« Gilbert Keith Chesterton » : différence entre les versions

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'''[[w:G. K. Chesterton|Gilbert Keith Chesterton]]''', né à Kensington, Londres, le {{Date|29|mai|1874}}, et mort le {{Date|14|juin|1936}}, est l'un des plus importants écrivains anglais du début du {{s-|XX|e}}. Son œuvre est extrêmement variée : il a été journaliste, poète, biographe, apologète du christianisme ; aujourd'hui, il est surtout connu pour la série de nouvelles dont le personnage principal est le Père Brown (''The Wisdom Of Father Brown'', ''The Incredulity Of Father Brown''...)
'''[[w:G. K. Chesterton|Gilbert Keith Chesterton]]''', né à Kensington, Londres, le {{Date|29|mai|1874}}, et mort le {{Date|14|juin|1936}}, est l'un des plus importants écrivains anglais du début du {{s-|XX|e}}. Son œuvre est extrêmement variée : il a été journaliste, poète, biographe, apologète du christianisme ; aujourd'hui, il est surtout connu pour la série de nouvelles dont le personnage principal est le Père Brown (''The Wisdom Of Father Brown'', ''The Incredulity Of Father Brown'')


== ''Notebooks'' ==
== ''Notebooks'' ==
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|citation= « - Savez-vous, dit Lord Beaumont avec une sorte d'exaltation fiévreuse, en trottinant derrière nous, je n'arrive pas à comprendre de quel côté de la barrière vous êtes. Quelquefois, vous paraissez tellement libéral et quelquefois tellement réactionnaire. Basil, êtes-vous un homme moderne ?<br />
|citation= « Savez-vous, dit Lord Beaumont avec une sorte d'exaltation fiévreuse, en trottinant derrière nous, je n'arrive pas à comprendre de quel côté de la barrière vous êtes. Quelquefois, vous paraissez tellement libéral et quelquefois tellement réactionnaire. Basil, êtes-vous un homme moderne ?<br />
- Non » dit Basil à voix haute et joyeusement au moment où nous pénétrions dans le salon rempli de monde.
Non » dit Basil à voix haute et joyeusement au moment où nous pénétrions dans le salon rempli de monde.
|original="Do you know," said Lord Beaumont, with a sort of feverish entertainment, as he trotted after us towards the interior, "I can never quite make out which side you are on. Sometimes you seem so liberal and sometimes so reactionary. Are you a modern, Basil?" <br /> "No," said Basil, loudly and cheerfully, as he entered the crowded drawing-room.
|original="Do you know," said Lord Beaumont, with a sort of feverish entertainment, as he trotted after us towards the interior, "I can never quite make out which side you are on. Sometimes you seem so liberal and sometimes so reactionary. Are you a modern, Basil?" <br /> "No," said Basil, loudly and cheerfully, as he entered the crowded drawing-room.
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{{citation|
{{citation|
La poésie est saine parce qu'elle flotte avec aisance sur une mer infinie ; la raison s’évertue à traverser cette mère infinie, et dès lors à la délimiter. Il en résulte un épuisement mental, pareil à l'épuisement mental de M.Hollbein. Tout accepter est un exercice ; tout comprendre est une rude épreuve. Le poète n'aspire qu'à l'exaltation et à l'expansion, à un monde où il puisse s'étendre. Le poète ne demande qu'à lever sa tête jusqu'au cieux. C'est le logicien qui cherche à faire entrer le ciel dans sa tête. Et c'est sa tête qui se fend.
La poésie est saine parce qu'elle flotte avec aisance sur une mer infinie ; la raison s’évertue à traverser cette mère infinie, et dès lors à la délimiter. Il en résulte un épuisement mental, pareil à l'épuisement mental de M. Hollbein. Tout accepter est un exercice ; tout comprendre est une rude épreuve. Le poète n'aspire qu'à l'exaltation et à l'expansion, à un monde où il puisse s'étendre. Le poète ne demande qu'à lever sa tête jusqu'au cieux. C'est le logicien qui cherche à faire entrer le ciel dans sa tête. Et c'est sa tête qui se fend.
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Le progrès devrait vouloir dire que nous transformons sans cesse le monde pour l'adapter à notre vision. Il signifie en réalité (à l'heure actuelle) que nous changeons sans cesse la vision. Il devrait vouloir dire que nous apportons lentement mais sûrement la justice et la charité aux hommes ; il signifie en réalité que nous avons tôt fait de douter des avantages de la justice et de la charité. [...] <br />
Le progrès devrait vouloir dire que nous transformons sans cesse le monde pour l'adapter à notre vision. Il signifie en réalité (à l'heure actuelle) que nous changeons sans cesse la vision. Il devrait vouloir dire que nous apportons lentement mais sûrement la justice et la charité aux hommes ; il signifie en réalité que nous avons tôt fait de douter des avantages de la justice et de la charité. [] <br />
Nous ne modifions pas le réel pour l'adapter à l'idéal. Nous modifions l'idéal : c'est plus facile.
Nous ne modifions pas le réel pour l'adapter à l'idéal. Nous modifions l'idéal : c'est plus facile.
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{{citation
{{citation
|citation=Mais nous avons retardé trop longtemps l'argument principal à seule fin de montrer que le grand rêve démocratique, tout comme le grand rêve médiéval, a été, au sens strict et pratique, un rêve non réalisé. Quoi qu'il advienne de l'Angleterre contemporaine, ce ne sera pas dû au fait que nous aurons pratiqué trop au pied de la lettre ou atteint la complétude décevante du catholicisme de Becket ou l'égalité de Marat. J'ai choisi ces deux exemples pour la simple raison qu'ils sont typiques de milliers d'autres exemples. Le monde regorge de ces idéaux non réalisés, de ces temples inachevés. L'Histoire n'est pas faite d'édifices inachevés. L'histoire n'est pas faite d'édifices achevés et de ruines mal en point ; elle est faite de villas à moitié bâties, abandonnées par un constructeur en faillite. Ce monde ressemble davantage à un faubourg inachevé qu'à un cimetière abandonnée.
|citation=Mais nous avons retardé trop longtemps l'argument principal à seule fin de montrer que le grand rêve démocratique, tout comme le grand rêve médiéval, a été, au sens strict et pratique, un rêve non réalisé. Quoi qu'il advienne de l'Angleterre contemporaine, ce ne sera pas dû au fait que nous aurons pratiqué trop au pied de la lettre ou atteint la complétude décevante du catholicisme de Beckett ou l'égalité de Marat. J'ai choisi ces deux exemples pour la simple raison qu'ils sont typiques de milliers d'autres exemples. Le monde regorge de ces idéaux non réalisés, de ces temples inachevés. L'Histoire n'est pas faite d'édifices inachevés. L'histoire n'est pas faite d'édifices achevés et de ruines mal en point ; elle est faite de villas à moitié bâties, abandonnées par un constructeur en faillite. Ce monde ressemble davantage à un faubourg inachevé qu'à un cimetière abandonnée.
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{{Réf Livre|titre=Le monde comme il ne va pas, 1910
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{{citation
{{citation
|citation= « - [...] Je sais qu'on accuse l'Église d'abaisser la raison, mais c'est le contraire qui est vrai. L'Église est seule sur terre à faire de la raison l'instance suprême. L'Église est seule sur terre à affirmer que Dieu lui-même est limité par la raison. »
|citation= « [] Je sais qu'on accuse l'Église d'abaisser la raison, mais c'est le contraire qui est vrai. L'Église est seule sur terre à faire de la raison l'instance suprême. L'Église est seule sur terre à affirmer que Dieu lui-même est limité par la raison. »
|original="I know that people charge the Church with lowering reason, but it is just the other way. Alone on earth, the Church makes reason really supreme. Alone on earth, the Church affirms that God himself is bound by reason."
|original="I know that people charge the Church with lowering reason, but it is just the other way. Alone on earth, the Church makes reason really supreme. Alone on earth, the Church affirms that God himself is bound by reason."
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{{citation|Tel est le type de société que ces gens s'apprêtent à construire, si nous n'y mettons pas le holà tant que qu'il en est encore temps. Tout, qu'il s'agisse de choses tolérables ou intolérables, y sera subordonné à un seul usage, usage que nos ancêtres appelaient usance ou usure. Ses réalisations artistiques, bonnes ou mauvaises, serviront de réclames aux usuriers ; sa littérature, bonne ou mauvaise, sera patronnée par des usuriers ; ses critères scientifiques répondront aux besoins des usuriers ; sa religion sera suffisamment charitable pour leur accorder son pardon ; son système pénal suffisamment dissuasif pour faire taire toute voix qui se mêlerait de critiquer la pratique de l'usure. Cette société aura peut-être pour dénomination : socialisme, mais son véritable nom sera : esclavage.
{{citation|Tel est le type de société que ces gens s'apprêtent à construire, si nous n'y mettons pas le holà tant que qu'il en est encore temps. Tout, qu'il s'agisse de choses tolérables ou intolérables, y sera subordonné à un seul usage, usage que nos ancêtres appelaient usance ou usure. Ses réalisations artistiques, bonnes ou mauvaises, serviront de réclames aux usuriers ; sa littérature, bonne ou mauvaise, sera patronnée par des usuriers ; ses critères scientifiques répondront aux besoins des usuriers ; sa religion sera suffisamment charitable pour leur accorder son pardon ; son système pénal suffisamment dissuasif pour faire taire toute voix qui se mêlerait de critiquer la pratique de l'usure. Cette société aura peut-être pour dénomination : socialisme, mais son véritable nom sera : esclavage.
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{{Réf Livre
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{{citation|Le problème que doit résoudre aujourd'hui le journaliste politique est le suivant : s'il a véritablement l'intention de dénoncer devant l'opinion un marchandage contacté entre un gouvernement et un entrepeneur, c'est, de nos jours, au Parlement qu'il a affaire ; c'est-à-dire un comité qui le contrôle. Et il doit trancher entre deux points de vue. Ou bien il décide qu'il ne peut exister de gouvernement corrompu. Ou bien il décide qu'il appartient à un gouvernement corrompu de dénoncer sa propre corruption. Je lui donne le choix tout en riant sous cape.
{{citation|Le problème que doit résoudre aujourd'hui le journaliste politique est le suivant : s'il a véritablement l'intention de dénoncer devant l'opinion un marchandage contacté entre un gouvernement et un entrepreneur, c'est, de nos jours, au Parlement qu'il a affaire ; c'est-à-dire un comité qui le contrôle. Et il doit trancher entre deux points de vue. Ou bien il décide qu'il ne peut exister de gouvernement corrompu. Ou bien il décide qu'il appartient à un gouvernement corrompu de dénoncer sa propre corruption. Je lui donne le choix tout en riant sous cape.
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{{citation|La vérité concernant la presse, c'est qu'elle n'est pas telle que son nom la désigne. Elle n'est pas « la presse populaire ». Elle n'est pas la presse publique. Elle n'est pas davantage un organe de l'opinion publique. Elle est une conspiration ourdie par un petit nombre de millionnaires qui se sont entendus sur ce que cette grande nation (à laquelle nous appartenons) doit savoir sur elle-même, ses alliés, ses ennemis.[...]<br >
