« Andreï Makine » : différence entre les versions
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|citation=... C'est cette nuit-là, je crois, qu'un officier américain criera à ses hommes débarqués sur les plages normandes et qui essayaient de s'accrocher aux falaises criblées de balles : « Mourez le plus loin possible, les gars ! »... |
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Version du 29 octobre 2018 à 22:30
Andreï Makine, né le 10 septembre 1957 à Krasnoïarsk, en Sibérie, est un écrivain d'origine russe et de langue française. Il a également publié des romans sous le pseudonyme de Gabriel Osmonde.
La fille d'un héros de l'Union soviétique, 1990
C'est ainsi que sa vie n'avait tenu qu'à cet éclat de miroir terni et aux doigts bleuis par le froid d'une ambulancière mince comme une adolescente. Il était couché dans ce champ printanier labouré par les chars, au milieu de centaines de capotes figées pendant la nuit en un monceau glacé. À gauche, d'un noir cratère, des poutres brisées hérissaient leurs pointes déchiquetées. Tout près, les roues enfoncées dans une tranchée à demi éboulée, un canon antichar se cabrait vers le ciel.
- Incipit
- La fille d'un héros de l'Union soviétique, Andreï Makine, éd. Robert Laffont, 1990 (ISBN 2-221-08265-6), p. 11
Soudain, tout cet espace glacé s'adoucit, se réchauffa, se voila d'une petite ombre de brume. Tatiana sauta sur ses jambes et brandissant l'éclat d'où s'effaçait rapidement la buée légère du souffle, cria :
- La fille d'un héros de l'Union soviétique, Andreï Makine, éd. Robert Laffont, 1990 (ISBN 2-221-08265-6), p. 13
Confession d'un porte-drapeau déchu, 1992
– Iacha !
D'un banc, derrière les touffes humides des dahlias, un homme se levait, marquait la page dans son livre avec une brindille et se dirigeait vers l'entrée. Son crâne, absolument chauve et d'une pâleur incroyable, semblait transparent. Seuls quelques cheveux argentés frisaient au bas de sa nuque. En passant près de nous il nous lançait avec une douceur rieuse mais ferme :
- Confession d'un porte-drapeau déchu, Andreï Makine, éd. Belfond, 1992 (ISBN 2-7144-3419-3), p. 11
Le Testament français, 1995
Car ces femmes savaient que pour être belles, il fallait, quelques secondes avant que le flash ne les aveugle, prononcer ces mystérieuses syllabes françaises dont peu connaissaient le sens : « pe-tite-pomme… » Comme par enchantement, la bouche, au lieu de s'étirer dans une béatitude enjouée ou de se crisper dans un rictus anxieux, formait ce gracieux arrondi. Le visage tout entier en demeurait transfiguré.
- Incipit du roman
- Le Testament français, Andreï Makine, éd. Mercure de France, 1995 (ISBN 2-7152-1936-9), p. 13
A travers ses larmes, elle regarda la pièce comme pour la première fois : une fenêtre au ras du sol, ce bouquet d'aneth venant déjà d'une autre époque de sa vie, un sac de soldat sur le tabouret près de l'entrée, des grosses bottes couvertes de poussière rousse. Et sous une ampoule nue et terne, au milieu de cette pièce à moitié enfouie dans la terre — ce corps méconnaissable, on eût dit déchiré par les rouages d'une machine. Des mots étonnés se formèrent en elle, à son insu : « Moi, Charlotte Lemonnier, je suis là, dans cette isba ensevelie sous l'herbe des steppes, avec cet homme, ce soldat au corps lacéré de blessures, le père des mes enfants, l'homme que j'aime tant… Moi Charlotte Lemonnier… »
- Le Testament français, Andreï Makine, éd. Mercure de France, 1995 (ISBN 2-7152-1936-9), p. 136
— Mais toi, tu pourrais aussi partir à l'étranger ! En France, par exemple… Ça te tenterait, hein ?
L'expression de ses traits ne changea pas. Elle baissa simplement les yeux. J'entendis la mélodie sifflante de la bouilloire, le tintement des cristaux de neige contre la vitre noire.
