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Version du 6 décembre 2014 à 21:34

Yasmina Khadra (en arabe ياسمينة خضراء), de son vrai nom Mohammed Moulessehoul, né le 10 janvier 1955 dans le Sahara algérien, est un écrivain algérien francophone. Son œuvre est connue et saluée dans le monde entier, dont la trilogie Les Hirondelles de Kaboul, L’Attentat et Les Sirènes de Bagdad, et Ce que le jour doit à la nuit, classé meilleur livre de l’année 2008 pour le magazine LIRE.

Citations

L’Attentat, 2005

Celui qui t’a dit qu’un homme ne doit pas pleurer ignore ce qu’homme veut dire. […] Il n’y a pas de honte à pleurer, mon grand. Les larmes sont ce que nous avons de plus noble. […] [Mais ç]a ne sert à rien de rester ici. Les morts sont morts et finis, quelque part ils ont purgé leurs peines. Quant aux vivants, ce ne sont que des fantômes en avance sur leur heure.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 11


Je voudrais qu’il disparaisse sur-le-champ, que les esprits frappeurs hantant ma maison se transforment en courant d’air, qu’un ouragan défonce mes fenêtres et m’emporte loin, très loin du doute en train de me dévorer les tripes, de brouiller mes marques et de remplir mon cœur de graves incertitudes...
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 47


Plus près, les vagues se jettent éperdument contre les rochers. Leur fracas résonne dans ma tête comme des coups de massue.
La brise me rafraîchit. Je me ramasse autour de mes jambes, enfonce le menton entre mes genoux et écoute les rumeurs de la mer. Lentement, mes yeux s’embrouillent ; mes sanglots me rattrapent, se bousculent dans ma gorge et déclenchent une multitude de tremblements qui partent dans tous les sens à travers mon corps. Je prends alors ma figure à deux mains et, de gémissement en gémissement, je me mets à hurler comme un possédé dans le vacarme assourdissant des flots.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 56-57


LA BÊTE IMMONDE EST PARMI NOUS.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 59


Dans ce genre d’enlisement, si on ne réagit pas très vite, on n’est plus maître de quoi que ce soit. On devient spectateur de sa propre dérive, et on ne se rend pas compte du gouffre en train de se refermer sur soi pour toujours...
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 67


À quoi sert le bonheur quand il n’est pas partagé, Amine, mon amour ? Mes joies s’éteignaient chaque fois que les tiennes ne suivaient pas. Tu voulais des enfants. Je voulais les mériter. Aucun enfant n’est tout à fait à l’abri s’il n’a pas de patrie... Ne m’en veux pas.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 74


Je ne retrouve nulle part la femme que j’ai épousée pour le meilleur et pour toujours, qui a bercé mes plus tendres années, paré mes projets de guirlandes étincelantes, comblé mon âme de douces présences. Je ne retrouve plus rien d’elle, ni sur moi ni dans mes souvenirs. Le cadre qui la retient captive d’un instant révolu, irrémédiablement résilié, me tourne le dos, incapable d’assumer l’image qu’il donne de ce que je croyais être la plus belle chose qui me soit arrivée. Je suis comme catapulté par-dessus une falaise, aspiré par un abîme. Je fais non de la tête, non des mains, non de tout mon être... Je vais me réveiller... Je suis réveillé. Je ne rêve pas.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 74


On croit savoir. Alors on baisse la garde et on fait comme si tout est au mieux. Avec le temps, on finit par ne plus prêter attention aux choses comme il se doit. On est confiant. Que peut-on exiger de plus ? La vie nous sourit, la chance aussi. On aime et on est aimé. On a les moyens de ses rêves. Tout baigne, tout nous bénit... Puis, sans crier gare, le ciel nous tombe dessus. Une fois les quatre fers en l’air, nous nous apercevons que la vie, toute la vie – avec ses hauts et ses bas, ses peines et ses joies, ses promesses et ses choux blancs ne tient qu’à un fil aussi inconsistant et imperceptible que celui d’une toile d’araignée. D’un coup, le moindre bruit nous effraie, et on n’a plus envie de croire à quoi que ce soit. Tout ce qu’on veut, c’est fermer les yeux et ne penser à rien.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 75


Je dévale un sentier jusqu’à la plage, occupe un rocher et me concentre sur la brèche infinitésimale en train de griffer les ténèbres. La brise fourrage sous ma chemise, ébouriffe mes cheveux. Je ceinture mes genoux avec mes bras, pose délicatement mon menton dessus et ne quitte plus des yeux la zébrure opalescente retroussant doucement les basques de l’horizon.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 80-81


