Jean-Pierre Vernant

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Jean-Pierre Vernant (2006).

Jean-Pierre Vernant (Provins, 4 janvier 1914 - Sèvres, 9 janvier 2007) est un anthropologue, historien, helléniste, philosophe et écrivain français.

Citations[modifier]

Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique (1965)[modifier]

Les psychologues et les sociologues se trouvent, par l'orientation actuelle de leurs recherches, trop engagés dans le monde contemporain pour s'intéresser à une antiquité classique qu'ils abandonnent à la curiosité, à leurs yeux un peu désuète, des humanistes. Et cependant, s'il est une histoire de l'homme intérieur, solidaire de l'histoire des civilisations, il nous faut reprendre le mot d'ordre que lançait, il y a quelques années, Z. Barbu dans ses Problems of historical psychology : Back to the Greeks !
  • Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique (1965), Jean-Pierre Vernant, éd. La Découverte, 1996, Introduction, p. 10


Pour la pensée mythique, toute généalogie est en même temps et aussi bien explicitation d'une structure ; et il n'y a pas d'autre façon de rendre raison d'une structure que de la présenter sous la forme d'un récit généalogique.
  • Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique (1965), Jean-Pierre Vernant, éd. La Découverte, 1996, Le mythe hésiodique des races. Essai d'analyse structurale, p. 22


Jean Cuisenier a rappelé l'interprétation que propose Hegel de cet anthropomorphisme des images divines dans la religion grecque classique. Encore faudrait-il s'entendre sur la portée exacte du terme anthropomorphisme. Veut-il dire que, pour les Grecs, les dieux étaient conçus et représentés à l'image des hommes ? Il me semble plutôt qu'à l'inverse le corps humain leur apparaissait, lorsqu'il est dans la fleur de sa jeunesse, comme une image ou comme un reflet du divin.
  • Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique (1965), Jean-Pierre Vernant, éd. La Découverte, 1996, De la présentification de l'invisible à l'imitation de l'apparence, p. 348


Les dieux helléniques sont des Puissances, non des personnes. La pensée religieuse répond aux problèmes d'organisation et de classification des üissances : elle distingue divers types de pouvoirs surnaturels, avec leur dynamique propre, leur mode d'action, leurs domaines, leurs limites ; elle en envisage le jeu complexe : hiérarchie, équilibre, opposition, complémentarité. Elle ne s'interroge pas sur leur aspect personnel ou non personnel. Certes, le monde divin n'est pas composé de forces vagues et anonymes ; il fait place à des figures bien dessinées, dont chacune a son nom, son état-civil, ses attributs, ses aventures caractéristiques. Mais cela ne suffit pas à le constituer en sujets singuliers, en centres autonomes d'existence et d'action, en unités ontologiques, au sens que nous donnons au mot "personne". Une puisance divine n'a pas réellement "d'existence pour soi". Elle n'a d'être que par le réseau des relations qui l'unit au système divin dans son ensemble. Et dans ce réseau elle n'apparaît pas nécessairement comme un sujet singulier, mais aussi bien comme un pluriel : soit pluralité indéfinie, soit multiplicité nombrée. Entre ces formes pour nous exclusives l'une de l'autre, — une personne ne saurait être plusieurs —, la conscience religieuse du Grec ne pose pas d'incompatibilité radicale.
  • Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique (1965), Jean-Pierre Vernant, éd. La Découverte, 1996, Aspects de la personne dans la religion grecque, p. 362


Mythe et société en Grèce ancienne (1974)[modifier]

De ces recueils de récits, juxtaposés ou plus ou moins coordonnés à la diligence des mythographes [comme les recueils du Pseudo-Apollodore, d'Hygin de Diodore de Scile, d'Antoninus Liberalis ou des Mythographes du Vatican], il faut distinguer ce qui, dans le cas grec, constitue non plus des mythes, mais une mythologie, c'est-à-dire un ensemble narratif unifié qui représente, par l'étendue de son champ et par sa cohérence interne, un système de pensée original, aussi complexe et rigoureux à sa façon que peut l'être, dans un registre différent, la construction d'un philosophe. L'exemple typique d'une telle mythologie nous est fourni par l'œuvre d'Hésiode, spécialement par la Théogonie.
  • Mythe et société en Grèce ancienne (1974), Jean-Pierre Vernant, éd. La Découverte, 2004, Raisons du mythe, p. 207


