Emil Cioran

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Emil Cioran
Emil Cioran

Emil Cioran, né à Răşinari, en Roumanie, le 8 avril 1911, et mort à Paris le 21 juin 1995, était un philosophe et écrivain roumain, d'expression roumaine, puis française.

Syllogismes de l'amertume, 1952[modifier]

Les modes d'expression étant usés, l'art s'oriente vers le non sens, vers un univers privé et incommunicable. Un frémissement intelligible, que ce soit en peinture, en musique ou en poésie, nous semble à juste titre désuet ou vulgaire. Le public disparaîtra bientôt : l'art suivra de près.
Une civilisation qui commença par les cathédrales devait finir par l'hermétisme de la schizophrénie.
  • Syllogismes de l'amertume (1952), Emil Cioran, éd. Gallimard, coll. « Folio, essais », 2012, p. 14


Notre mal étant le mal de l'histoire, de l'éclipse de l'histoire, force nous est de renchérir sur le mot de Valéry, d'en aggraver la portée : nous savons maintenant que la civilisation est mortelle, que nous galopons vers des horizons d'apoplexie, vers les miracles du pire, vers l'âge d'or de l'effroi.
  • Syllogismes de l'amertume (1952), Emil Cioran, éd. Gallimard, coll. « Folio, essais », 2012, p. 64


Il n'est pas élégant d'abuser de la malchance ; certains individus, comme certains peuples, s'y complaisent tant, qu'ils déshonorent la tragédie.
  • Syllogismes de l'amertume (1952), Emil Cioran, éd. Gallimard, coll. « Folio, essais », 2012, p. 69


La haine peut être vile; s'en défaire pourtant est plus dangereux qu'en abuser.
  • Syllogismes de l'amertume, Emil Cioran, éd. Gallimard, 2014, p. 108


Au rebours des autres siècles qui pratiquèrent la torture négligemment, celui-ci, plus exigeant, y apporte un souci de purisme qui fait honneur à notre cruauté.
  • Syllogismes de l'amertume (1952), Emil Cioran, éd. Gallimard, coll. « Folio, essais », 2012, p. 125


Pour passer des cavernes aux salons, il nous a fallu un temps considérable ; nous en faudra-t-il autant pour parcourir le chemin inverse, ou brûlerons-nous les étapes ? — Question oiseuse pour ceux qui ne pressentent pas la préhistoire...
  • Syllogismes de l'amertume (1952), Emil Cioran, éd. Gallimard, coll. « Folio, essais », 2012, p. 130


Quand la pègre épouse un mythe, attendez-vous à un massacre ou, pis encore, à une nouvelle religion.
  • Syllogismes de l'amertume (1952), Emil Cioran, éd. Gallimard, coll. « Folio, essais », 2012, p. 132


Essai sur la pensée réactionnaire[modifier]

Toujours le réactionnaire, ce conservateur qui a jeté le masque, empruntera aux sagesses ce qu'elles ont de pire, et de plus profond : la conception de l'irréparable, la vision statique du monde. Toute sagesse et, à plus forte raison, toute métaphysique, sont réactionnaires, ainsi qu'il sied à toute forme de pensée qui, en quête de constantes, s'émancipe de la superstition du divers et du possible.
  • Du Pape et extraits d'autres œuvres, Textes de Joseph de Maistre présentés et choisis par E. M. Cioran, éd. J.-J. Pauvert, coll. « Libertés », 1957, p. 27-28


Cahiers, 1957-1972[modifier]

On ne réfléchit que parce qu'on se dérobe à l'acte. Penser, c'est être en retrait.