{{citation|La vérité concernant la presse, c'est qu'elle n'est pas telle que son nom la désigne. Elle n'est pas « la presse populaire ». Elle n'est pas la presse publique. Elle n'est pas davantage un organe de l'opinion publique. Elle est une conspiration ourdie par un petit nombre de millionnaires qui se sont entendus sur ce que cette grande nation (à laquelle nous appartenons) doit savoir sur elle-même, ses alliés, ses ennemis.[]<br >
Si bien que le lecteur de journal reçoit toutes ses informations et ses mots d'ordre politiques de ce qui à l'heure qu'il est constitue plus ou moins consciemment une sorte de société secrète, composée d'un très petit nombre de membres disposant de beaucoup d'argent.
Si bien que le lecteur de journal reçoit toutes ses informations et ses mots d'ordre politiques de ce qui à l'heure qu'il est constitue plus ou moins consciemment une sorte de société secrète, composée d'un très petit nombre de membres disposant de beaucoup d'argent.
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== ''Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste'', 1926 ==
== ''Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste'', 1926 ==
{{citation|La tendance dominante aujourd'hui dans le commerce et les affaires est aux grands consortiums, souvent plus impérialistes, plus anonymes et plus internationaux que les kolkhozes communistes, organisations qui sont du moins collectives sinon collectivistes. C'est bien joli de répéter comme un perroquet : « Où allons-nous avec tout ce bolchevisme ? » Il serait plus pertinent de se demander : « Où allons-nous, même sans le bolchevisme ? » La réponse est simple : nous allons au monopole. Ce n'est certainement pas l'entreprise privée. Le trust américain n'a rien d'une entreprise privée. Le trust n'est ni privé, ni entreprenant. Il n'existe que pour empêcher l'entreprise privée.
{{citation|La tendance dominante aujourd'hui dans le commerce et les affaires est aux grands consortiums, souvent plus impérialistes, plus anonymes et plus internationaux que les kolkhozes communistes, organisations qui sont du moins collectives sinon collectivistes. C'est bien joli de répéter comme un perroquet : « Où allons-nous avec tout ce bolchevisme ? » Il serait plus pertinent de se demander : « Où allons-nous, même sans le bolchevisme ? » La réponse est simple : nous allons au monopole. Ce n'est certainement pas l'entreprise privée. Le trust américain n'a rien d'une entreprise privée. Le trust n'est ni privé, ni entreprenant. Il n'existe que pour empêcher l'entreprise privée.
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{{Réf Livre
{{Réf Livre
|titre=Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste
|titre=Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste
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{{citation|Quand je dis : « Capitalisme », j'entends communément quelque chose qui peut s'exprimer de la façon suivante : un ensemble de conditions économiques permettant à une classe de capitalistes, facilement reconnaissable et relativement restreinte, entre les mains de laquelle est concentrée une si grande portion du capital que la grande majorité des citoyens se voit contrainte de servir ces capitalistes en échange d'un salaire.
{{citation|Quand je dis : « Capitalisme », j'entends communément quelque chose qui peut s'exprimer de la façon suivante : un ensemble de conditions économiques permettant à une classe de capitalistes, facilement reconnaissable et relativement restreinte, entre les mains de laquelle est concentrée une si grande portion du capital que la grande majorité des citoyens se voit contrainte de servir ces capitalistes en échange d'un salaire.
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|titre=Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste
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{{citation|Mettons, voulez-bien, un peu de précision dans le flou qui environne ce terme. Le socialisme est un système politique qui rend les gouvernements responsables de tous les processus économiques inhérents à une société, c'est-à-dire de ses nécessités vitales. Si quelque chose d'important est attribué, c'est le gouvernement qui l'a attribué ; si quoi que ce soit d'important est toléré, c'est encore le gouvernement qui en est responsable. Ce système est, comme on le voit, totalement dirigiste ; c'est le contraire même de l'anarchie ; l'autoritarisme en est la vertu capitale. [...] Mais que les socialistes ne nous reprochent pas de leur dire que leur système entraîne une destruction complète de la liberté. [...] Un gouvernement socialiste par nature ne tolère aucune opposition véritable, car dans un système où le gouvernement fournit tout, il serait absurde de lui demander de fournir par-dessus le marché une opposition.
{{citation|Mettons, voulez-bien, un peu de précision dans le flou qui environne ce terme. Le socialisme est un système politique qui rend les gouvernements responsables de tous les processus économiques inhérents à une société, c'est-à-dire de ses nécessités vitales. Si quelque chose d'important est attribué, c'est le gouvernement qui l'a attribué ; si quoi que ce soit d'important est toléré, c'est encore le gouvernement qui en est responsable. Ce système est, comme on le voit, totalement dirigiste ; c'est le contraire même de l'anarchie ; l'autoritarisme en est la vertu capitale. [] Mais que les socialistes ne nous reprochent pas de leur dire que leur système entraîne une destruction complète de la liberté. [] Un gouvernement socialiste par nature ne tolère aucune opposition véritable, car dans un système où le gouvernement fournit tout, il serait absurde de lui demander de fournir par-dessus le marché une opposition.
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{{citation|La propriété est un point d'honneur. Son contraire est la prostitution, et les hommes ne seront pas toujours prêts à vendre leur honneur, qu'il s'agisse de leur corps ou de leurs biens. Ceux qui le font deviennent toujours des hors-la-loi. Mais la majorité résiste, et quiconque le nie est ignorant, non pas tant de nos plans et de nos propositions, ni du distributisme ou de la division du capital par tel ou tel processus, que de l'histoire et de la nature humaine. C'est un barbare qui n'a jamais vu l'arche.
{{citation|La propriété est un point d'honneur. Son contraire est la prostitution, et les hommes ne seront pas toujours prêts à vendre leur honneur, qu'il s'agisse de leur corps ou de leurs biens. Ceux qui le font deviennent toujours des hors-la-loi. Mais la majorité résiste, et quiconque le nie est ignorant, non pas tant de nos plans et de nos propositions, ni du distributisme ou de la division du capital par tel ou tel processus, que de l'histoire et de la nature humaine. C'est un barbare qui n'a jamais vu l'arche.
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{{citation|Mais dès l'instant où il s'éveille [l'employé] jusqu'à celui où il se couche, sa vie est réglée comme du papier à musique et ce par des gens que la plupart du temps il ne connaît même pas. Il vit dans une maison dont il n'est pas propriétaire, qu'il n'a pas construite et qu'il n'aime pas. Il circule dans des ornières et se rend au travail sur les rails. Il a oublié ce que ses ancêtres, chasseurs et pèlerins, trouvères ou troubadours, chevaliers errants, entendaient par l'expression trouver son gîte et au terme de quelle quête ils le trouvaient. Il pense en termes de salaires ; c'est-à-dire qu'il a oublié la véritable signification du mot richesse.
{{citation|Mais dès l'instant où il s'éveille [l'employé] jusqu'à celui où il se couche, sa vie est réglée comme du papier à musique et ce par des gens que la plupart du temps il ne connaît même pas. Il vit dans une maison dont il n'est pas propriétaire, qu'il n'a pas construite et qu'il n'aime pas. Il circule dans des ornières et se rend au travail sur les rails. Il a oublié ce que ses ancêtres, chasseurs et pèlerins, trouvères ou troubadours, chevaliers errants, entendaient par l'expression trouver son gîte et au terme de quelle quête ils le trouvaient. Il pense en termes de salaires ; c'est-à-dire qu'il a oublié la véritable signification du mot richesse.
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{{citation|Deux fois dans ma vie un rédacteur-en-chef m'a dit qu'il n'osait pas imprimer ce que j'avais écrit de peur d'offenser les annonceurs de son journal. [...] <br />
{{citation|Deux fois dans ma vie un rédacteur-en-chef m'a dit qu'il n'osait pas imprimer ce que j'avais écrit de peur d'offenser les annonceurs de son journal. [] <br />
En ces deux occasions il me refusa la liberté d'expression parce que j'avais écrit que les grands magasins qui bénéficient de la publicité que l'on sait étaient en réalité pires que les petits magasins. C'est la une des choses, et elle est digne d'être relevée, qu'un homme n'a désormais plus le droit de dire ; peut-être même la seule chose qui lui soit réellement interdite. Si j'avais attaqué le gouvernement, on aurait trouvé cela très bien ; si j'avais attaqué Dieu, on aurait trouvé cela encore mieux. Si j'avais critiqué le mariage, le patriotisme ou la morale publique, j'aurais eu droit à la première page de la presse dominicale. Mais un grand journal ne peut se payer le luxe de critiquer les grands magasins, étant un grand magasin à sa manière et en passe de devenir lui-même un monopole.
En ces deux occasions il me refusa la liberté d'expression parce que j'avais écrit que les grands magasins qui bénéficient de la publicité que l'on sait étaient en réalité pires que les petits magasins. C'est la une des choses, et elle est digne d'être relevée, qu'un homme n'a désormais plus le droit de dire ; peut-être même la seule chose qui lui soit réellement interdite. Si j'avais attaqué le gouvernement, on aurait trouvé cela très bien ; si j'avais attaqué Dieu, on aurait trouvé cela encore mieux. Si j'avais critiqué le mariage, le patriotisme ou la morale publique, j'aurais eu droit à la première page de la presse dominicale. Mais un grand journal ne peut se payer le luxe de critiquer les grands magasins, étant un grand magasin à sa manière et en passe de devenir lui-même un monopole.
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{{citation|Ces deux pouvoirs, qui en vérité n'en font qu'un seul, détestent toute division et par conséquent toute distribution. Ils croient à l'unification, au consensus, à l'uniformisation. L'un de ces pouvoirs est le socialisme étatique et l'autre le Grand Commerce. Ils ne forment déjà plus qu'un seul esprit ; demain ils ne seront plus qu'un seul corps. [...] <br />
{{citation|Ces deux pouvoirs, qui en vérité n'en font qu'un seul, détestent toute division et par conséquent toute distribution. Ils croient à l'unification, au consensus, à l'uniformisation. L'un de ces pouvoirs est le socialisme étatique et l'autre le Grand Commerce. Ils ne forment déjà plus qu'un seul esprit ; demain ils ne seront plus qu'un seul corps. [] <br />
Ce sera un monde d'organisation et de standardisation. Tout sera standardisé, chapeaux, maisons, loisirs, alimentation, habillement, éducation, soins de santé, tout sera rouage d'une vaste et monstrueuse machine...
Ce sera un monde d'organisation et de standardisation. Tout sera standardisé, chapeaux, maisons, loisirs, alimentation, habillement, éducation, soins de santé, tout sera rouage d'une vaste et monstrueuse machine…
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Version du 20 juin 2017 à 22:41