— Tu sais, me dit-elle enfin avec un sourire fatigué, quand en 1922 j'allai en Sibérie, la moitié, ou peut-être le tiers de ce voyage, je l'ai fait à pied. C'était comme d'ici à Paris. Tu vois, je n'aurais même pas besoin de vos avions…
Elle sourit de nouveau, me regardant dans les yeux. Mais malgré cette intonation enjouée, je devinai dans sa voix un accent profond d'amertume. Confus, je pris une cigarette, je sortis sur le balcon…
- Le Testament français, Andreï Makine, éd. Mercure de France, 1995 (ISBN 2-7152-1936-9), p. 262
Le crime d'Olga Arbélina, 1998
- Incipit
- Le crime d'Olga Arbélina, Andreï Makine, éd. Mercure de France, 1998 (ISBN 2-7152-2090-1), p. 13
– Pourriez-vous me parler de cette femme ?
Le regard du vieux gardien semble traverser de longues étendues d'obscurité, des villes nocturnes peuplées depuis longtemps par des ombres. On voit qu'il tente de comprendre à qui il a affaire : à l'un de ces curieux qui viennent pour emporter deux ou trois anecdotes. Ou bien à un fugitif qui s'est évadé d'un déjeuner familial et s'est réfugié ici pour retrouver son souffle. Ou peut-être à celui dont il n'espérait plus la venue ?
Il se met à parler en se dirigeant lentement vers la grille du portail qui aurait dû être fermée il y a au moins une heure. Dans ses paroles perce une très grande lassitude.
- Le crime d'Olga Arbélina, Andreï Makine, éd. Mercure de France, 1998 (ISBN 2-7152-2090-1), p. 25
- Le crime d'Olga Arbélina (1998), Andreï Makine, éd. Gallimard, coll. « Folio », 2000 (ISBN 2-07-041167-2), p. 162
Non, elle pleurera à l'instant où son voisin, mine émaciée, regard mort, hésitera une seconde, puis partagera avec elle son pain…
- Le crime d'Olga Arbélina, Andreï Makine, éd. Mercure de France, 1998 (ISBN 2-7152-2090-1), p. 140
Le voyage d'une femme qui n'avait plus peur de vieillir, 2001
- Makine a signé ce roman sous le nom de Gabriel Osmonde
- Le voyage d'une femme qui n'avait plus peur de vieillir, Gabriel Osmonde, éd. Albin Michel, 2001 (ISBN 2-226-12721-6), p. 21
- Makine a signé ce roman sous le nom de Gabriel Osmonde
- Le voyage d'une femme qui n'avait plus peur de vieillir, Gabriel Osmonde, éd. Albin Michel, 2001 (ISBN 2-226-12721-6), p. 214
- Makine a signé ce roman sous le nom de Gabriel Osmonde
- Le voyage d'une femme qui n'avait plus peur de vieillir, Gabriel Osmonde, éd. Albin Michel, 2001 (ISBN 2-226-12721-6), p. 223
- Makine a signé ce roman sous le nom de Gabriel Osmonde
- Le voyage d'une femme qui n'avait plus peur de vieillir, Gabriel Osmonde, éd. Albin Michel, 2001 (ISBN 2-226-12721-6), p. 264
La Musique d'une vie, 2001
Je me dis qu'une telle mentalité a un nom. un terme que j'ai entendu récemment dans la bouche d'un ami, auditeur clandestin des radios occidentales. une appellation que j'ai sur le bout de la langue et que seule la fatigue m'empêche de reproduire. Je me secoue et le mot, lumineux et définitif, éclate : « Homo sovieticus ! ».
- La Musique d'une vie, Andreï Makine, éd. Seuil, 2001 (ISBN 2-02-048343-2), p. 21
Il n'avait pas l'impression de jouer. Il avançait à travers une nuit, respirait sa transparence fragile d'infinies facettes de glace, de feuilles, de vent. Il ne portait plus aucun mal en lui. Pas de crainte de ce qui allait arriver. Pas d'angoisse ou de remords. La nuit à travers laquelle il avançait disait et ce mal, et cette peur, mais tout cela était déjà devenu musique et n'existait que par sa beauté.
- La Musique d'une vie, Andreï Makine, éd. Seuil, 2001 (ISBN 2-02-048343-2), p. 119
La terre et le ciel de Jacques Dorme, 2003
Le temps de vivre ensemble sera si bref que tout leur arrivera pour la première et la dernière fois.