Le seul service que nous pouvons demander aux autres, c'est de ne pas deviner à quel point nous sommes lamentables.
  • Cahiers 1957-1972, Emil Cioran, éd. Gallimard, 1997  (ISBN 2-07-074935-5), p. 239


L'homme est un animal surmené.
  • Cahiers 1957-1972, Emil Cioran, éd. Gallimard, 1997  (ISBN 2-07-074935-5), p. 290


Le secret de l'Histoire, c'est le refus du salut.
  • Cahiers 1957-1972, Emil Cioran, éd. Gallimard, 1997  (ISBN 2-07-074935-5), p. 490


De l'inconvénient d'être né, 1973[modifier]

Si le dégoût du monde conférait à lui seul la sainteté, je ne vois pas comment je pourrais éviter la canonisation.
  • De l'inconvénient d'être né, Emil Cioran, éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2006  (ISBN 2-07-032448-6), partie II, p. 35


Ce n'est pas la peine de se tuer, puisqu'on se tue toujours trop tard.
  • De l'inconvénient d'être né, Emil Cioran, éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2006  (ISBN 2-07-032448-6), partie II, p. 43


Toute forme de hâte, même vers le bien, traduit quelque dérangement mental.
  • De l'inconvénient d'être né, Emil Cioran, éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2006  (ISBN 2-07-032448-6), partie III, p. 65


Tous ces peuples étaient grands, parce qu'ils avaient de grands préjugés. Ils n'en ont plus. Sont-ils encore des nations ? Tout au plus des foules désagrégées.
  • De l'inconvénient d'être né, Emil Cioran, éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2006  (ISBN 2-07-032448-6), partie VIII, p. 152


Au paradis, les objets et les êtres, assiégés de tous côtés par la lumière, ne projettent pas d'ombre. Autant dire qu'ils manquent de réalité, comme tout ce qui est inentamé par les ténèbres et déserté par la mort.
  • De l'inconvénient d'être né, Emil Cioran, éd. Gallimard, coll. « Idées », 1973  (ISBN 2-07-035480-6), partie XI, p. 223


Écartèlement, 1979[modifier]

L'homme fait l'histoire ; à son tour l'histoire le défait. Il en est l'auteur et l'objet, l'agent et la victime. Il a cru jusqu'ici la maîtriser, il sait maintenant qu'elle lui échappe, qu'elle s'épanouit dans l'insoluble et l'intolérable : une épopée démente, dont l'aboutissement n'implique aucune idée de finalité.
  • Œuvres, Emil Cioran, éd. Gallimard, 2007, partie Écartèlement, p. 1428


Plus l'homme acquiert de la puissance, plus il devient vulnérable. Ce qu'il doit le plus redouter, c'est le moment où, la création entièrement jugulée, il fêtera son triomphe, apothéose fatale, victoire à laquelle il ne survivra pas. Le plus probable est qu'il disparaîtra avant d'avoir réalisé toutes ses ambitions. Il est déjà si puissant que l'on se demande pourquoi il aspire à l'être davantage. Tant d'insatiabilité trahit une misère sans recours, une déchéance magistrale.
  • Œuvres, Emil Cioran, éd. Gallimard, 2007, partie Écartèlement, p. 1437


Mais qui, parmi nous, consentirait au recommencement indéfini de l'histoire dans sa totalité ? Avec chaque événement qui s'y produit, et qui nous apparaît nécessairement irréversible, nous avançons d'un pas vers un dénouement unique, selon le rythme du progrès dont nous adoptons le schéma et refusons, bien entendu, les balivernes. Nous progressons, oui, nous galopons même, vers un désastre précis, et non vers quelque mirifique perfection.
  • Œuvres, Emil Cioran, éd. Gallimard, 2007, partie Écartèlement, p. 1439


Ébauches de vertige, 1979[modifier]

Pour rester en deçà de l'affolement, il faut fréquenter plus affolé que soi.
  • Ébauches de vertige, Emil Cioran, éd. Gallimard, 1979, p. 35


L'homme sensé ne s'abaisse pas à protester. À peine consent-il à l'indignation. Prendre au sérieux les affaires humaines témoigne de quelque carence secrète.
  • Ébauches de vertige, Emil Cioran, éd. Gallimard, 1979, p. 48


Aussi longtemps qu'on n'aspire pas à être méprisé, on est comme les autres, comme ceux qu'on méprise justement.
  • Ébauches de vertige, Emil Cioran, éd. Gallimard, 1979, p. 97


