« Parole » : différence entre les versions

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Clelie Mascaret (discussion | contributions)
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{{citation|citation=Je t’aime et tu feins de m’ignorer. Je veux croire que tu feins de m’ignorer ou plutôt non ta mimique est pleine d’allusions. La phrase la plus banale a des sous-entendus émouvants quand c’est toi qui m’adresses la parole.}}
{{citation|citation=Je t’aime et tu feins de m’ignorer. Je veux croire que tu feins de m’ignorer ou plutôt non ta mimique est pleine d’allusions. La phrase la plus banale a des sous-entendus émouvants quand c’est toi qui m’adresses la parole.}}
{{Réf Livre|titre=La liberté ou l'amour !|auteur=[[Robert Desnos]]|éditeur=Gallimard|collection=L'Imaginaire|année=1962|année d'origine=1927|page=49|section=V. La baie de la faim|ISBN=978-2-07-027695-0}}
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==== [[René Char]], ''Fureur et mystère'', 1948 ====
''' L'absent '''
{{citation|citation=Ce frère brutal mais dont la parole était sûre, patient au sacrifice, diamant et sanglier, ingénieux et secourable, se tenait au centre de tous les malentendus tel un arbre de résine dans le froid inalliable. Au bestiaire de mensonges qui le tourmentait de ses gobelins et de ses trombes il opposait son dos perdu dans le temps. Il venait à vous par des sentiers invisibles, favorisait l'audace écarlate, ne vous contrariait pas, savait sourire. Comme l'abeille quitte le verger pour le fruit déjà noir, les femmes soutenaient sans le trahir le paradoxe de ce visage qui n'avait pas des traits d'otage.}}
{{Réf Livre|titre=Fureur et mystère|auteur=[[René Char]]|éditeur=Gallimard|collection=Poésie|année=1962|année d'origine=1948|page=39|partie=SEULS DEMEURENT (1938-1944)|section=L'absent|ISBN=2-07-030065-X}}


==== [[Octavio Paz]], ''Liberté sur parole'', 1958 ====
==== [[Octavio Paz]], ''Liberté sur parole'', 1958 ====

Version du 1 mars 2012 à 14:59

La parole est l'expression verbale de la pensée.

Littérature

Écrit intime

Paul Klee, Journal, 1957

Au-dedans de moi, quel changement ! J'ai vu vivre un morceau d'histoire. Le Forum et le Vatican m'ont adressé la parole. L'humanisme me veut prendre à la gorge, il est davantage qu'une torturante invention des professeurs de lycée. Il me faut le suivre, ne serait-ce qu'un bout de chemin. Adieu Elfes, fée de la lune, étoiles filantes.
Ma bonne étoile ne se lève point, ne se lèvera pas avant longtemps. Estime-toi heureux, Barbare ! Pourvu que tu puisses penser ! Ulysse a vu la mer et moi j'ai vu Rome. Exorcisé ! Voici l'Europe néoclassique.


Essai

Albert Bensoussan, Confessions d'un traître, 1995

C'est par le travail et l'échine brisée que se construit la vérité du verbe.
  • Confessions d'un traître, Albert Bensoussan, éd. Presses Universitaires de Rennes, 1995, p. 37


La parole est nomade, aérienne, supérieure, l'écriture la fige, la ramène à terre, l'emprisonne. Ainsi cette historiette arabe :

- Qu'est-ce que la parole ? demande l'un
- Un vent qui passe, dit le sage
- Et qui peut l'enchaîner ? interroge l'autre

- L'écriture.
  • Confessions d'un traître, Albert Bensoussan, éd. Presses Universitaires de Rennes, 1995, p. 25-26


Nouvelle

Renée Vivien, La Dame à la Louve, 1904

La Soif ricane

Polly mâcha un sourd juron… Mes genoux fléchirent sous moi. Elle me toisa de son regard dédaigneux, et, me quittant sans une parole, elle se mit en devoir de gravir la colline.
Je la suivis, par crainte de la solitude, plus odieuse encore que la présence de cette compagne détestée.

  • La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Soif ricane, p. 31


La Saurienne

Les Yeux !
Je fus saisi d’une joie de fièvre et de délire, de cette joie que seuls connaissent les naufragés enfin rendus à la terre et les malades qui voient l’aube dissiper leur nuit d’horribles hallucinations. Je dansais, je faisais siffler ma salive. Je balbutiai même à ma redoutable compagne de stupides paroles d’amour.
Je vidai ma gourde d’un trait. La pensée de ma délivrance prochaine coula dans mes veines, avec la bienfaisante chaleur du brandy… J’eus ainsi la force d’accomplir la meurtrière besogne… Et, lorsque la Saurienne, les regards chavirés sous les paupières ivres, attendait la satisfaction charnelle, je pris mon couteau. Je pris mon couteau, et, atteignant le monstre vautré dans l’herbe, je lui crevai les yeux…
Je lui crevai les yeux, vous dis-je. Ah ! c’est que je suis courageux, moi ! On peut clabauder sur mon compte, mais on ne prétendra jamais que je suis un lâche. Beaucoup d’hommes auraient perdu la tête, à ma place.

