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Clelie Mascaret (discussion | contributions)
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{{citation|C'est par-dessus les têtes, puis entre elles, une pluie de flèches empoisonnées, si serrées que bientôt à ne plus se voir. L'égoïsme odieux s'emmure en toute hâte dans une tour sans fenêtres. L'attraction est rompue, la beauté même du visage aimé se dérobe, un vent de cendres emporte tout, la poursuite de la vie est compromise. Est-il besoin de dire que ces instants sont comptés, qu'ils sont à la merci d'un signe d'intelligence du coeur – un mouvement involontaire de détente, un geste familier – pour prendre fin sans laisser la moindre trace. Vénus, parce qu'elle a voulu intervenir dans la guerre des hommes, est blessée à la main, c'est-à-dire paralysée momentanément dans son action même. Au-delà elle redevient elle-même et revêt sa ceinture magique.}}
{{citation|C'est par-dessus les têtes, puis entre elles, une pluie de flèches empoisonnées, si serrées que bientôt à ne plus se voir. L'égoïsme odieux s'emmure en toute hâte dans une tour sans fenêtres. L'attraction est rompue, la beauté même du visage aimé se dérobe, un vent de cendres emporte tout, la poursuite de la vie est compromise. Est-il besoin de dire que ces instants sont comptés, qu'ils sont à la merci d'un signe d'intelligence du coeur – un mouvement involontaire de détente, un geste familier – pour prendre fin sans laisser la moindre trace. Vénus, parce qu'elle a voulu intervenir dans la guerre des hommes, est blessée à la main, c'est-à-dire paralysée momentanément dans son action même. Au-delà elle redevient elle-même et revêt sa ceinture magique.}}
{{Réf Livre|page=141|référence=L'Amour fou/Gallimard-Folio}}
{{Réf Livre|page=141|référence=L'Amour fou/Gallimard-Folio}}

==== [[Virginia Woolf]], ''Les Vagues'', 1952 ====
{{citation|citation=Par secousses intermittentes, brusques comme les bonds d'un tigre, la vie émerge faisant palpiter sa crête sombre sur la mer. Voilà à quoi nous sommes attachés ; voilà à quoi nous sommes liés, tels des corps humains à des chevaux sauvages. Et pourtant nous avons inventé des procédés pour colmater les crevasses et masquer ces fissures.}}
{{Réf Livre|titre= Les Vagues|auteur= [[Virginia Woolf]]|éditeur= Gallimard|Collection= Folio classique|traducteur=Michel Cusin|année=2012|année d'origine=1931|page=100|ISBN=978-2-07-044168-6}}


==== [[Benjamin Péret]], ''Mort aux vaches et au champ d'honneur'', 1953 ====
==== [[Benjamin Péret]], ''Mort aux vaches et au champ d'honneur'', 1953 ====

Version du 16 novembre 2012 à 20:11

L'Arbre de VieRaphaël Toussaint (2009)

La vie est une activité spontanée propre aux êtres organisés, qui se manifeste par les fonctions de nutrition et de reproduction, auxquelles s’ajoutent chez certains êtres les fonctions de relation, et chez l’homme la raison et le libre arbitre.

Par extension elle désigne toutes activités vivantes de l’homme.

Cinéma

Robert Zemeckis, Forrest Gump, 1994

Forrest Gump : Maman disait toujours : La vie c'est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber.
  • (en) Forrest Gump: Mama always said life was like a box of chocolates, you never know what you're gonna get.
  • Tom Hanks, Forrest Gump (1994), écrit par Robert Zemeckis


Littérature

Correspondance

George Sand, Correspondance, 1845

La vie est une longue blessure qui s’endort rarement et ne se guérit jamais.
  • 23 février 1845 George Sand à Bocage
  • Correspondance, George Sand, éd. Classiques Garnier, 1964, t. VI, p. 807


Critique

Tristan Tzara, Pierre Reverdy : Le Voleur de Talan, 1917

La Renaissance fut l'âge infernal du cynique ; elle fut pour l'art un bordel ; l'anecdote et le charme partagèrent son domaine. L'illusion devint le but, et l'homme voulait surpasser Dieu. Mais les problèmes et la vie mouvementée l'ont fait intéressante et malheureusement, productive.
  • « Pierre Reverdy : Le Voleur de Talan », Tristan Tzara, Dada, nº 2, Décembre 1917, p. 17


René Crevel, La Période des sommeils, 1932

Au coeur de la ville métaphysique, à l’ombre des statues, les oreillers-artichauts invitaient au sommeil tandis que, comme je lisais Lautréamont, Paris cessait d’être la capitale de la France et revenait à la vie en renaissant de ses pierres. La Seine… la rue Vivienne… La lumière d’Ile-de-France que les gens ordinaires trouvent si agréable ne représentait bientôt plus pour moi qu’un chiffon de papier. Le plomb des cieux, le plomb des crânes, se trouvait éclairé, couronné, déchiré, illuminé par un coup de tonnerre révélateur. Et maintenant encore, après toutes ces années, pour retrouver ces moments brûlants, il faut que la tempête de mai accélère mon pouls au point de créer l’impression que, partant des poignets, des compagnies souterraines d’oiseaux se développent en lourdes fleurs de matière grise sous les monticules des paumes.
  • « La Période des sommeils », René Crevel, This Quarter vol. 5, nº 1, Septembre 1932, p. 1


Annie Le Brun, Les châteaux de la subversion, 1982

[...] le fait que le roman noir devienne le lieu imaginaire où la prison est niée par l'idée d'un plaisir obscur et souverain, garanti par l'enfermement, prend une valeur révolutionnaire qui déjoue cependant une fois encore tout ancrage historique. Comme si là contre tout espoir, la sensibilité plurielle offrait à chacun de déterminer inconsciemment son espace, au plus loin de la cité et de son ordre, là où l'écume naît indifféremment de la décomposition ou de l'effervescence de la vie.
  • Les châteaux de la subversion, Annie Le Brun, éd. Garnier Frères, coll. « Folio Essais », 1982  (ISBN 2-07-032341-2), partie III, Sans lieu ni date, p. 222


Jean-Luc Rispail, Les surréalistes, 1991

Il est très important de lire entre les lignes la chaleur de la vie. De la réalité quotidienne les poètes cherchent à extraire le suc. Ce qui ne se voit pas est aussi important que ce qui se voit.
  • Jacques Baron concernant la revue d'orientation surréaliste Littérature.
  • Les surréalistes — Une génération entre le rêve et l'action (1991), Jean-Luc Rispail, éd. Gallimard, coll. « Découverte Gallimard Littérature », 2000  (ISBN 2-07-053140-6), chap. I. De Dada au surréalisme (1916-1924), Jacques Baron à propos de Littérature, p. 19


Écrit intime

Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, 1782

Seul pour le reste de ma vie, puisque je ne trouve qu'en moi la consolation, l'espérance et la paix, je ne dois ni ne veux plus m'occuper que de moi.


Paul Klee, Journal, 1957

La tempête me clarifie et la vie me captive.


Je me sentais à l'aise dans la « tempête de la vie ». Un peu de calme eût été plus sain, mais impossible.


Anaïs Nin, Henry et June — Les cahiers secrets, 1986

Août (1932)

Si je ne faisais rien de bon, je méritais d'être pendue ; ce travail était nourri du journal de toute une vie, un véritable presse-citron, qui sait rejeter les pépins et l'écorce.
  • Henry et June — Les cahiers secrets (1986), Anaïs Nin (trad. Béatrice Commengé), éd. Stock, 2007  (ISBN 978-2-234-05990-0), Août (1932), p. 292


Fable

Florian, Fables, 1792

Le Voyage

Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte,
Sans songer seulement à demander sa route,
Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi,
Faire un tiers du chemin jusqu'à près de midi ;
Voir sur sa tête alors amasser les nuages,
Dans un sable mouvant précipiter ses pas,
Courir, en essuyant orages sur orages,
Vers un but incertain où l'on n'arrive pas ;
Détrompé vers le soir, chercher une retraite;
Arriver haletant, se coucher, s'endormir ;
On appelle cela naître, vivre et mourir.
La volonté de Dieu soit Faite !