Le sourire serait un signe de santé, d'équilibre. Le fou, il est vrai, rit plus qu'il ne sourit.
  • Ébauches de vertige, Emil Cioran, éd. Gallimard, 1979, p. 116


Rien ne nous corrige de rien. L'ambitieux demeure tel jusqu'à son dernier souffle et poursuivrait une fortune et renommée même si le globe était sur le point de voler en éclats.
  • Ébauches de vertige, Emil Cioran, éd. Gallimard, 1979, p. 119


Exercices d'admiration, 1986[modifier]

Je viens d'un coin d'Europe où les débordements, le débraillé, la confidence, l'aveu immédiat, non sollicité, impudique est de rigueur, où l'on connaît tout de tous, où la vie en commun se ramène à un confessionnal public, où le secret précisément est inimaginable et où la volubilité confine au délire.

Cela seul suffirait à expliquer pour quoi je devais subir la fascination d'un homme surnaturellement discret.
  • Exercices d'admiration, Cioran, éd. Gallimard, coll. « Arcades », 1986, chap. Beckett, p. 100


Aveux et anathèmes, 1987[modifier]

On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela et rien d'autre.
  • Aveux et anathèmes (1987), Emil Cioran , éd. Gallimard, 1987, p. 21


Divagations, 2019[modifier]

Une pensée meurt lorsque l'on cesse de la penser. Mais elle meurt aussi lorsqu'elle a été pensée par-delà les limites de la faculté de penser.
  • Divagations, Emil Cioran (trad. Nicolas Cavaillès), éd. Gallimard, 2019, p. 45


La stérilité intérieure est le moyen le plus sûr de se défendre contre la folie.
  • Divagations, Emil Cioran (trad. Nicolas Cavaillès), éd. Gallimard, 2019, p. 75


Tout être vivant qui accepte de persévérer dans la vie mérite son infortune.
  • Divagations, Emil Cioran, éd. Gallimard, 2019, p. 92


L'esprit n'est véritablement pur que dans le doute.
  • Divagations, Emil Cioran (trad. Nicolas Cavaillès), éd. Gallimard, 2019, p. 107


Qui est capable de quelque chose est capable de tout. À partir du moment où l'on a fait un pas dans le monde, on a virtuellement adhéré à tous ses aspects.
  • Divagations, Emil Cioran, éd. Gallimard, 2019, p. 109


L'histoire se serait arrêtée depuis longtemps s'il n'entrait pas dans les instincts humains la conviction d'être éternel. La vie, qui est l'éphémère même, n'est possible que par la négation de l'idée d'éphémère.
  • Divagations, Emil Cioran, éd. Gallimard, 2019, p. 128


Fenêtre sur le Rien, 2019[modifier]

Rien ne nous diminue moins que l'absence de folie.
  • Fenêtre sur le Rien, Emil Cioran, éd. Gallimard, 2019, p. 31


L'âme était déjà pourrie lorsqu'elle se chercha un corps ; sinon, elle ne se serait pas retrouvée avec une charogne.
  • Fenêtre sur le Rien, Emil Cioran, éd. Gallimard, 2019, p. 50


En dehors du sommeil, tout vient dégeler les larmes qui dorment en nous. L'état de veille n'est que pleurs enveloppés de théorie.
  • Fenêtre sur le Rien, Emil Cioran, éd. Gallimard, 2019, p. 57


Ce qui ne se fonde pas sur l'espoir reste extérieur à toute chose. Même le diable espère - en mal.
  • Fenêtre sur le Rien, Emil Cioran, éd. Gallimard, 2019, p. 59


Nul ne peut vivre sans se croire plus qu'il n'est.
  • Fenêtre sur le Rien, Emil Cioran, éd. Gallimard, 2019, p. 68


L'univers même, nous l'avons transformé en psychologie. Telle est la définition de la superficialité.
  • Fenêtre sur le Rien, Emil Cioran, éd. Gallimard, 2019, p. 119


La volonté pulvérise la vie ; la paresse la conserve.
  • Fenêtre sur le Rien, Emil Cioran (trad. Nicolas Cavaillès), éd. Gallimard, 2019, p. 128


