » Peu à peu l’ombre disparaît[23]. Mais le miracle de l’amour est accompli. Ce que Céphas n’a pu faire, Marie l’a fait : elle a su tirer la vie, la parole douce et pénétrante du tombeau vide. Il ne s’agit plus de conséquences à déduire, ni de conjectures à former. Marie a vu et entendu. La résurrection a son premier témoin immédiat.

Folle d’amour, ivre de joie, Marie rentra dans la ville, et aux premiers disciples qu’elle rencontra : « Je l’ai vu, il m’a parlé, » dit-elle[24]. Son imagination fortement troublée[25], ses discours entrecoupés et sans suite, la firent prendre par quelques-uns pour une folle[26]. Pierre et Jean, de leur côté, racontent ce qu’ils ont vu. D’autres disciples vont au tombeau et voient de même[27]. La conviction arrêtée de tout ce premier groupe fut que Jésus était ressuscité. Bien des doutes restaient encore ; mais l’assurance de Marie, de Pierre, de Jean s’imposait aux autres. Plus tard, on appela cela « la vision de Pierre »[28] ; Paul, en particulier, ne parle pas de la vision de Marie et reporte tout l’honneur de la première apparition sur Pierre. Mais cette expression était très inexacte. Pierre ne vit que le caveau vide, le suaire et le linceul. Marie seule aima assez pour dépasser la nature et faire revivre le fantôme du maître exquis. Dans ces sortes de crises merveilleuses, voir après les autres n’est rien : tout le mérite est de voir pour la première fois ; car les autres modèlent ensuite leur vision sur le type reçu. C’est le propre des belles organisations de concevoir l’image promptement, avec justesse et par une sorte de sens intime du dessin. La gloire de la résurrection appartient donc à Marie de Magdala. Après Jésus, c’est Marie qui a le plus fait pour la fondation du christianisme. L’ombre créée par les sens délicats de Madeleine plane encore sur le monde. Reine et patronne des idéalistes, Madeleine a su mieux que personne affirmer son rêve, imposer à tous la vision sainte de son âme passionnée. Sa grande affirmation de femme : « Il est ressuscité ! » a été la base de la foi de l’humanité. Loin d’ici, raison impuissante ! Ne va pas appliquer une froide analyse à ce chef-d’œuvre de l’idéalisme et de l’amour. Si la sagesse renonce à consoler cette pauvre race humaine, trahie par le sort, laisse la folie tenter l’aventure. Où est le sage qui a donné au monde autant de joie que la possédée Marie de Magdala ?

Les autres femmes, cependant, qui avaient été au tombeau, répandaient des bruits divers[29]. Elles n’avaient pas vu Jésus[30] ; mais elles parlaient d’un homme blanc, qu’elles avaient aperçu dans le caveau et qui leur avait dit : « Il n’est plus ici, retournez en Galilée ; il vous y précédera, vous l’y verrez[31]. » Peut-être étaient-ce les linceuls blancs qui avaient donné lieu à cette hallucination. Peut-être aussi ne virent-elles rien, et ne commencèrent-elles à parler de leur vision que quand Marie de Magdala eut raconté la sienne. Selon un des textes les plus authentiques, en effet[32], elles gardèrent quelque temps le silence, silence qu’on attribua ensuite à la terreur. Quoi qu’il en soit, ces récits allaient à chaque heure grossissant, et subissaient d’étranges déformations. L’homme blanc devint l’ange de Dieu ; on raconta que son vêtement était éblouissant comme la neige, que sa figure sembla un éclair. D’autres parlaient de deux anges, dont l’un apparut à la tête, l’autre au pied du tombeau[33]. Le soir, peut-être, bien des personnes croyaient déjà que les femmes avaient vu cet ange descendre du ciel, tirer la pierre, et Jésus s’élancer dehors avec fracas[34]. Elles-mêmes variaient sans doute dans leurs dépositions[35] ; subissant l’effet de l’imagination des autres, comme il arrive toujours aux gens du peuple, elles se prêtaient à tous les embellissements, et participaient à la création de la légende qui naissait autour d’elles et à propos d’elles.

