Victor Serge

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Victor Serge.

Victor Serge (Bruxelles, 30 décembre 1890 - Mexico, 17 novembre 1947) est un révolutionnaire et un romancier belge francophone d'origine russe, rallié à la Révolution d'Octobre puis hostile à l'évolution stalinienne de l'URSS.

Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression, 1925[modifier]

Le fétichisme de la légalité fut et reste un des traits les plus marquants du socialisme acquis à la collaboration des classes. Il implique la croyance en la possibilité de transformer l'ordre capitaliste sans entrer en conflit avec ses privilégiés. Mais plutôt que l'indice d'une candeur peu compatible avec la mentalité des politiciens, c'est celui de la corruption des leaders. Installés dans une société qu'ils feignent de combattre, ils recommandent le respect des règles du jeu. La classe ouvrière, elle, ne peut respecter la légalité bourgeoise qu'à la condition d'ignorer le rôle véritable de l'État, le caractère trompeur de la démocratie ; bref, les premiers principes de la lutte des classes.
  • Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression (1925), Victor Serge, éd. Maspéro, coll. « Petite collection Maspéro », 1977  (ISBN 2-7071-0384-5), chap. 2 Le problème de l'illégalité, I. N'être pas dupe, p. 57


Littérature et révolution, 1932[modifier]

Les œuvres à thèse, au sens usuel du mot, sont souvent, par définition, des œuvres de qualité inférieure, et dès lors inférieures à leur tâche. La confusion entre l'agitation, la propagande et la littérature est également funeste à ces trois modes de l'activité intellectuelle et de l'action sociale (encore qu'ils puissent se combiner puissamment de façons variées dans des cas précis). La valeur très particulière du roman vient de ce qu'il propose à l'homme autre chose que des mots d'ordre politiques ou des revendications : des façons de sentir, de vivre en son for intérieur, de comprendre autrui, de se comprendre soi-même, d'aimer, de se passionner ; il va sans dire, répétons-le, que ces façons de vivre qui, élevées à la conscience, revêtent la forme d'une idéologie correspondent nécessairement au credo écrit ou non écrit de certaines classes sociales ; mais c'est d'une manière indirecte et lointaine, lâche en apparence, invisible à tout autre qu'à l'analyste.
  • Il s'agit d'une critique de certaines tendances de la littérature soviétique.
  • Littérature et révolution (1932), Victor Serge, éd. Maspéro, coll. « Petite collection Maspéro », 1976  (ISBN 2-7071-0812-X), chap. 6 (« Fonction idéologique de l'écrivain »), p. 28


S'il est minuit dans le siècle, 1939[modifier]

Le Malingre, au lieu de mettre sur le certificat d'identité de Ryjik l'estampille réglementaire, rangea ce papier dans un tiroir.
— Oui, dit-il, comme en aparté, c'est embêtant, mais je n'y puis rien. Citoyen, vous êtes arrêté.
Ryjik ne fut pas surpris outre mesure. Une voix intérieure amère s'exclama au fond de lui : « Enfin ! » Sa dure tête blanche, taillée dans de la chair pétrifiée, avec une régularité presque géométrique, prit en se redressant une sorte de recul. Il regardait avec un dégoût non déguisé le fantoche en uniforme, assis de l'autre côté de la table.
— Bon, je vois que cette vieille canaille de Koba s'est souvenue de moi… Cette canaille aux yeux roux… (Il se parlait à lui-même, mais tout haut.)
— Quoi ? Qu'avez-vous dit ? Qui ?
— Koba. Le chef de la fraction dirigeante du parti. Le fossoyeur de la révolution. La canaille à qui vous léchez le cul…
Le déclenchement instantané d'un ressort tout à fait mécanique, situé quelque part entre son séant et la nuque, mit debout le Malingre hors de lui :
— Je vous défends, citoyen…
Mais Ryjik éclatait aussi, tout à fait blanc, les épaules lourdes, les reins lourds, envahi par une résolution définitive. Et pour la dernière fois peut-être dans sa vie, inutilement, dérisoirement, le peu qu'il dit, il le dit avec une telle autorité que le Malingre se rassit.
— Rien, vous n'êtes rien, citoyen. Et je ne vous dis rien. Je ne discute pas ici avec la contre-révolution.

  • Koba était un pseudonyme de Staline.
  • S'il est minuit dans le siècle (1939), Victor Serge, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 1986  (ISBN 2-246-16353-6), chap. 5 Le Commencement, p. 191


Mémoires d'un révolutionnaire, 1943[modifier]

Exilé politique de naissance, j'ai connu les avantages réels et les lourds inconvénients du déracinement. Il élargit la vision du monde et la connaissance des hommes ; il dissipe les brouillards des conformismes et des particularismes étouffants ; il préserve d'une suffisance patriotique qui n'est en vérité que médiocre contentement de soi-même ; mais il constitue dans la lutte pour l'existence un handicap plus que sérieux. J'ai vu naître la grande catégorie des "apatrides", c'est-à-dire des hommes auxquels les tyrannies refusent jusqu'à la nationalité. Quant au droit de vivre, la situation des apatrides, qui sont en réalité les hommes les plus attachés à leurs patries et à la patrie humaine, ne se peut comparer qu'à celle de l'homme "sans aveu" du Moyen Âge qui, n'ayant ni maître ni suzerain, n'avait ni droit ni défense, et dont le seul nom est devenu une sorte d'insulte.
  • sur la situation des apatrides
  • Mémoires d'un révolutionnaire (1943), Victor Serge, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2001  (ISBN 2-221-09250-3), chap. 10 Pleine attente, p. 815


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