  • « Le Voyage », dans Œuvres, Florian, éd. Firmin-Didot, 1865, p. 121


Nouvelle

Renée Vivien, La Dame à la Louve, 1904

La Dame à la Louve

Devant l’effroi de l’Immensité Mystérieuse, il ne survivait plus en moi que l’instinct du rut, aussi puissant chez quelques-uns que l’instinct de la conservation. C’était la Vie, la laideur et la grossièreté de la Vie, qui bramaient en moi une protestation féroce contre l’Anéantissement…
  • La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Dame à la louve, p. 18


Poésie

Victor Hugo, Les Contemplations, 1856

Nais, grandis, rêve, souffre, aime, vis, vieillis, tombe.
  • Les Contemplations, Victor Hugo, éd. Hachette, 1858, t. 1, p. 285


Henri de Régnier, Les jeux rustiques et divins, 1897

Et je l’ai entendue ainsi pleurer ou rire,
Lasse ou sonore,
Triste ou ravie,
Et j’ai fermé les yeux pour écouter la Vie.

  • « Odelette VIII », dans Les jeux rustiques et divins, Henri de Régnier, éd. Mercure de France, 1897, p. 250


Paul Eluard , Capitale de la douleur, 1926

Les Gertrude Hoffmann girls

Vos danses sont le gouffre effrayant de mes songes
Et je tombe et ma chute éternise ma vie,
L'espace sous vos pieds est de plus en plus vaste,
Merveilles, vous dansez sur les sources du ciel.

  • Capitale de la douleur suivi de L'amour la poésie (1926), Paul Eluard, éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1966  (ISBN 978-2-07-030095-2), partie Nouveaux poèmes, Les Gertrude Hoffmann girls, p. 107


Paul Eluard , L'Amour la poésie, 1929

En l'honneur des muets

La brûlure de toutes les métamorphoses
La chaîne entière des aurores dans la tête
Tous les cris qui s'acharnent à briser les mots

Et qui creusent la bouche et qui creusent les yeux
Où les couleurs furieuses défont les brumes de l'attente
Dressent l'amour contre la vie les morts en rêvent.

  • Capitale de la douleur suivi de L'amour la poésie (1929), Paul Eluard, éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1966  (ISBN 978-2-07-030095-2), partie Seconde nature, V. En l'honneur des muets, p. 181


Ma mémoire

L'on vit de ce qu'on n'apprend pas
Comme une abeille dans un obus
Comme un cerveau tombant de haut
De plus haut.

  • Capitale de la douleur suivi de L'amour la poésie (1929), Paul Eluard, éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1966  (ISBN 978-2-07-030095-2), partie Défense de savoir, VI. Ma mémoire, p. 223


René Char, Fureur et mystère, 1948

Evadné

L'été et notre vie étions d'un seul tenant
La campagne mangeait la couleur de ta jupe odorante.

  • Fureur et mystère (1948), René Char, éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1962  (ISBN 2-07-030065-X), partie SEULS DEMEURENT (1938-1944), Evadné, p. 61


Le Météore du 13 août

Ma convoitise est infinie. Rien ne m'obsède que la vie.
Étincelle nomade qui meurt dans son incendie.
Aime riveraine. Dépense ta vérité. L'herbe qui cache l'or de ton amour ne connaîtra jamais le gel.

  • Fureur et mystère (1948), René Char, éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1962  (ISBN 2-07-030065-X), partie LE POEME PULVERISE (1945-1947), Le Météore du 13 août, p. 203


Guillevic, Sphère, 1963

Qu'elle soit longue, au moins,
Cette vie qu'il faut vivre.

Car difficile
Est la leçon.

  • Sphère, Guillevic, éd. Gallimard, 1963, p. 25


Marcel Bénabou, Anthologie de l'OuLiPo, 2009

A quoi tu penses ?
Je pense que « se réveiller la nuit et habituer ses yeux à la pénombre » pourrait être une définition de la vie.

  • « A quoi tu penses ? », Hervé Le Tellier, dans Anthologie de l'OuLiPo, Marcel Bénabou et Paul Fournel (dir.), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 2009, p. 357


Prose poétique

Novalis, Hymne à la nuit, 1800

Mais l’ancien monde touche à sa fin ; ses jardins rians se flétrissent, les dieux s’en vont avec leur suite, et la nature reste déserte et sans vie. Le charme de l’existence tombe dans des paroles obscures, comme on voit la fleur s’en aller en poussière ; la croyance est loin, et avec elle, la vive, la puissante imagination.
  • « Hymne à la nuit », Novalis, Nouvelle revue germanique, nº 14, 1833, p. 238


André Breton/Philippe Soupault, Les Champs Magnétiques, 1919

Ce qui nous sépare de la vie est bien autre chose que cette petite flamme courant sur l'amiante comme une plante sablonneuse.


Robert Desnos, Pénalités de l'enfer, 1922

Voilà l'histoire de ma vie :
— De petits soldats en pantalons rouges sur le fiacre en temps de pluie.
La chanson sinistre du métropolitain l'axe de mon coeur.

  • « Pénalités de l'enfer », Robert Desnos, Littérature Nouvelle Série, nº 4, Septembre 1922, p. 10


Le criquet que j'avale chantera ma vie durant.
  • « Pénalités de l'enfer », Robert Desnos, Littérature Nouvelle Série, nº 4, Septembre 1922, p. 11


Francis Picabia, Dactylocoque, 1922

Je n'aime pas les faux passagers de la vie, les femmes qui croisent leurs jambes comme les hommes croisent leurs bras, je n'aime pas le renversement du programme, les mois pénibles, une étoffe de soie que l'ongle écorche, le maquillage, prendre un taxi, une porte d'entrée ; mais les fous, l'avenue Henri Martin, minuit, l'eau froide, sont mes amis.
  • « Dactylocoque », Francis Picabia, Littérature Nouvelle Série, nº 7, Décembre 1922, p. 10


Robert Desnos, Deuil pour deuil, 1924

Un fossoyeur s'assied sur une tombe [...]. D'une taupinière à ses pieds sort une lumière verdâtre qui ne l'étonne guère, lui, habitué au silence, à l'oubli et au crime et qui ne connaît de la vie que le doux bourdonnement qui accompagne la chute perpendiculaire du soleil au moment où, serrées l'une contre l'autre les aiguilles de la pendule fatiguées d'attendre la nuit appellent inutilement du cri fatidique douze fois répété le violet défilé des spectres et des fantômes retenus loin de là, dans un lit de hasard, entre l'amour et le mystère, au pied de la liberté bras ouverts contre le mur.


Le fossoyeur se souvient que c'est lui qui, jadis, alors que ses oreilles ne tressaillaient guère, tua à cet endroit la taupe reine dont la fourrure immense revêtit, tour à tour, ses maîtresses d'une armure de fer mille fois plus redoutable que la fameuse tunique de Nessus et contre laquelle ses baisers prenaient la consistance de la glace et du verre et dans le chanfrein de laquelle, durant des nuits et des nuits, il constata la fuite lente et régulière de ses cheveux doués d'une vie infernale.


André Breton, Poisson soluble, 1924

C'est qu'il s'agit de vivre où la vie est encore capable de provoquer la convulsion ou la conversion générale sans avoir recours à autre chose qu'à la reproduction des phénomènes naturels.


Et me voici, prophète à la tempe plus pure que les miroirs, enchaîné par les lueurs de mon histoire, couvert d'amours glaçants, en proie aux fantasmagories de la baguette brisée et demandant que par pitié, d'un seul brillant final, on me ramène à la vie.


Nous prîmes congé de lui le matin, d'un simple regard qui signifiait à la fois que nous n'appartenions plus à la vie et que, si nous revenions jamais de notre nouvel état, ce serait à la façon des sourciers pour toucher le ciel de notre baguette de foudre.


Robert Desnos, La liberté ou l'amour !, 1927

Les conditions de la vie furent changées quant aux relations matérielles, mais l’amour fut toujours de même le privilège de peu de gens, disposés à courir toutes les aventures et à risquer le peu de vie consentie aux mortels dans l’espoir de rencontrer enfin l’adversaire avec lequel on marche côte a côte, toujours sur la défensive et pourtant à l’abandon.
  • La liberté ou l'amour ! (1927), Robert Desnos, éd. Gallimard, coll. « L'Imaginaire », 1962  (ISBN 978-2-07-027695-0), III. Tout ce qu'on voit est d'or, p. 34


Faiseurs d’épitaphes, marbriers, orateurs funèbres, marchands de couronnes, toute votre engeance funéraire est impuissante à briser le vol souverain de ma vie projetée, sans raison et sans but, plus loin que les fins de mondes, les Josaphat’s Kermesses et les biographies.