Au début de la nuit, dans la violence de l'amour, il a rompu le fil du vieux collier qu'elle n'enlevait jamais. Les petites perles d'ambre ont criblé le plancher et la pluie qui s'est mise à tomber a d'abord imité cette fine mitraille, puis s'en est détachée, devenant averse, trombes d'eau, enfin une lame de fond inondant la pièce. Après une journée de fournaise et le vent sec qui crissait comme des ailes d'insectes, cette vague atteint leurs corps nus, remplit les draps de la senteur humide des feuilles, de la fraîcheur âpre des plaines. Le mur, face au lit, n'existe pas, juste les cassures des rondins carbonisés, ravages de l'incendie d'il y a deux semaines. Derrière l'embrasure, le ciel d'orage gonfle pesamment sa chair violette, résineuse. Le premier et le dernier orage de mai dans leur vie commune.
- Incipit
- La terre et le ciel de Jacques Dorme, Andreï Makine, éd. Éditions du Rocher, coll. « Prince Pierre de Monaco », 2006 (ISBN 2-268-05900-6), p. 13
- La terre et le ciel de Jacques Dorme, Andreï Makine, éd. Éditions du Rocher, coll. « Prince Pierre de Monaco », 2006 (ISBN 2-268-05900-6), p. 54
Les 20000 femmes de la vie d'un homme, 2004
Le corps est beau non seulement dans sa chair et ses lignes mais aussi grâce à ce bois bruni sur lequel sa carnation se détache. Grâce au silence traversé par les craquements du feu. Grâce au bleu profond de la petite fenêtre où s'épaissit la nuit. La chaleur est telle que, déshabillé, il ne peut que rester à moitié couché sur les grosses planches du sol, attraper l'air un peu moins brûlant, observer le beauté de la femme. Belles sont ses mains abandonnées sur ces genoux, son immobilité, ses paupières closes. Et la possibilité de ne rien dire, de ne rien expliquer, de toucher ses pieds, comme il fait à présent, en posant sa tête sur ses pieds douloureusement minces, de les embrasser, de les presser contre sa joue, de ne plus bouger.
- Makine a signé ce roman sous le nom de Gabriel Osmonde
- Les 20000 femmes de la vie d'un homme, Andreï Makine, éd. Albin Michel, 2004 (ISBN 2-226-15070-6), p. 286
La femme qui attendait, 2004
J'ai écrit cette phrase à ce moment singulier où la connaissance de l'autre (de cette femme-là , Véra) nous semble acquise. Avant, c'est la curiosité, la divination, la soif d'aveux.
- La femme qui attendait, Andreï Makine, éd. Seuil, 2004 (ISBN 2-02-063743-X), p. 9
- La femme qui attendait, Andreï Makine, éd. Seuil, 2004 (ISBN 2-02-063743-X), p. 72
- La femme qui attendait, Andreï Makine, éd. Seuil, 2004 (ISBN 2-02-063743-X), p. 102
La vie d'un homme inconnu, 2009
- La vie d'un homme inconnu, Andreï Makine, éd. Seuil, 2009 (ISBN 978-2-02-098296-2), p. 44
- La vie d'un homme inconnu, Andreï Makine, éd. Seuil, 2009 (ISBN 978-2-02-098296-2), p. 99
- La vie d'un homme inconnu, Andreï Makine, éd. Seuil, 2009 (ISBN 978-2-02-098296-2), p. 104
- La vie d'un homme inconnu, Andreï Makine, éd. Seuil, 2009 (ISBN 978-2-02-098296-2), p. 110
- La vie d'un homme inconnu, Andreï Makine, éd. Seuil, 2009 (ISBN 978-2-02-098296-2), p. 162
- La vie d'un homme inconnu, Andreï Makine, éd. Seuil, 2009 (ISBN 978-2-02-098296-2), p. 222
Alternaissance, 2011
Ma vie cachée était faite de ces instants où je sentais l'essentiel se révéler : un monde différent derrière la machine-outil de la société. Le reste de ma jeunesse n'était que le fonctionnement d'un rouage. Ces fonctions sont connues, je n'étais ni le meilleur exécutant, ni le pire. Je me conformais, me pliais, justement, m'exécutais. Le langage trahit les vérités dérangeantes. S'exécuter, s'intégrer à un ordre de choses mais aussi, au fond, se tuer. Tuer celui qui, en vous, voudrait s'arracher à la mécanique.
Je refusais cette mort qui donne le droit de vivre parmi les humains.
