« Andreï Makine » : différence entre les versions

Une page de Wikiquote, le recueil des citations libres.
Contenu supprimé Contenu ajouté
Ajout de citations "Le lire des brèves amours éternennes"
Ligne 72 : Ligne 72 :
|page=119
|page=119
|ISBN=2-02-048343-2
|ISBN=2-02-048343-2
}}

== ''Le livre des brèves amours éternelles'' ==
{{Citation
|citation=Grâce à elle, je compris soudain ce que signifiait être amoureux : oublier sa vie précédente et n'exister que pour deviner la respiration de celle qu'on aime, le frémissement de ses cils, la douceur de son cou sous une écharpe grise. Mais surtout éprouver la bienheureuse inaptitude à réduire la femme à elle-même. Car elle était aussi cette abondance neigeuse qui nous entourait, et le poudroiement solaire suspendu entre les arbres, et cet instant tout entier où se laissait déjà pressentir le souffle timide du printemps. Elle était tout cela et chaque détail dans le tracé simple de sa silhouette portait le reflet de cette extension lumineuse.
}}
{{Réf Livre
|titre=Le livre des brèves amours éternelles
|auteur=Andreï Makine
|éditeur=Seuil
|année=2011
|page=44
|ISBN=978-2-02103365-6
}}

{{Citation
|citation=Je devinais que la vérité ne se trouvait ni parmi eux dans le camp opposé, chez les contestataires. Elle m'apparaissait simple et lumineuse comme cette journée de février, sous les arbres alourdis de neige. La beauté humble du visage féminin aux paupières baissées rendait dérisoires les tribunes, et leurs occupants, et la prétention des hommes de prophétiser au nom de l'Histoire. La vérité était dite par le silence de cette femme, par sa solitude, par son amour si simple que même un enfant inconnu qui descendait les marches en fut ébloui pour toujours.
}}
{{Réf Livre
|titre=Le livre des brèves amours éternelles
|auteur=Andreï Makine
|éditeur=Seuil
|année=2011
|page=46
|ISBN=978-2-02103365-6
}}

{{Citation
|citation=Notre erreur est de chercher des paradis pérennes. Des plaisirs qui ne s'usent pas, des attachements persistants, des caresses à la vitalité de lianes : l'arbre meurt mais leurs antrelacs continuent à verdoyer. Cette obsession de la durée nous fait manquer tant de paradis fugaces, les seuls que nous puissions approcher au cours de notre fulgurant trajet de mortels. Leurs éblouissements surgissent dans des lieux souvent si humbles et éphémères que nous refusons de nous y attarder. Nous préférons bâtir nos rêves avec les blocs granitiques des décennies. Nous nous croyons destinés à une longévité de statues.
}}
{{Réf Livre
|titre=Le livre des brèves amours éternelles
|auteur=Andreï Makine
|éditeur=Seuil
|année=2011
|page=81
|ISBN=978-2-02103365-6
}}

{{Citation
|citation=Le fait d'être amoureux nous paraissait indiscutable. Pourtant, au lieu de provoquer un état d'excitation fébrile, il nous rendait presque impassibles. Nous devenions lents, hypnotisés par la nouveauté et la force de ce qui nous arrivait. Je pouvais passer des heures dans une félicité parfaite qui n'avait besoin que des rares mouvements de la robe claire à travers la pièce cuivrée sous le soleil de mars. Voir une natte légèrement bouclée qui scintillait de chaque cheuveu, sous un rayon de lumière, me suffisait pour me sentir heureux. ET quand ses yeux, d'un reflet vert et bleu, se posaient sur moi, j'avais l'impression de commencer à exister dans une identité enfin véritablement mienne.
}}
{{Réf Livre
|titre=Le livre des brèves amours éternelles
|auteur=Andreï Makine
|éditeur=Seuil
|année=2011
|page=89
|ISBN=978-2-02103365-6
}}