Chaque homme porte en lui un secret qu'il assassine dans ses moments de bonheur.
  • Fenêtre sur le Rien, Emil Cioran (trad. Nicolas Cavaillès), éd. Gallimard, 2019, p. 153


Dans la vie, seul triomphe celui qui à aucun moment ne s'oublie lui-même ; qui ne s'oublie devant aucune idée, devant aucun rêve, devant aucune lutte.
  • Fenêtre sur le Rien, Emil Cioran (trad. Nicolas Cavaillès), éd. Gallimard, 2019, p. 155


Le monde se compose de mots vides et de douleurs muettes.
  • Fenêtre sur le Rien, Emil Cioran (trad. Nicolas Cavaillès), éd. Gallimard, 2019, p. 191


Sur le travail[modifier]

Les hommes travaillent généralement trop pour pouvoir encore rester eux-mêmes. Le travail : une malédiction que l’homme a transformée en volupté. Œuvrer de toutes ses forces pour le seul amour du travail, tirer de la joie d’un effort qui ne mène qu’à des accomplissements sans valeur, estimer qu’on ne peut se réaliser autrement que par le labeur incessant — voilà une chose révoltante et incompréhensible. Le travail permanent et soutenu abrutit, banalise et rend impersonnel. Le centre d’intérêt de l’individu se déplace de son milieu subjectif vers une fade objectivité ; l’homme se désintéresse alors de son propre destin, de son évolution intérieure, pour s’attacher à n’importe quoi : l’œuvre véritable, qui devrait être une activité de permanente transfiguration, est devenue un moyen d’extériorisation qui lui fait quitter l’intime de son être. Il est significatif que le travail en soit venu à désigner une activité purement extérieure : aussi l’homme ne s’y réalise-t-il pas — il réalise.
  • Sur les cimes du désespoir, Emil Cioran, éd. L'Herne, 1990, p. 194


Sur la musique[modifier]

Sans Bach, Dieu serait un type de troisième ordre.
  • E. M. Cioran, cité dans
  • « Les écrivains et la musique : E. M. Cioran », Benjamin Ivry, Symphonia, nº 2, Janvier 1996, p. 20


S'il y a quelqu'un qui doit tout à Bach, c'est bien Dieu.
  • E. M. Cioran, cité dans
  • « Les écrivains et la musique : E. M. Cioran », Benjamin Ivry, Symphonia, nº 2, Janvier 1996, p. 20


Beethoven a vicié la musique : il y a introduit les sautes d'humeur, il y a laissé entrer la colère.
  • E. M. Cioran, cité dans
  • « Les écrivains et la musique : E. M. Cioran », Benjamin Ivry, Symphonia, nº 2, Janvier 1996, p. 20


Citations à propos d'Emil Cioran[modifier]

Il n'est pas illégitime de me traiter, comme on l'a fait, de professeur de désespoir, de souligner ma filiation avec Schopenhauer. Je ne suis pas le seul, j'ai, dans cette lignée, de prestigieux aînés, Maupassant, Conrad, Thomas Mann, par exemple. Et Cioran, auquel je reproche pourtant de n'avoir jamais cité Schopenhauer.
  • « La possibilité d'une île : interview de Michel Houellebecq », Michel Houellebecq, propos recueillis par Josyane Savigneau, Le Monde (ISSN 0395-2037), 21 août 2005, p. 18?


Le désenchantement ne réclame pas de longues tartines. Ce que le chagrin fait de mieux, c'est de se murer dans son silence. Cioran coupe en deux la poire du désespoir. Il ne se répand pas, à la façon de Rolla ou de Childe Harold, en lamentations lyriques, il ne se tait pas non plus tout à fait : il procède par coups de semonce, par éclats mesurés, par proverbes plus noirs que ceux de Blake ou de Pierce qui se réclamaient pourtant du diable, par aphorismes et apophtegmes.

  • Une autre histoire de la littérature française, II, Jean d'Ormesson, éd. Gallimard, coll. « folio », 1998, p. 384


La tombe d'Emil Cioran

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