  • La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Saurienne, p. 128


Louis Aragon, Le Libertinage, 1924

La parole n’a pas été donnée à l'homme : il l'a prise.
  • Le Libertinage, Louis Aragon, éd. NRF, 1924, p. 20


Poésie

René Daumal, Le Contre Ciel, 1954

La Parole essentielle n'est […] pas affectée par les formes verbales qui tendent à l'exprimer. Car elle ne s'exprime pas directement elle-même ; elle est le Mot-de-Passe, la porte libératrice qui permet aux élans du chaos lyrique de trouver, par l'intermédiaire de l'image, les mots qui leur conviennent. La Parole ouvre la bouche du poète ; et c'est le souffle qui parle à sa place, avec autant d'approximation que l'instrument humain le permet.
  • Le Contre Ciel, René Daumal, éd. Gallimard, 1954, p. 35


Prose poétique

Novalis, Hymne à la nuit, 1800

Mais l’ancien monde touche à sa fin ; ses jardins rians se flétrissent, les dieux s’en vont avec leur suite, et la nature reste déserte et sans vie. Le charme de l’existence tombe dans des paroles obscures, comme on voit la fleur s’en aller en poussière ; la croyance est loin, et avec elle, la vive, la puissante imagination.
  • « Hymne à la nuit », Novalis, Nouvelle revue germanique, nº 14, 1833, p. 238


André Breton, Poisson soluble, 1924

Et toi qui es plus belle qu'une graine de soleil dans le bec du perroquet éblouissant de cette porte, dis-moi tout de suite comment elle se porte. S'il est vrai que le pont-levis des lierres de la parole s'abaisse ici sur un simple appel d'étrier.


De son gilet aux vibrations déterminées jusqu'à la racine de ses moustaches le soleil achevait de décharger ses rondins. Il prononçait des paroles imprudentes, voulant absolument m'ennuyer.


Robert Desnos, La liberté ou l'amour !, 1927

Je t’aime et tu feins de m’ignorer. Je veux croire que tu feins de m’ignorer ou plutôt non ta mimique est pleine d’allusions. La phrase la plus banale a des sous-entendus émouvants quand c’est toi qui m’adresses la parole.


René Char, Fureur et mystère, 1948

L'absent

Ce frère brutal mais dont la parole était sûre, patient au sacrifice, diamant et sanglier, ingénieux et secourable, se tenait au centre de tous les malentendus tel un arbre de résine dans le froid inalliable. Au bestiaire de mensonges qui le tourmentait de ses gobelins et de ses trombes il opposait son dos perdu dans le temps. Il venait à vous par des sentiers invisibles, favorisait l'audace écarlate, ne vous contrariait pas, savait sourire. Comme l'abeille quitte le verger pour le fruit déjà noir, les femmes soutenaient sans le trahir le paradoxe de ce visage qui n'avait pas des traits d'otage.
  • Fureur et mystère (1948), René Char, éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1962  (ISBN 2-07-030065-X), partie SEULS DEMEURENT (1938-1944), L'absent, p. 39


Octavio Paz, Liberté sur parole, 1958

Travaux du poète

Je passai une rue puis une autre, grelottant, lorsque tout à coup je sentis — non, je ne la sentis point : elle me croisa, impétueuse : la Parole. Cette rencontre inattendue me paralysa un moment — assez pour lui donner le temps de retourner à la nuit. Remis, je réussis quand même à la saisir par sa chevelure flottante. Et je tirai désespérément ces fibres qui s'allongeaient à l'infini, fils télégraphiques qui s'éloignaient avec le paysage entrevu, note qui monte, s'amenuise, s'étire, s'étire... Et je me retrouvai seul au milieu de la rue, une plume rouge dans mes mains violacées.
  • Liberté sur parole (1958), Octavio Paz (trad. Jean-Clarence Lambert), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1966  (ISBN 2-07-031789-7), partie II. AIGLE OU SOLEIL ? (1949-1950), Travaux du poète — III, p. 48


Je dégorge toutes les paroles, tous les credo, tous ces aliments froids dont ils nous ont gavés depuis le début.
  • Liberté sur parole (1958), Octavio Paz (trad. Jean-Clarence Lambert), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1966  (ISBN 2-07-031789-7), partie II. AIGLE OU SOLEIL ? (1949-1950), Travaux du poète — IX, p. 55