La journée fut orageuse et décisive. La petite société était fort dispersée. Quelques-uns étaient déjà partis pour la Galilée ; d’autres s’étaient cachés par crainte[36]. La déplorable scène du vendredi, le spectacle navrant qu’on avait eu sous les yeux, en voyant celui dont on avait tant espéré finir sur le gibet sans que son Père vînt le délivrer, avaient d’ailleurs ébranlé la foi de plusieurs. Les nouvelles données par les femmes et par Pierre ne trouvèrent de divers côtés qu’une incrédulité à peine dissimulée[37]. Des récits divers se croisaient ; les femmes allaient çà et là avec des discours étranges et peu concordants, enchérissant les unes sur les autres. Les sentiments les plus opposés se faisaient jour. Les uns pleuraient encore le triste événement de l’avant-veille ; d’autres triomphaient déjà ; tous étaient disposés à accueillir les récits les plus extraordinaires. Cependant la défiance qu’inspirait l’exaltation de Marie de Magdala[38], le peu d’autorité qu’avaient les femmes, l’incohérence de leurs récits, produisaient de grands doutes. On était dans l’attente de visions nouvelles, qui ne pouvaient pas manquer de venir. L’état de la secte était tout à fait favorable à la propagation de bruits étranges. Si toute la petite Église eût été réunie, la création légendaire eût été impossible ; ceux qui savaient le secret de la disparition du corps eussent probablement réclamé contre l’erreur. Mais, dans le désarroi où l’on était, la porte était ouverte aux plus féconds malentendus.

C’est le propre des états de l’âme où naissent l’extase et les apparitions d’être contagieux[39]. L’histoire de toutes les grandes crises religieuses prouve que ces sortes de visions se communiquent : dans une assemblée de personnes remplies des mêmes croyances, il suffit qu’un membre de la réunion affirme voir ou entendre quelque chose de surnaturel, pour que les autres voient et entendent aussi. Chez les protestants persécutés, le bruit se répandait qu’on avait entendu les anges chanter des psaumes sur les ruines d’un temple récemment détruit ; tous y allaient et entendaient le même psaume[40]. Dans les cas de ce genre, ce sont les plus échauffés qui font la loi et qui règlent le degré de l’atmosphère commune. L’exaltation des uns se transmet à tous ; personne ne veut rester en arrière ni convenir qu’il est moins favorisé que les autres. Ceux qui ne voient rien sont entraînés et finissent par croire ou qu’ils sont moins clairvoyants, ou qu’ils ne se rendent pas compte de leurs sensations ; en tout cas, ils se gardent de l’avouer ; ils troubleraient la fête, attristeraient les autres et se feraient un rôle désagréable. Quand une apparition se produit dans de telles réunions, il est donc ordinaire que tous la voient ou l’acceptent. Il faut se rappeler, d’ailleurs, quel était le degré de culture intellectuelle des disciples de Jésus. Ce qu’on appelle une tête faible s’associe très bien à l’exquise bonté du cœur. Les disciples croyaient aux fantômes[41] ; ils s’imaginaient être entourés de miracles ; ils ne participaient en rien à la science positive du temps. Cette science existait chez quelques centaines d’hommes, uniquement répandus dans les pays où la culture grecque avait pénétré. Mais le vulgaire, dans tous les pays, y participait très peu. La Palestine était, à cet égard, un des pays les plus arriérés ; les Galiléens étaient les plus ignorants des Palestiniens, et les disciples de Jésus pouvaient compter entre les gens les plus simples de la Galilée. C’était cette simplicité même qui leur avait valu leur céleste élection. Dans un tel monde, la croyance aux faits merveilleux trouvait les facilités les plus extraordinaires pour se répandre. Une fois l’opinion de la résurrection de Jésus ébruitée, de nombreuses visions devaient se produire. Elles se produisirent en effet.