Gilbert Keith Chesterton

Gilbert Keith Chesterton, né à Kensington, Londres, le 29 mai 1874, et mort le 14 juin 1936, est l'un des plus importants écrivains anglais du début du XXe siècle. Son œuvre est extrêmement variée : il a été journaliste, poète, biographe, apologète du christianisme ; aujourd'hui, il est surtout connu pour la série de nouvelles dont le personnage principal est le Père Brown (The Wisdom Of Father Brown, The Incredulity Of Father Brown…)

Notebooks

Est-ce que nous ne sommes tous que poussière? Que c'est beau la poussière, pourtant.
  • (en) Are we all dust? What a beautiful thing dust is, though.
  • (fr) Gilbert Keith Chesterton, Maisie Ward (trad. Wikiquote), éd. Sheed & Ward, 1943, p. 59


Heretics, 1905

Le but du sculpteur est de nous convaincre qu'il est sculpteur, celui de l'orateur est de nous convaincre qu'il n'est pas orateur.
  • (en) The aim of the sculptor is to convince us that he is a sculptor; the aim of the orator is to convince us that he is not an orator.
  • (fr) Hérétiques, G. K. Chesterton (trad. Jenny S. Bradley), éd. Plon, 1930, p. 44


Le Club des métiers bizarres, 1905

« — Savez-vous, dit Lord Beaumont avec une sorte d'exaltation fiévreuse, en trottinant derrière nous, je n'arrive pas à comprendre de quel côté de la barrière vous êtes. Quelquefois, vous paraissez tellement libéral et quelquefois tellement réactionnaire. Basil, êtes-vous un homme moderne ?
— Non » dit Basil à voix haute et joyeusement au moment où nous pénétrions dans le salon rempli de monde.
  • (en) "Do you know," said Lord Beaumont, with a sort of feverish entertainment, as he trotted after us towards the interior, "I can never quite make out which side you are on. Sometimes you seem so liberal and sometimes so reactionary. Are you a modern, Basil?"
    "No," said Basil, loudly and cheerfully, as he entered the crowded drawing-room.
  • Le Club des métiers bizarres (1937), G. K. Chesterton (trad. K. Saint Clair Gray), éd. Gallimard, coll. « L'Imaginaire », 2006  (ISBN 2-07-076805-8), p. 61
  • (en) The Club of Queer Trades (1905), Gilbert K. Chesterton, éd. Penguin, 1946, p. 47


Orthodoxie, 1908

Le conte de fées envisage ce qu'un homme saint d'esprit ferait dans un monde de fous. Le roman réaliste et prudent d'aujourd'hui envisage ce qu'un homme essentiellement fou ferait dans un monde insignifiant.