Laisse la rumeur des flots absorber celle qui chahute ton intérieur [...]. C’est la meilleure façon de faire le vide en soi.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 81


Il faut toujours regarder la mer. C’est un miroir qui ne sait pas nous mentir. C’est aussi comme ça que j’ai appris à ne plus regarder derrière moi. Avant, dès que je jetais un coup d’œil par-dessus mon épaule, je retrouvais intacts mes chagrins et mes revenants. Ils m’empêchaient de reprendre goût à la vie, tu comprends ? Ils gâchaient mes chances de renaître de mes cendres... [...] C’est pour cette raison qu’à mon âge finissant j’ai choisi de mourir dans ma maison au bord de l’eau... Qui regarde la mer tourne le dos aux infortunes du monde. Quelque part, il se fait une raison.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 81


Je ne comprendrai jamais pourquoi les survivants d’un drame se sentent obligés de faire croire qu’ils sont plus à plaindre que ceux qui y ont laissé leur peau.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 84


Son regard court sur le sable de la plage, plonge au milieu des vagues et va se perdre au large tandis que sa main diaphane monte lentement vers celle de sa petite-fille.
Tous les trois, perclus chacun dans son silence, nous contemplons l’horizon que l’aurore embrase de mille feux, certains que le jour qui se lève, pas plus que ceux qui l’ont précédé, ne saurait apporter suffisamment de lumière dans le cœur des hommes.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 84


[Q]ue savons-nous vraiment de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas ? Les choses qui nous arrangent ; celles qui ne nous conviennent pas. Nous manquons de discernement aussi bien lorsque nous sommes dans notre droit que lorsque nous sommes dans le tort. Ainsi vivent les hommes : dans le pire lorsqu’il est le meilleur d’eux-mêmes, et dans le meilleur lorsqu’il ne veut pas dire grand-chose... Mes pensées m’acculent, se jouent de mes états d’âme. Elles se nourrissent de ma fragilité, abusent de mon chagrin. Je suis conscient de leur travail de sape et les laisse faire comme s’abandonne à la somnolence le veilleur trop confiant. Mes larmes ont peut-être noyé un peu de mon chagrin, mais la colère est toujours là, telle une tumeur enfouie au tréfonds de moi, ou un monstre abyssal tapi dans les ténèbres de son repaire, guettant le moment propice de remonter à la surface terrifier son monde.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 90-91


Que te dire, Amine ? Je crois que même les terroristes les plus chevronnés ignorent vraiment ce qu’il leur arrive. Et ça peut arriver à n’importe qui. Un déclic quelque part dans le subconscient, et c’est parti. Les motivations n’ont pas la même consistance, mais généralement, ce sont des trucs qui s’attrapent comme ça, dit-il en claquant des doigts. Ou ça te tombe sur la tête comme une tuile, ou ça s’ancre en toi tel un ver solitaire. Après, tu ne regardes plus le monde de la même manière. Tu n’as qu’une idée fixe : soulever cette chose qui t’habite corps et âme pour voir ce qu’il y a en dessous. À partir de là, tu ne peux plus faire marche arrière. D’ailleurs, ce n’est plus toi qui es aux commandes. Tu crois n’en faire qu’à ta tête, mais c’est pas vrai. T’es rien d’autre que l’instrument de tes propres frustrations. Pour toi, la vie, la mort, c’est du pareil au même. Quelque part, tu auras définitivement renoncé à tout ce qui pourrait donner une chance à ton retour sur terre. Tu planes. Tu es un extraterrestre. Tu vis dans les limbes, à traquer les houris et les licornes. Le monde d’ici, tu ne veux plus en entendre parler. Tu attends juste le moment de franchir le pas. La seule façon de rattraper ce que tu as perdu ou de rectifier ce que tu as raté – en deux mots, la seule façon de t’offrir une légende, c’est de finir en beauté : te transformer en feu d’artifice au beau milieu d’un bus scolaire ou en torpille lancée à tombeau ouvert contre un char ennemi. Boum ! Le grand écart avec, en prime, le statut de martyr. Le jour de la levée de ton corps devient alors, à tes yeux, le seul instant où l’on t’élève dans l’estime des autres. Le reste, le jour d’avant et le jour d’après, c’est plus ton problème ; pour toi, ça n’a jamais existé.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 95-96