{{Citation
|citation=J'ai dû attendre plus encore avant de comprendre véritablement quelle était cette offrande humble et précieuse que j'avais reçue d'elles. Le pays de notre jeunesse a sombré en emportant dans son naufrage tant de destins restés anonymes. Cette jeune fille retrouvant sur un disque la mélodie que nous aimions, sa mère poussant un sac en toile entre les mains d'un prisonnier, moi-même clopinant dans la boue sur ma jambe cassée... Et une myriade d'existences, douleurs, espoirs, deuils, promesses. Et ce rêve d'une ville idéale, peuplée d'hommes et de femmes qui n'allaient plus connaître la haine. Et cette « doctrine éternellement vivante, créatrice et révolutionnaire », emportée elle aussi par la frénésie du temps.
}}
{{Réf Livre
|titre=Le livre des brèves amours éternelles
|auteur=Andreï Makine
|éditeur=Seuil
|année=2011
|page=102
|ISBN=978-2-02103365-6
}}
}}



Version du 9 mai 2015 à 10:48

Andreï Makine

Andreï Makine, né le 10 septembre 1957 à Krasnoïarsk, en Sibérie, est un écrivain d'origine russe et de langue française. Il a également publié des romans sous le pseudonyme de Gabriel Osmonde.

Le testament français

Encore enfant, je devinais que ce sourire très singulier représentait pour chaque femme une étrange petite victoire. Oui, une éphémère revanche sur les espoirs déçus, sur la grossièreté des hommes, sur la rareté des choses belles et vraies dans ce monde. Si j'avais su le dire, à l'époque, j'aurais appelé cette façon de sourire « féminité »... Mais ma langue était alors trop concrète. Je me contentais d'examiner, dans nos albums de photos, les visages féminins et de retouver ce reflet de beauté sur certains d'entre eux.
Car ces femmes savaient que pour être belles, il fallait, quelques secondes avant que le flash ne les aveugle, prononcer ces mystérieuses syllabes françaises dont peu connaissaient le sens : « pe-tite-pomme... » Comme par enchantement, la bouche, au lieu de s'étirer dans une béatitude enjouée ou de se crisper dans un rictus anxieux, formait ce gracieux arrondi. Le visage tout entier en demeurait transfiguré.
  • Le testament français, Andreï Makine, éd. Mercure de france, 1995  (ISBN 2-07152-1936-9[à vérifier : ISBN invalide]), p. 13


Ce corps était celui d'un homme qu'elle ne connaissait pas. Un corps criblé de cicatrices, de balafres — tantôt profondes, aux bords charnus, comme d'énormes lèvres voraces, tantôt à la surface lisse, luisante, comme la trace d'un escargot. Dans l'une des omoplates, une cavité était creusée — Charlotte savait quel genre de petits éclats griffus faisait ça. Les traces roses des points de suture entouraient une épaule, se perdant dans la poitrine...
A travers ses larmes, elle regarda la pièce comme pour la première fois : une fenêtre au ras du sol, ce bouquet d'aneth venant déjà d'une autre époque de sa vie, un sac de soldat sur le tabouret près de l'entrée, des grosses bottes couvertes de poussière rousse. Et sous une ampoule nue et terne, au milieu de cette pièce à moitié enfouie dans la terre — ce corps méconnaissable, on eût dit déchiré par les rouages d'une machine. Des mots étonnés se formèrent en elle, à son insu : « Moi, Charlotte Lemonnier, je suis là, dans cette isba ensevelie sous l'herbe des steppes, avec cet homme, ce soldat au corps lacéré de blessures, le père des mes enfants, l'homme que j'aime tant... Moi Charlotte Lemonnier... »
  • Le testament français, Andreï Makine, éd. Mercure de france, 1995  (ISBN 2-07152-1936-9[à vérifier : ISBN invalide]), p. 136


C'est avec cet égoïsme infatué de la jeunesse que je lui demandai sur un ton un peu hilare :

— Mais toi, tu pourrais aussi partir à l'étranger ! En France, par exemple... Ça te tenterait, hein ?
L'expression de ses traits ne changea pas. Elle baissa simplement les yeux. J'entendis la mélodie sifflante de la bouilloire, le tintement des cristaux de neige contre la vitre noire.
— Tu sais, me dit-elle enfin avec un sourire fatigué, quand en 1922 j'allai en Sibérie, la moitié, ou peut-être le tiers de ce voyage, je l'ai fait à pied. C'était comme d'ici à Paris. Tu vois, je n'aurais même pas besoin de vos avions...
Elle sourit de nouveau, me regardant dans les yeux. Mais malgré cette intonation enjouée, je devinai dans sa voix un accent profond d'amertume. Confus, je pris une cigarette, je sortis sur le balcon...