— Semelle ? Semaine ? le temps et l’espace. Tout rapport entre eux est celui de la haine et des ailes.
— L’oseille est en effet un mets de choix, un mets de roi.
— Mois, déchet.
— Mot à mot, tome à tome, motte à motte, ainsi va la vie.


Je suis seul, capable encore et plus que jamais d’éprouver la passion. L’ennui, l’ennui que je cultive avec une rigoureuse inconscience pare ma vie de l’uniformité d’où jaillissent la tempête et la nuit et le soleil.


Antonin Artaud, Fragments d'un Journal d'Enfer, 1929

On a beau me dire que c'est en moi ce coupe-gorge, je participe à la vie, je représente la fatalité qui m'élit.
  • L'Ombilic des Limbes suivi du Pèse-nerfs et autres textes (1929), Antonin Artaud, éd. Gallimard, coll. « Poésie/Gallimard », 1956, partie Fragments d'un Journal d'Enfer, p. 125


Antonin Artaud, L'Art et la mort, 1929

Qui au sein

Quand nous reverrons-nous ? Quand le goût terreux de tes lèvres viendra-t-il à nouveau frôler l'anxiété de mon esprit ? La terre est comme un tourbillon de lèvres mortelles. La vie creuse devant nous le gouffre de toutes les caresses qui ont manqué. Qu'avons-nous à faire auprès de nous de cet ange qui n'a pas su se montrer ?
  • L'Ombilic des Limbes suivi du Pèse-nerfs et autres textes, Antonin Artaud, éd. Gallimard, coll. « Poésie/Gallimard », 1956, partie L'Art et la Mort, « Qui au sein... », p. 135


Joyce Mansour, Les Gisants satisfaits, 1958

Marie but une gorgée, qui la suffoqua. Ses pieds aussi la faisaient souffrir, tant ils aspiraient à toucher terre. « La mer est une monstrueuse mécanique de mort », se dit-elle. Elle devint vague à son tour car son coeur se brisait. « Je vis », dit-elle. Et elle but.
  • Les surréalistes — Une génération entre le rêve et l'action (1991), Jean-Luc Rispail, éd. Gallimard, coll. « Découverte Gallimard Littérature », 2000  (ISBN 2-07-053140-6), chap. Témoignages et documents, Joyce Mansour, Les Gisants satisfaits, 1958, p. 177


Octavio Paz, Liberté sur parole, 1958

Être naturel

Ni morte ni vive, elle est la fleur qui naît de la poitrine des morts et du songe des vivants. La grande fleur qui lentement chaque matin ouvre les yeux et regarde sans reproche le jardinier qui la coupe. A l'intérieur de sa tige tronquée le sang afflue lentement et monte dans l'air, torche silencieuse qui flambe sur les ruines de Mexico. Tout est naissance infinie.
  • Liberté sur parole (1958), Octavio Paz (trad. Jean-Clarence Lambert), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1966  (ISBN 2-07-031789-7), partie II. AIGLE OU SOLEIL ? (1949-1950), Aigle ou Soleil ? — Être naturel — III, p. 106


Joyce Mansour, Dolman le maléfique, 1961

Dolman retroussa ses manches de sédentaire et mania son totem aux éclats obsédants. Il voulait se protéger, créer une diversion, fuir. « Je ne suis pas vendeur », dit-il. Le Diable se frotta les mains avec du jus d'absinthe pour éviter le réchauffement trop subit de ses sens et profita du silence pour échapper aux conventions. « Je ne vous veux aucun mal pour le moment », dit-il en insinuant sa main entre celles de Dolman, le long du bois glissant de l'objet que celui-ci tenait entre ses genoux pliés. « Je vous donnerai mon totem, ma virilité, en échange d’un seul regard sur votre secret », dit l'homme en enfonçant l'objet dans la paille saturée d'humidité fétide. La Bête grogna et retira sa main. « Je suis le vide. le brouhaha des impressions neuves cesse en ma présence ; je bannis la routine, le fracas saccadé de la vie tombe et moud à vide sur les frontières de mon silence. Que voulez-vous de mieux ? ».
  • « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 51


Christian Bobin, La lenteur qui fleurit, 2011

Vivre, c’est une poussière d’or au bout des doigts, une chanson bleue aux lèvres d’une nourrice, le livre du clavier tempéré de Bach qui s’ouvre à l’envers et toutes les notes qui roulent comme des billes dans la chambre. Vivre, c’est aller faire ses courses et croiser un ange qui ne sait pas son nom, ouvrir un livre et se trouver soudain dans une forêt au pied de vitraux vert émeraude, regarder par la fenêtre et voir passer les disparus, les trop sensibles. Vivre est un trapèze. Les dogmes et les savoirs sont des filets qui amortissent la chute. La grâce est plus grande sans eux.


Récit de voyage

Hippolyte Taine, Voyage en Italie, 1866

Le seul moyen efficace de supporter la vie, c'est d'oublier la vie.


Roman

Jean-Jacques Rousseau, Julie ou La nouvelle Héloïse, 1761

[...] pourquoi serait-il permis de se guérir de la goutte et non de la vie ? L'une et l'autre ne nous viennent-elles pas de la même main ? S'il est pénible de mourir, qu'est-ce à dire ? Les drogues font-elles plaisir à prendre ?
  • Julie ou La nouvelle Héloïse (1761), Jean-Jacques Rousseau, éd. Garnier-Flammarion, coll. « GF Flammarion », 1967  (ISBN 2-08-070148-7), partie III, Lettre XXI à Milord Edouard, p. 283


Marie d'Agoult, Nélida, 1866

Guermann, irrité par ce calme qui lui semblait presque une insulte, élevait sa voix et lui donnait un accent de plus en plus vibrant. Il en vint à déclamer certains passages avec une puissance d'organe et de geste qui ne pouvait laisser aucun doute sur l'application directe qu'il en faisait à Nélida ; mais en vain. Mme de Kervaëns demeurait immobile, ne l'interrompait pas, ne levait pas les yeux ; pas un pli de sa robe ne froissait la soie du divan. On n'entendait que le bruit régulier et de plus en plus affaibli de son haleine. Indigné, à bout de patience, exalté par le retentissement de sa parole dans l'espace sonore, Guermann, ne se contenant plus, jeta le livre loin de lui et s'approcha, résolu à dire enfin à cette femme hautaine qui ne voulait rien comprendre tout ce qu'il ressentait pour elle d'ardeurs brûlantes et de violents désirs. Mais il s'arrêta tout à coup en la voyant endormie ou évanouie, c'est ce qu'il ne pouvait discerner. Les yeux de Nélida étaient clos, sa bouche était décolorée, son bras alangui avait glissé hors des coussins [...].
— Ô Galatée, s'écria-t-il en la saisissant d'une étreinte passionnée, marbre divin, éveille-toi dans les bras de ton amant ; éveille-toi à la vie, éveille-toi à l'amour...
Nélida rouvrit les yeux, et, recouvrant tout à coup ses esprits, elle s'arracha des bras de Guermann qui n'essaya pas de la retenir, tant le regard qu'elle lui jeta commandait le respect. Elle alla lentement, en silence, à la fenêtre, et, l'ouvrant malgré l'orage, elle s'appuya sur le balcon que commençaient à mouiller de larges gouttes de pluie. Guermann se laissa tomber à la place qu'elle venait de quitter, et fondit en larmes


Ô vous qui avez bu à la coupe d'ivresse, vous vous plaignez qu'elle se soit brisée dans vos mains, et que les éclats de son pur cristal vous aient fait des blessures inguérissables ! Âmes lâches ! coeurs pusillanimes ! n'insultez pas à votre infortune, elle est sacrée. Vous êtes les élus du destin ; vous avez approché Dieu autant qu'il est donné à la faiblesse humaine ; vous avez sondé, dans vos joies et dans vos douleurs, dans vos désespoirs et dans vos extases, tout le mystère de la vie.


