Il dort, dit la lune.
Et lentement, elle commença à égrener un chapelet d'étoiles. Les étoiles se plaignaient doucement, la comète qui servait de pendentif brillait de mille feux et je me demandais combien de temps encore durerait cette incantation. La lune priait ! Les étoiles une à une pâlissaient et le matin blémissait mes tempes.
L'enfant que, la nuit venue, l'hiver descendait avec précaution de la charrette de la lune, une fois à l'intérieur de la maison balsamique, plongeait d'un seul trait ses yeux dans le foyer de fonte rouge. Derrière l'étroit vitrail incendié l'espace ardent le tenait entièrement captif. Le buste incliné vers la chaleur, ses jeunes mains scellées à l'envolée de feuilles sèches du bien-être, l'enfant épelait la rêverie du ciel glacé.
Fureur et mystère (1948), René Char, éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1962 (ISBN2-07-030065-X), partie SEULS DEMEURENT (1938-1944), Le devoir, p. 43
Equidistants du fruit de la lune et des fruits solaires, suspendus entre des mondes ennemis qui pactisent dans ce peu de matière élue, nous entrevoyons notre portion de totalité.
Liberté sur parole (1958), Octavio Paz (trad. Jean-Clarence Lambert), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1966 (ISBN2-07-031789-7), partie II. AIGLE OU SOLEIL ? (1949-1950), Aigle ou Soleil ? — Être naturel — I, p. 105
Couche de fougères
Mes yeux te tiennent suspendue comme la lune la marée embrasée. A tes pieds l'écume égorgée chante le chant de la nuit qui commence.
Liberté sur parole (1958), Octavio Paz (trad. Jean-Clarence Lambert), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1966 (ISBN2-07-031789-7), partie II. AIGLE OU SOLEIL ? (1949-1950), Aigle ou Soleil ? — Couche de fougères, p. 108
La lune enchantait et attirait la plaine comme elle enchante et attire la mer ; de l’horizon, elle buvait la grande humidité terrestre, avec une bouche insatiable et silencieuse.
Le Feu, Gabriele D'Annunzio, éd. La Revue de Paris, 1900, chap. II. L'empire du silence, p. 740
Toute cette immense étendue, qui conservait, même pendant la nuit, ses teintes chaudes et tranchées, était éclairée par cette lune brillante des tropiques, qui seule sait ce qui se passe au milieu des grandes solitudes du continent africain
Le Capitaine Pamphile (1839), Alexandre Dumas, éd. Gallimard, coll. « Folio Classiques », 2003 (ISBN978-2-07-042652-2), chap. XVII Comment le capitaine Pamphile, ayant abordé sur la côte d'Afrique, au lieu d'un chargement d'ivoire qu'il venait y chercher, fut forcé de prendre une partie de bois d'ébène, p. 243
Sous l'influence du flux il voyait les algues convulsées s'élever avec langueur, balancer des bras qui éludent quand leurs cotillons elles troussent, balancer dans l'eau chuchotante, et lever de timides frondes d'argent. Jour après jour, nuit après nuit : soulebées, inondées, laissées à plat. Seigneur, elles sont lasses, et au chuchotement de l'eau elles soupirent. Saint Ambroise l'entendit, le soupire des feuillages et des vagues, en attente, dans l'attente depuis toujours de la plénitude de leurs temps, diebus ac noctibus iniurias patiens ingemiscit. Pour nulle fin rassemblées, puis en vain relâchées, s'avançant avec le flot, avec lui revenant en arrière : écheveaux du métier de la lune. Elle aussi, lasse aux yeux des amants, des hommes lascifs, une reine nue rayonnante en son royaume, elle tire à elle le réseau des eaux.