  • Orthodoxie (1908), Gilbert Keith Chesterton (trad. Lucien d'Azay), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2010  (ISBN 978-2-0812-2028-7), p. 27


La poésie est saine parce qu'elle flotte avec aisance sur une mer infinie ; la raison s’évertue à traverser cette mère infinie, et dès lors à la délimiter. Il en résulte un épuisement mental, pareil à l'épuisement mental de M. Hollbein. Tout accepter est un exercice ; tout comprendre est une rude épreuve. Le poète n'aspire qu'à l'exaltation et à l'expansion, à un monde où il puisse s'étendre. Le poète ne demande qu'à lever sa tête jusqu'au cieux. C'est le logicien qui cherche à faire entrer le ciel dans sa tête. Et c'est sa tête qui se fend.

  • Orthodoxie (1908), Gilbert Keith Chesterton (trad. Lucien d'Azay), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2010  (ISBN 978-2-0812-2028-7), p. 29


Le fou n'est pas un homme qui a perdu la raison. Le fou est un homme qui a tout perdu sauf sa raison.

  • Orthodoxie (1908), Gilbert Keith Chesterton (trad. Lucien d'Azay), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2010  (ISBN 978-2-0812-2028-7), p. 32


L'éternité des fatalistes matérialistes, l'éternité des pessimistes orientaux, l'éternité des théosophes dédaigneux et des grands scientifiques contemporains est en effet fort bien représentée par un serpent dévorant sa queue, un animal dégradé qui va jusqu'à s'autodétruire.

  • Orthodoxie (1908), Gilbert Keith Chesterton (trad. Lucien d'Azay), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2010  (ISBN 978-2-0812-2028-7), p. 40


Il est indéniable que l'autorité religieuse a souvent été oppressive ou déraisonnable, de même que tout système légal (en en particulier le système actuel) a été insensible et empreint d'une cruelle apathie. Il est rationnel de s'en prendre à la police, et c'est même honorable. Mais les critiques modernes de l'autorité religieuse ressemblent à des hommes qui s'en prendraient à la police sans jamais avoir entendu parler de cambrioleurs. Car l'esprit humain s'expose à un grand péril, un péril aussi concret qu'un cambriolage. L'autorité religieuse a été dressée contre lui à tord ou à raison, comme une barrière. Et il faut certainement dresser quelque barrière contre lui si on veut que notre race ne coure pas à sa perte.
Ce péril, c'est que l'intelligence humaine et libre de s'autodétruire.

  • Orthodoxie (1908), Gilbert Keith Chesterton (trad. Lucien d'Azay), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2010  (ISBN 978-2-0812-2028-7), p. 54


L'homme révolté moderne ne sert pratiquement plus l'objet de sa révolte. En se rebellant contre tout, il a perdu le droit de se rebeller contre quoi que ce soit.

  • Orthodoxie (1908), Gilbert Keith Chesterton (trad. Lucien d'Azay), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2010  (ISBN 978-2-0812-2028-7), p. 68


On pourrait définir la tradition comme une extension du droit de vote au passé. Elle consiste à accorder le droit de suffrage à la plus obscure de toutes les classes, celle de nos ancêtres. C'est la démocratie des morts. La tradition refuse de se soumettre à la petite oligarchie arrogante de ceux qui ne font que se trouver par hasard sur terre.

  • Orthodoxie (1908), Gilbert Keith Chesterton (trad. Lucien d'Azay), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2010  (ISBN 978-2-0812-2028-7), p. 76


Pour nos objectifs titanesques de foi et de révolution, ce dont nous avons besoin n'est pas l'acceptation glaciale du monde comme un compromis, mais le moyen de passionnément le haïr et de l'aimer passionnément. Nous ne voulons pas que la joie et la colère se neutralisent l'une l'autre et produisent un contentement maussade ; nous voulons une délectation plus farouche et un mécontentement plus farouche. Il faut que nous percevions l'univers à la fois comme le château de l'ogre à assaillir et comme notre propre chaumière où nous pouvons rentrer à la tombée de la nuit.

  • Orthodoxie (1908), Gilbert Keith Chesterton (trad. Lucien d'Azay), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2010  (ISBN 978-2-0812-2028-7), p. 114


Le courage est presque une contradiction dans les termes. C'est un puissant désir de vivre qui prend la forme d'un empressement à mourir. « Celui qui perdra sa vie la sauvera » n'est pas une sentence mystique à l'usage des saints et des héros. C'est le conseil quotidien aux marins et aux montagnards. On pourrait l'imprimer dans un guide des Alpes ou dans un manuel de manœuvres maritimes. Ce paradoxe est tout le principe du courage, même du courage tout à fait terrestre ou tout a fait brutal.

  • Orthodoxie (1908), Gilbert Keith Chesterton (trad. Lucien d'Azay), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2010  (ISBN 978-2-0812-2028-7), p. 148


Le progrès devrait vouloir dire que nous transformons sans cesse le monde pour l'adapter à notre vision. Il signifie en réalité (à l'heure actuelle) que nous changeons sans cesse la vision. Il devrait vouloir dire que nous apportons lentement mais sûrement la justice et la charité aux hommes ; il signifie en réalité que nous avons tôt fait de douter des avantages de la justice et de la charité. […]
Nous ne modifions pas le réel pour l'adapter à l'idéal. Nous modifions l'idéal : c'est plus facile.

  • Orthodoxie (1908), Gilbert Keith Chesterton (trad. Lucien d'Azay), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2010  (ISBN 978-2-0812-2028-7), p. 168, 169


L'essence de tout panthéisme, de tout évolutionnisme et de toute religion cosmique moderne se trouve en réalité dans cette proposition : la Nature est notre mère. Malheureusement, si vous considérez la Nature comme une mère, vous découvrirez qu'elle est une belle-mère. Le principal argument du christianisme était le suivant : La Nature n'est pas notre mère ; elle est notre sœur. Nous pouvons être fiers de sa beauté, puisque nous avons le même père ; mais elle n'a sur nous aucune autorité.

  • Orthodoxie (1908), Gilbert Keith Chesterton (trad. Lucien d'Azay), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2010  (ISBN 978-2-0812-2028-7), p. 179


Nous n'avons aucun besoin de nous rebeller contre l'Antiquité ; il faut nous rebeller contre la nouveauté. Ce sont les nouveaux dirigeants, le capitaliste ou le rédacteur en chef, qui exercent réellement leur emprise sur le monde moderne.