Un mariage, quelque brillant qu'il fût, me plaçait sous le pire des jougs, celui du caprice d'un individu qui pouvait être noble et intelligent à la vérité, mais qui pouvait aussi être vulgaire et stupide. D'ailleurs, le mariage, c'était le ménage, le gynécée, la vie des salons. C'était le renoncement presque certain à l'expansion de ma force, à ce rayonnement de ma vie sur d'autres vies, dont l'image seule enflammait mon cerveau d'irréfrénables désirs. L'idée de diriger un jour une communauté tout entière et l'éducation de deux cents jeunes filles, toujours renouvelées et recrutées dans les premiers rangs de la société, s'empara de moi comme la seule qui pût me conduire à un but digne d'efforts. Si je pouvais, me disais-je, infiltrer dans ces jeunes coeurs les sentiments dont le mien déborde ; si, au lieu de la morgue et de la vanité dont on les nourrit, je parvenais à les pénétrer des principes d'une égalité vraie ; si j'allumais dans leur âme un pur et enthousiaste amour du peuple, jaurais fait une révolution... Ce mot me donnait le vertige.


Guy de Maupassant, Une vie, 1883

La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on le croit.
  • Ultime phrase du roman inspirée par Flaubert dans une lettre adressée à Maupassant en 1878 : « Les choses ne sont jamais ni aussi mauvaises ni aussi bonnes qu’on croit ».


Gabriele D'Annunzio, Le Feu, 1900

Une clameur nouvelle, plus forte et plus longue, s’éleva d’entre les deux tutélaires colonnes de granit, pendant que la barque royale abordait à la Piazzetta noire de peuple. Quand le bruit cessait, la foule épaisse avait des remous ; et les galeries du Palais des Doges s’emplissaient d’une rumeur confuse, pareille au bourdonnement illusoire qui anime les volutes des conques marines. Puis, tout à coup, la clameur rejaillissait dans l’air limpide, montait se briser contre la légère forêt marmoréenne, franchissait les têtes des hautes statues, atteignait les pinacles et les croix, se dispersait dans le lointain crépusculaire. Puis, c’était une autre pause pendant laquelle, imperturbable, dominant l’agitation inférieure, continuait l’harmonie multiple des architectures sacrées et profanes où couraient comme une agile mélodie les modulations ioniques de la Bibliothèque et s’élançait comme un cri mystique la cime de la tour nue. Et cette musique silencieuse des lignes immobiles était si puissante qu’elle créait le fantôme presque visible d’une vie plus belle et plus riche, superposé au spectacle de la multitude inquiète. Celle-ci sentait la divinité de l’heure ; et, lorsqu’elle acclamait cette forme nouvelle de la royauté abordant au rivage antique, cette fraîche Reine blonde qu’illuminait un inextinguible sourire, peut-être exhalait-elle son obscure aspiration à dépasser l’étroitesse de la vie vulgaire et à recueillir les dons de l’éternelle Poésie épars sur les pierres et sur les eaux.
  • Le Feu, Gabriele D'Annunzio, éd. La Revue de Paris, 1900, chap. I. L'épiphanie du feu, p. 3


Elle souffrait une peine bien connue, à entendre ces belles paroles couler des lèvres de son ami avec une spontanéité qui les démontrait sincères [...]. C’était comme si elle perdait le sentiment de sa vie propre et qu’elle se trouvât transportée dans une sorte de vie fictive, intense et hallucinante, où sa respiration devenait difficile. Attirée dans cette atmosphère aussi ardente que le foyer d’une forge, elle se sentait capable de toutes les transfigurations qu’il plairait à cet animateur d’opérer sur elle pour satisfaire son continuel besoin de beauté et de poésie. Elle comprenait que, dans cet esprit génial, son image était de même nature que celle de la Saison défunte, enfermée sous l’enveloppe de verre, évidente jusqu’à paraître tangible. Et elle fut assaillie par l’envie puérile de se pencher vers les yeux du poète comme vers un miroir, pour y contempler son visage véritable.
  • Le Feu, Gabriele D'Annunzio, éd. La Revue de Paris, 1900, chap. I. L'épiphanie du feu, p. 8


Ce qui rendait sa peine plus lourde, c’était de reconnaître une vague analogie entre ce sentiment inquiet et l’anxiété qui s’emparait d’elle au moment où elle entrait dans la fiction scénique pour y incarner quelque sublime créature de l’Art. — En effet, ne l’entraînait-il pas à vivre dans cette même zone de vie supérieure ; et, pour la rendre capable d’y figurer sans se ressouvenir de sa personne quotidienne, ne la couvrait-il pas de splendides déguisements ? — Mais, tandis qu’il ne lui était donné, à elle, de se soutenir à un tel degré d’intensité que par un pénible effort, elle voyait l’autre y persister aisément, comme dans sa naturelle manière d’être, et jouir sans fin d’un monde prodigieux qu’il renouvelait par un acte de continuelle création.
  • Le Feu, Gabriele D'Annunzio, éd. La Revue de Paris, 1900, chap. I. L'épiphanie du feu, p. 9


Vous découvrez maintenant, Perdita, ce qui fait la réelle bienfaisance du signe. Moi-même, par affinité, je suis amené à me développer conformément au génie magnifique de la plante en laquelle il m’a plu de figurer mes aspirations vers une vie riche et ardente. Cette image végétale de moi-même suffit a m’assurer que mes énergies se déploient toujours selon la nature pour atteindre naturellement la fin qui leur est assignée. « Natura cosi mi dispone. — Ainsi Nature me dispose », telle est la vincienne épigraphe que je plaçai au frontispice de mon premier livre. Eh bien, le grenadier fleurissant et fructifiant me répète continuellement cette simple parole. Nous n’obéissons qu’aux lois gravées dans notre substance ; et, par ce moyen, nous demeurons intacts au milieu de dissolutions sans nombre, dans une unité et dans une plénitude qui font notre joie. Il n’existe nul désaccord entre mon art et ma vie.
  • Le Feu, Gabriele D'Annunzio, éd. La Revue de Paris, 1900, chap. I. L'épiphanie du feu, p. 13


— C’est chose très singulière, Perdita, — dit-il en regardant les lointaines eaux pâles, où la marée descendante commençait à découvrir les bas-fonds noirâtres, — combien facilement le hasard vient en aide à notre fantaisie par le caractère mystérieux qu’il prête au concours de certaines apparences en rapport avec une fin imaginée par nous. Je ne comprends pas pourquoi les poètes s’indignent aujourd’hui contre la vulgarité de l’époque présente et se plaignent d’être nés trop tard ou trop tôt. J’ai la conviction que tout homme d’intelligence, aujourd’hui comme toujours, a le pouvoir de se créer dans la vie sa belle fable.
  • Le Feu, Gabriele D'Annunzio, éd. La Revue de Paris, 1900, chap. I. L'épiphanie du feu, p. 14


Il semblait qu’en ce soir magique revinssent tous les souffles et les mirages de l’Orient lointain, tels que les apportait jadis, dans ses voiles creuses et dans ses flancs recourbés, la galère pleine de belles proies. Et toutes les choses d’alentour exaltaient la puissance de la vie chez cet homme qui voulait attirer à soi l’univers afin de ne plus mourir, chez cette femme qui voulait jeter au bûcher son âme trop lourde afin de mourir pure. Et ils palpitaient l’un et l’autre, sous l’oppression d’une anxiété croissante, l’oreille attentive à la fuite du temps, comme si l’eau sur laquelle ils naviguaient eût coulé dans une clepsydre effroyable.
  • Le Feu, Gabriele D'Annunzio, éd. La Revue de Paris, 1900, chap. I. L'épiphanie du feu, p. 21


[...] dans le silence favorable, s’éleva un prélude de violons. Les violes et les violoncelles unirent à cette plainte suppliante un plus profond soupir. N’était-ce pas, après la flûte et le crotale, après les instruments orgiaques dont les sons troublent la raison et provoquent le délire, n’était-ce pas l’auguste lyre dorienne, grave et suave, harmonieux support du chant ? Ainsi du bruyant Dithyrambe était né le Drame. La grande métamorphose du rite dionysiaque, la frénésie de la fête sacrée devenant la créatrice inspiration du poète tragique, était figurée dans cette alternance musicale. L’ardent souffle du dieu thrace avait donné la vie à une forme sublime de l’Art. La couronne et le trépied, prix décernés à la victoire du poète, avaient remplacé le bouc lascif et la corbeille de figues attiques. Eschyle, gardien d’une vigne, avait été visité par le dieu, qui lui avait infusé son esprit de flamme.
  • Le Feu, Gabriele D'Annunzio, éd. La Revue de Paris, 1900, chap. I. L'épiphanie du feu, p. 56


