Suzanne Curchod

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Suzanne Curchod.

Suzanne Curchod, par son mariage Madame Necker, née à Crassier en et morte à Lausanne au château de Beaulieu le , est une femme de lettres et une salonnière suisse.

Citations[modifier]

D'autres auteurs la concernant[modifier]

Octave Gréard[modifier]

[Mme Necker] avait, disait-on, transformé sa maison en un temple. Galiani lui-même n’y entrait qu’en composant son attitude. « Je serai froid et poli comme une assiette de Mme Geoffrin vis-à-vis de Mme Necker, écrivait-il à Mme d’Épinay après une brouille ; je ne veux plus avoir avec elle que des rapports de chancellerie ; voilà comme je punis le froid maintien de la décence. »
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 279


Mlle Curchod possédait à fond l’Émile ; elle avait l’imagination émue, le cœur plein des idées de Jean-Jacques, — elle est une des premières qui lui aient donné ce nom familier, — quand, à vingt-trois ans, après la mort de son père et de sa mère, elle était venue à Paris chercher les ressources qui lui manquaient en Suisse. Mariée à M. Necker, c’est avec une véritable passion qu’elle embrassa les devoirs de la vie conjugale. « […] je vous déclare que, tant qu’Héloïse, Émile, ces divines et essentielles portions de Rousseau, seront entre mes mains, je ne puis regarder la vie de leur auteur que comme un faible accessoire ; et il semble qu’on doive jeter un voile sur les défauts de cet orateur de l’humanité, de ce père de la vertu. » Elle proclamait en particulier la reconnaissance de son sexe : « Rousseau a tant accordé aux femmes, qu’on ne peut être fâché de ce qu’il leur refuse. » Toute sa vie elle l’avait suivi dans ses pérégrinations ; à sa mort, dans un élan d’affection pieuse, elle aimait à se transporter au pied des peupliers qui abritaient ses restes.
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 282


Fort recherchée pour son esprit et sa beauté, elle avait institué à Lausanne, que sa famille était venue habiter pour elle, une Académie des Eaux où la jeunesse des deux sexes se livrait à des exercices littéraires que ne distinguait pas toujours la simplicité. Sous les auspices de Thémire — c’est le nom qu’elle s’était donné, — les cimes alpestres qui couronnent le lac de Genève et les riantes campagnes du pays de Vaud avaient vu renaître les fictions de l’Astrée jadis enfantées dans la fièvre des grandes villes. Cette éducation à la fois simple et hardie, grave et aimable, fondée sur une large base d’études et ouverte à toutes les inspirations, même à celles de la fantaisie, avait été également celle de Germaine. Toute jeune, Germaine avait sa place aux vendredis de sa mère, sur un petit tabouret de bois où il lui fallait se tenir droite sans défaillance ; elle entendait discourir sur la vertu, les sciences, la philosophie, Marmontel, Morellet, D’Alembert, Grimm, Diderot, Naigeon, Thomas, Buffon, se prêtait aux questions qu’on prenait plaisir à lui adresser, — non sans chercher parfois à l’embarrasser, — et se faisait rarement prendre en défaut. Mme Necker lui apprenait les langues, la laissait lire à son gré, la conduisait à la comédie. À onze ans elle composait des éloges, rédigeait des analyses, jugeait l’Esprit des lois ; l’abbé Raynal voulait lui faire écrire, pour son Histoire philosophique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, un morceau sur la révocation de l’Édit de Nantes ; elle adressait à son père, à l’occasion du Compte rendu de 1781, un mémoire où son style la trahissait. La poésie n’avait pas pour elle moins d’attraits. Envoyée à la campagne pour rétablir sa santé loin des livres et des entretiens, elle parcourait les bosquets avec son amie, Mlle Huber, vêtue en nymphe, déclamait des vers, composait des drames champêtres et des élégies.
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 285


Rousseau, partant du principe que les idées ne nous arrivent que par les sens, voulait qu’on commençât par perfectionner les organes de la perception ; Mme Necker estimait qu’il fallait agir immédiatement sur l’esprit par l’esprit. L’essentiel à ses yeux était « d’accumuler les idées. » Elle était persuadée que l’intelligence devient paresseuse quand on lui épargne ce travail. Et, pour le rendre plus profitable, elle ne craignait pas de recourir à toutes les applications de la pensée.
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 286