Dans la journée même du dimanche, à une heure avancée de la matinée, où déjà les récits des femmes avaient circulé, deux disciples, dont l’un se nommait Cléopatros ou Cléopas, entreprirent un petit voyage à un bourg nommé Emmaüs[42], situé à une faible distance de Jérusalem[43]. Ils causaient entre eux des derniers événements, et ils étaient pleins de tristesse. Dans la route, un compagnon inconnu s’adjoignit à eux et leur demanda la cause de leur chagrin, « Es-tu donc le seul étranger à Jérusalem, lui dirent-ils, pour ignorer ce qui vient de s’y passer ? N’as-tu pas entendu parler de Jésus de Nazareth, qui fut un homme prophète, puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et le peuple ? Ne sais-tu pas comment les prêtres et les grands l’ont fait condamner et crucifier ? Nous espérions qu’il allait délivrer Israël, et voilà qu’aujourd’hui est le troisième jour depuis que tout cela s’est passé. Et puis, quelques femmes qui sont des nôtres nous ont jetés ce matin dans d’étranges perplexités. Elles ont été avant le jour au tombeau ; elles n’ont pas trouvé le corps, mais elles affirment avoir vu des anges, qui leur ont dit qu’il est vivant. Quelques-uns des nôtres ont été ensuite au tombeau ; ils ont tout trouvé comme les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. » L’inconnu était un homme pieux, versé dans les Écritures, citant Moïse et les prophètes. Ces trois bonnes personnes lièrent amitié. À l’approche d’Emmaüs, comme l’inconnu allait continuer sa route, les deux disciples le supplièrent de prendre le repas du soir avec eux. Le jour baissait ; les souvenirs des deux disciples deviennent alors plus poignants. Cette heure du repas du soir était celle que tous se rappelaient avec le plus de charme et de mélancolie. Combien de fois n’avaient-ils pas vu, à ce moment-là, le maître bien-aimé oublier le poids du jour dans l’abandon de gais entretiens, et, animé par quelques gouttes d’un vin très noble, leur parler du fruit de la vigne qu’il boirait nouveau avec eux dans le royaume de son Père. Le geste qu’il faisait en rompant le pain et en le leur offrant, selon l’habitude du chef de maison chez les Juifs, était profondément gravé dans leur mémoire. Pleins d’une douce tristesse, ils oublient l’étranger ; c’est Jésus qu’ils voient tenant le pain, puis le rompant et le leur offrant. Ces souvenirs les préoccupent à un tel point, qu’ils s’aperçoivent à peine que leur compagnon, pressé de continuer sa route, les a quittés. Et quand ils furent sortis de leur rêverie : « Ne sentions-nous pas, se dirent-ils, quelque chose d’étrange ? Ne te souviens-tu pas que notre cœur était comme ardent pendant qu’il nous parlait dans le chemin ? » — « Et les prophéties qu’il citait prouvaient bien que le Messie doit souffrir pour entrer dans sa gloire. Ne l’as-tu pas reconnu à la fraction du pain ? » — « Oui, nos yeux étaient fermés jusque-là ; ils se sont ouverts quand il s’est évanoui. » La conviction des deux disciples fut qu’ils avaient vu Jésus. Ils rentrèrent en toute hâte à Jérusalem.

Le groupe principal des disciples était justement à ce moment-là rassemblé autour de Pierre[44]. La nuit était tout à fait tombée. Chacun communiquait ses impressions et ce qu’il avait entendu dire. La croyance générale voulait déjà que Jésus fût ressuscité. À l’entrée des deux disciples, on se hâta de leur parler de ce qu’on appelait « la vision de Pierre »[45]. Eux, de leur côté, racontèrent ce qui leur était arrivé dans la route et comment ils l’avaient reconnu à la fraction du pain. L’imagination de tous se trouva vivement excitée. Les portes étaient fermées ; car on redoutait les Juifs. Les villes orientales sont muettes après le coucher du soleil. Le silence était donc par moments très profond à l’intérieur ; tous les petits bruits qui se produisaient par hasard étaient interprétés dans le sens de l’attente universelle. L’attente crée d’ordinaire son objet[46]. Pendant un instant de silence, quelque léger souffle passa sur la face des assistants. A ces heures décisives, un courant d’air, une fenêtre qui crie, un murmure fortuit, arrêtent la croyance des peuples pour des siècles. En même temps que le souffle se fit sentir, on crut entendre des sons. Quelques-uns dirent qu’ils avaient discerné le mot schalom « bonheur » ou « paix ». C’était le salut ordinaire de Jésus et le mot par lequel il signalait sa présence. Nul doute possible ; Jésus est présent ; il est là dans l’assemblée. C’est sa voix chérie ; chacun la reconnaît[47]. Cette imagination était d’autant plus facile à accepter que Jésus leur avait dit que, toutes les fois qu’ils se réuniraient en son nom, il serait au milieu d’eux. Ce fut donc une chose reçue que, le dimanche soir, Jésus était apparu devant ses disciples assemblés. Quelques-uns prétendirent avoir distingué dans ses mains et ses pieds la marque des clous, et dans son flanc la trace du coup de lance. Selon une tradition fort répandue, ce fut ce soir-là même qu’il souffla sur ses disciples le Saint-Esprit[48]. L’idée, au moins, que son souffle avait couru sur la réunion fut généralement admise.