Elle rôde, s'insinue, s'approche, s'éloigne, revient sur la pointe des pieds et, si je tends la main, disparaît — une Parole. Je n'aperçois que sa crête orgueilleuse : Cri. Christ, cristal, crime, Crimée, critique, Christine, critère ?
  • Liberté sur parole (1958), Octavio Paz (trad. Jean-Clarence Lambert), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1966  (ISBN 2-07-031789-7), partie II. AIGLE OU SOLEIL ? (1949-1950), Travaux du poète — X, p. 56


Personne ne pourra se nourrir de ces restes desséchés, même mes chiens, mes vices. Espoir, aigle affamé, laisse-moi sur ce rocher semblable au silence. Et toi, vent qui souffle du Passé, souffle avec force, disperse ces quelques syllabes, qu'elles soient air et transparence ! Etre enfin une Parole, un peu d'air dans une bouche pure, un peu d'eau dans des lèvres avides ! Mais déjà l'oubli prononce mon nom : regarde-le briller entre ses lèvres comme l'os brille un instant dans la gueule de la nuit au noir pelage.
  • Liberté sur parole (1958), Octavio Paz (trad. Jean-Clarence Lambert), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1966  (ISBN 2-07-031789-7), partie II. AIGLE OU SOLEIL ? (1949-1950), Travaux du poète — XIV, p. 58


Papillon d'obsidienne

Dans la nuit des paroles égorgées, mes soeurs et moi, nous tenant la main, nous sautons et chantons autour du I, seule tour restée debout dans l'alphabet rasé.
  • Liberté sur parole (1958), Octavio Paz (trad. Jean-Clarence Lambert), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1966  (ISBN 2-07-031789-7), partie II. AIGLE OU SOLEIL ? (1949-1950), Aigle ou Soleil ? — Papillon d'obsidienne, p. 91


Roman

Alphonse de Lamartine, Graziella, 1852

Il semble que la parole soit la seule prédestination de l'homme et qu'il ait été créé pour enfanter des pensées comme l'arbre pour enfanter son fruit.
  • Graziella, Alphonse de Lamartine, éd. Librairie Nouvelle, 1852, p. III, XV


Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857

[…], la parole est un laminoir qui allonge toujours les sentiments.


Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, 1939

Parole, esprit et liberté sont sous trois aspects une seule et même chose.
  • Sur les falaises de marbre (1942), Ernst Jünger (trad. Henri Thomas), éd. Gallimard, coll. « L'Imaginaire », 2005, p. 93


Médias

Politique

Philippe Alexandre, Plaidoyer impossible pour un vieux président abandonné par les siens, 1994

A [un] homme de verbe, il suffit de la parole pour exister.
  • À propos de François Mitterrand


Pierre Bourgault, La Culture. Écrits polémiques, 1996

La parole est vaine pour les imbéciles. C'est pourquoi il ne faut pas leur en laisser le monopole. Il faut que l'intelligence parle mieux et plus haut que la stupidité, que le préjugé, que l'ignorance, que la bêtise. Elle n'est pas que plaisir. C'est aussi une arme dangereuse qu'il faut savoir maîtriser pour ne pas se laisser maîtriser par ceux qui la maîtrisent.
  • La Culture. Écrits polémiques., Pierre Bourgault, éd. PCL, 1996, t. 2, p. 135


Philosophie

Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l'origine des langues, 1781


La parole étant la première institution sociale ne doit sa forme qu'à des causes naturelles.


Psychologie

Cédric Roos, La relation d'emprise dans le soin, 2006

Modèle cognitivo-comportemental

La parole est le moyen le plus sophistiqué et le plus abstrait des procédés de captation ; elle n’a que l’apparence d’un échange et n’est utilisée que dans un but de « persuasion utilitaire » [...].
La communication se fait, selon Hirigoyen, sur un ton froid et plat, d’une voix monocorde.

  • La relation d'emprise dans le soin, 2006, Modèle cognitivo-comportemental : Pratiques relationnelles ou praxis Captation, dans [1], paru Textes Psy, Cédric Roos.


La parole peut être utilisée pour banaliser des situations déviantes ou des actes répréhensibles, pour dépasser l’interdiction d’un tabou. Elle induit volontairement la victime en erreur.
De plus, dans une relation normale, la parole exprime l’état d’esprit de celui qui la prononce : elle fait le lien avec l’autre qui lui exprime sa reconnaissance en retour. Dans la relation d’emprise, l’instigateur parle « au nom de la victime », en nommant ses intentions, en faisant mine de deviner ses pensées cachées, et en l’obligeant à s’y soumettre.

  • La relation d'emprise dans le soin, 2006, Modèle cognitivo-comportemental : Pratiques relationnelles ou praxis Captation, dans [2], paru Textes Psy, Cédric Roos.

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