J. M. Coetzee

Une page de Wikiquote, le recueil des citations libres.
J. M. Coetzee (Varsovie, juin 2006).

J. M. Coetzee, né au Cap le 9 février 1940, est un écrivain sud-africain, lauréat 2003 du prix Nobel de littérature.

Au cœur de ce pays , 1976[modifier]

(...) n'y a-t-il pas autre chose à faire du désir que de chercher à posséder l'objet désiré, dans un projet nécessairement vain, puisque sa réalisation ne peut aboutir qu'à l'annihilation de ce que l'on désire ? (...) « Sais-tu comment je me sens, Anna ? Comme un grand vide, un vide rempli d'une grande absence, une absence qui est un désir d'être remplie, d'être nourrie. Mais en même temps je sais que rien ne m'emplira, parce que la première condition de la vie est de toujours désirer, sans quoi la vie s'arrêterait. C'est un principe vital que d'être toujours insatisfait. La satisfaction ne satisfait pas. Seules les pierres ne désirent rien. Et qui sait ? peut-être y a-t-il dans les pierres des trous que nous n'avons jamais découverts. »
  • Au cœur de ce pays, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Serpent à Plumes, coll. « Motifs », 1999  (ISBN 2-84261-116-0), p. 185-186


Il n'y a peut-être pas de temps, je me trompe peut-être quand je désigne mon atmosphère sous le nom de temps, il n'y a peut-être que de l'espace, et je suis un point lumineux qui s'agite d'un lieu de l'espace à un autre, suivant un trajet erratique, sautant plusieurs années en un éclair, tantôt effrayée dans le coin d'une salle de classe, tantôt vieille femme aux doigts noueux - c'est une autre possibilité, mon esprit y est ouvert, et cela expliquerait en partie l'aspect hypothétique de mes souvenirs.
  • Au cœur de ce pays, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Serpent à Plumes, coll. « Motifs », 1999  (ISBN 2-84261-116-0), p. 200


Ce n'est pas la parole qui fait de l'homme un homme, mais la parole des autres.
  • Au cœur de ce pays, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Serpent à Plumes, coll. « Motifs », 1999  (ISBN 2-84261-116-0), p. 203


262. Assise sur le stoep aux côtés de mon père, je regarde la terre tourner, les oiseaux s’occuper à nouveau de bâtir leurs nids; la brise est fraîche sur mes joues, et peut-être aussi sur les siennes. «Tu te souviens», dis-je, «quand on allait à la mer, autrefois ? On remplissait un panier de sandwiches et de fruits, on allait en carriole à la gare et on prenait le train du soir ? On dormait dans le train, bercés par la chanson des roues, on s'éveillait à peine, tout somnolents, quand le train s'arrêtait pour prendre de l'eau, on entendait le murmure lointain des cheminots, et on se rendormait ; le lendemain, on arrivait à la mer, on allait à la plage, et on retirait nos chaussures pour patauger, tu me tenais par la main et tu me soulevais au-dessus des vagues ? Tu te souviens, le bernard-l'hermite qui m'a pincé l'orteil, et j'ai pleuré, pleuré, et tu me faisais des grimaces pour me consoler ? (Tu te souviens de la pension où on logeait ? Cette nourriture insipide - un soir, tu as repoussé ton assiette et déclaré que tu ne mangerais pas d'immondices, tu t'es levé et tu as quitté la salle à manger, et j'ai repoussé mon assiette et je t'ai suivi. Et tu te rappelles comme les chiens étaient contents de nous revoir ? Une fois, le vieux Jakob avait oublié de les nourrir, et tu as juré épouvantablement et tu lui as supprimé sa ration de viande pour une semaine.. Tu te rappelles Jakob, et Hendrik, et Ou-Anna et Klein-Anna ? Tu te rappelles ce fils de Ou-Anna qui avait été tué dans un accident et qu'on avait ramené à la ferme pour l'enterrer, et Ou-Anna qui voulait se jeter dans la fosse ?»
     	«Tu te souviens, l'année de la grande sécheresse, quand les moutons ont tous dû être vendus parce qu'il n'y avait plus rien à brouter à trois cents kilomètres à la ronde, et on a dû batailler pour reconstruire le domaine ? Tu te souviens du grand vieux mûrier, de l'autre côté de la basse-cour; un été, le tronc s'est fendu sous le poids des fruits ? Tu te souviens que la terre tout autour était teintée de violet à cause du jus des mûres tombées à terre ? Tu te souviens du banc des amoureux, qu'on avait installé sous l'arbre-sering - tu y passais parfois l'après-midi entière à écouter le bourdonnement des abeilles menuisières ? Et Vlek, tu t'en souviens ? Vlek qui était une si bonne chienne de berger qu'elle pouvait, seule avec Jakob, faire passer un troupeau entier devant toi au poteau de dénombrement ? Tu te rappelles : vieille, malade, elle ne gardait plus sa nourriture, et il n'y avait que toi qui puisse la tuer, et tu as été faire un tour, après, parce que tu ne voulais pas qu'on te voie pleurer? Tu te rappelles», dis-je, «ces magnifiques poules tachetées que nous avions, et le coq baitam avec ses cinq épouses, qui se perchaient toujours dans les arbres ? Tu te les rappelles tous ? »
  • Au cœur de ce pays, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Serpent à Plumes, coll. « Motifs », 1999  (ISBN 2-84261-116-0), p. 218-220