Tels furent les incidents de ce jour qui a fixé le sort de l’humanité. L’opinion que Jésus était ressuscité s’y fonda d’une manière irrévocable. La secte, qu’on avait cru éteindre en tuant le maître, fut dès lors assurée d’un immense avenir.

Quelques doutes, cependant, se produisaient encore[49]. L’apôtre Thomas, qui ne s’était pas trouvé à la réunion du dimanche soir, avoua qu’il portait quelque envie à ceux qui avaient vu la trace de la lance et des clous. On dit que, huit jours après, il fut satisfait[50]. Mais il en resta sur lui une tache légère et comme un doux reproche. Par une vue instinctive d’une exquise justesse, on comprit que l’idéal ne veut pas être touché avec les mains, qu’il n’a nul besoin de subir le contrôle de l’expérience. Noli me tangere est le mot de toutes les grandes amours. Le toucher ne laisse rien à la foi ; l’œil, organe plus pur et plus noble que la main, l’œil, que rien ne souille, et par qui rien n’est souillé, devint même bientôt un témoin superflu. Un sentiment singulier commença à se faire jour ; toute hésitation parut un manque de loyauté et d’amour ; on eut honte de rester en arrière ; on s’interdit de désirer voir. Le dicton « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru[51] ! » devint le mot de la situation. On trouva quelque chose de plus généreux à croire sans preuve. Les vrais amis de cœur ne voulurent pas avoir eu de vision[52], de même que, plus tard, saint Louis refusait d’être témoin d’un miracle eucharistique pour ne pas s’enlever le mérite de la foi. Ce fut, dès lors, en fait de crédulité, une émulation effrayante et comme une sorte de surenchère. Le mérite consistant à croire sans avoir vu, la foi à tout prix, la foi gratuite, la foi allant jusqu’à la folie fut exaltée comme le premier des dons de l’âme. Le credo quia absurdum est fondé ; la loi des dogmes chrétiens sera une étrange progression qui ne s’arrêtera devant aucune impossibilité. Une sorte de sentiment chevaleresque empêchera de regarder jamais en arrière. Les dogmes les plus chers à la piété, ceux auxquels elle s’attachera avec le plus de frénésie, seront les plus répugnants à la raison, par suite de cette idée touchante que la valeur morale de la foi augmente en proportion de la difficulté de croire, et qu’on ne fait preuve d’aucun amour en admettant ce qui est clair.

Ces premiers jours furent ainsi comme une période de fièvre intense, où les fidèles, s’enivrant les uns les autres et s’imposant les uns aux autres leurs rêves, s’entraînaient mutuellement et se portaient aux idées les plus exaltées. Les visions se multipliaient sans cesse. Les réunions du soir étaient le moment le plus ordinaire où elles se produisaient[53]. Quand les portes étaient fermées, et que tous étaient obsédés de leur idée fixe, le premier qui croyait entendre le doux mot schalom « salut » ou « paix », donnait le signal. Tous écoutaient et entendaient bientôt la même chose. C’était alors une grande joie pour ces âmes simples de savoir le maître au milieu d’elles. Chacun savourait la douceur de cette pensée, et se croyait favorisé de quelque colloque intérieur. D’autres visions étaient calquées sur un autre modèle, et rappelaient celle des voyageurs d’Emmaüs. Au moment du repas, on voyait Jésus apparaître, prendre le pain, le bénir, le rompre et l’offrir à celui qu’il favorisait de sa vision[54]. En quelques jours, un cycle entier de récits, fort divergents dans les détails, mais inspirés par un même esprit d’amour et de foi absolue, se forma et se répandit. C’est la plus grave erreur de croire que la légende a besoin de beaucoup de temps pour se faire. La légende naît parfois en un jour. Le dimanche soir (16 de nisan, 5 avril), la résurrection de Jésus était tenue pour une réalité. Huit jours après, le caractère de la vie d’outre-tombe qu’on fut amené à concevoir pour lui était arrêté quant aux traits essentiels.