Pour apprécier exactement la direction des idées de Mme Necker, il faut d’abord se rendre compte de l’effort qu’elle s’imposa en arrivant à Paris, afin de s’approprier la langue et les mœurs du pays dont elle avait à se faire adopter. Sainte-Beuve a dit qu’elle ne fut jamais qu’une fleur transplantée. Il semble que Mme Necker eût prévu la critique. « Pour avoir un goût parfait, disait-elle, faut-il être né dans un pays ou dans une société, à Paris par exemple, où l’on reçoive les principes du goût avec le lait et par l’autorité ? Ou bien serait-il à préférer d’y arriver dans l’âge où l’on peut les acquérir sans préjugé et apprendre à juger par sa propre raison nouvellement éclairée ? Ce goût ainsi formé serait plus sûr et plus dégagé de toutes les préventions du siècle, du lieu et de la mode. C’est ainsi que Rousseau, dans un objet plus grave, voulait qu’on ne prit une religion que quand la raison serait formée. » Mme Necker se vise manifestement elle-même dans cette dernière observation ; et je ne sais pas d’exemple d’une acclimatation ou d’une naturalisation intellectuelle suivie avec plus de zèle. Il n’en coûtait rien à Grimm de ne paraître à Paris qu’un Allemand. Mme Necker voulut être Française.
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 287


L’étude de la langue était une de ses études favorites. Elle lisait la plume à la main, analysant les tours, les constructions, les mots ; elle s’était amusée à corriger certaines pages de l’Émile ; elle s’exerçait à extraire chez Diderot les parcelles d’or du limon ; le plus grand nombre de ses entretiens avec Buffon roulent sur des questions de grammaire ou de rhétorique. Ce qu’elle cherchait à saisir dans la phrase, ce n’était pas seulement la justesse de l’expression et le mouvement de l’idée ; c’était, avec le génie propre à chaque auteur, le génie même de l’idiome. La simplicité, la clarté, le charme, telles étaient les qualités qui lui semblaient caractériser entre toutes l’esprit français, et elle déclarait en trouver la marque par excellence dans ces trois livres : les Lettres de Mme de Sévigné, les Mémoires de Grammont et les Fables de La Fontaine.
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 288


Elle dira […], non sans finesse : « On est plus vertueux en Suisse qu’à Paris ; mais ce n’est qu’à Paris que l’on parle bien de la vertu : elle ressemble à l’Apollon de Délos, qui ne dictait ses oracles que dans une caverne où ses rayons n’avaient jamais pénétré » ; ou encore : « On peut comparer les penseurs comme Diderot à Deucalion, qui jetait les pierres derrière sa tête pour en faire des hommes et ne regardait pas quelle forme elles prenaient. » Et cependant, pour avoir droit de cité parisienne, il manque à cette manière étudiée, à ce style étoffé je ne sais quoi de léger, de vif, de prime-sautier, le mouvement qui séduit, le trait qui enlève. La langue de Mme Necker resta laborieuse.
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 289


Elle disait elle-même « qu’elle ne posait pas la plume avant d’avoir réussi à conduire sa pensée jusqu’à l’image et à la colorer, » et elle abuse des comparaisons et de l’antiquité. Mais, pour être trop compliquée dans l’expression, trop concertée dans le tour, sa pensée n’en est pas moins presque toujours admirablement judicieuse : elle donne confiance.
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 221


Elle rappelait souvent qu’à quatre-vingt-huit ans M. de Fontenelle s’asseyait sur un tabouret afin d’éviter de se courber, en ajoutant : « c’est un exemple à appliquer à l’esprit. »
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 294


[…] ce qu’elle […] recommande [aux femmes], en un mot, c’est la patience, la douceur, la grâce. « Les vers luisants, disait-elle, sont l’image des femmes ; tant qu’elles restent dans l’ombre, on est frappé de leur éclat ; dès qu’elles veulent paraître au grand jour, on les méprise et on ne voit plus que leurs défauts. »
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 297


Elle veut qu’en toute chose la femme s’enveloppe de modestie et se voile de pudeur : « Heureuse qui n’a jamais trouvé de plaisir que dans des mouvements raisonnables : c’est le moyen de s’amuser toute sa vie ! » Elle ne croit point que les passions soient dans la nature de l’homme, encore moins qu’elles contribuent à son bonheur. « On ne cesse de répéter que les hommes ont besoin de passions pour être heureux; cela me rappelle ces planches de plantes de fraxinelles auxquelles on met le feu deux fois par semaine pour les faire croître ; ce n’est pas ainsi que l’on cultive les rosiers et les lis. » Elle le déclare enfin : toute cette métaphysique de sentiment, inventée pour justifier les dérèglements de l’âme, est malsaine. « Les Français traitent les femmes comme les Égyptiens faisaient leurs légumes : ils les adorent. » Ce dont elles ont besoin, c’est qu’on les respecte.
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 299