Les innombrables apparences du Feu volatil et versicolore se répandaient dans le firmament, rampaient sur l’eau, s’enroulaient aux vergues des navires, enguirlandaient les coupoles et les tours, ornaient les frises, enveloppaient les statues, gemmaient les chapiteaux, enrichissaient toutes les lignes, transfiguraient tous les aspects des architectures sacrées et profanes autour du profond miroir qui multipliait les merveilles. Étonnés, les yeux ne distinguaient plus ni le contour ni la qualité des éléments, mais ils étaient charmés par une vision mobile où toutes les formes vivaient d’une vie lucide et fluide, suspendues dans un éther vibrant ; de sorte que, sur l’eau, les sveltes proues recourbées et, dans le ciel, les colombes d’or par myriades semblaient rivaliser de légèreté en leur vol pareil et atteindre le faîte d’édifices immatériels.
  • Le Feu, Gabriele D'Annunzio, éd. La Revue de Paris, 1900, chap. I. L'épiphanie du feu, p. 241


Pierre Louÿs, Les Aventures du Roi Pausole, 1900

L'eau, d'une gueule de satyre aux oreilles foliesques, tombait dans une cuve naturelle de terre rouge et d'herbes vertes où s'enracinaient des lauriers-roses en touffes compactes. Ce n'était point la vasque moisie et lépreuse de nos jardins où la source inutile vient inonder une terre déjà molle de pluie. C'était une naissance de fleurs dans le sol pourpré du Midi, une fontaine de sève, une urne génitrice d'où la vie ruisselait en verdures mouvantes, et le vieux satyre, fils de Pan, regardait la jeunesse des bois descendre éternellement de ses lèvres.
Au-dessous du mascaron cornu, que la blanche Aline prenait pour le diable, deux nymphes de marbre s'enlaçaient, debout et penchées sur le bassin obscur. A la fin de chaque hiver l'amandier les couvrait de ses petites églantines. L'été, elles prenaient sous le soleil toutes les couleurs de la chair. La nuit elles redevenaient déesses.

  • Les Aventures du Roi Pausole (1900), Pierre Louÿs, éd. GF, 2008  (ISBN 978-2-0807-1214-1), partie Livre deuxième, III. Comment le miroir des nymphes devint celui des jeunes filles, p. 131


Renée Dunan, La Culotte en jersey de soi, 1923

Des mâles encore fussent présents si le destin n'avait pas, en quelque coin perdu de la planète, aboli traîtreusement la vie en eux.


La flamme des alcools passa dans les corps, incendia les prunelles, porta au centre des vies frémissantes son ardeur et ses énergies.


Julien Green, Léviathan, 1929

Rien n'est plus délicieux que ces premières journées d'automne où l'air agité de puissants remous semble une mer invisible dont les vagues se brisent dans les arbres, tandis que le soleil, dominant cette fureur et ce tumulte, accorde à la moindre fleur l'ombre qu'elle fera tourner à son pied jusqu'au soir. De ce calme et de cette frénésie résulte une impression où la force se mêle à une douceur que le langage humain ne peut rendre. C'est un repos sans langueur, une excitation que ne suit aucune lassitude ; le sang coule plus joyeux et plus libre, le coeur se passionne pour cette vie qui le fait battre. A ceux qui ne connaissent pas le bonheur, la nature dans ces moments généreux leur en apporte avec les odeurs des bois et les cris des oiseaux, avec les chants du feuillage et toutes ces choses où palpite l'enfance.
  • Léviathan (1897), Julien Green, éd. Fayard, coll. « Le Livre de Poche », 1993  (ISBN 978-2-253-09940-[à vérifier : ISBN invalide]), chap. XIII, p. 156


Marguerite Yourcenar, Alexis ou le Traité du Vain Combat, 1929

La vie est quelque chose de plus que la poésie ; elle est quelque chose de plus que la physiologie, et même que la morale, à laquelle j'ai cru si longtemps. Elle est tout cela et bien davantage encore : elle est la vie. Elle est notre seul bien et notre seule malédiction. Nous vivons, Monique ; chacun de nous a sa vie particulière, unique, déterminée par tout le passé, sur lequel nous ne pouvons rien, et déterminant à son tour, si peu que ce soit, tout l'avenir. Sa vie. Sa vie qui n'est qu'à lui-même, qui ne sera pas deux fois, et qu'il n'est pas toujours sûr de comprendre tout à fait. Et ce que je dis là de la vie tout entière, je pourrais le dire de chaque moment d'une vie. Les autres voient notre présence, nos gestes, la façon dont les mots se forment sur nos lèvres ; seuls, nous voyons notre vie. Cela est étrange : nous la voyons, nous nous étonnons qu'elle soit ainsi, et nous ne pouvons la changer. Même lorsque nous la jugeons, nous lui appartenons encore ; notre approbation ou notre blâme en fait partie ; c'est toujours elle qui se reflète elle-même. Car il n'y a rien d'autre ; le monde, pour chacun de nous, n'existe que dans la mesure où il confine à notre vie.


Je pleurai à l'idée que la vie fût si simple, et serait si facile si nous étions nous-mêmes assez simples pour l'accepter.


Nous croyons à tort que la vie nous transforme : elle nous use et ce qu'elle use en nous, ce sont les choses apprises.


William Faulkner, Tandis que j'agonise, 1930

Je me rappelais que mon père avait coutume de dire que le but de la vie c'est de se préparer à rester mort très longtemps.
  • Tandis que j'agonise (1930), William Faulkner (trad. Maurice-Edgar Coindreau), éd. Gallimard, coll. « Du monde entier », 1966, p. 183


André Breton, L'Amour fou, 1937

Les « beau comme » de Lautréamont constituent le manifeste même de la poésie convulsive. Les grand yeux clairs, aube ou aubier, crosse de fougère, rhum ou colchique, les plus beaux yeux de musées et de la vie à leur approche comme les fleurs éclatent s'ouvrent pour ne plus voir, sur toutes les branches de l'air. Ces yeux, qui n'expriment plus que sans nuance l'extase, la fureur, l'effroi, ce sont les yeux d'Isis (« Et l'ardeur d'autrefois... »), les yeux des femmes données aux lions, les yeux de Justine et de Juliette, ceux de Matilde de Lewis, ceux de plusieurs visages de Gustave Moreau, de certaines des têtes de cire les plus modernes.


Nul plus haut enseignement artistique ne me paraît pouvoir être reçu que du cristal. L'oeuvre d'art, au même titre d'ailleurs que tel fragment de la vie humaine considérée dans sa signification la plus grave, me paraît dénuée de valeur si elle ne présente pas la dureté, la rigidité, la régularité, le lustre sur toutes ses faces extérieures, intérieures, du cristal.


La vie, dans la constance de son processus de formation et de destruction, ne me semble pour l'oeil humain pouvoir être concrètement mieux enclose qu'entre les haies de mésanges bleues de l'aragonite et le pont de trésors de la « grande barrière » australienne.


Aujourd'hui encore je n'attends rien que de ma seule disponibilité, que de cette soif d'errer à la rencontre de tout, dont je m'assure qu'elle me maintient en communication mystérieuse avec les autres êtres disponibles, comme si nous étions appelés à nous réunir soudain. J'aimerais que ma vie ne laissât après elle d'autre murmure que celui d'une chanson de guetteur, d'une chanson pour tromper l'attente.
Indépendamment de ce qui arrive, n'arrive pas, c'est l'attente qui est magnifique.


Les hommes désespèrent stupidement de l'amour – j'en ai desespéré – ils vivent asservis à cette idée que l'amour est toujours derrière eux, jamais devant eux : les siècles passés, le mensonge de l'oubli à vingt ans. Ils supportent, ils s'aguerrisent à admettre surtout que l'amour ne soit pas pour eux, avec son cortège de clartés, ce regard sur le monde qui est fait de tous les yeux de devins. Ils boitent de souvenirs fallacieux auxquels ils vont jusqu'à prêter l'origine d'une chute immémoriale, pour ne pas se trouver trop coupables. Et pourtant pour chacun la promesse de toute heure à venir contient tout le secret de la vie, en puissance de se révéler un jour occasionnellement dans un autre rêve.