  1. Marc, xvi, 11 ; Luc, xviii, 34 ; xxiv, 11 ; Jean, xx, 9, 24 et suiv. L’opinion contraire exprimée dans Matth., xii, 40 ; xvi, 4, 21 ; xvii, 9, 23 ; xx, 49 ; xxvi, 32 ; Marc, viii, 31 ; ix, 9-10, 31 ; x, 34 ; Luc, ix, 22 ; xi, 29-30 ; xviii, 31 et suiv. ; xxiv, 6-8 ; Justin. Dial. cum Tryph. 106, vient de ce que, à partir d’une certaine époque, on tint beaucoup à ce que Jésus eût annoncé sa résurrection. Les synoptiques reconnaissent, du reste, que, si Jésus en parla, les apôtres n’y comprirent rien (Marc, ix, 10, 32 ; Luc, xviii, 34 ; comparez Luc, xxiv, 8, et Jean, ii, 21-22).
  2. Marc, xvi, 10 ; Luc, xxiv, 17, 21.
  3. Passages précités, surtout Luc, xvii, 24-25 ; xviii, 31-34.
  4. Talmud de Babylone, Baba Bathra, 58 a, et l’extrait arabe donné par l’abbé Barges, dans le Bulletin de l’Œuvre des pèlerinages en terre sainte, février 1863.
  5. Ibn-Hischam, Sirat errasoul, édit. Wüstenfeld, pages 1012 et suiv.
  6. Luc, xxiv, 23 ; Act., xxv, 19 ; Jos., Ant., XVIII, iii, 3.
  7. Ps. xvi, 10. Le sens de l’original est un peu différent. Mais c’est ainsi que les versions reçues traduisaient le passage.
  8. I Thess., iv, 12 et suiv. ; I Cor., xv entier ; Apoc., xx-xxii.
  9. Matth., xvi, 21 et suiv. ; Marc, viii, 31 et suiv.
  10. Josèphe, Ant., XVIII, iii, 3.
  11. Relire avec soin les quatre récits des Évangiles et le passage I Cor., xv, 4-8.
  12. Matth., xxviii, 1 ; Marc, xvi, 1 ; Luc, xxiv, 1 ; Jean, xx, 1.
  13. Jean, xx, 2, semble même supposer que Marie ne fut pas toujours seule.
  14. Jean, xx, 1 et suiv., et Marc, xvi, 9 et suiv. Il faut observer que l’Évangile de Marc a, dans nos textes imprimés du Nouveau Testament, deux finales : Marc, xvi, 1-8 ; Marc, xvi, 9-20, sans parler de deux autres finales, dont l’une nous a été conservée par le manuscrit L de Paris et la marge de la version philoxénienne (Nov. Test. édit. Griesbach-Schultz, I, page 291, note), l’autre par saint Jérôme, Adv. Pelag., I. II (t. IV, 2e part., col. 520, édit. Martianay). La finale xvi, 9 et suiv. manque dans le manuscrit B du Vatican, dans le Codex Sinaïticus et dans les plus importants manuscrits grecs. Mais elle est en tout cas d’une grande antiquité, et son accord avec le quatrième Évangile est une chose frappante.
  15. Matth., xxvii, 60 ; Marc, xv, 46 ; Luc, xxiii, 53.
  16. Jean, xix, 41-42.
  17. Voir Vie de Jésus, p. xxxviii.
  18. L’Évangile des hébreux renfermait peut-être quelque circonstance analogue (dans saint Jérôme, De viris illustribus, 2).
  19. M. de Vogüé, les Églises de la terre sainte, p. 125-126. Le verbe ἀποκυλίω (Matth., xxviii, 2 ; Marc, xvi, 3, 4 ; Luc, xxiv, 2) prouve bien que telle était la disposition du tombeau de Jésus.