Ulysse (1922), James Joyce (trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll. « Folio », 1957 (ISBN2-07-040018-2), p. 79
Au milieu du chantier, se dressaient trois tas de charbon, de taille égale, séparés les uns des autres, malgré les éboulements qui brisaient la pointe de leurs sommets et tentaient de rapprocher leurs bases en les élargissant. Tous trois renvoyaient avec force la lumière qui les inondait ; une muraille de plâtre n'eût pas paru plus blanche que le versant qu'ils exposaient à la lune, mais alors que le plâtre est terne, les facettes diamantées du minerai brillaient comme une eau qui s'agite et chatoie. Cette espèce de ruissellement immobile donnait aux masses de houille et d'anthracite un caractère étrange ; elles semblaient palpiter ainsi que des êtres à qui l'astre magique accordait pour quelques heures une vie mystérieuse et terrifiante. L'une d'elles portait au flanc une longue déchirure horizontale qui formait un sillon où la lumière ne parvenait pas, et cette ligne noire faisait songer à un rire silencieux dans une face de métal. Derrière elles, leurs ombres se rejoignaient presque, creusant des abîmes triangulaires d'où elles paraissaient être montées jusqu'à la surface du sol comme d'un enfer. La manière fortuites dont elles étaient posées, telles trois personnes qui s'assemblent pour délibérer, les revêtait d'une grandeur sinistre.
Le 10 avril 1934, en pleine « occultation » de Vénus par la lune (ce phénomène ne devait se produire qu'une fois dans l'année), je déjeunais dans un petit restaurant situé assez désagréablement près de l'entrée d'un cimetière. Il faut, pour s'y rendre, passer sans enthousiasme devant plusieurs étalages de fleurs [...]. La servante est assez jolie : poétique plutôt. Le 10 avril au matin elle portait, sur un col blanc à pois espacés rouges fort en harmonie avec sa robe noire, une très fine chaîne retenant trois gouttes claires comme de pierre de lune, gouttes rondes sur lesquelles se détachait à la base un croissant de même substance, pareillement serti.
Vous entendez ça d'ici : les violons imitent le bruit du vent, le glockenspiel celui des elfes dansants, la harpe celui de la lune. Car de mémoire de compositeur, à la harpe, toujours, qu'elle soit de Lyon ou à pédales, fut dévolu le soin d'évoquer les rayons de lune !...
Quelque nouveau tour qu'on donne à de vieilles pensées, on se lasse d'une poésie qui ramène toujours les comparaisons de l'aurore, du soleil, de la lune, des étoiles.
« A M. le Maréchal de Créqui » (1671), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Charles de Saint-Évremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 280
La déesse Lune [...] n'est pas seulement déesse des tempêtes et de l'Abondance, c'est-à-dire du désastre et de la prospérité dans le monde extérieur, mais aussi dans le monde intérieur. C'est elle qui provoque la folie et, sur le plan positif, qui donne des visions. On appelait Cybèle et Hécate, Antéa, ce qui signifie donatrice de visions nocturnes.
Les Mystères de la femme (1953), Mary Esther Harding (trad. Eveline Mahyère), éd. Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2001 (ISBN2-228-89431-1), chap. VII. La lune mère, p. 184
Dans les textes tantriques [...] il est dit que l'évolution de la conscience passe, grâce au croissant, de la région humide à la zone enflammée du soleil, et de là, à travers la région de l'air, à la pleine lune. Celui qui atteint la pleine lune « voit les trois périodes et a la vie longue », il est aux portes de la « grande libération ». Ces trois périodes sont le passé, le présent et l'avenir. Elles correspondent aux trois mondes des mythes de la lune : les enfers, la terre et les cieux. [...] en termes de psychologie, celui qui a atteint au royaume de la pleine lune a gagné la connaissance de l'inconscient qui est source, passé, origine ; il possède la puissance dans le monde présent, son regard pénètre l'avenir. En un sens il échappe au temps dont il transcende les limites. Il a acquis l'immortalité.
Les Mystères de la femme (1953), Mary Esther Harding (trad. Eveline Mahyère), éd. Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2001 (ISBN2-228-89431-1), chap. XIV. Renaissance et immortalité, p. 317
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