[Mon père] voulait être un artiste – ce qui signifie dans le glossaire ancestral un tire-au-flanc et un marginal.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 101


Pour [mon père], les infortunes ne sont pas une fatalité, mais des incidents de parcours qu’il faut dépasser, quitte à en pâtir dans les minutes qui suivent. Son humilité et son discernement étaient un régal. J’ai tant voulu lui ressembler, jouir de sa frugalité et sa modération ! Grâce à lui, alors que je grandissais sur une terre tourmentée depuis la nuit des temps, je refusais de considérer le monde comme une arène. Je voyais bien que les guerres se succédaient aux guerres, les représailles aux représailles, mais je m’interdisais de les cautionner d’une manière ou d’une autre. Je ne croyais pas aux prophéties de la discorde et n’arrivais pas à me faire à l’idée que Dieu puisse inciter ses sujets à se dresser les uns contre les autres et à ramener l’exercice de la foi à une absurde et effroyable question de rapport de forces. Dès lors, je m’étais méfié comme d’une teigne de ce qui me réclame un peu de mon sang pour purifier mon âme. Je ne voulais croire ni aux vallées des larmes ni à celles des ténèbres – il y avait d’autres sites plus séduisants et moins déraisonnables autour de soi. Mon père me disait : « Celui qui te raconte qu’il existe symphonie plus grande que le souffle qui t’anime te ment. Il en veut à ce que tu as de plus beau : la chance de profiter de chaque instant de ta vie. Si tu pars du principe que ton pire ennemi est celui-là même qui tente de semer la haine dans ton cœur, tu auras connu la moitié du bonheur. Le reste, tu n’auras qu’à tendre la main pour le cueillir. Et rappelle-toi ceci : il n’y a rien, absolument rien au-dessus de ta vie... Et ta vie n’est pas au-dessus de celle des autres. »
Je ne l’ai pas oublié.
J’en ai même fait ma principale devise, convaincu que lorsque les hommes auront adhéré à cette logique, ils auront enfin atteint la maturité.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 101-102


Mon père me disait garde tes peines pour toi, elles sont tout ce qu’il te reste lorsque tu as tout perdu... [...] Ce n’est pas évident, pour un homme encore sous le choc – et quel choc ! – de savoir exactement où finit le deuil et où commence son veuvage, mais il est des frontières qu’il faut outrepasser si l’on veut aller de l’avant. Où ? je l’ignore ; ce que je sais, c’est qu’il ne faut pas rester là à s’attendrir sur son sort. [...] Je veux juste comprendre comme la femme de ma vie m’a exclu de la sienne, comment celle que j’aimais comme un fou a été plus sensible au prêche des autres plutôt qu’à mes poèmes.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 109


Dans le ciel, où tant de romances s’étaient diluées jadis, un croissant de lune se mouche dans un nuage. Par-dessus le muret de la résidence, on peut voir les lumières de Jérusalem, avec ses minarets et le clocher de ses églises qu’écartèle désormais ce rempart sacrilège, misérable et laid, né de l’inconsistance des hommes et de leurs indécrottables vacheries. Et pourtant, malgré l’affront que lui fait le Mur de toutes les discordes, Jérusalem la défigurée ne se laisse pas abattre. Elle est toujours là, blottie entre la clémence de ses plaines et la rigueur du désert de Judée, puisant sa survivance aux sources de ses vocations éternelles auxquelles ni les rois de naguère ni les charlatans d’aujourd’hui n’auront accédé. Bien que cruellement excédée par les abus des uns et le martyre des autres, elle continue de garder la foi – ce soir plus que jamais. On dirait qu’elle se recueille au milieu de ses cierges, qu’elle recouvre toute la portée de ses prophéties maintenant que les hommes se préparent à dormir. Le silence se veut un havre de paix. La brise crisse dans les feuillages, chargée d’encens et de senteurs cosmiques. Il suffirait de prêter l’oreille pour percevoir le pouls des dieux, de tendre la main pour cueillir leur miséricorde, d’une présence d’esprit pour faire corps avec eux.
J’ai beaucoup aimé Jérusalem, adolescent. J’éprouvais le même frisson aussi bien devant le Dôme du Rocher qu’au pied du mur des Lamentations et je ne pouvais demeurer insensible à la quiétude émanant de la basilique du Saint-Sépulcre. Je passais d’un quartier à l’autre comme d’une fable ashkénaze à un conte bédouin, avec un bonheur égal, et je n’avais pas besoin d’être un objecteur de conscience pour retirer ma confiance aux théories des armes et aux prêches virulents. Je n’avais qu’à lever les yeux sur les façades alentour pour m’opposer à tout ce qui pouvait égratigner leur immuable majesté. Aujourd’hui encore, partagée entre un orgasme d’odalisque et sa retenue de sainte, Jérusalem a soif d’ivresse et de soupirants et vit très mal le chahut de ses rejetons, espérant contre vents et marées qu’une éclaircie délivre les mentalités de leur obscur tourment. Tour à tour Olympe et ghetto, égérie et concubine, temple et arène, elle souffre de ne pouvoir inspirer les poètes sans que les passions dégénèrent et, la mort dans l’âme, s’écaille au gré des humeurs comme s’émiettent ses prières dans le blasphème des canons...
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 141-142