C'était quelque être très jeune, mais de qui ce signe distinctif ne s'imposait cependant pas à première vue, en raison de cette illusion qu'il donnait de se déplacer en plein jour dans la lumière d'une lampe. Je l'avais déjà vu pénétrer deux ou trois fois dans ce lieu : il m'avait à chaque fois été annoncé, avant de s'offrir à mon regard, par je ne sais quel mouvement de saisissement d'épaule à épaule ondulant jusqu'à moi à travers cette salle de café depuis la porte. Ce mouvement, dans la mesure même où, agitant une assistance vulgaire, il prend très vite un caractère hostile, que ce soit dans la vie ou dans l'art, m'a toujours averti de la présence du beau. Et je puis bien dire qu'à cette place, le 29 mai 1934, cette femme était scandaleusement belle. Une telle certitude, pour moi assez exaltante à cette époque par elle-même, risquait d'ailleurs fort de m'obséder durant le temps qui s'écoulait entre ses apparitions réelles, puisqu'une intuition très vague, dès les premiers instants, m'avait permis d'envisager que le destin de cette jeune femme pût un jour, et si faiblement que ce fût, entrer en composition avec le mien.


La vie est lente et l'homme ne sait guère la jouer. Les possibilités d'atteindre l'être susceptible de l'aider à la jouer, de lui donner tout son sens, se perdent dans la carte des astres. Qui m'accompagne, qui me précède cette nuit encore une fois ? Demain reste fait de déterminations bon gré mal gré acceptées sans tenir compte de ces boucles charmantes, de ces chevilles pareilles à des boucles. Il serait temps encore de reculer.


Tandis que, comme en rêve, on étale toujours devant nous d'autres parterres, vous vous penchez longuement sur ces fleurs enveloppées d'ombre comme si c'était moins pour les respirer que pour leur ravir leur secret et un tel geste, à lui seul, est la plus émouvante réponse que vous puissiez faire à cette question que je ne vous pose pas. Cette profusion de richesses à nos pieds ne peut manquer de s'interpréter comme un luxe d'avances que me fait à travers elle, plus encore nécessairement à travers vous, la vie. Et d'ailleurs, vous si blonde, physiquement si attirante au crépuscule du matin, c'est trop peu dire qu'ajouter que vous ne faites qu'un avec cet épanouissement même.


De ce paysage passionné qui se retirera un jour prochain avec la mer, si je ne dois enlever que toi aux fantasmagories de l'écume verte, je saurai recréer cette musique sur nos pas. Ces pas bordent à l'infini le pré qu'il nous faut traverser pour revenir, le pré magique qui cerne l'empire du figuier. Je ne découvre en moi d'autre trésor que la clé qui m'ouvre ce pré sans limites depuis que je te connais, ce pré fait de la répétition d'une seule plante toujours plus haute, dont le balancier d'amplitude toujours plus grande me conduira jusqu'à la mort. La mort, d'où l'horloge à fleurs des campagnes, belle comme ma pierre tombale dressée, se remettra en marche sur la pointe des pieds pour chanter les heures qui ne passent pas. Car une femme et un homme qui, jusqu'à la fin des temps, doivent être toi et moi, glisseront à leur tour sans se retourner jamais jusqu'à perte de sentier, dans la lueur oblique, aux confins de la vie et de l'oubli de la vie, dans l'herbe fine qui court devant nous à l'arborescence. Elle est, cette herbe dentelée, faite des mille liens invisibles, intranchables, qui se sont trouvés unir ton système nerveux au mien dans la nuit profonde de la connaissance.


Que le don absolu d'un être à un autre, qui ne peut exister sans sa réciprocité, soit aux yeux de tous la seule passerelle naturelle et surnaturelle jetée sur la vie.


Il y a là de quoi confondre tous ceux qui persistent à nous demander des comptes, incriminant la route à leur gré trop aventureuses que nous prétendons suivre. Ils disent – que ne disent-ils pas ! – que le monde n'a plus aucune curiosité à donner du côté où nous sommes, ils soutiennent impudemment qu'il vient de muer comme la voix d'un jeune garçon, ils nous objectent lugubrement que le temps des contes est fini. Fini pour eux ! Si je veux que le monde change, si même j'entends consacrer à son changement tel qu'il est conçu socialement une partie de ma vie, ce n'est pas dans le vain espoir de revenir à l'époque de ces contes mais bien dans celui d'aider à atteindre l'époque où ils ne seront plus seulement des contes.


J'ai à peine besoin de te toucher pour que le vif-argent de la sensitive incline sa harpe sur l'horizon. Mais, pour peu que nous nous arrêtions, l'herbe va reverdir, elle va renaître, après quoi mes nouveaux pas n'auront d'autre but que te réinventer. Je te réinventerai pour moi comme j'ai le désir de voir se recréer perpétuellement la poésie et la vie. D'une branche à l'autre de la sensitive – sans craindre de violer les lois de l'espace et bravant toutes les sortes d'anachronismes – j'aime à penser que l'avertissement subtil et sûr, des tropiques au pôle, suit son cours comme du commencement du monde à l'autre bout. J'accepte, sur mon passage, de découvrir que je n'en suis que la cause insignifiante. Seul compte l'effet universel, éternel : je n'existe qu'autant qu'il est réversible à moi.


L'amour réciproque, tel que je l'envisage, est un dispositif de miroirs qui me renvoient, sous les mille angles que peut prendre pour moi l'inconnu, l'image fidèle de celle que j'aime, toujours plus surprenante de divination de mon propre désir et plus dorée de vie.


Ici l'on commence à ne plus savoir si c'est pour entrer ou pour sortir qu'on entr'ouvre si fréquemment la porte du cirque des brumes. L'immense tente est merveilleusement rapiécée de jour. Ainsi une continuité parfaite n'a aucune peine à s'établir entre ce qui est découvert et ce qui est voilé. Il n'en va pas autrement de cet amour où le désir porté à l'extrême ne semble amené à s'épanouir que pour balayer d'une lumière de phare les clairières toujours nouvelles de la vie. Aucune dépression ne suit la jouissance. La chambre emplie de duvet de cygne que nous traversions tout à l'heure, que nous allons retraverser, communique sans obstacle avec la nature. Pailletant de bleu et d'or les bancs de miel sur lesquels nul être vivant ne semblait devoir prendre place, je vois mille yeux d'enfants braqués sur le haut du pic que nous ne saurons atteindre. On doit être en train d'installer le trapèze.


Comme tout s'embellit à la lueur des flammes ! Le moindre débris de verre trouve moyen d'être à la fois bleu et rose. De ce palier supérieur du Teide où l'oeil ne découvre plus la moindre herbe, où tout pourrait être si glacé et si sombre, je contemple jusqu'au vertige tes mains ouvertes au-dessus du feu de brindilles que nous venons d'allumer et qui fait rage, tes mains enchanteresses, tes mains transparentes qui planent sur le feu de ma vie.


Teide admirable, prends ma vie ! Tourne sous ces mains rayonnantes et fais miroiter tous mes versants. Je ne veux faire avec toi qu'un seul être de ta chair, de la chair des méduses, qu'un seul être qui soit la méduse des mers du désir. Bouche du ciel en même temps que des enfers, je te préfère ainsi énigmatique, ainsi capable de porter aux nues la beauté naturelle et de tout engloutir. C'est mon coeur qui bat dans tes profondeurs inviolables, dans cette aveuglante roseraie de la folie mathématique où tu couves mystérieusement ta puissance. Daignent tes artères, parcourues de beau sang noir et vibrant, me guider longtemps vers tout ce que j'ai à connaître, à aimer, vers tout ce qui doit faire aigrette au bout de mes doigts ! Puisse ma pensée parler par toi, par les mille gueules hurlantes d'hermines en quoi tu t'ouvres là-haut au lever du soleil !