C'est là, au-dessus de l'obscurité glaçée de la steppe, que je crus enfin comprendre ce que la France était pour elle.
  • Le testament français, Andreï Makine, éd. Mercure de france, 1995  (ISBN 2-07152-1936-9[à vérifier : ISBN invalide]), p. 262


La musique d'une vie

Si je les réveillais et les interrogais sur leur vie, ils déclareraient san broncher que le pays est un paradis, à quelques retards de train près. Et si soudain le haut-parleur annonçait d'une voix d'acier le début d'une guerre, toute cette masse s'ébranlerait, prête à vivre cette guerre comme allant de soi, prête à souffrir, à se sacrifier, avec une acceptation toute naturelle de la faim, de la mort ou de la vie dans la boue de cette gare, dans le froid des plaines qui s'étendent derrière les rails.
Je me dis qu'une telle mentalité a un nom. un terme que j'ai entendu récemment dans la bouche d'un ami, auditeur clandestin des radios occidentales. une appellation que j'ai sur le bout de la langue et que seule la fatigue m'empêche de reproduire. Je me secoue et le mot, lumineux et définitif, éclate : « Homo sovieticus !  ».
  • La musique d'une vie, Andreï Makine, éd. Seuil, 2001  (ISBN 2-02-048343-2), p. 21


Quand il laissa retomber ses mains sur le clavier, on put croire encore au hasard d'une belle harmonie formée malgré lui. Mais une seconde après la musique déferla, emportant par sa puissance les doutes, les voix, les bruits, effaçant les mines hilares, les regards échangés, écartant les murs, dispersant la lumière du salon dans l'immensité nocturne du ciel derrière les fenêtres.
Il n'avait pas l'impression de jouer. Il avançait à travers une nuit, respirait sa transparence fragile d'infinies facettes de glace, de feuilles, de vent. Il ne portait plus aucun mal en lui. Pas de crainte de ce qui allait arriver. Pas d'angoisse ou de remords. La nuit à travers laquelle il avançait disait et ce mal, et cette peur, mais tout cela était déjà devenu musique et n'existait que par sa beauté.
  • La musique d'une vie, Andreï Makine, éd. Seuil, 2001  (ISBN 2-02-048343-2), p. 119


Le livre des brèves amours éternelles

Grâce à elle, je compris soudain ce que signifiait être amoureux : oublier sa vie précédente et n'exister que pour deviner la respiration de celle qu'on aime, le frémissement de ses cils, la douceur de son cou sous une écharpe grise. Mais surtout éprouver la bienheureuse inaptitude à réduire la femme à elle-même. Car elle était aussi cette abondance neigeuse qui nous entourait, et le poudroiement solaire suspendu entre les arbres, et cet instant tout entier où se laissait déjà pressentir le souffle timide du printemps. Elle était tout cela et chaque détail dans le tracé simple de sa silhouette portait le reflet de cette extension lumineuse.
  • Le livre des brèves amours éternelles, Andreï Makine, éd. Seuil, 2011  (ISBN 978-2-02103365-6), p. 44


Je devinais que la vérité ne se trouvait ni parmi eux dans le camp opposé, chez les contestataires. Elle m'apparaissait simple et lumineuse comme cette journée de février, sous les arbres alourdis de neige. La beauté humble du visage féminin aux paupières baissées rendait dérisoires les tribunes, et leurs occupants, et la prétention des hommes de prophétiser au nom de l'Histoire. La vérité était dite par le silence de cette femme, par sa solitude, par son amour si simple que même un enfant inconnu qui descendait les marches en fut ébloui pour toujours.
  • Le livre des brèves amours éternelles, Andreï Makine, éd. Seuil, 2011  (ISBN 978-2-02103365-6), p. 46