Les ruses de l'intelligence. La mètis des Grecs (avec Marcel Detienne, 1974)[modifier]

Si vaste que soit le domaine où s'exerce la mètis, si importante sa position dans le système des valeurs, elle ne se manifeste pas ouvertement pour ce qu'elle est, elle ne se montre pas au grand jour de la pensée, dans la clarté d'un écrit savant qui se proposerait de la définir. Elle apparaît toujours plus ou moins "en creux", immergée dans une pratique qui ne se soucie, à aucun moment, alors même qu'elle l'utilise, d'expliquer sa nature ni de justifier sa démarche.
  • Les ruses de l'intelligence. La mètis des Grecs, Jean-Pierre Vernant et Marcel Detienne, éd. Flammarion, coll. « Champs », 1974, p. 9


La mètis est bien une forme d'intelligence et de pensée, un mode du connaître ; elle implique un ensemble complexe, mais très cohérent, d'attitudes mentales, de comportements intellectuels qui combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d'esprit, la feinte, la débrouillardise, l'attention vigilante, le sens de l'opportunité, des habiletés diverses, une expérience longuement acquise ; elle s'applique à des réalités fugaces, mouvantes, déconcertantes et ambiguës, qui ne se prêtent ni à la mesure précise, ni au calcul exact, ni au raisonnement rigoureux. Or dans le tableau de la pensée et de l'intelligence qu'ont dressé ces professionnels de l'intelligence que sont les philosophes [grecs antiques], toutes les qualités d'esprit dont est faite la mètis, ses tours de main, ses adresses, ses stratagèmes, sont le plus souvent rejetés dans l'ombre, effacés du domaine de la connaissance véritable et ramenés, suivant les cas, au niveau de la routine, de l'inspiration hasardeuse, de l'opinion inconstante, ou de la pure et simple charlatanerie.
  • Les ruses de l'intelligence. La mètis des Grecs, Jean-Pierre Vernant et Marcel Detienne, éd. Flammarion, coll. « Champs », 1974, p. 10


L'Univers, les dieux, les hommes (1999)[modifier]

Après Dumézil et Lévi-Strauss, la fièvre des études mythologiques avait gagné un quarteron d'hellénistes qui s'étaient lancés avec moi dans l'exploration du monde légendaire de la Grèce ancienne. Au fur et à mesure que nous avancions et que nos analyses progressaient, l'existence d'une pensée mythique en général devenait plus problématique et nous étions conduits à nous interroger : qu'est-ce qu'un mythe ? Ou plus précisément, compte tenu de notre domaine de recherche : qu'est-ce qu'un mythe grec ? Un récit, bien sûr. Encore faut-il savoir comment certains récits se sont constitués, établis, transmis, conservés. Or, dans le cas grec, ils ne nous sont parvenus qu'en fin de course sous forme de textes écrits dont les plus anciens appartiennent à des œuvres littéraires relevant de tous les genres, épopées, poésie, tragédie, histoire, voire philosophie, et où, exception faite de l’Iliade, de l’Odyssée et de la Théogonie d'Hésiode, ils figurent le plus souvent dispersés, de façon fragmentaire, parfois allusive. C'est à une époque tardive, seulement vers le début de notre ère, que des érudits ont rassemblé ces traditions multiples, plus ou moins divergentes, pour les présenter unifiées en un même corpus, rangées les unes après les autres comme sur les rayons d'une Bibliothèque, pour reprendre le titre qu'Apollodore a précisément donné à son répertoire, devenu un des grands classiques en la matière. Ainsi s'est construit ce qu'il est convenu d'appeler la mythologie grecque.
  • L'Univers, les dieux, les hommes, Jean-Pierre Vernant, éd. Seuil, coll. « Points », 1999, p. 8-9


Les légendes hellènes, pour être elles-mêmes comprises, exigent la comparaison avec les récits traditionnels d'autres peuples, appartenant à des cultures et à des époques très diverses, qu'il s'agisse de la Chine, de l'Inde, du Proche-Orient anciens, de l'Amérique précolombienne ou de l'Afrique. Si la comparaison s'est imposée, c'est que ces traditions narratives, si différentes qu'elles soient, présentent entre elles et par rapport au cas grec assez de points communs pour les apparenter les unes aux autres.
  • L'Univers, les dieux, les hommes, Jean-Pierre Vernant, éd. Seuil, coll. « Points », 1999, p. 8-9