C'est par-dessus les têtes, puis entre elles, une pluie de flèches empoisonnées, si serrées que bientôt à ne plus se voir. L'égoïsme odieux s'emmure en toute hâte dans une tour sans fenêtres. L'attraction est rompue, la beauté même du visage aimé se dérobe, un vent de cendres emporte tout, la poursuite de la vie est compromise. Est-il besoin de dire que ces instants sont comptés, qu'ils sont à la merci d'un signe d'intelligence du coeur – un mouvement involontaire de détente, un geste familier – pour prendre fin sans laisser la moindre trace. Vénus, parce qu'elle a voulu intervenir dans la guerre des hommes, est blessée à la main, c'est-à-dire paralysée momentanément dans son action même. Au-delà elle redevient elle-même et revêt sa ceinture magique.


C'est par-dessus les têtes, puis entre elles, une pluie de flèches empoisonnées, si serrées que bientôt à ne plus se voir. L'égoïsme odieux s'emmure en toute hâte dans une tour sans fenêtres. L'attraction est rompue, la beauté même du visage aimé se dérobe, un vent de cendres emporte tout, la poursuite de la vie est compromise. Est-il besoin de dire que ces instants sont comptés, qu'ils sont à la merci d'un signe d'intelligence du coeur – un mouvement involontaire de détente, un geste familier – pour prendre fin sans laisser la moindre trace. Vénus, parce qu'elle a voulu intervenir dans la guerre des hommes, est blessée à la main, c'est-à-dire paralysée momentanément dans son action même. Au-delà elle redevient elle-même et revêt sa ceinture magique.


Virginia Woolf, Les Vagues, 1952

Par secousses intermittentes, brusques comme les bonds d'un tigre, la vie émerge faisant palpiter sa crête sombre sur la mer. Voilà à quoi nous sommes attachés ; voilà à quoi nous sommes liés, tels des corps humains à des chevaux sauvages. Et pourtant nous avons inventé des procédés pour colmater les crevasses et masquer ces fissures.


Benjamin Péret, Mort aux vaches et au champ d'honneur, 1953

Il était environ quatre heures de l'après-midi, M. Charbon frappa trois fois la terre de son front. D'un nuage qui se trouvait à grande hauteur au-dessus de nous, une pluie de fraises s'abattit.
— Toujours le coeur ! fit M. Charbon. Il est en sécurité maintenant et il se moque de nous.
Je regardai le sol autour de nous et je m'aperçus que les fraises y avaient dessiné des lettres. Je lus : La vie est courte.

  • Les surréalistes — Une génération entre le rêve et l'action (1991), Jean-Luc Rispail, éd. Gallimard, coll. « Découverte Gallimard Littérature », 2000  (ISBN 2-07-053140-6), chap. Témoignages et documents, Benjamin Péret, Mort aux vaches et au champ d'honneur, ch. IV, 1953, p. 153


Jean-Paul Sartre, Les mots, 1964

Plus absurde est la vie, moins supportable la mort.


Albert Caraco, Post Mortem, 1968

Les êtres nobles aiment rarement la vie, ils lui préfèrent les raisons de vivre, et ceux qui se contentent de la vie sont toujours des ignobles. La vie qu'a-t-elle de si désirable, lorsqu'elle n'est sublime ?


Robert Lalonde, Le diable en personne, 1989

La vie est un conte de fées qui perd ses pouvoirs magiques lorsque nous grandissons.


Amélie Nothomb, Le Sabotage amoureux, 1993

Grâce à l'ennemi, ce sinistre accident qu'est la vie devient une épopée.


Tonino Benacquista, Le serrurier volant, 2006

Jour après jour, il sculptait sa vie avec la patience de l'artisan qui sait que dans les objets les plus simples on trouve aussi de la belle ouvrage.
  • Le serrurier volant, Tonino Benacquista, éd. Gallimard, coll. « Folio », 2009, p. 10


Qui avait décrété qu'il fallait choisir entre l'exaltation et la mort lente ? Qui s'était à ce point pris pour Dieu en affirmant que Dieu vomissait les tièdes ?
  • Le serrurier volant, Tonino Benacquista, éd. Gallimard, coll. « Folio », 2009, p. 10


Benoîte Groult, La Touche étoile, 2006

Quand on s'éloigne d'une côte en bateau, on la découvre soudain différemment. Les criques, les caps, les plages forment peu à peu un ensemble qui n'est pas la somme de ses composantes. L'âge aussi est une manière de s'éloigner : on commence à percevoir sa vie comme un tout, qui n'est pas forcément la juxtaposition des événements qui l'ont constituée.


Anne F. Garréta, Eros mélancolique, 2009

Toute vie est de nature essentiellement digressive. La continuité y est l’exception, la discontinuité la règle : dormir, se nourrir, faire les mouvements de la marche, s’habiller, se laver, rien de tout cela n’a de lien sauf arbitraire avec rien d’autre, rien n’est compatible avec l’unité d’un accomplissement. Et la pensée, quelles que soient les illusions qu’on peut nourrir parfois à son sujet, est d’une discontinuité intrinsèque multipliée de celle des actes du corps, qui presque toujours se produisent sans intervention.
  • Eros mélancolique, Anne F. Garréta et J. Roubaud, éd. Grasset, 2008, p. 52


Théâtre

William Shakespeare, The Tragedy of Macbeth, 1606

Macbeth : La vie n'est qu'une ombre qui passe, un pauvre acteur
Qui s'agite et parade une heure, sur la scène,
Puis on ne l'entend plus. C'est un récit
Plein de bruit, de fureur, qu'un idiot raconte
Et qui n'a pas de sens.
  • (en) Life's but a walking shadow, a poor player
    That struts and frets his hour upon the stage,
    And then is heard no more. It is a tale
    Told by an idiot, full of sound and fury,
    Signifying nothing.
  • (en) The Oxford Shakespeare, The Complete works, William Shakespeare, éd. Oxford, 1998, acte V, scène 5, p. 998 (texte intégral sur Wikisource)


Jean Giraudoux, Amphitryon 38, 1929

Alcmène à Amphitryon : [...] Moi qui mange avec moins de plaisir si tu te sers d'une cuiller quand j'ai une fourchette, lorsque tu respireras par des branchies et moi par des feuilles, lorsque tu parleras par un coassement et moi par des roulades, ô chéri, quel goût trouverai-je à la vie !


Médias

Presse

Charles-Augustin Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 1857

Il n'était pas de ceux que la critique console de l'art, qu'un travail littéraire distrait ou occupe et qui sont capables d'étudier, même avec emportement, pour échapper à des passions qui cherchent encore leur proie et qui n'ont plus de sérieux objet. Lui, il n'a su que haïr la vie, du moment, pour parler son langage, qu'elle n'était plus la jeunesse sacrée. Il ne la concevait digne d'être vécue, il ne la supportait qu'entourée et revêtu d'un léger délire.
  • Le siècle du progrès — Anthologie établie et présentée par Pierre Berès, Charles-Augustin Sainte-Beuve, éd. Hermann (éditeurs des sciences et des arts), coll. « Collection savoir : lettres », 1992  (ISBN 2-7056-6179-4), partie Alfred de Musset, 11 mai 1857. Causeries du lundi, t. XIII, p. 108


Littérature, Enquête — Pourquoi écrivez-vous ?, 1919

Paul Féval

Né au milieu des manuscrits de mon père, dans une maison où les succès du romancier et de l'auteur dramatique apportaient l'aisance, avec le va-et-vient continuel des journalistes, des artistes, des éditeurs et des directeurs, il m'eût été bien difficile de rêver une carrière autre.
Écrire m'est un plaisir.
A côté de l'existence commune l'homme de lettres s'extériorise par imagination, des deux vies la seconde est préférable à la première.
Le rêve surpasse la réalité.