Notre erreur est de chercher des paradis pérennes. Des plaisirs qui ne s'usent pas, des attachements persistants, des caresses à la vitalité de lianes : l'arbre meurt mais leurs antrelacs continuent à verdoyer. Cette obsession de la durée nous fait manquer tant de paradis fugaces, les seuls que nous puissions approcher au cours de notre fulgurant trajet de mortels. Leurs éblouissements surgissent dans des lieux souvent si humbles et éphémères que nous refusons de nous y attarder. Nous préférons bâtir nos rêves avec les blocs granitiques des décennies. Nous nous croyons destinés à une longévité de statues.
  • Le livre des brèves amours éternelles, Andreï Makine, éd. Seuil, 2011  (ISBN 978-2-02103365-6), p. 81


Le fait d'être amoureux nous paraissait indiscutable. Pourtant, au lieu de provoquer un état d'excitation fébrile, il nous rendait presque impassibles. Nous devenions lents, hypnotisés par la nouveauté et la force de ce qui nous arrivait. Je pouvais passer des heures dans une félicité parfaite qui n'avait besoin que des rares mouvements de la robe claire à travers la pièce cuivrée sous le soleil de mars. Voir une natte légèrement bouclée qui scintillait de chaque cheuveu, sous un rayon de lumière, me suffisait pour me sentir heureux. ET quand ses yeux, d'un reflet vert et bleu, se posaient sur moi, j'avais l'impression de commencer à exister dans une identité enfin véritablement mienne.
  • Le livre des brèves amours éternelles, Andreï Makine, éd. Seuil, 2011  (ISBN 978-2-02103365-6), p. 89


J'ai dû attendre plus encore avant de comprendre véritablement quelle était cette offrande humble et précieuse que j'avais reçue d'elles. Le pays de notre jeunesse a sombré en emportant dans son naufrage tant de destins restés anonymes. Cette jeune fille retrouvant sur un disque la mélodie que nous aimions, sa mère poussant un sac en toile entre les mains d'un prisonnier, moi-même clopinant dans la boue sur ma jambe cassée... Et une myriade d'existences, douleurs, espoirs, deuils, promesses. Et ce rêve d'une ville idéale, peuplée d'hommes et de femmes qui n'allaient plus connaître la haine. Et cette « doctrine éternellement vivante, créatrice et révolutionnaire », emportée elle aussi par la frénésie du temps.
  • Le livre des brèves amours éternelles, Andreï Makine, éd. Seuil, 2011  (ISBN 978-2-02103365-6), p. 102


Une femme aimée

« Elle a vécu à la limite extrême des jeux humains, au sommet de ce que nous imaginons comme pouvoir, richesse, plaisir charnel. Cette limite était son quotidien. Donc elle devait certainement vouloir la franchir et ...
– Partir ! »


Oleg se rappelle Eva Sander. Elle tenait passionnément à cette version. Un amour tardif que Catherine découvre enfin, une tendresse inattendue de la part d'une femme qui a toujours su organiser sa vie charnelle, tel un département de ministère.
« Ce qu'ils vivaient était si étranger au monde que pour s'aimer, ils devaient effacer ce monde-là. Partir. Renaître... »


Oleg comprend que l'amour peut être aussi cette tendresse qui protège, qui suspend la douleur, qui rend essentiel le reflet neigeux venant de la fenêtre jusqu'à cette main féminine dont les doigts frémissent dans le sommeil. Une certitude très simple : leur voyage avait pour destination cette ville assoupie, cette chambre donnant sur les grands arbres blancs, ce reflet bleuté de la nuit que ses lèvres effleurent sur la main de la femme.


Le pays du lieutenant Schreiber

Les hommes dont me parlera le lieutenant Schreiber me feront souvent penser à ce soldat qui s'est tourné brièvement vers nous en espérant ne pas être rejeté dans l'oubli.


Les colis que les biens nommés « valisards » font acheminer de la campagne supportent mal la chaleur printanière, ce qui provoque une scène d'anthologie à laquelle assistent, effondrés, Simone de Beauvoir et Jacques-Laurent Bost : Sartre, en lanceur de grenade, jette par la fenêtre un lapin impropre à la consommation...


... C'est cette nuit-là, je crois, qu'un officier américain criera à ses hommes débarqués sur les plages normandes et qui essayaient de s'accrocher aux falaises criblées de balles : « Mourrez le plus loin possible, les gars ! »...


Vous pouvez également consulter les articles suivants sur les autres projets Wikimédia :