En attendant les barbares , Angleterre 1980, Afrique du Sud 1981[modifier]

Quel oiseau a le cœur à chanter, dans un buisson d’épines ?
  • En attendant les barbares, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1987  (ISBN 2-02-013403-9), p. 69


...les autres volent vers moi comme des feuilles, mais je les balaie.
  • En attendant les barbares, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1987  (ISBN 2-02-013403-9), p. 178


...en venant au monde, chaque créature porte en elle le souvenir de la justice.
  • En attendant les barbares, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1987  (ISBN 2-02-013403-9), p. 224


Je défais le lit et je m’allonge sur le matelas nu, supposant qu’un malaise va s’emparer de moi à sentir le fantôme d’un autre homme subsister dans ses odeurs et les débris de sa vie. Mais je ne ressens rien de pareil : la chambre me paraît toujours aussi connue. Le bras sur la figure, je m’aperçois que je glisse dans le sommeil. Il se peut que le monde tel qu’il est ne soit pas une illusion, ni le mauvais rêve d’une nuit. Il se peut que l’éveil qui nous y projette soit inéluctable, que nous ne puissions ni l’oublier ni nous en dispenser. Mais j’ai toujours autant de mal à croire que la fin est proche. Si les barbares faisaient irruption maintenant, je mourrais dans mon lit, j’en suis sûr, aussi stupide et ignorant qu’un bébé. Il serait encore plus approprié qu’on me surprenne en bas, dans le cellier, une cuiller à la main, la bouche pleine de confiture de figues fauchée dans le dernier bocal de l’étagère : on pourrait alors couper et jeter sur le tas de têtes amoncelées sur la place une tête qui porterait encore une expression coupable, peinée, étonnée de cette irruption de l’Histoire dans le temps immobile de l’oasis. A chacun la fin qui lui convient le mieux. Certains se feront prendre dans des abris creusés sous leur cave, serrant leur trésor contre leur sein, fermant les yeux de toutes leurs forces. D’autres mourront sur la route, aux prises avec les premières neiges de l’hiver. De rares individus mourront peut-être en combattant, armés de fourches. Après moi, les barbares se torcheront avec les archives de la ville. Jusqu’à la fin, nous n’aurons rien appris. Il semble y avoir chez nous tous, au fond de nous, quelque chose de l’ordre du granit, qui résiste à l’enseignement. Bien que la panique déferle dans les rues, personne ne croit vraiment que le monde de certitudes tranquilles qui nous a accueillis à notre naissance est sur le point de disparaître. Personne ne peut accepter qu’une armée impériale ait été anéantie par des hommes armés d’arcs, de flèches et de vieux fusils rouillés, qui vivent dans des tentes, ne se lavent jamais et ne savent ni lire ni écrire. Et qui suis-je pour ricaner d’illusions qui aident à vivre ? Est-il meilleure façon de passer ces jours ultimes que de rêver d’un sauveur, l’épée brandie, qui disperserait les armées ennemies, nous pardonnerait les erreurs commises par d’autres en notre nom et nous accorderait une seconde chance de bâtir notre paradis terrestre ? Couché sur le matelas nu, je m’applique à animer une représentation de moi-même en nageur, nageant infatigablement, à longues brasses égales, dans le fluide du temps – un fluide plus inerte que l’eau, dépourvu de remous, s’insinuant partout, sans couleur, sans odeur, sec comme du papier.
  • En attendant les barbares, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1987  (ISBN 2-02-013403-9), p. 230-231