  • Orthodoxie (1908), Gilbert Keith Chesterton (trad. Lucien d'Azay), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2010  (ISBN 978-2-0812-2028-7), p. 184


Le monde comme il ne va pas, 1910

De nos jours, nous voyons souvent mentionner le courage ou l'audace avec lesquels certain rebelle s'en prendra à une tyrannie séculaire ou une superstition désuète. Ce n'est pas faire preuve de courage que de s'en prendre à des choses séculaires ou désuètes, pas plus que de provoquer sa grand-mère. L'homme réellement courageux est celui qui brave des tyrannies jeunes comme le matin ou des superstitions fraîches comme les premières fleurs. Le seul et authentique libre penseur est celui dont l'esprit est aussi libre de l'avenir qu'il l'est du passé. Il se soucie aussi peu de ce qui sera que de ce qui fut ; il ne se soucie que de ce qui devrait être.
  • Le monde comme il ne va pas, 1910 (1910), G. K. Chesterton (trad. Marie-Odile Fortier-Masek), éd. L'Age D'Homme, 1994  (ISBN 2-8251-0482-5), p. 30


Mais nous avons retardé trop longtemps l'argument principal à seule fin de montrer que le grand rêve démocratique, tout comme le grand rêve médiéval, a été, au sens strict et pratique, un rêve non réalisé. Quoi qu'il advienne de l'Angleterre contemporaine, ce ne sera pas dû au fait que nous aurons pratiqué trop au pied de la lettre ou atteint la complétude décevante du catholicisme de Beckett ou l'égalité de Marat. J'ai choisi ces deux exemples pour la simple raison qu'ils sont typiques de milliers d'autres exemples. Le monde regorge de ces idéaux non réalisés, de ces temples inachevés. L'Histoire n'est pas faite d'édifices inachevés. L'histoire n'est pas faite d'édifices achevés et de ruines mal en point ; elle est faite de villas à moitié bâties, abandonnées par un constructeur en faillite. Ce monde ressemble davantage à un faubourg inachevé qu'à un cimetière abandonnée.
  • Le monde comme il ne va pas, 1910 (1910), G. K. Chesterton (trad. Marie-Odile Fortier-Masek), éd. L'Age D'Homme, 1994  (ISBN 2-8251-0482-5), p. 36


Je suis pleinement conscient qu'à notre époque le mot propriété a été terni par la corruption des grands capitalistes. A en croire les gens, on penserait que les Rothschild et les Rockefeller sont partisans de la propriété. Ils sont pourtant, et de toute évidence, les ennemis de celle-ci, car ils sont les ennemis de leurs propres limites. Ils ne veulent pas de leur propre terre ; ils veulent celle des autres. Lorsqu'ils font disparaître les bornes de leurs voisins, ils font du même coup disparaître les leurs.
  • Le monde comme il ne va pas, 1910 (1910), G. K. Chesterton (trad. Marie-Odile Fortier-Masek), éd. L'Age D'Homme, 1994  (ISBN 2-8251-0482-5), p. 39


On peut dire que cette institution qu'est le foyer est l'institution anarchiste par excellence. C'est-à-dire qu'elle est plus ancienne que la loi et qu'elle se tient à l'écart de l'État. De par sa nature, elle est revigorée ou corrompue par des forces indéfinissables issues de la coutume ou de la parenté.
  • Le monde comme il ne va pas, 1910 (1910), G. K. Chesterton (trad. Marie-Odile Fortier-Masek), éd. L'Age D'Homme, 1994  (ISBN 2-8251-0482-5), p. 40


Les américains admettent le divorce pour « incompatibilité d'humeur » : j'ai du mal à comprendre pourquoi ils n'ont pas tous divorcé. J'ai connu beaucoup de mariages heureux, je n'en ai jamais connu de compatible. Le but du mariage est précisément de se battre pour survivre à l'instant où l'incompatibilité l'emporte. Car homme et femme en tant que tels sont incompatibles.
  • Le monde comme il ne va pas, 1910 (1910), G. K. Chesterton (trad. Marie-Odile Fortier-Masek), éd. L'Age D'Homme, 1994  (ISBN 2-8251-0482-5), p. 43


Ce que je cherche à mettre à l'évidence, c'est qu'à Londres, les pauvres ne sont pas abandonnés mais plutôt assourdis et abrutis à coup de conseils bruyants et tyranniques. Ils ne sont pas comme des brebis sans berger. Ils sont plutôt comme une brebis au milieu de vingt-sept bergers hurlants. C'est contre toute la presse, toute la publicité, tous les nouveaux médicaments, toutes les nouvelles théologies, tout l'éblouissement et le fracas des lampions et de la fanfare des temps modernes que l'école devrait prémunir le pauvre, si tant est qu'elle en fût capable.
  • Le monde comme il ne va pas, 1910 (1910), G. K. Chesterton (trad. Marie-Odile Fortier-Masek), éd. L'Age D'Homme, 1994  (ISBN 2-8251-0482-5), p. 148


L’innocence du Père Brown, 1911

La croix bleue (The Blue Cross)

Ce qu'il y a de plus incroyable avec les miracles, c'est qu'ils arrivent.
  • (en) The most incredible thing about miracles is that they happen.
  • Father Brown Stories (1911), G. K. Chesterton (trad. Wikiquote), éd. Penguin Books, coll. « Penguin Popular Classics », 1994  (ISBN 0-14-062259-4), p. 7


« — […] Je sais qu'on accuse l'Église d'abaisser la raison, mais c'est le contraire qui est vrai. L'Église est seule sur terre à faire de la raison l'instance suprême. L'Église est seule sur terre à affirmer que Dieu lui-même est limité par la raison. »
  • (en) "I know that people charge the Church with lowering reason, but it is just the other way. Alone on earth, the Church makes reason really supreme. Alone on earth, the Church affirms that God himself is bound by reason."
  • Father Brown Stories (1911), G. K. Chesterton (trad. Wikiquote), éd. Penguin Books, coll. « Penguin Popular Classics », 1994  (ISBN 0-14-062259-4), p. 21


Utopie des usuriers, 1917

Les contes de fées qui ont bercé nos premiers ans étaient loin d'être aussi mensongers que les manuels d'histoire de nos années de classe. Des contes comme « Puss in Boots » ou « Jack and the beanstalk », sous les dehors merveilleux propres aux comptines et à ce genre de littérature, renfermaient des vérités de l'ordre le plus pratique qui soit. Dans ces deux contes, pour autant que je m'en souvienne, l'ogre n'était pas qu'un ogre mais aussi un magicien.
  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 35


La littérature de nos jours est devenue commerciale, et c'est sans doute la raison pour laquelle le commerce est devenu à son tour littéraire. Mais au mot de roman ou de romance, je substituerai volontiers celui de poubelle ou d'ordures.
  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 38


Cet homme reconstruit et complet est le cauchemar du capitaliste moderne. Tout son plan se briserait comme le miroir de Shalott, si un jour un inconnu s'avisait de remplir les deux devoirs qu incombent à tout homme normal, celui de vivre et celui de mourir. Et cette horreur des vacances propre au capitaliste moderne est la peur de voir un jour en face de lui un être humain complet : quelqu'un qui n'ait ni une main ni une tête bonne à calculer. Mais tout simplement une effrayante créature qui a pris conscience d'elle-même dans la solitude. Ses employeurs lui laisseront le temps de manger et de dormir mais ils seront terrifiés à l'idée qu'elle pût penser par elle-même.
  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 45


Quiconque a quelque connaissance de l'histoire sait fort bien que la notion même de vacances a été perverti. Comme M. Belloc, qui en sait plus sur le chapitre que vous ou moi, le faisait récemment remarquer dans le « Pall Mall Magazine », le titre de la pièce de Shakespeare « La nuit des rois, ou ce que vous voudrez » fait allusion à un carnaval hivernal qui se déroulait jusqu'à la douzième nuit après Noël. Ceux de mes lecteurs qui travaillent dans des bureaux ou dans des usines n'ont qu'à demander à leurs patrons douze jours de vacances après Noël, et ils me diront ce qu'on leur aura répondu.
  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 46


Permettez-moi de vous poser une simple question. Quels sont les plaisirs des riches qui profitent aux pauvres ? Et quels sont les plaisirs de pauvres dont les riches ne peuvent tirer profit ? Réfléchissez à cette question et vous verrez comment s'édifie un esclavage mûrement réfléchi.
  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 49


En dernier ressort ces deux réalités appelées Bière et Savon se terminent par une émission de bulles ou un jet de mousse, comme on préfère. Aucune des deux ne peut certes prétendre au statut de religion, avec cette différence toutefois que si le savon profite à l'usine, la bière, en revanche, rend l'ouvrier plus heureux. Craignons avec le temps de voir fructifier la « religion » du savon et dépérir celle de la bière. Et attendons de voir si la religion de l'État servile n'est pas, hélas, telle que je l'ai décrite : l'essor des petites vertus favorisant le capitalisme et le déclin des grandes vertus qui le combattent. Maintes grandes religions païennes, sans parler de la chrétienne, ont accordé une place centrale au vin. Une seule, je crois, a privilégié le savon : celle des Pharisiens.
  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 49