Aujourd'hui encore, un poème n'a d'existence que s'il est parlé, il faut le connaître par cœur pour lui donner vie, se le réciter avec les mots silencieux de la parole intérieure. Le mythe n'est lui aussi vivant que s'il est encore raconté, de génération en génération, dans le cours de l'existence quotidienne. Sinon, relégué au fond des bibliothèques, figé sous forme d'écrits, le voilà devenu référence savante pour une élite de lecteurs spécialisés en mythologie.
  • L'Univers, les dieux, les hommes, Jean-Pierre Vernant, éd. Seuil, coll. « Points », 1999, p. 10-11


La Traversée des frontières (2004)[modifier]

Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité, c'est se perdre et cesser d'être. On se connaît, on se construit par le contact, l'échange, le commerce avec l'autre. Entre les rives du même et de l'autre, l'homme est un pont.
  • La Traversée des frontières, Jean-Pierre Vernant, éd. Seuil, 2004, p. 302


Citations au sujet de Jean-Pierre Vernant[modifier]

Je voudrais lui rendre hommage avec les mots qu’il consacre à la naissance de l’Odyssée dans son dernier livre La Traversée des frontières. Il dit : « Voici donc une solution à la condition humaine, trouver par la mort le moyen de dépasser cette condition humaine, vaincre la mort par la mort elle-même en lui donnant un sens qu’elle n’a pas, dont elle est absolument dénuée. » Jean-Pierre Vernant a gagné son défi. Il est mort dans la vie et quand je dis cela, je pense qu’il a su, par son activité de chercheur et par son engagement de citoyen, libérer et prendre le recul nécessaire pour créer les conditions d’une plus grande liberté. Non pas seulement celle qu’il nous a offerte par le présent mais celle que nos ancêtres, nos pères, ceux qui sont morts pour nous, ont rêvé et ont essayé d’offrir à la condition humaine. Sa leçon et son témoignage resteront féconds et présents. Ce sera notre phare pour l’avenir.
  • « "Notre phare pour l'avenir". L'hommage de Carlo Ossola, professeur au Collège de France », Carlo Ossola (entretien réalisé par Ixchel Delaporte), L'Humanité, 11 janvier 2007 (lire en ligne)


À l’exemple de L. Gernet et de I. Meyerson, il ne cessa d’explorer lacivilisation grecque, en cherchant dans le comparatisme l’outil qui lui permettaitde mesurer l’altérité et l’originalité de la pensée grecque. On peut dire sansexagération que tout ce qui a été écrit depuis les années soixante sur l’histoirepolitique et le développement intellectuel de la pensée grecque part consciemmentou non du livre de 1962. De plus en plus des chercheurs venus de tous lesdomaines des sciences de l’Antiquité découvrirent en lisant et en écoutantJ.-P. Vernant une nouvelle manière de penser leur domaine et ses méthodes.
  • « Nécrologie de Jean-Pierre Vernant (1914-2007) », John Scheid, Site Internet du Collège de France, 24 juin 2007 (lire en ligne)


Ceux qui ont fréquenté J.-P. Vernant comme collègue, enseignant ou élève ne peuvent oublier sa capacité d’écoute, ni, on l’a souvent souligné, cette capacité socratique qui était la sienne de reformuler clairement ce que son interlocuteur avait tenté de lui exposer, tout en ouvrant de nouvelles perspectives. Personne n’oubliera non plus son style qui était d’une clarté absolue, ses talents d’orateur et de conteur, qui valurent un grand succès populaire à l’un de ses derniers livres dans lequel il raconte la mythologie grecque.
  • « Nécrologie de Jean-Pierre Vernant (1914-2007) », John Scheid, Site Internet du Collège de France, 24 juin 2007 (lire en ligne)


(...) Si vous prenez l’exemple de Vernant, les décisions essentielles qui ont été les siennes ont été prises hors du Parti [communiste]. Quand, en 1940, il décide de résister, il se met en réserve du PC : il entre alors à Libération, distribue avec son frère des tracts « Victoire anglaise = Victoire de la France », qui sont à l’opposé de la ligne du Parti. Idem au moment de la guerre d’Algérie.
  • « La vérité de l'indicatif. Entretien avec Pierre Vidal-Naquet », Propos recueillis par Philippe Mangeot & Isabelle Saint-Saëns, Site Pierre Vidal-Naquet.net, automne 2001 (lire en ligne)


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