...en venant au monde, chaque créature porte en elle le souvenir de la justice.
  • En attendant les barbares, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1987  (ISBN 2-02-013403-9), p. 224


Michael K, sa vie, son temps , 1983[modifier]

(...) dans la mesure où il avait une image de lui-même, c'était celle d'une poussière à la surface d'une terre profondément endormie pour remarquer le grattement des pattes de fourmi, le grincement des dents de papillon, l'effritement des mottes.
  • Michael K, sa vie, son temps, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1985  (ISBN 978-2-02-040455-6), p. 126


Je suis un de ces êtres heureux qui échappent à toute vocation.
  • Michael K, sa vie, son temps, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1985  (ISBN 978-2-02-040455-6), p. 134


Je suis comme une femme dont les enfants ont quitté la maison, pensa-t-il ; il ne reste plus qu'à mettre de l'ordre et à écouter le silence.
  • Michael K, sa vie, son temps, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1985  (ISBN 978-2-02-040455-6), p. 143


(...) un abandon de soi au temps (...)
  • Michael K, sa vie, son temps, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1985  (ISBN 978-2-02-040455-6), p. 147


Je suis issu d'une lignée d'éternels enfants.
  • Michael K, sa vie, son temps, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1985  (ISBN 978-2-02-040455-6), p. 149


(...) je vois en toi une âme humaine qui échappe à toute classification, une âme qui a eu la grâce de n'être effleurée ni par les doctrines d ni par l'histoire, une âme qui remue les ailes dans ce sarcophage rigide, qui frémit derrière ce masque de clown. Tu es précieux, Michaels, à ta façon : tu es le dernier de ton espèce, un reste d'une époque antérieure, comme le cœlacanthe ou le dernier homme à parler le yaqui. Nous sommes tous tombés par-dessus bord dans le chaudron de l'histoire ; toi seul, guidé par ton étoile idiote, attendant ton heure dans un orphelinat (qui aurait pensé à une cachette pareille ?), restant à l'écart de la paix comme de la guerre, embusqué à découvert, là où personne n'avait l'idée de regarder, tu es parvenu à vivre à la manière ancienne, dérivant au fil du temps, soumis aux saisons, n'essayant pas plus de changer le cours de l'histoire que ne le fait un grain de sable.
  • Michael K, sa vie, son temps, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1985  (ISBN 978-2-02-040455-6), p. 192


(Est-ce la morale de de tout cela, pensa-t-il, la morale de toute l'histoire  : qu'il y a assez de temps pour tout ? Est-ce ainsi que viennent les morales, sans qu'on les sollicite, au fil des événements, au moment où on les attend le moins ?)
  • Michael K, sa vie, son temps, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1985  (ISBN 978-2-02-040455-6), p. 229


Foe , 1986[modifier]

« Je vous demande de vous en souvenir : ce n'est pas parce qu'un homme porte la marque du naufrage qu'au fond de son cœur il est un naufragé. »
  • Foe, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1988  (ISBN 2-02-047693-2), p. 37