Ce qu'il y a à craindre dans le développement de la ploutocratie, est de la voir pallier son incurie par de nouveaux crimes. L'appauvrissement général de la population servira de prétexte à la réduire en esclavage, même si ceux qui ont contribué à l'appauvrir sont en fin de compte les mêmes que ceux qui l'ont réduite en servage. C'est comme si un voleur de grand chemin, après avoir dévalisé un voyageur, le remettait à la police pour cause de vagabondage. Ici, ce n'est plus à la gendarmerie que l'on fait appel, mais à la pseudo-science que l'on appelle eugénisme.
  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 51


Et qu'importe après tout si nos maîtres condescendent, dans un quelconque souci pédagogique, à transformer chaque prison en école, ou mieux à faire de chaque école une prison. Ils ont déjà appliqué leur principe servile dans le cas de l'école. Tout le monde aujourd'hui va à l'école élémentaire sauf le petit nombre de ceux qui leur disent d'y aller. Je prophétise, à moins que notre révolte ne réussisse, que demain presque tout le monde ira s'instruire en prison.
  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 59


Tel est le type de société que ces gens s'apprêtent à construire, si nous n'y mettons pas le holà tant que qu'il en est encore temps. Tout, qu'il s'agisse de choses tolérables ou intolérables, y sera subordonné à un seul usage, usage que nos ancêtres appelaient usance ou usure. Ses réalisations artistiques, bonnes ou mauvaises, serviront de réclames aux usuriers ; sa littérature, bonne ou mauvaise, sera patronnée par des usuriers ; ses critères scientifiques répondront aux besoins des usuriers ; sa religion sera suffisamment charitable pour leur accorder son pardon ; son système pénal suffisamment dissuasif pour faire taire toute voix qui se mêlerait de critiquer la pratique de l'usure. Cette société aura peut-être pour dénomination : socialisme, mais son véritable nom sera : esclavage.
  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 71


Le capitalisme est un être particulièrement rusé doté d'un tas de qualités dont la plus remarquable à mes yeux est un manque absolu de vergogne. A ses yeux, rien n'est saint, rien n'est sacré ; pas plus l'heure de la mort que le jour du jugement, la maison de deuil ou la tente de l'exil, la chevalerie ou le patriotisme, la féminité ou le veuvage ; rien n'échappe à ses sales petits tripatouillages. Tout ce qui compte pour lui, c'est de mettre au régime celui qui travaille afin de lui faire rendre le maximum. Et tout comme on voit des collecteurs d'impôts glisser un pied insolent dans l'embrasure de la porte du taudis où ils ont affaire, les capitalistes, eux, sont toujours prêts à enfoncer un coin boueux partout où il se trouve une fente dans une maisonnée en train de se fissurer ou une fêlure dans un cœur en train de se briser.
  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 80


Si la raison et le bon sens, le jugement et le discernement sont des termes qui signifient encore quelque chose, je dirai que la capitalisme est insane. Je ne dirai pas à M. Rockefeller : « Je suis un rebelle. » Je lui dirai : « Je suis un homme respectable et vous pas. »
  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 86


Le problème que doit résoudre aujourd'hui le journaliste politique est le suivant : s'il a véritablement l'intention de dénoncer devant l'opinion un marchandage contacté entre un gouvernement et un entrepreneur, c'est, de nos jours, au Parlement qu'il a affaire ; c'est-à-dire un comité qui le contrôle. Et il doit trancher entre deux points de vue. Ou bien il décide qu'il ne peut exister de gouvernement corrompu. Ou bien il décide qu'il appartient à un gouvernement corrompu de dénoncer sa propre corruption. Je lui donne le choix tout en riant sous cape.
  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 110


je ne me nourris pas de soupe à la tortue et de vin de Tokay à cause de ma connaissance de la langue et du style de Richter et de Heine, alors que la classe gouvernante anglaise se nourrit, elle, de soupe à la tortue et de vin de Tokay pour incarner le passé dont elle est aussi ignorante que moi des verbes irréguliers allemands, et pour incarner les traditions religieuses de la Nation alors qu'elle n'en sait pas plus en théologie que moi en grammaire allemande.

Voici la dernière insulte des fiers à l'endroit des humbles. Ils les gouvernent par la terreur souriante d'un ancien secret. Ils sourient et sourient, mais ils ont oublié le secret.

  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 149


Je pense, pour ma part, que tout l'appareil moderne officiel de comptabilité électorale ressemble à cette tour branlante. Timour devait compter les têtes comme un agent électoral le nombre de voix. Parfois, ayant vu de la tribune d'une quelconque réunion électorale des rangées de visages goguenards tournés vers l'orateur, j'avais tendance à me dire, comme le poète dans « The Vision of Sin » :

Soyez les bienvenus, camarades-citoyens,
Cœurs creux et têtes vides.

  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 160


La vérité concernant la presse, c'est qu'elle n'est pas telle que son nom la désigne. Elle n'est pas « la presse populaire ». Elle n'est pas la presse publique. Elle n'est pas davantage un organe de l'opinion publique. Elle est une conspiration ourdie par un petit nombre de millionnaires qui se sont entendus sur ce que cette grande nation (à laquelle nous appartenons) doit savoir sur elle-même, ses alliés, ses ennemis.[…]

Si bien que le lecteur de journal reçoit toutes ses informations et ses mots d'ordre politiques de ce qui à l'heure qu'il est constitue plus ou moins consciemment une sorte de société secrète, composée d'un très petit nombre de membres disposant de beaucoup d'argent.

  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 178


Et nous avons fini par nous apercevoir que le capitalisme ne sait pas plus écrire qu'il ne sait se battre, prier, se marier, faire une plaisanterie ou tout autre chose profondément humaine.
  • Utopie des usuriers, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-31-4), p. 181


Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste, 1926

La tendance dominante aujourd'hui dans le commerce et les affaires est aux grands consortiums, souvent plus impérialistes, plus anonymes et plus internationaux que les kolkhozes communistes, organisations qui sont du moins collectives sinon collectivistes. C'est bien joli de répéter comme un perroquet : « Où allons-nous avec tout ce bolchevisme ? » Il serait plus pertinent de se demander : « Où allons-nous, même sans le bolchevisme ? » La réponse est simple : nous allons au monopole. Ce n'est certainement pas l'entreprise privée. Le trust américain n'a rien d'une entreprise privée. Le trust n'est ni privé, ni entreprenant. Il n'existe que pour empêcher l'entreprise privée.
  • Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste (1926), G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-28-4), p. 14


Quand je dis : « Capitalisme », j'entends communément quelque chose qui peut s'exprimer de la façon suivante : un ensemble de conditions économiques permettant à une classe de capitalistes, facilement reconnaissable et relativement restreinte, entre les mains de laquelle est concentrée une si grande portion du capital que la grande majorité des citoyens se voit contrainte de servir ces capitalistes en échange d'un salaire.
  • Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste (1926), G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-28-4), p. 15


Mettons, voulez-bien, un peu de précision dans le flou qui environne ce terme. Le socialisme est un système politique qui rend les gouvernements responsables de tous les processus économiques inhérents à une société, c'est-à-dire de ses nécessités vitales. Si quelque chose d'important est attribué, c'est le gouvernement qui l'a attribué ; si quoi que ce soit d'important est toléré, c'est encore le gouvernement qui en est responsable. Ce système est, comme on le voit, totalement dirigiste ; c'est le contraire même de l'anarchie ; l'autoritarisme en est la vertu capitale. […] Mais que les socialistes ne nous reprochent pas de leur dire que leur système entraîne une destruction complète de la liberté. […] Un gouvernement socialiste par nature ne tolère aucune opposition véritable, car dans un système où le gouvernement fournit tout, il serait absurde de lui demander de fournir par-dessus le marché une opposition.
  • Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste (1926), G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-28-4), p. 19