Les meilleurs ménages, à son sens, étaient ceux qui « à l’origine sont formés par la conformité des goûts et par l’opposition des caractères » ; et elle n’admet pas que les caractères ne puissent arriver à se fondre. « Les Zurichois, racontait-elle agréablement, enferment dans une tour, sur leur lac, pendant quinze jours, absolument tête à tête, le mari et la femme qui demandent le divorce pour incompatibilité d’humeur. Ils n’ont qu’une seule chambre, qu’un seul lit de repos, qu’une seule chaise, qu’un seul couteau, etc., en sorte que, pour s’asseoir, pour se reposer, pour se coucher, pour manger, ils dépendent absolument de leur complaisance réciproque ; il est rare qu’ils ne soient pas réconciliés avant les quinze jours. » Ce qu’elle préconise sous le couvert de cette espèce de légende, c’est le mutuel sacrifice qui forme, par l’habitude, le plus solide des attachements et engendre la réciprocité d’une affection inséparable ; elle compare le premier attrait de la jeunesse au lien qui soutient deux plantes nouvellement rapprochées ; bientôt, ayant pris racine l’une à côté de l’autre, les deux plantes ne vivent plus que de la même substance, et c’est de cette communauté de vie qu’elles tirent leur force et leur éclat.
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 299


« On ne possède, disait-elle, de vraie puissance sur soi qu’après s’être fait comme une trame de pensées sur tous les objets importants, un système d’idées, d’opinions et de conduite dont on ne s’écarte jamais ; c’est le fruit de nos réflexions qu’on grossit tous les jours en y réunissant et, si j’osais, je dirais en y accrochant ce qu’on entend dire et ce qu’on lit par les points qui se rapprochent de nos idées permanentes ; on ne retient les choses qu’autant qu’on a la chaîne qui les précède : c’est cet enchaînement qui fait la sûreté et comme la preuve des idées qu’on acquiert. » Sur cette base de réflexions qui se tiennent, Mme Necker fondait l’idée du lendemain à préparer, de l’avenir à faire sortir du présent, des arrière-plans et de la perspective à donner à l’existence : « au lieu de rivaliser sur l’heure avec Céphyse, employons le temps où elle est plus belle que moi à me faire paraître plus belle qu’elle dans dix ans d’ici. » Et pour achever d’assurer sur les âmes la prise de cette sagesse prévoyante et suivie, elle plaçait au premier rang parmi les éléments du bonheur humain le besoin de la perfection.
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 301


Ses vues d’ensemble sur les principes de l’éducation sont larges, souples, absolument opposées à toute idée de système. C’est par là d’abord qu’elle rompt avec les utopies de Rousseau.
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 304


[…] les maximes communes lui semblaient « des habits pris à la friperie, toujours trop longs ou trop courts pour la taille de ceux auxquels on les ajuste » ; elle se moquait des pédagogues « qui se prosternent devant leur idéal comme font les tailleurs devant leur modèle. » À son avis, une des grandes causes du peu de profit que produit l’instruction, c’est « qu’on n’offre pas aux esprits le genre d’idées qui leur convient » ; on oublie trop que « l’attention est comme l’aimant qui, suivant le côté qu’on lui présente, se précipite vers l’objet ou s’en détourne. » En outre elle n’estimait pas que les enfants pussent jamais être bien instruits autrement que par eux-mêmes, c’est-à-dire en s’assimilant ce qui est en rapport avec leur tempérament ; c’est en ce sens qu’elle dit : « Tout ce qu’on leur apprend, on les empêche de le savoir. »
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 304


Dubucq, l’ami dont elle rappelle si souvent le témoignage, résumait ses préceptes en ces trois mots : ordre, justesse et mesure […]. « Rousseau, disait-elle, empruntant l’image à Cerutti, est une merveilleuse horloge dont il est toujours délicieux d’entendre le carillon, mais à laquelle il ne faut point demander l’heure. »
  • L'éducation des femmes par les femmes (1885), Octave Gréard, éd. Hachette et Cie, 1889, Madame Necker, p. 310


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