« (...) Pour dire la vérité avec toute sa substance, il fait avoir la paix, et un fauteuil confortable loin de toute distraction, et une fenêtre par laquelle le regard peut porter au loin ; et puis il faut ce don qui permet de voir des vagues quand ce sont des prés qui s'étendent devant vous, et de sentir le soleil des tropiques alors qu'il fait froid ; et trouver au bout de ses doigts les mots qui peuvent s'emparer de la vision avant qu'elle ne s'évanouisse (...).»
  • Foe, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1988  (ISBN 2-02-047693-2), p. 56


« Oh, Vendredi, comment te faire comprendre à quel point, nous qui vivons dans un monde de paroles, nous aspirons à recevoir des réponses à nos questions ! C'est comme notre désir, quand nous donnons un baiser à quelqu'un, de sentir les lèvres que nous baisons nous répondre. sans cela, ne nous contenterions-nous pas de dispenser nos baisers aux statues, aux froides statues des rois et des reines, des dieux et des déesses? Pourquoi, à ton avis, ne baisons-nous pas les statues, ne partageons-nous pas notre lit avec des statues, les hommes avec des statues de femmes et les femmes avec des statues d'hommes ; des statues sculptées dans les postures du désir ? Penses-tu que ces soit seulement parce que le marbre est froid ? reste assez longtemps au lit avec une statue, tous deux recouverts de chaudes couvertures, et le marbre se réchauffera. Non, ce n'est pas parce que la statue est froide mais parce qu'elle est morte, ou plutôt parce qu'elle n'a jamais vécu et ne vivra jamais. »
  • Foe, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1988  (ISBN 2-02-047693-2), p. 85


« De cela nous pouvons déduire qu'un dessein dirige après tout nos vies, et qu'en attendant assez longtemps nous devons nécessairement voir ce dessein se révéler ; de même qu'en observant un tapissier à l'œuvre nous pouvons ne voir au premier coup d'œil qu'un enchevêtrement de fils ; mais, pour peu que nous soyons patients, des fleurs s'offriront peu à peu à nos regards, et aussi des licornes bondissantes et des tourelles. »
  • Foe, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1988  (ISBN 2-02-047693-2), p. 110


« Regardons en face notre plus grande peur : la crainte d'avoir été, tous tant que nous sommes, appelés dans ce monde depuis un ordre d'existence différent (que nous avons maintenant oublié) par un magicien inconnu de nous, à la façon dont j'ai, selon vous, évoqué votre fille et sa compagne (ce que je n'ai pas fait). Je pose alors cependant cette question : Avons-nous pour autant perdu notre liberté ? En êtes-vous, en particulier, moins maîtresse de votre vie ? Devenons-nous nécessairement les marionnettes d'une histoire dotée d'une fin que nous ne pouvons voir et vers laquelle on nous traîne comme des criminels condamnés ? Nous savons, chacun à notre manière, à quel point l'écriture est une occupation divagante ; et il en est sûrement de même pour la magie. Assis à notre table, nous regardons par la fenêtre, et voici que passe un nuage ressemblant à un chameau ; à peine avons-nous le temps de nous en apercevoir, que notre fantaisie nous a déjà transportés jusqu'aux sables de l'Afrique, et que notre héros (qui n'est personne sinon nous-même sous un déguisement) croise le cimeterre avec un brigand maure. Un autre nuage, en forme de navire, vogue devant nous ; en un clin d'œil,nous voilà abandonné sur une île déserte et plongés dans le désespoir. Avons-nous des raisons de croire que les vies qu'il nous est donné de vivre se déroulent suivant un dessein plus arrêté que ces aventures fantasques ? »
  • Foe, J. M. Coetzee (trad. Sophie Mayoux), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1988  (ISBN 2-02-047693-2), p. 144-145


Scènes de la vie d'un jeune garçon , 1997[modifier]