  20. En tout ceci, le récit du quatrième Évangile a une grande supériorité. Il nous sert de guide principal. Dans Luc, xxiv, 12, Pierre seul va au tombeau. Dans la finale de Marc donnée par le manuscrit L et par la marge de la version philoxénienne (Griesbach, loc. cit.), il y a τοῖς περὶ τὸν Πέτρον. Saint Paul (I Cor., xv, 5) également ne fait figurer que Pierre en cette première vision. Plus loin, Luc (xxiv, 24) suppose que plusieurs disciples sont allés au tombeau, ce qui s’applique probablement à des visites successives. Il est possible que Jean ait cédé ici à l’arrière-pensée, qui se trahit plus d’une fois en son Évangile, de montrer qu’il a eu dans l’histoire de Jésus un rôle de premier ordre, égal même à celui de Pierre. Peut-être aussi les déclarations répétées de Jean, qu’il a été témoin oculaire des faits fondamentaux de la foi chrétienne (Évang., i, 14 ; xxi, 24 ; I Joan., i, 1-3 ; iv, 14), doivent-elles s’appliquer à cette visite.
  21. Jean,xx, 1-10. Comparez Luc, xxiv, 12, 34 ; I Cor., xv, 5 et la finale de Marc dans le manuscrit L.
  22. Matth., xxviii, 9, en observant que Matthieu, xxviii, 9-10, répond à Jean, xx, 16-17.
  23. Jean, xx, 11-17, en accord avec Marc, xvi, 9-10. Comparez le récit parallèle, mais bien moins satisfaisant de Matth., xxviii, 1-10 ; Luc, xxiv, 1-10.
  24. Jean, xx, 18.
  25. Comparez Marc, xvi, 9 ; Luc, viii, 2.
  26. Luc, xxiv, 11.
  27. Ibid., xxiv, 24.
  28. Ibid., xxiv, 34 ; I Cor., xv, 5 ; la finale de Marc dans le manuscrit L. Le fragment de l’Évangile des hébreux, dans saint Ignace, Epist. ad Smyrn., 3, et dans saint Jérôme, De viris ill., 16, semble placer « la vision de Pierre » le soir, et la fondre avec celle des apôtres assemblés. Mais saint Paul distingue expressément les deux visions.
  29. Luc, xxiv, 22-24, 34. Il résulte de ces passages que les nouvelles se répandirent séparément.
  30. Marc, xvi, 1-8. — Matthieu, xxviii, 9-10, dit le contraire. Mais cela détonne dans le système synoptique, où les femmes ne voient qu’un ange. Il semble que le premier Évangile a voulu concilier le système synoptique et celui du quatrième, où une seule femme voit Jésus.
  31. Matth., xxviii, 2 et suiv. ; Marc, xvi, 5 et suiv. ; Luc, xxiv, 4, et suiv., 23. Cette apparition d’anges s’est introduite même dans le récit du quatrième Évangile (xx, 12-13), qu’elle dérange tout à fait, étant appliquée à Marie de Magdala. L’auteur n’a pas voulu abandonner ce trait donné par la tradition.
  32. Marc, xvi, 8.
  33. Luc, xxiv, 4-7 ; Jean, xx, 12-13.
  34. Matth., xxviii, 1 et suiv. Le récit de Matthieu est celui où les circonstances ont été ainsi le plus exagérées. Le tremblement de terre et le rôle des gardiens sont probablement des additions tardives.
  35. Les six ou sept récits que nous avons de cette scène du matin (Marc en ayant deux ou trois, et Paul ayant aussi le sien, sans parler de l’Évangile des hébreux) sont en complet désaccord les uns avec les autres.
  36. Matth., xxvi, 31 : Marc, xiv, 27 ; Jean, xvi, 32 ; Justin, Apol., I, 50 ; Dial. cum Tryph., 53, 106. Le système de Justin est qu’au moment de la mort de Jésus, il y eut de la part des disciples une complète apostasie.
  37. Matth., xxviii, 17 ; Marc, xvi, 11 ; Luc, xxiv, 11.
  38. Marc. xvi, 9 ; Luc, viii, 2.
  39. Voir, par exemple, Calmeil, De la folie au point de vue pathologique, philosophique, historique et judiciaire. Paris, 1845, 2 vol. in-8o.