La propriété est un point d'honneur. Son contraire est la prostitution, et les hommes ne seront pas toujours prêts à vendre leur honneur, qu'il s'agisse de leur corps ou de leurs biens. Ceux qui le font deviennent toujours des hors-la-loi. Mais la majorité résiste, et quiconque le nie est ignorant, non pas tant de nos plans et de nos propositions, ni du distributisme ou de la division du capital par tel ou tel processus, que de l'histoire et de la nature humaine. C'est un barbare qui n'a jamais vu l'arche.
  • Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste (1926), G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-28-4), p. 28


Si nous continuons sur la voie sans issue sur laquelle nous nous sommes engagés, nous verrons rapidement disparaître tout espèce de propriété, engloutie qu'elle sera par un système impersonnel et inhumain, que nous l’appelions capitalisme ou communisme. Si nous ne pouvons pas revenir en arrière, cela ne vaut guère la peine d'aller de l'avant. Car il n'y a rien d'autre devant nous que le désert aride de la standardisation soit par le bolchevisme soit par le grand commerce. Comment est-il possible que certains d'entre-nous jouissent encore de leur bon sens, fût-ce à l'état d'embryon ou de vision, alors que le reste serait condamné à un progrès sans espoir et à une croissance sans liberté ?
  • Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste (1926), G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-28-4), p. 29


Ils ont rendu une grande et fière nation débitrice d'une poignée d'hommes riches, prolétarisant ainsi des populations entières qui vivaient de la terre, dont ils étaient les propriétaires. Ils ont couvert la terre de pierre et de fer et l'ont dépouillée d'herbe et de grain ; ils ont vidé leur pays de nourriture dans l'espoir de la racheter à meilleur prix aux quatre coins de la planète. Ils ont chargé leur petite île de fer et d'or tant est si bien qu'elle s'est mise à ressembler à un navire qui sombre. Ils ont laissé les riches devenir de plus en plus riches et de moins en moins nombreux. Ils ont partagé le monde en deux ; d'un côté, les maîtres, de l'autre, les serviteurs. Mais pas maîtres et serviteurs à l'ancienne mode, vivant ensemble, mais vivant séparément, éloignés les uns des autres, dans des quartiers de ville bien distincts.
  • Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste (1926), G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-28-4), p. 56


Mais dès l'instant où il s'éveille [l'employé] jusqu'à celui où il se couche, sa vie est réglée comme du papier à musique et ce par des gens que la plupart du temps il ne connaît même pas. Il vit dans une maison dont il n'est pas propriétaire, qu'il n'a pas construite et qu'il n'aime pas. Il circule dans des ornières et se rend au travail sur les rails. Il a oublié ce que ses ancêtres, chasseurs et pèlerins, trouvères ou troubadours, chevaliers errants, entendaient par l'expression trouver son gîte et au terme de quelle quête ils le trouvaient. Il pense en termes de salaires ; c'est-à-dire qu'il a oublié la véritable signification du mot richesse.
  • Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste (1926), G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-28-4), p. 64


Deux fois dans ma vie un rédacteur-en-chef m'a dit qu'il n'osait pas imprimer ce que j'avais écrit de peur d'offenser les annonceurs de son journal. […]

En ces deux occasions il me refusa la liberté d'expression parce que j'avais écrit que les grands magasins qui bénéficient de la publicité que l'on sait étaient en réalité pires que les petits magasins. C'est la une des choses, et elle est digne d'être relevée, qu'un homme n'a désormais plus le droit de dire ; peut-être même la seule chose qui lui soit réellement interdite. Si j'avais attaqué le gouvernement, on aurait trouvé cela très bien ; si j'avais attaqué Dieu, on aurait trouvé cela encore mieux. Si j'avais critiqué le mariage, le patriotisme ou la morale publique, j'aurais eu droit à la première page de la presse dominicale. Mais un grand journal ne peut se payer le luxe de critiquer les grands magasins, étant un grand magasin à sa manière et en passe de devenir lui-même un monopole.

  • Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste (1926), G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-28-4), p. 71


Une fois que vous avez réussi à réunir un nombre suffisant de petits propriétaires, d'hommes dotés de la psychologie et la philosophie de la petite propriété, alors vous pouvez commencer à leur parler de quelque chose de plus qu'une simple réforme sociale qui leur rend justice et satisfait leurs aspirations ; mais d'une terre où des chrétiens pourraient vivre. Vous pouvez alors leur faire comprendre ce que des ploutocrates et des prolétaires ne peuvent entendre, pourquoi la machine ne doit exister qu'à titre d'outil de l'homme, pourquoi les choses que nous produisons nous-mêmes sont aussi précieuses que nos propres enfants, et comment le luxe peut s'acquérir au prix de la liberté. Si des gouvernements d'hommes commencent à s'affranchir des tâches serviles qui sont actuellement les leurs, ils commenceront à former le corps de « notre » opinion publique.
  • Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste (1926), G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-28-4), p. 95


Pour une personne saine d'esprit, le problème de la concentration capitaliste relève du droit criminel pour ne pas dire de la démence criminelle.
  • Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste (1926), G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-28-4), p. 96


Je trouve bon, tant en théorie qu'en pratique, qu'il existe dans la société une classe de citoyens chargée essentiellement de produire et de consommer, plus que d'échanger. Notre idéal exige qu'il y ait dans la société un noyau aussi résistant que complet. C'est alors que le commerce et les échanges trouveront leur juste et raisonnable place, comme autrefois à travers foires et marchés. Il y aurait au cœur de la civilisation un type d'homme qui serait véritablement indépendant, au sens où il produirait et consommerait à l'intérieur de son propre cercle social.
  • Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-28[à vérifier : ISBN invalide]), p. 142


Nous avons besoin d'une nouvelle inspiration, d'un nouvel esprit, et même d'un nouveau langage avant que cette solution contribue à résoudre quoi que ce soit. En fait de progrès, ce dont nous avons le plus besoin c'est de la propriété, pour nous et pour les autres. L'utopie a besoin de plus, et non de moins de frontières.
  • Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-28[à vérifier : ISBN invalide]), p. 203


Il n'est pas toujours suffisant de poursuivre un rayon lumineux, il est parfois nécessaire de se reposer dans sa lumière ; d'éprouver quelque chose de sacré aussi bien dans la lumière et la chaleur du feu de camp que dans celle de l'étoile polaire. Et cette même et mystérieuse voix qui nous dit que nous n'avons pas ici-bas de demeure permanente est la seule qui à l'intérieur des limites de ce monde peut nous inciter à édifier des cités qui le soient.
  • Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-28[à vérifier : ISBN invalide]), p. 214


Ces deux pouvoirs, qui en vérité n'en font qu'un seul, détestent toute division et par conséquent toute distribution. Ils croient à l'unification, au consensus, à l'uniformisation. L'un de ces pouvoirs est le socialisme étatique et l'autre le Grand Commerce. Ils ne forment déjà plus qu'un seul esprit ; demain ils ne seront plus qu'un seul corps. […]

Ce sera un monde d'organisation et de standardisation. Tout sera standardisé, chapeaux, maisons, loisirs, alimentation, habillement, éducation, soins de santé, tout sera rouage d'une vaste et monstrueuse machine…

  • Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste, G.K. Chesterton (trad. Gérard Joulié), éd. éditions de l'Homme Nouveau, 2010  (ISBN 978-2-915988-28[à vérifier : ISBN invalide]), p. 221


La Chose, 1929

Tous ces mots ridicules comme Service, Efficacité, Sens Pratique, etc., échouent parce qu'ils vénèrent les moyens et non la fin. Et tout revient donc à la question de savoir si nous proposons de vénérer la fin et, de préférence, la fin juste.