Si tu ne sais pas ce que tu veux, pourquoi t’obstiner à foncer dans le tas ? Ce n’est pas la bonne direction. Admettons que ces gens-là daignent te rencontrer, que comptes-tu leur soutirer ? Ils te diraient que ta femme est morte pour la bonne cause et t’inviteraient à en faire autant. Ce sont des gens qui ont renoncé à ce monde, Amine. Rappelle-toi ce que te disait Naveed ; ce sont des martyrs en instance, ils attendent le feu vert pour partir en fumée.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 143


J’ai connu quelqu’un, il y a longtemps. C’était un garçon ordinaire, sauf qu’il m’a tapé dans l’œil dès que je l’ai vu. Il était gentil, et tendre. J’ignore comment il a fait, mais au bout d’un flirt il a réussi à être le centre de l’univers pour moi. J’avais le coup de foudre toutes les fois qu’il me souriait, si bien que lorsqu’il me faisait la gueule quelquefois il me fallait allumer toutes les lampes en plein jour pour voir clair autour de moi. Je l’ai aimé comme c’est rarement possible. Par moments, au comble du bonheur, je me posais cette question terrible : et s’il me quittait ? Tout de suite, je voyais mon âme se séparer de mon corps. Sans lui, j’étais finie. Pourtant, un soir, sans préavis, il a jeté ses affaires dans une valise et il est sorti de ma vie. Des années durant, j’ai eu l’impression d’être une enveloppe oubliée après une mue. Une enveloppe transparente suspendue dans le vide. Puis, d’autres années ont passé, et je me suis aperçue que j’étais encore là, que mon âme ne m’a jamais faussé compagnie, et d’un coup, j’ai recouvré mes esprits... [...] Ce que je veux dire est simple, Amine. On a beau s’attendre au pire, il nous surprendra toujours. Et si, par malheur, il nous arrive d’atteindre le fond, il dépendra de nous, et de nous seuls, d’y rester ou de remonter à la surface. Entre le chaud et le froid, il n’y a qu’un pas. Il s’agit de savoir où mettre les pieds. C’est très facile de déraper. Une précipitation, et on pique du nez dans le fossé. Mais est-ce la fin du monde ? Je ne le pense pas. Pour reprendre le dessus, il suffit juste de se faire une raison.
  • L’Attentat, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2005, p. 145


Ce que le jour doit à la nuit, 2008

Ce n’était pas une vie ; on existait, et c’est tout.
Le fait de se réveiller le matin relevait du miracle, et la nuit, lorsqu’on s’apprêtait à dormir, on se demandait s’il n’était pas raisonnable de fermer les yeux pour de bon, convaincus d’avoir fait le tour des choses et qu’elles ne valaient pas la peine que l’on s’attardât dessus. Les jours se ressemblaient désespérément ; ils n’apportaient jamais rien, ne faisaient, en partant, que nous déposséder de nos rares illusions qui pendouillaient au bout de notre nez, semblables aux carottes qui font avancer les baudets.
En ces années 1930, la misère et les épidémies décimaient les familles et le cheptel avec une incroyable perversité, contraignant les rescapés à l’exode, sinon à la clochardisation. Nos rares parents ne donnaient plus signe de vie. Quant aux loques qui se silhouettaient au loin, nous étions certains qu’elles ne faisaient que passer en coup de vent, le sentier qui traînait ses ornières jusqu’à notre gourbi était en passe de s’effacer.
Mon père n’en avait cure.
  • Ce que le jour doit à la nuit, Yasmina Khadra, éd. Pocket, 2008, p. 12