- Makine a signé ce roman sous le nom de Gabriel Osmonde
- Alternaissance, Andreï Makine, éd. Pygmalion, 2011 (ISBN 978-2-7564-0474-5), p. 64,65
Le livre des brèves amours éternelles, 2011
- Le livre des brèves amours éternelles, Andreï Makine, éd. Seuil, 2011 (ISBN 978-2-02103365-6), p. 44
- Le livre des brèves amours éternelles, Andreï Makine, éd. Seuil, 2011 (ISBN 978-2-02103365-6), p. 46
- Le livre des brèves amours éternelles, Andreï Makine, éd. Seuil, 2011 (ISBN 978-2-02103365-6), p. 81
- Le livre des brèves amours éternelles, Andreï Makine, éd. Seuil, 2011 (ISBN 978-2-02103365-6), p. 89
- Le livre des brèves amours éternelles, Andreï Makine, éd. Seuil, 2011 (ISBN 978-2-02103365-6), p. 102
Une femme aimée, 2013
– Partir ! »
- Une femme aimée, Andreï Makine, éd. Seuil, 2013 (ISBN 978-2-02-109551-7), p. 154
« Ce qu'ils vivaient était si étranger au monde que pour s'aimer, ils devaient effacer ce monde-là. Partir. Renaître... »
- Une femme aimée, Andreï Makine, éd. Seuil, 2013 (ISBN 978-2-02-109551-7), p. 207
- Une femme aimée, Andreï Makine, éd. Seuil, 2013 (ISBN 978-2-02-109551-7), p. 330
- Une femme aimée, Andreï Makine, éd. Seuil, 2013 (ISBN 978-2-02-109551-7), p. 347
- Une femme aimée, Andreï Makine, éd. Seuil, 2013 (ISBN 978-2-02-109551-7), p. 363
Le pays du lieutenant Schreiber, 2014
- Le pays du lieutenant Schreiber, Andreï Makine, éd. Grasset, 2014 (ISBN 978-2-246-81037-7), p. 32
- Le pays du lieutenant Schreiber, Andreï Makine, éd. Grasset, 2014 (ISBN 978-2-246-81037-7), p. 104
- Le pays du lieutenant Schreiber, Andreï Makine, éd. Grasset, 2014 (ISBN 978-2-246-81037-7), p. 105
L'Archipel d'une autre vie, 2016
L'inconnu termina son repas et, immobile, regardait le courant qui brassait de longues cascades de soleil… En vérité, je ne désirais que cela : être à sa place, vivre ce silence, comprendre sans paroles le sens de mon attente ici, à cette heure-là.
- L'Archipel d'une autre vie, Andreï Makine, éd. Seuil, 2016 (ISBN 978-2-02-132917-9), p. 26
De nouveau, je sentis en moi un frisson de lâcheté, la présence du « pantin de chiffon » qui me suggérait l'obéissance, l'effacement de toute parole imprudente, en fait, le bannissement de tout ce qui nous rendait vivants.
- L'Archipel d'une autre vie, Andreï Makine, éd. Seuil, 2016 (ISBN 978-2-02-132917-9), p. 87
Sa voix résonna sourdement, dissimulant l'espoir d'une réplique qui n'avait plus rien de commun avec cette traque et le monde où je comptais revenir. C'est peut-être à cet instant que je perçus sa présence aussi intimement : cette vie meurtrie à portée de la main, ce visage pâle, beau, marqué d'un éclat de balle et qui se tendait vers moi, espérant la réponse, ses yeux qui m'observaient avec un reflet de tendresse désemparée. Oui, avec cette douceur que je n'avais plus connue depuis mon enfance.
- L'Archipel d'une autre vie, Andreï Makine, éd. Seuil, 2016 (ISBN 978-2-02-132917-9), p. 216
Elkan se mit à décharger sur la rive ses bagages : fusil, outils, toile de tentes…
Perplexe devant le peu de biens que nous possédions, je demandai, sans pouvoir cacher mon désarroi : « Et que… qu'est-ce qu'on va faire ici ? »
La réponse vint, rendant insignifiante tout autre interrogation :
« Nous allons y vivre. »
- L'Archipel d'une autre vie, Andreï Makine, éd. Seuil, 2016 (ISBN 978-2-02-132917-9), p. 241
L'unique lettre qui m'est parvenue de Tougour se résumait en quelques lignes. Sacha écrivait qu'un pêcheur, contournant l'archipel juste avant l'arrivée des glaces, avait remarqué une voile carrée qui longeait la côte nord du détroit de Lindholm…
En lisant son compte rendu, si vibrant d'espoir et si peu réaliste, je me disais que l'apparition de ce voilier dans la brume lumineuse des Chantars était sans doute la plus belle trace qu'un amour pouvait laisser parmi les vivants.
- L'Archipel d'une autre vie, Andreï Makine, éd. Seuil, 2016 (ISBN 978-2-02-132917-9), p. 283