  40. Voir les Lettres pastorales de Jurieu, 1e année, 7e lettre ; 3e année, 4e lettre ; Misson, le Théâtre sacré des Cévennes (Londres, 1707), p. 28, 34, 38, 102, 103, 104, 107 ; Mémoires de Court, dans Sayous, Hist. de la littér. française à l’étranger, xviie siècle, I, p. 303 ; Bulletin de la Société de l’hist. du protest. franc., 1862, p. 174.
  41. Matth., xiv, 26 ; Marc, vi, 49 ; Luc, xxiv, 37 ; Jean, iv, 19.
  42. Marc, xvi, 12-13 ; Luc, xxiv, 13-33. que portent certains manuscrits et certaines éditions de Josèphe, est une correction chrétienne. Voir l’édition de G. Dindorf. La situation la plus probable d’Emmaüs est Kulonié, joli endroit au fond d’un vallon, sur la route de Jérusalem à Jaffa. Voir Sepp, Jerusalem und das Heilige Land (1863), 1, p. 56 ; Bourquenoud, dans les Études rel. hist. et litt. des PP. de la Soc. de Jésus, 1863, no 9, et, pour les distances exactes, H. Zschokke, Das neutestamentliche Emmaüs (Schaffouse, 1865).
  43. Comparez Josèphe, B. J., VII, vi, 6. Luc met ce village à soixante stades et Josèphe à trente stades de Jérusalem. Ἑξήκοντα,
  44. Marc, xvi, 14 ; Luc, xxiv, 33 et suiv. ; Jean, xx, 19 et suiv. ; Évang. des hébr., dans saint Ignace, Epist. ad Smyrn., 3, et dans saint Jérôme, De viris ill., 16 ; I Cor., xv, 5. ; Justin, Dial. cum Tryph., 106.
  45. Luc, xxiv, 34.
  46. Dans une île vis-à-vis de Rotterdam, dont la population est restée attachée au calvinisme le plus austère, les paysans sont persuadés que Jésus vient, à leur lit de mort, assurer ses élus de leur justification ; beaucoup le voient en effet.
  47. Pour concevoir la possibilité de pareilles illusions, il suffit de se rappeler les scènes de nos jours où des personnes réunies reconnaissent unanimement entendre des bruits sans réalité, et cela, avec une parfaite bonne foi. L’attente, l’effort de l’imagination, la disposition à croire, parfois des complaisances innocentes, expliquent ceux de ces phénomènes qui ne sont pas le produit direct de la fraude. Ces complaisances viennent, en général, de personnes convaincues, animées d’un sentiment bienveillant, ne voulant pas que la séance finisse mal, et désireuses de tirer d’embarras les maîtres de la maison. Quand on croit au miracle, on y aide toujours sans s’en apercevoir. Le doute et la négation sont impossibles dans ces sortes de réunions. On ferait de la peine à ceux qui croient et à ceux qui vous ont invité. Voilà pourquoi ces expériences, qui réussissent devant de petits comités, échouent d’ordinaire devant un public payant, et manquent toujours devant les commissions scientifiques.
  48. Jean, xx, 22-23, qui a un écho dans Luc, xxiv, 49.
  49. Matth., xxviii, 17 ; Marc, xvi, 14 ; Luc, xxiv, 39-40.
  50. Jean, xx, 24-29 ; comparez Marc, xvi, 14 : Luc, xxiv, 39-40, et la finale de Marc, conservée par saint Jérôme, Adv. Pelag., II (v. ci-dessus, p. 7).
  51. Jean, xx, 29.
  52. Il est bien remarquable, en effet, que Jean, sous le nom duquel nous a été transmis le dicton précité, n’a pas de vision particulière pour lui seul. Cf. I Cor., xv, 5-8.
  53. Jean, xx, 26. Le passage xxi, 14, suppose, il est vrai, qu’il n’y eut à Jérusalem que deux apparitions devant les disciples réunis. Mais les passages xx, 30, et xxi, 25, laissent beaucoup plus de latitude. Comparez Act., i, 3.
  54. Luc, xxiv, 41-43 ; Évangile des hébreux, dans saint Jérôme, De viris illustribus, 2 ; finale de Marc, dans saint Jérôme, Adv. Pelag., II.