L’Olympe des Infortunes, 2010

Le soleil s’enlise inexorablement dans la mer. Il a beau s’agripper aux nuages, il ne parvient pas à empêcher la dégringolade. On voit bien qu’il déteste se prêter à cet exercice de mise en abîme, mais il n’y peut rien. Toute chose en ce monde a une fin et aucun règne n’échappe à son déclin.
  • L’Olympe des Infortunes, Yasmina Khadra, éd. Julliard, 2010, p. 25


Parfois aussi, il se prend la tête à deux mains et éclate en sanglots ; ses gémissements alors recouvrent la rumeur des flots et font douter la nuit des réels desseins des insomniaques... Mille fois la culpabilité lui suggère de marcher dans la mer jusqu’aux portes du ciel, et mille fois la froideur de l’eau l’en dissuade.
Ach se sent dépérir à vue d’œil.
Il est le remords dans son obsession absolue ; il est l’otage de tous les reproches qu’on lui fait ; il est la peine qui se substitue aux fibres de sa chair et à ses moindres pensées...
  • L’Olympe des Infortunes, Yasmina Khadra, éd. Julliard, 2010, p. 216


Et ils se jettent dans les bras l’un de l’autre, comme deux fleuves nés d’une même montagne et qui, après avoir été écartelés par monts et vallées, se rejoignent à un même point de chute et fusionnent dans une formidable trombe de larmes et de chants.
  • L’Olympe des Infortunes, Yasmina Khadra, éd. Julliard, 2010, p. 217


Y a pas de doute, t’es un as. Faut être un as pour rester si longtemps en ville et revenir. Ça s’est jamais vu, avant.
  • L’Olympe des Infortunes, Yasmina Khadra, éd. Julliard, 2010, p. 218


Un Horr n’a pas besoin de sous [...] Il prend ce que le hasard lui propose.
  • L’Olympe des Infortunes, Yasmina Khadra, éd. Julliard, 2010, p. 219


[La ville, c’]était formidable, les gars, c’était épatant. Y a tellement de gens dans les rues qu’ils sont obligés de se marcher sur les pieds... [...] Les maisons sont si hautes que ça vous donne le tournis... [...] Un « fourroir », les gars. [...] C’est à peine si t’as une bouffée d’air pour toi. Souvent, il te faut aller la pomper sous le nez de ton prochain. Le bon Dieu, en ville, il doit se sentir vachement dans ses p’tits souliers. [...] Ça ne ressemble à rien d’autre, la ville. Je ne peux pas vous faire une comparaison. La ville, c’est « comment dire... ». J’étais à deux doigts de me déboîter la mâchoire tant j’en revenais pas. Des feux partout, des écritures qui s’allumaient sur les murs, des bagnoles comme des dauphins, des bus pareils à des accordéons, et des trains, et des bruits à vous fissurer les tempes, et des lampadaires alignés comme des oignons le long des boulevards, et des vitrines tellement limpides qu’elles vous surprennent le nez dedans, et des squares plus grands que notre terrain vague, et de la bouffe à perte de vue, et des nanas partout, les cheveux au vent, belles à choper l’insolation... mais, Ach, j’ai regardé dans les jardins, j’ai regardé dans le port, j’ai regardé dans tous les coins, et pas la moindre trace de la femme dont tu me parlais.
  • L’Olympe des Infortunes, Yasmina Khadra, éd. Julliard, 2010, p. 220-221


Je me suis réveillé dans un endroit sinistre qui n’était ni une ville ni un terrain vague. C’était peut-être l’enfer.
  • L’Olympe des Infortunes, Yasmina Khadra, éd. Julliard, 2010, p. 221


C’était plus que l’enfer, les gars, pire que la folie... Tu crois que c’est fini, et ça repart... Hop ! on remet ça... Les gardiens, ils s’arrangent pour te trouver un merdier à ta pointure et ils te travaillent à petit feu en attendant que d’autres carrières s’ouvrent. Ça les divertit, vu qu’ils n’ont pas grand-chose à foutre sauf à nous arranger le portrait... Des monstres ! Ils ont pas de pitié, et plus tu râles, plus ils sont fiers de ce qu’ils te font subir... [...] Quant aux forçats, ils sont plus vilains encore. Tu dis « bonjour » et ils te rétorquent « et puis quoi encore ?... » comme si t’avais proféré une grossièreté... T’avais raison à cent pour cent, Ach. Au terrain vague, on est dans le meilleur des mondes. Ici, on est NOUS. Horr ou pas, on se serre les coudes. On fait avec, on fait sans, c’est pas important. Ici, il suffit de se lever le matin pour se retrouver en plein dans la vie. Là-bas, que tu dormes ou que tu veilles, t’es toujours à deux doigts de te faire zigouiller...
  • L’Olympe des Infortunes, Yasmina Khadra, éd. Julliard, 2010, p. 222-223