Est-ce que c'est cela l'amour, cette générosité sans contrainte, ce sentiment d'être enfin compris, de ne pas avoir à faire semblant ?
  • Scènes de la vie d'un jeune garçon, J. M. Coetzee (trad. Catherine Glenn-Lauga), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1999  (ISBN 2-02-052577-1), p. 110


Cependant l'école était passionnante : chaque jour, semblait-il, apportait de nouvelles révélations sur la cruauté, la souffrance et la haine qui font rage sous la surface ordinaire des choses.
  • Scènes de la vie d'un jeune garçon, J. M. Coetzee (trad. Catherine Glenn-Lauga), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1999  (ISBN 2-02-052577-1), p. 159


Ce qu'il écrirait, s'il pouvait, s'il n'y avait pas M. Whelan pour le lire, serait quelque chose de plus sombre, quelque chose qui, une fois que cela commencerait à couler de sa plume, se répandrait sur la page sans qu'on puisse l'arrêter, comme de l'encre renversée. Comme de l'encre renversée, comme des ombres qui courent à la surface d'une eau qui dort, comme des éclairs qui crépitent et qui zèbrent le ciel.
  • Scènes de la vie d'un jeune garçon, J. M. Coetzee (trad. Catherine Glenn-Lauga), éd. Le Seuil, coll. « Points », 1999  (ISBN 2-02-052577-1), p. 160


Elizabeth Costello , Huit leçons, 2004[modifier]

     "Il est aussi difficile d'imaginer l'enfant de Peter le Rouge que d'imaginer l'enfant de Kafka lui-même. Les hybrides sont stériles, ou devraient l'être; et aux yeux de Kafka, lui-même et Peter le Rouge étaient tous deux des hybrides, de monstrueuses machines à penser inexplicablement montées sur des corps d'animaux en proie à la souffrance. Le regard fixe que nous rencontrons sur toutes les photos de Kafka qui nous sont parvenues est un regard de pure surprise : de surprise, d'étonnement, d'inquiétude. De tous les hommes, Kafka est le moins à l'aise avec son humanité. Est-ce , semble-t-il dire, est-ce l'image de Dieu ?"


     “Quant au fait que les animaux seraient trop bêtes et trop stupides pour se faire entendre eux-mêmes, considérez l'enchaînement d'événements suivant. Quand Albert Camus était jeune garçon en Algérie, sa grand-mère lui demanda de lui amener l'une des poules du poulailler. Il obéit, puis il la regarda couper la tête de la volaille avec un couteau de cuisine, recueillant son sang dans un bol pour ne pas souiller le sol.
     Le cri de mort de cette poule s'imprima si vivement dans la mémoire du garçon qu'en 1958 il rédigea une attaque passionnée contre la guillotine. C'est en partie suite à cette polémique que la peine capitale fut abolie en France. Qui oserait affirmer que la poule n'a pas parlé ?”


     "La mort est une affaire privée; l'artiste ne devrait pas envahir la mort d'autrui. Cette position n'est guère courageuse dans un monde où braquer la caméra dans la figure des blessés et des mourants est affiare de routine."


     "Vous me demandez si j'ai changé ma défense. Mais qui suis-je, qui est ce je, qui est ce vous ? Nous changeons d'un jour à l'autre, et nous restons aussi les mêmes. Aucun je, aucun vous n'est plus fondamental que n'importe quel autre. Vous pourriez aussi bien me demander quelles est la véritable Elizabeth Costello : celle qui a fait la première déclaration, ou celle qui a fait la seconde. Ma réponse est que l'une et l'autre sont vraies. L'une et l'autre. Et ni l'une ni l'autre. Je suis une autre. Pardonnez-moi d'avoir recours à des mots qui ne sont pas de moi, mais je ne peux pas le dire mieux. Vous n'avez pas devant vous la bonne personne. Si vous pensez que vous avez la bonne, vous faites erreur sur la personne. Vous n'avez pas la bonne Elizabeth Costello:."