  • Paul Féval donne suite à une enquête concernant son statut d'écrivain menée par le mensuel surréaliste Littérature, ce sur plusieurs numéros.
  • « Notre enquête — Pourquoi écrivez-vous ? », Paul Féval, Littérature, nº 10, Décembre 1919, p. 22


Littérature, Enquête — Pourquoi écrivez-vous ?, 1920

J'écris, comme tout écrivain, pour affirmer des tendances intimes refoulées dans la vie réelle. Je crois que l'oeuvre d'art pourrait être définie une compensation du réel. Nos instincts révolutionnaires et sexuels, nos instincts de domination et de connaissance ne peuvent se satisfaire pleinement au cours de la vie. Leur refoulement produit une sublimation qui donne naissance à l'oeuvre d'imagination. Celle-ci n'est donc que l'épanouissement de vélléités contrariées. Elle peut, dans les cas de refoulement excessifs, aboutir à une contradiction complète et magnifique de l'existence effective de l'écrivain.
Les atrocités sans frein des ouvrages du Marquis de Sade peuvent s'expliquer par le fait qu'il écrivit surtout en prison. L'outrance de ses inventions me ferait plutôt croire à la non-réalisation de ses tendances érotiques. C'est une revanche du rêve sur la réalité.
En ce qui me concerne, il n'y a pas lieu de douter que certaines de mes pièces, Poussière, les Possédés, Terres chaudes, entre autres, sont une tentative de compensations d'instincts révolutionnaires entravés et de désirs de voyages incomplètement satisfaits.

  • H. R. Lenormand donne suite à une enquête concernant son statut d'écrivain menée par le mensuel surréaliste Littérature, ce sur plusieurs numéros.
  • « Notre enquête — Pourquoi écrivez-vous ? », H. R. Lenormand, Littérature, nº 11, Décembre 1920, p. 24


Philosophie

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1885

J'appelle Etat le lieu où sont tous ceux qui boivent du poison, qu'ils soient bons ou mauvais ; Etat, l'endroit où ils se perdent tous, les bons et les méchants ; Etat, le lieu où le lent suicide de tous s'appelle — «la vie».

  • Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich Nietzsche (trad. Georges-Arthur Goldschmidt), éd. Le Livre de Poche, coll. « Les Classiques de Poche », 1972  (ISBN 978-2-253-00675-6), partie I, chap. « De la nouvelle idole », p. 6


Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal, 1886

On a mal regardé la vie, quand on n'a pas aussi vu la main qui tue en gant de velours.

  • Par-delà le bien et le mal, Friedrich Nietzsche (trad. Henri Albert), éd. Le Livre de Poche, coll. « Les Classiques de Poche », 1991  (ISBN 978-2-253-05614-0), partie IV, chap. « Maximes et intermèdes », § 69, p. 152


Gaston Bachelard, L'Eau et les rêves, 1942

Plus qu'aucun autre élément peut-être, l'eau est une réalité poétique complète. Une poétique de l'eau, malgré la variété de ses spectacles, est assurée d'une unité. L'eau doit suggérer au poète une obligation nouvelle : l'unité d'élément. Faute de cette unité d'élément, l'imagination matérielle n'est pas satisfaite et l'imagination formelle n'est pas suffisante pour lier les traits disparates. L'oeuvre manque de vie parce qu'elle manque de substance.
  • L'eau et les rêves — Essai sur l'imagination de la matière (1942), Gaston Bachelard, éd. Le Livre de Poche, coll. « Biblio Essais », 1993  (ISBN 978-2-253-06100-7), partie VI, chap. Introduction: Imagination et matière, p. 24


La vie réelle se porte mieux si on lui donne ses justes vacances d'irréalité.
  • L'eau et les rêves — Essai sur l'imagination de la matière (1942), Gaston Bachelard, éd. Le Livre de Poche, coll. « Biblio Essais », 1993  (ISBN 978-2-253-06100-7), partie II, chap. I Les eaux claires, les eaux printanières et les eaux courantes, les conditions objectives du narcissisme, les eaux amoureuses, p. 34


Psychanalyse

Marthe Robert, La Révolution psychanalytique, 1964

Éros et la mort

Thanatos a pour unique but de ramener toute matière vivante à l'état inorganique ; Éros, de son côté, travaille patiemment à rassembler des groupes de plus en plus étendus et à embrasser la vie dans sa totalité.
  • La révolution psychanalytique — La vie et l'oeuvre de Freud (1964), Marthe Robert, éd. Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 1989  (ISBN 2-228-88109-0), 25. Éros et la mort, p. 358


Psychologie

Mary Esther Harding, Les Mystères de la femme, 1953

L'expérience pratique nous révèle que les rêves ou l'activité imaginative qui se manifestent dans l'inconscient de personnes de caractères fort différents présentent des caractéristiques générales comparables à celles du mythe, chez deux catégories d'individus. D'abord chez ceux dont la vie personnelle ne s'est jamais pleinement dégagée de ses origines inconscientes ou s'est trouvée absorbée dans l'élément collectif surgi des profondeurs de l'inconscient ; ensuite dans les rêves d'un tout autre genre d'individus dont les problèmes personnels ont déjà été éclairés soit par l'expérience de la vie elle-même, soit par l'analyse. Ce caractère général des rêves se trouve ainsi chez des individus dont le développement n'est en rien comparable : d'une part chez ceux qui ne sont pas encore parvenus à une vie individuelle dégagée du domaine collectif des images intérieures, d'autre part chez ceux qui ont complètement assimilé leurs problèmes personnels et qui parviennent à une conception plus large de la vie.
Pour ce qui est des individus qui ne sont pas en mesure de mener une vie personnelle satisfaisante et qui traînent encore dans une sorte de brouillard indistinct, le premier soin de l'analyse sera d'établir ce qui leur manque : un rapport personnel avec le monde.

  • Les Mystères de la femme (1953), Mary Esther Harding (trad. Eveline Mahyère), éd. Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 2-228-89431-1), chap. I. Les mythes et l'esprit moderne, p. 35


[...] si un individu ne joue pas convenablement son rôle sur la scène du monde, il n'atteindra que la moitié de son développement. Sa tâche dans la vie est de remplir ses propres obligations, de veiller à ses intérêts mais aussi de participer à l'évolution culturelle de l'humanité.
  • Les Mystères de la femme (1953), Mary Esther Harding (trad. Eveline Mahyère), éd. Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 2-228-89431-1), chap. I. Les mythes et l'esprit moderne, p. 37


Dans les textes tantriques [...] il est dit que l'évolution de la conscience passe, grâce au croissant, de la région humide à la zone enflammée du soleil, et de là, à travers la région de l'air, à la pleine lune. Celui qui atteint la pleine lune « voit les trois périodes et a la vie longue », il est aux portes de la « grande libération ». Ces trois périodes sont le passé, le présent et l'avenir. Elles correspondent aux trois mondes des mythes de la lune : les enfers, la terre et les cieux. [...] en termes de psychologie, celui qui a atteint au royaume de la pleine lune a gagné la connaissance de l'inconscient qui est source, passé, origine ; il possède la puissance dans le monde présent, son regard pénètre l'avenir. En un sens il échappe au temps dont il transcende les limites. Il a acquis l'immortalité.
  • Les Mystères de la femme (1953), Mary Esther Harding (trad. Eveline Mahyère), éd. Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 2-228-89431-1), chap. XIV. Renaissance et immortalité, p. 317


Paul-Claude Racamier, Les Schizophrènes, 1980

Schizogrammes

écriture Écrire intérieurement sa vie, chacun le fait sans cesse, le névrosé le fait en hyéroglyphes, et le psychotique sur un écran qui ne prend pas l'encre.


épouvantail Certains schizophrènes, tant ils tiennent la garde pour écarter les oiseaux, font songer à des épouvantails usés. Mais attention, quand la vie, de nouveau timidement, les habite sous les mêmes oripeaux, attention à ne pas manquer cette éclosion fragile. Combien de schizophrènes sont-ils retournés à leur vide, épouvantails maintenant définitifs, parce qu'on n'a pas entendu revenir un murmure de vie ?


(vie) privée Une vie privée de fantasmes au lieu d'une vie privée fantasmatique : une vie de psychotique.


Cédric Roos, La relation d'emprise dans le soin, 2006

Définitions

La psychanalyste Hirigoyen décrit les situations de harcèlement moral comme une « prédation », c’est-à-dire un « acte qui consiste à s’approprier la vie ». Elle utilise les termes « agresseur » et « agressé », car il s’agit bien, même si elle est occulte, d’une violence avérée qui tend à s’attaquer à l’identité de l’autre et à lui retirer toute individualité. Elle qualifie en outre l’agresseur de « pervers », ce qu’elle associe à la notion d’abus : « ...cela débute par un abus de pouvoir, se poursuit par un abus narcissique au sens ou l’autre perd toute estime de soi, et peut aboutir parfois à un abus sexuel. »
  • La relation d'emprise dans le soin, 2006, Définitions, dans [1], paru Textes Psy, Cédric Roos.

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