Là-bas, non seulement on sait pas qui on est, en plus on n’a pas la plus petite idée de ce qu’on va devenir. Même ton pote de cellule, il te blaire pas. Quand il a fini de chialer sous le fouet des gardiens, il vient te chercher noise en te tenant rigueur pour les raclées qu’il a reçues... À la cantine, je vous dis pas. C’est carrément la loi de la jungle. Ta ration, il faut mordre profond dans le voisin pour la garder. La bouffe est infecte. Avec des asticots flottant dans leur jus et des bouts de pain plus durs qu’un caillou. Tu crois que ça tente personne, et c’est là que tu goures car il y a toujours un gros bras qui s’amène et qui crache dans ta soupe ; si t’es pas content, il te la renverse sur la trogne, et t’as pas intérêt à faire la fine bouche parce que t’as pas fini de geindre que déjà tes chicots sont par terre...
  • L’Olympe des Infortunes, Yasmina Khadra, éd. Julliard, 2010, p. 225


C’est pas un bled, le bagne, c’est un délire. Là-bas, c’est chacun pour soi, et sauve qui peut. Quand t’as besoin d’aide, personne n’est là...
  • L’Olympe des Infortunes, Yasmina Khadra, éd. Julliard, 2010, p. 226


— Comment t’as fait pour t’en sortir ? lui demande Einstein éberlué.
— J’sais pas. Là-bas, on se pose pas ce genre de question. On est là, et c’est tout. Tu t’y habitues. Tu crois que le plus dur est passé, mais t’es jamais au bout de tes surprises. C’est comme si tu marchais dans la vallée des ténèbres. Plus tu avances, plus tu t’enfonces. Et plus tu relèves, et plus tu te dis c’est pas possible, j’suis mort, c’sont d’autres diables qui prennent possession de mon corps. Je vous jure que c’est la vérité. Tu te dis je me connais, je connais mes limites, j’peux pas avoir parcouru tout ce chemin et rester vivant. C’est dingue. C’est ainsi que j’ai appris qu’un homme est capable d’aller au-delà de la mort et de revenir. Ça m’est arrivé. Vous savez ce qu’est le mitard ? Eh bien, ça n’a rien à voir avec ce que l’on imagine, car il dépasse l’imagination. Toucher le fond, ça a du sens, au mitard. Quelqu’un qui a pas échoué au mitard peut pas savoir ce que c’est, toucher le fond. T’es au bas de l’échelle, et tu es absorbé par le sol comme une rinçure. Tu disparais de la surface de la Terre. T’es tellement mal que tu cesses de souffrir. Les minutes deviennent des jours, et les jours des éternités. Tu te mets à voir des choses incroyables, et le mur, dans le noir total, a soudain des oreilles et des yeux. C’est au mitard que j’ai senti la présence du Seigneur. Il était si près que je percevais son souffle sur mon visage. Il avait de la peine pour moi...
  • L’Olympe des Infortunes, Yasmina Khadra, éd. Julliard, 2010, p. 227-228


Et c’est à ce moment-là que les saintes paroles d’Ach me rattrapaient et je voyais nettement qu’il y a rien de plus beau que notre cher terrain vague, et qu’aucun paradis n’arrive à la cheville de ces soirées que l’on partageait autour d’un feu quand, soûls comme des bourriques, on se fichait du monde comme d’une teigne.
  • L’Olympe des Infortunes, Yasmina Khadra, éd. Julliard, 2010, p. 228


Bibliographie sélective

  • Les Agneaux du Seigneur (1998)
  • À quoi rêvent les loups (1999)
  • L’Écrivain (2001)
  • L’Imposture des mots (2002)
  • Les Hirondelles de Kaboul (2002)
  • Cousine K (2003)
  • La Part du mort (2004)
  • L’Attentat (2005)
  • Les Sirènes de Bagdad (2006)
  • Ce que le jour doit à la nuit (2008)
  • L’Olympe des infortunes (2010)
  • L’Équation africaine (2011)
  • Les anges meurent de nos blessures (2013)
  • Qu’attendent les singes ? (2014)

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