L'Homme ralenti , 2005[modifier]

(Suite à un accident de vélo, Paul Rayment a été amputé d'une jambe, au-dessus du genou, mais refuse la prothèse ; il est aidée par une auxiliaire de vie, immigrée de Croatie en Australie et qui ne maîtrise pas tout à fait l'anglais)

Marijana prend tous ses pantalons et les emporte chez elle. Elle les rapporte deux jours plus tard. Elle a soigneusement replié les jambes droites qu'elle a cousues. « Je n'ai pas coupé, dit-elle. Vous changez peut-être d'avis et vous portez, vous savez, prothèse. On verra. »
   Prothèse : elle prononce ce mot comme si c'était de l'allemand. Thèse, antithèse, puis prothèse.
  • L'Homme ralenti, J. M. Coetzee (trad. Catherine Lauga du Plessis), éd. Le Seuil, coll. « Points », 2006  (ISBN 978-2-7578-0626-5), p. 78


L'appareil photo, qui a le pouvoir de saisir la lumière et d'en faire de la substance, lui a toujours paru une invention plus métaphysique que mécanique.
  • L'Homme ralenti, J. M. Coetzee (trad. Catherine Lauga du Plessis), éd. Le Seuil, coll. « Points », 2006  (ISBN 978-2-7578-0626-5), p. 81


Nous avons des enfants pour nous apprendre à aimer et à servir. Par le truchement de nos enfants nous devenons les serviteurs du temps. Regardez au fond de votre cœur.
  • L'Homme ralenti, J. M. Coetzee (trad. Catherine Lauga du Plessis), éd. Le Seuil, coll. « Points », 2006  (ISBN 978-2-7578-0626-5), p. 219


Nous devrions nous secouer un peu plus souvent. Nous devrions aussi rassembler nos forces et regarder dans le miroir, même si ce que nous y voyons ne nous plaît pas. Je ne parle pas des ravages du temps. Je parle de la créature prise au piège derrière la glace dont nous avons bien soin d'éviter le regard. Regarde donc cet être qui se met à table avec moi, qui passe ses nuits avec moi, qui dit "Je" à ma place. Si vous le trouvez labile, Marijana, ce n'est pas seulement parce que j'ai pris un sale coup. C'est parce que de temps en temps cet étranger, qui dit "Je", brise la glace et parle en moi. À travers moi. Parle ce soir. Parle en ce moment. Parle d'amour.
  • L'Homme ralenti, J. M. Coetzee (trad. Catherine Lauga du Plessis), éd. Le Seuil, coll. « Points », 2006  (ISBN 978-2-7578-0626-5), p. 250


Hier au soir il se croyait à l'article de la mort. Une pincée de ci, une pincée de ça, un chouïa d'autre chose, bien mélangés, mis sous forme de cachet dans une usine de Bangkok, et le monstre de la douleur n'est plus qu'une petite souris. Miraculeux.
  • L'Homme ralenti, J. M. Coetzee (trad. Catherine Lauga du Plessis), éd. Le Seuil, coll. « Points », 2006  (ISBN 978-2-7578-0626-5), p. 259


(Elisabeth Costello, écrivain et son double, s'adresse à lui)

« Écoutez  !


     Mes amis m'abandonnent comme un souvenir perdu.
     Je suis ce que je suis, nul ne le sait, ne s'en soucie
     Moi seul me consume de mes maux.

 » Vous connaissez ces vers ? John Clare. Prenez garde, Paul. Voilà comment vous finirez, comme John Clare, seul, à vous consumer de vos maux. Parce que vous pouvez être sûr que personne d'autre n'en aura rien à faire.»
  • L'Homme ralenti, J. M. Coetzee (trad. Catherine Lauga du Plessis), éd. Le Seuil, coll. « Points », 2006  (ISBN 978-2-7578-0626-5), p. 273


sur Coetzee[modifier]

Je lis avec envie dans la FAZ que le nouveau prix Nobel de littérature, Coetzee, ne donne pas d'interview, n'adresse la parole à personne, ne parle pas de littérature, mais seulement de rugby.
  • L'Ultime Auberge, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2015, p. 164