  • La Chose, Gilbert Keith Chesterton (trad. Pierre Guglielmina), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2015  (ISBN 978-2-0813-0087-3), chap. Le sceptique en tant que critique, p. 18


Il serait bien plus vrai de dire que la foi rend à un homme son corps, son âme, sa raison, sa volonté et même sa vie. Il serait encore plus vrai de dire que l'homme qui a accueilli la foi accueille toutes les anciennes fonctions humaines que toutes les autres philosophies lui ont déjà retirées. Il serait plus proche de la réalité d'affirmer qui lui seul connaîtra la liberté, lui seul aura une volonté, parce que lui seul croira au libre arbitre ; lui seul aura une raison dans la mesure où le doute ultime dénie toute raison comme toute autorité ; lui seul pourra vraiment agir, puisque l'action est menée envers une fin. Il est du moins assez probable que tout ce désespoir brutal et sans avenir de l'intellect fera de lui pour finir le seul citoyen capable de marcher et de parler dans une ville de paralytiques.

  • La Chose, Gilbert Keith Chesterton (trad. Pierre Guglielmina), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2015  (ISBN 978-2-0813-0087-3), chap. Le sceptique en tant que critique, p. 26


Le point essentiel, c'est que le monde à l'extérieur du foyer est désormais soumis à une discipline et à une routine rigides, et c'est seulement à l'intérieur du foyer qu'il y a véritablement une place pour l'individualité et la liberté. Quiconque franchit le seuil de la maison est obligé de s'engager dans une procession, tout le monde marchant dans la même direction et, dans une large mesure, étant obligé de porter le même uniforme. L'entreprise, en particulier la grande entreprise, est aujourd'hui organisée comme une armée.

  • La Chose, Gilbert Keith Chesterton (trad. Pierre Guglielmina), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2015  (ISBN 978-2-0813-0087-3), chap. La dérive moin de la vie domestique, p. 55


Ce que nous observons à propos de l'ensemble de la culture courante du journalisme et de ce qui se discute en général, c'est que les gens ne savent pas encore comment commencer à penser. Non seulement leur pensée n'est que de troisième ou quatrième main, mais elle démarre toujours aux trois quarts du processus. Les hommes ne savent pas d'où viennent leurs propres pensées. Ils ne savent pas ce que leurs propres mots impliquent. Ils débarquent à la fin de chaque controverse et ne savent rien de l'endroit où elle a commencé et de quoi elle retourne. Ils comptent constamment sur certains absolus qui, une fois définis correctement, leur feraient l'effet, même à eux, d'être des absurdités plutôt que des absolus.

  • La Chose, Gilbert Keith Chesterton (trad. Pierre Guglielmina), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2015  (ISBN 978-2-0813-0087-3), chap. Logique — et tennis sur gazon, p. 62, 63


La psychanalyse, c'est le confessionnal sans les protections du confessionnal, le communisme, c'est le mouvement franciscain sans l'influence modératrice de l'Église ; et les sectes américaines qui ont hurlé pendant trois siècles contre la théâtralité pontificale et l'appel au sens, « égaient » désormais leurs messes grâce à des films d'une théâtralité extravagante et à des projecteurs de lumière rose braqués sur la tête de leur ministre du culte. Si nous avions un rayon de lumière à braquer quelque part, nous ne devrions pas le braquer sur le ministre.

  • La Chose, Gilbert Keith Chesterton (trad. Pierre Guglielmina), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2015  (ISBN 978-2-0813-0087-3), chap. Pourquoi je suis catholique, p. 98


Ces gens modernes entendent simplement par activité mentale un train express roulant de plus en plus vite le long des mêmes rails en direction de la même gare ; ou bien de plus en plus de wagons accrochés pour être conduits à la même destination. La notion qui a disparu de leurs esprits est celle du mouvement volontaire, même pour atteindre le même but. Ils ont fixé non seulement les fins, mais les moyens. Ils ont imposé non seulement les doctrines, mais les mots.

  • La Chose, Gilbert Keith Chesterton (trad. Pierre Guglielmina), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2015  (ISBN 978-2-0813-0087-3), chap. Sur le courage et l'indépendance, p. 231


Le monde, particulièrement le monde moderne, est parvenu à un curieux état de rituel ou de routine, dans lequel il a tort même lorsqu'il a raison, pourrions-nous pratiquement dire. Dans une large mesure, il continue à faire des choses raisonnables, mais il cesse rapidement d'avoir le moindre mobile raisonnable de les faire. Il nous sermonne inlassablement sur le caractère moribond de la tradition ; et il ne se soutient encore que de la vie de la tradition.

  • La Chose, Gilbert Keith Chesterton (trad. Pierre Guglielmina), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2015  (ISBN 978-2-0813-0087-3), chap. Les sources de l'esprit sain, p. 249


La Chute est une vision de la vie. C'est non seulement l'unique vision éclairante de la vie, c'est aussi la seule qui soit encourageante. Elle maintient, contre les seules philosophies réelles alternatives que sont celles du bouddhiste, du pessimiste et du prométhéen, que nous avons fait un mauvais usage d'un monde bon et non simplement été pris au piège dans un monde mauvais. Elle renvoie le mal à un mauvais usage de la volonté et, par conséquent, implique qu'il peut être réparé grâce à un bon usage de la volonté. Tout autre croyance est une forme de reddition à la fatalité.

  • La Chose, Gilbert Keith Chesterton (trad. Pierre Guglielmina), éd. Flammarion, coll. « Climats », 2015  (ISBN 978-2-0813-0087-3), chap. L'esquisse de la chute, p. 306


À bâtons rompus, propos débridés, 2010

Je n'ai aucun goût personnel pour la discipline excessive ou pour la répression ; c'est pourquoi je n'ai jamais écrit de roman sur l'Utopie, contrairement à la quasi-totalité de la race humaine pécheresse qui, de notre temps, a écrit n'importe quoi. Utopie me paraît toujours signifier discipline excessive plutôt qu'émancipation, répression plutôt que développement.

  • À bâtons rompus, propos débridés, Gilbert Keith Chesterton (trad. Maurice Le Péchoux), éd. L'Age d'Homme, 2010  (ISBN 978-2-8251-4011-6), chap. V, à propos de la radiodiffusion, p. 33


Mais depuis qu'il est tellement à la mode de s'emparer d'une lubie et de la présenter comme une mesure sociale, je ne vois pas pourquoi je n'en suggérerais pas une que je crois être beaucoup plus sensée que la plupart. Je crois devoir suggérer qu'une société vraiment raisonnable, au lieu de continuer de développer ces communications envahissantes devrait plutôt les restreindre, en les limitant à ceux qui ne peuvent vraiment pas s'en passer.

  • À bâtons rompus, propos débridés, Gilbert Keith Chesterton (trad. Maurice Le Péchoux), éd. L'Age d'Homme, 2010  (ISBN 978-2-8251-4011-6), chap. V, à propos de la radiodiffusion, p. 34, 35


On dit que les gouvernements modernes rendent la vie plus sûre et que l'on peut très facilement introduire une réclamation. Mais il est du moins certain que les gouvernements modernes rendent plus sûre la vie des classes dirigeantes et jamais, dans toute l'histoire du monde, gouverner n'a présenté moins de risques.

  • À bâtons rompus, propos débridés, Gilbert Keith Chesterton (trad. Maurice Le Péchoux), éd. L'Age d'Homme, 2010  (ISBN 978-2-8251-4011-6), chap. IX, à propos du pilori, p. 82


En d'autres termes, quand nous considérons ce que les hommes ont fait, nous regardons ce qu'ils ont choisi de faire. Mais quand nous considérons ce qu'ils feront, il n'est pas possible de tenir compte de ce qu'ils choisiront de faire. Nous pouvons seulement examiner ce qu'ils doivent faire. À moins que ce soit quelque chose d'inévitable, nous ne pouvons prévoir ce que ce sera. Et ainsi notre prédiction, qu'elle soit vraie ou fausse, ne peut envisager la société humaine que sous son côté servile. Pour autant que la génération suivante soit libre, elle est libre de contrecarrer notre prophétie.

  • À bâtons rompus, propos débridés, Gilbert Keith Chesterton (trad. Maurice Le Péchoux), éd. L'Age d'Homme, 2010  (ISBN 978-2-8251-4011-6), chap. XXIII, à propos des l'archéologie, p. 145, 146


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